jeudi 25 juillet 2013

KIKO ESCORA




Kiko Escora. Philippin. Début de la quarantaine. Connu dans les milieux branchés. Vend cher, à ce que j'ai pu voir. Je ne savais rien de lui, je le découvre, et je suis fasciné. La sensualité, bien sûr, mais insolente, hors d'atteinte, contrariante. Une sensualité immensément égocentriste, fatalement solitaire, aveugle. J'aime beaucoup son travail, inutilement: c'est tout comme si Escora s’amusait de l'arrogance du désir. « Casse-toi, pauv' con », quelque chose du genre. Bref, j'aime beaucoup, c'est rageur, c'est baveux.




mercredi 24 juillet 2013

HAÏR LA HAINE DE L'ANGLAIS


Picasso. La femme qui pleure. 



« De la même façon que les Québécois ne se définissent plus aujourd’hui selon leur pratique religieuse, les livres d’histoire écriront-ils dans quelques décennies qu’ils ont donné leur 4% à tous ces porte-voix (hargneux et souffrant d’une profonde détestation de l’anglais avec une lettre minuscule et avec une lettre majuscule) qui défendent mal le fait français en Amérique et qui font honte? Je me le demande. Je me le demande sérieusement. » - Joanne Marcotte, Journal de Montréal, 23 juillet 2013

J’ai eu envie, d’abord, lisant cela, de proférer quelques jurons. Et puis, de la retenue (que je me suis dit), un peu quand même, parce que quand la dame évoque cette détestation de l’anglais et des Anglais, je ne peux que me rappeler que plusieurs de mes compatriotes, prétendument moins à droite que Joanne Marcotte, et de beaucoup, pensent, sur cette question, strictement la même chose qu'elle. Combien de fois ai-je pu lire, sur Facebook, dans Voir, dans La Presse, dans d’autres journaux, ou sur des blogues, que la Charte de la langue française était le fruit d’un nationalisme anti-Anglais dépassé, et que l’affirmation de l’identité française du Québec procédait d’une haine viscérale, arriérée, de la communauté anglo-québécoise ? Combien de fois ai-je lu, des bien-pensants d'une certaine gauche, qu'il fallait être moderne, et progressiste, et qu'en conséquence il fallait redouter, en vrac, comme du vieux stock puant, l'identitaire, le drapeau, le racisme, l'ignorance de l'autre dont les subtilités de la pensée sont si souvent dites en anglais ?...

Personnellement, je crois encore, comme le Dr Laurin, que le Québec doit être aussi massivement français que l’Ontario est massivement anglaise. Je crois encore que c’est une question de libération, et de réussite, bien davantage qu’une question de dignité, encore que la dignité soit indispensable pour réussir sa vie (et ne pas courber le dos), de l’école au travail, du travail à la politique, du courage politique à l’assurance culturelle qui favorise, au moins un peu, l’expression d’une pensée complexe et de formes artistiques novatrices. C’était déjà ce qui se trouvait dans le Refus global, un texte fossile (comme de juste) remontant à 1949, un temps archi-lointain. Refuser ? Refuser globalement ? On parle bien de ça, oui, alors qu'il s'agit d'accepter l'autre, et de dénoncer «notre engeance nationaliste» qui se donne pour révolutionnaire alors qu'elle se «caractérise», en fait, et à voir les choses comme elles sont, comme typique de la «contre-révolution» souhaitée au nom de la «tribu». Passer «du confessionnalisme religieux au confessionnalisme linguistique obligatoire» ? Jamais ! (Pierre-Elliot Trudeau, Cité libre, 1964). 

Des intellectuels qui pensent comme ça, qui pensent, sur la langue et la nation, comme Joanne Marcotte et Pierre Elliot Trudeau, il y en a des tas. Sur cette question de la langue, c'est même la mode de cracher sur les saint-jean-baptisards fascisants. J’imagine qu’écrivant cela, avec un relent d'acrimonie, j’exprime là mon vieux nationalisme, et ma haine (bonasse, quand même) des Anglais. Dès demain, je m’abonne à The Gazette — pas au Journal de Montréal, je ne me convertis pas, dieu m'en garde, à tout ce que pense Mme Marcotte... Je deviens quelqu’un de bien. Je cesse, comme le dit Joanne Marcotte, de faire honte à tant détester ce que je ne suis pas. Je cesse d'être favorable à la «contre-révolution nationale-socialiste». (Trudeau, 1964, loc.cit.)

PS Comme quoi on radote depuis longtemps, au Québec, particulièrement dans les milieux de la droite anti-nationaliste, même maquillée en progressistes. Ce sont les seuls, pourtant, qui ont  ce triste privilège d'avoir tenté d'écraser la liberté les armes à la main.






mardi 2 juillet 2013

CLIO SE PORTE MAL...


Clio, muse de l'Histoire. Mozaïque romaine, 2ème siècle. Rome, Palazzo Massimo



J'ai conseillé à un de mes amis, récemment, un copain d'université, qui fait de la recherche fondamentale en histoire, et qui publie régulièrement: « Ne t'abonne jamais à Facebook, ou à aucun autre réseau social, parce que tu vas y perdre, irréversiblement, le goût du travail méthodique, patient, approfondi, mené pas-à-pas. En fait, tu vas te demander pourquoi mettre tant d'insistance à connaître si bien le passé, cet «espace-temps de plus en plus étrange», comme disait Jean-Marie Fecteau, au point d'y perdre rapidement, quand on s'y enfonce, toute reconnaissance. Tu vas te demander à quoi sert, sans rire, la fonction sociale de l'histoire, si tant est qu'il y en ait une. Et puis, pour finir, t'écriras plus une ligne. »

Le fait est que n'importe qui affirme n'importe quoi, des dates et des faits de l'ancien temps, tronqué, sectionné, déraciné; le fait est qu'on suppose la «vérité» cachée, insidieusement, comme de juste, parce qu'elle est gênante , embarrassante, et qu'elle fait honte à la Cause; le fait est qu'on les flanque, ces «vérités», comme des gifles magistrales à des esprits horriblement bornés, sans preuve aucune, à partir d'à-peu -près mal vérifiés; le fait est que «l'histoire», quand elle s'en donne le culot, sert à désinformer, à manipuler, à intimider, à orienter; et que c'est là une entreprise facile parce que les morts ne sont jamais là pour protester. Le public lecteur des penseurs les plus courus est horriblement grégaire, faut bien dire: J'aime ! Pas étonnant que tant de personnes honnêtes détestent l'histoire, et que Paul Valéry en ait fait la plus dangereuse des sciences humaines. Et tout ça, c'est en plus du fait des lieux communs, répétés mille fois après une réflexion un peu courte, et qui font terriblement mal à la réputation du métier d'historien, du genre «L'histoire est toujours écrite par les vainqueurs», ou «Il y a toujours deux côtés à une même médaille», ou «C'est ce que dit l'Histoire officielle»...

L'Histoire officielle ! Quand on est un peu parano, on ne doute pas, bien sûr, de son existence. Connaître cette histoire certifiée, avoir si peu de sens moral qu'on accepte de la diffuser, ce sont deux des conditions d'embauche pour pouvoir l'enseigner, au Québec tout au moins. (Je révèle là un secret ! On m'en tiendra rancune, au ministère !)

Ça me rappelle, tiens, ce prof que j'avais, en première année d'université, et qui nous disait: « L'Histoire ne sert à rien. Perdez vos illusions là-dessus. Une poignée de spécialistes maîtrisent correctement le savoir construit qu'est l'Histoire, discutent entre eux, travaillent pour le progrès du savoir et de son exactitude, veulent croire possible une meilleure connaissance du passé dans sa globalité. Mais l'immense majorité de nos compatriotes, y compris le public cultivé, fait n'importe quoi de l'Histoire, s'en sert n'importe comment, dans n'importe quel but. »

L'Histoire ne sert à rien. J'en ai acquis la plate certitude, plus que jamais, ces 24 juin et 1er juillet 2013, fêtes nationales du Québec et du Canada, à fréquenter les réseaux sociaux. C'est si utile de placer les hommes, les époques et leurs capitales où l'on veut, et de s'en accommoder tout à fait bien. Tout ça fait si longtemps, et ça n'a que si peu d'importance que ça soit faux... Allez, pas de quartier pour l'histoire des vainqueurs: J'aime ! Très peu pour moi.

PS Extraits d'un article du professeur Christian Nadeau, paru dans Le Devoir du 24 juillet 2013. Éléments d'une réflexion essentielle.

« Mais qu’est-ce que le débat public ? S’agit-il (...) d’un pugilat d’opinions pour le divertissement des foules ? La difficulté tient en ce que ces débats publics, comme ceux orchestrés par les médias, sont trop souvent conçus comme des arènes, et non comme des forums d’échanges. Les espaces de temps prévus sont souvent très courts, ce qui favorise la formule rapide et incisive, au détriment d’un dialogue constructif. (...) 
Il s’agit alors de se demander si une véritable réflexion peut véritablement émerger de tels types d’échanges. Et que peut signifier la mission des intellectuels et des universitaires dans un tel contexte? Le débat public est nécessaire, mais les intellectuels et les chercheurs doivent y contribuer à leurs propres conditions. Or, un des pièges possibles du débat public est la volonté de gagner à tout prix ou de céder aux charmes des dichotomies faciles. Dans ce cas, la recherche de la vérité ne compte plus ou passe au second rang, ce qui est inacceptable. (...)
La recherche de la vérité ne peut signifier avoir raison par-dessus tout. Elle ne peut signifier non plus se ranger ou disparaître lorsque le plus grand nombre exprime son opposition à nos vues. »