jeudi 29 mars 2012

L'ART QUÉBÉCOIS DE LA GUERRE


Extrait du Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec, le 10 mai 2007



Je vais commencer mon billet par un aveu, désolant de médiocrité, et presque lâche : je suis fatigué, écoeuré, parfois même dégoûté de plaider pour la survie de la langue, au Québec, de me battre pour un français normalement langue commune, de discuter langue nationale, officielle, régionale, minoritaire, de soutenir une langue menacée, qu’on croit médiocre, populaire, aliénée, de me défendre d’intolérance linguistique, de racisme culturel, de grand renfermement ethnocentrique, de débattre de fédéralisme polyglotte, de provincialisme borné, de honte langagière, de servilité linguistique. J’en ai assez de participer à cette guerre qui n’en finit jamais, parce que les buts de la guerre sont toujours travestis, parce que les armes mêmes des combattants — des mots qui font mal, des intentions verbalisées, affichées avec une moustache hitlérienne, qui blessent et discréditent — sont des armes normalement interdites d’usage tant elles peuvent susciter la haine, et les crimes verbeux contre l’humanité. J’en ai assez de cette guerre québécoise des langues, et de l’art que nous y mettons à la pratiquer sans danger de vaincre, jamais, mais perdants d’avance, chroniquement coupables, toujours, de reprendre le combat, de penser qu’il en vaut la peine, de penser que la langue a le droit, et qu’elle vaut une, deux ou trois lois de suite. J’en ai assez. Je capitule. J’ai honte d’avoir été si arriéré, si étroit d’esprit, quand les autres, pourtant désintéressés, s’ouvrent si largement à ma réalité : c’est Don Macpherson, par exemple, qui m’apprenait récemment, ce que j’ignorais, qu’il « was surprised by the number of signs in English and French [ he ] saw in Toronto. That kind of thing is frowned upon in Montreal. » ( Twitter, 25 mars 2012. )

Je suis de la génération qui a longtemps vibré aux mots de Michèle Lalonde, dans Speak White, et … comment parlez-vous dans vos salons huppés, et… vous souvenez-vous du vacarme des usines and of the voice des contremaîtres, et cette langue, le français, qui est … la langue du silence et de l'impuissance. J’ai pleuré quand Camille Laurin a parlé, au moment de l’adoption finale de la Charte de la langue française, de lendemains qui allaient nécessairement chanter, de catharsis et de libération… C’était en 1968, c’était en 1977. 
Mais depuis, tout s’est réinventé, à partir d’arguments aussi vieux que la Conquête elle-même, mais dans des formes très modernes, inspirées d’un humanisme d’une haute moralité, et bien enracinées dans un continentalisme qui n’en a qu’une, de langue. M. Trudeau avait évoqué, dès 1977, le risque, très possible, au Québec, d’un crime contre l’humanité, les mots étaient dits, enfin, à nouveau, une première fois depuis cette horrible Loi 101 qui bafouait honteusement les droits humains les plus fondamentaux. C’était devant le Congrès américain, qui l’a ovationné. Le même M. Trudeau a, en 1982, donné à ce pays les moyens politiques, et juridiques, de contrer le crime appréhendé. On connait la suite : les jugements de la Cour suprême, la résistance tenace de The Gazette, l’aberration du concept même de société distincte, les mots tristement signifiants de M. Parizeau, l’abandon parfaitement indiqué de la clause dérogatoire, Céline à Las Vegas, et cette pauvre Mme Marois dont l’immense compétence supposée s’est fracassée sur quelques mots péniblement bafouillés en langue anglaise… I speak faster than you : ça restera toujours vrai. Dans les salons chics, on parle désormais français – de temps à autre, mais il faut que ça se sache, quand même. Et quand on est branché, ouvert aux autres, et qu’on ne raterait pour rien au monde une soirée des Grammy Awards, on se doit de parler parfaitement la langue de la culture contemporaine. De toute façon, la France elle-même passe à l'anglais, et nous abandonne, encore une fois.

C’est en lisant les articles de presse, portant sur le projet de Loi 101, amendé, et déposé à l’Assemblée nationale par M. Curzi, soutenu par messieurs Aussant et Khadir, que je me suis mis à penser à tout ça, à cette guerre fratricide, aussi québécoise que le gros jambon et le parler gras, et que je me suis dit que j’en avais assez. Quelle pitié ! Prétendre bafouer la liberté de choix, et la « maturité » des étudiants de cégep ! Elle a bien raison, Mme la ministre St-Pierre, elle a mille fois raison de se moquer du député, et de dénoncer sa « fermeture ». J'ai été, j’avoue, terriblement borné moi-même, je m’en excuse, et m’en repens, parce que j’ai causé des torts. Je me remets à l’étude de l’anglais. Je ne veux plus d’accent. Je ne veux plus être gêné dans les magasins du centre-ville de Montréal. Je pourrai, enfin, voyager partout, de par le vaste monde, et m’ouvrir, surtout, m’ouvrir. J’ai compris, allez ! 

Il y a quelque chose de triste, quand même, à avoir honte de sa langue commune. Elle dit tant d’histoire, tant d’identité, tant de reconnaissance, tant d’inconscient collectif; elle dit tant et si bien du « nous », et du fait qu’il n’y a nulle part au monde, nulle part, où je puisse me sentir aussi bien, aussi chez moi qu’ici, au Québec. Mais j’ai honte, et nous avons honte, de cette langue imparfaite, minoritaire, et pauvre, dans tous les sens qu’on puisse donner à ce mot.

Je lisais, récemment, un excellent roman, L’Art français de la guerre, d’Alexi Jenni, qui m’a ouvert les yeux, et fait comprendre. Des pages fabuleuses sur les trois dernières guerres françaises, et le sang, et la race, et l'histoire, et l'inconscient, et la langue, la langue, surtout, le français de la France contemporaine, souvent des paroles vides de sens, pour fuir, nier, éviter ce qui a blessé, fait mal ou suscité la honte, mais, pourtant, des signes verbaux reconnus de tous, qui font l’identité « nationale », faute d’un mot meilleur, et moins perverti.

« … nous avons bu au même lait de la langue. Nous sommes frères de langue, et ce qui se dit en cette langue nous l’avons entendu ensemble ; ce qui se murmure en cette langue nous l’avons compris, tous, avant même de l’entendre. Même dans l’invective, nous nous comprenons. Elle est merveilleuse cette expression qui dit : nous nous comprenons. Elle décrit un entrelacement intime où chacun est une partie de l’autre, figure impossible à représenter mais qui est évidente du point de vue du langage : nous sommes entrelacés par la compréhension intime de la langue. Même l’affrontement ne détruit pas ce lien. Essayez de vous engueuler avec un étranger : ce n’est jamais plus que de se heurter à une pierre. Ce n’est qu’avec l’un des siens que l’on peut vraiment se battre, et s’entre-tuer ; entre soi. »

Et plus loin : Le malheur, c’est de ne pas maîtriser la « langue en quoi se dit la pensée, le pouvoir et la force. Quand [ par exemple, les Québécois francophones, mais en France, les étrangers, ] la maîtrisent, car ils veulent à toute force partager la langue de la puissance, on les félicite. Et on traque la moindre inflexion, le moindre idiotisme, la moindre impropriété. On trouvera, on trouve la faute quand on la cherche, dût-elle être une légère modulation inhabituelle. On sourit. On les félicite de cette maîtrise, mais ils ne partageront pas. Ils n’en sont pas, c’est bien visible. On multipliera les contrôles ; on trouvera une trace. Sur leur corps, sur leur âme, sur leur visage, dans le grain de leur voix. On les remerciera de cette maîtrise de la langue, mais ils n’auront toujours pas le droit complet à la parole. C’est sans fin. Il nous faudrait quelque chose que l’on soit fiers d’avoir fait ensemble… »

Quelque chose que l’on soit fiers d’avoir fait ensemble… 

Qu’avons-vous fait, ici, au Québec, sinon d'avoir mené des combats d’arrière-garde, pour une langue abâtardie, réalité un temps masqué, mais un temps seulement, par le génie de Michel Tremblay ?

Il y a quelque chose de triste, c’est exact, à avoir honte de sa langue commune. Aussi bien l’abandonner à son libre sort, et à l’évolution qui sera la sienne, respectueuse des temps modernes, des droits et libertés de tous, des exigences de l’économie libérale, de l’appartenance continentale, et de tout ce qui sonne liberté. J'en ai assez d'être un étranger en Amérique. Ce sera la fin de la guerre linguistique. Nous maitriserons l’anglais, la pensée, le pouvoir, la force. On nous félicitera. On ne nous reconnaitra plus. Nous serons blancs. Ça sera bien autre chose que notre art, pénible et petit, de la guerre linguistique à la québécoise. Nous serons puissants, et nous n’aurons de cesse de gagner des trophées.


Post-Scriptum:



La Presse ( Cyberpresse ), premier avril 2012. Et ce n'était pas une blague de mauvais goût. Cet article fait simplement état de la réalité, telle qu'elle est. Quand on est moderne, on ne s'en formalise pas.



Second post-scriptum ( 4 avril 2012 )


Une entrevue dense, percutante, pour la liberté ( et la survie ) de toutes les langues:



Troisième ( et dernier ! ) post-scriptum ( 5 avril 2012)

M. Simon Jodoin, blogueur pour le journal Voir, a publié le 3 avril dernier un article sarcastique, où il affirme se réjouir d'être en nomination pour un prix ( Autruche, la tête ou le cul dans le sable ! ) qui prétendrait récompenser le zèle qu'il met à lutter contre l'exclusion des Anglos de tout ce qui est national québécois, et le même zèle qu'il met à pourfendre les nationalistes bornés, qui ne se font de mal qu'à eux-mêmes et qu'à la cause, petite, qu'ils pensent soutenir. ( Disons que j'y mets un peu de caricature..., mais non sans que la vérité de ses propos en pâtisse. )

À preuve ? Ce commentaire, publié en suite de l'article du blogue, ce 5 avril 2012, hier quoi. On ne peut pas dire mieux que ce monsieur ED. Je reproduis, tel quel, le texte qu'il a — très bien, presque sans faute — écrit. Il a raison. La langue, c'est une affaire horizontale, sans épaisseur; c'est une affaire de droits individuels, c'est une affaire d'ouverture aux autres et de liberté. ( Quel con, quand même, ce monsieur Claude Hagège ! )






dimanche 25 mars 2012

QUAND LA GAUCHE NE S'Y RETROUVE PLUS



Discours de T.C. Douglas, en 1944.



En cinq minutes, amusantes, essentielles, le tout premier chef du NPD, Thomas Clement Douglas, définit parfaitement ce qu’est le rapport de force entre les importants et les asservis, entre les profiteurs et leurs victimes, entre les bêtes humaines carnivores et les êtres humains mangés à belles dents. 

La métaphore explique aussi, mieux qu’un discours idéologique, rigoureux, pourquoi la bourgeoisie capitaliste s’est opposée si longtemps au suffrage universel, a été terrifiée à l’idée d’accorder le droit de vote à la classe laborieuse, classe dangereuse, qui risquait de faire comme la bourgeoisie, de voter pour ses propres candidats et pour ses propres intérêts. C’est ce qui est pourtant le mobile fondamental de voter à gauche, de voter pour la justice, de voter pour le plus grand nombre, de voter pour soi, au sens le plus noble que l’on puisse donner à ces mots. La droite répète souvent que les temps ont changé, que les anciennes réalités, extrêmes, ne sont plus. Ce n’est pas vrai. Ce sont les moyens de l’exploitation qui ont changé. Mais l’exploitation, elle, toute crue, existe toujours, est même pire que jamais. L’écart entre les riches et les pauvres s’est creusé ; la concentration de la richesse est telle qu’elle nous ramène aux conditions qui régnaient à la toute fin du 18è siècle, au moment des grandes révolutions.

Nous savons tous, bien sûr, que le droit de vote a fini par être élargi, aux hommes de toutes conditions, aux femmes, aux jeunes. Nous célébrons ces « victoires », et pourtant, l’expérience répétée montre que les travailleurs, les femmes, les jeunes votent comme la bourgeoisie, à l’exemple de la bourgeoisie. Le système ( j’entends la classe dirigeante ) a appris à conditionner, à asservir le vote – à créer des partisans, qui se haïssent entre eux, et qui laissent tranquilles les vrais profiteurs du système. La gauche a perdu beaucoup de son sens. Elle a compris que pour gagner, elle devait jouer le jeu, tel qu’il est, se rapprocher du centre politique, ne plus faire peur, ne parler que de réformes et de « progrès » : la gauche a appris l’électoralisme.

C’est la réalité que le NPD a fini par digérer, hier, lors de son congrès à la direction. Il a choisi comme chef un ancien d’Alliance-Québec, un ancien ministre libéral provincial, partisan de la « réingénierie de l’État », élément prioritaire du programme du Parti libéral du Québec en 2003, composante cruciale de la thèse économique néo-libérale de Milton Friedman. Le NPD a choisi de gagner des élections, et d’abord d’enraciner la vague sentimentale, irrationnelle, qui lui a donné tant de succès en 2011, particulièrement au Québec. 

Je ne sais si M. Thomas Mulcair parviendra à supplanter, définitivement, le Parti libéral fédéral, à réussir là où les travaillistes britanniques ont si bien réussi, et de la même manière. Mais choisissant l’électoralisme, la gauche canadienne est morte, le NPD a perdu de sa vertu : il est devenu un parti comme les autres, noir ou blanc, ou gris, ou tacheté. T. C. Douglas, j’en suis convaincu, n’aurait jamais voté pour M. Mulcair. Il aurait quitté le plancher du congrès. De toute façon, on en a chassé hier l’ombre même de son fantôme. 




vendredi 23 mars 2012

DU DROIT À L'ÉDUCATION GRATUITE ET AU JUSTE PARTAGE


Vingt-cinq secondes de la manif, immortalisées par le blogueur !



J’ai participé, cet après-midi, à la manifestation nationale des étudiants et des étudiantes du Québec, en lutte contre l’augmentation des droits de scolarité universitaires. Responsabilité de prof que d’être là. Devoir social de s’y retrouver, en masse. Nous étions plus de 200,000 personnes, essentiellement des étudiants, plusieurs enseignants, quelques parents, une poussette ou deux ;  un flot humain joyeux, pacifique, convaincu, surtout décidé à opposer une résistance, juste je crois, étonnamment acharnée, à ce qui pourrait, sérieusement, limiter le droit social incessible qu’est l’accessibilité aux études avancées pour tous. C’est un droit social, qui ne s’achève pas à la fin du niveau secondaire de formation. C’est un droit. 

À l’époque de la Révolution tranquille, on visait à garantir ce droit par la gratuité complète du système scolaire. Nous n’y sommes jamais parvenus, mais nous avons quand même construit un système suffisamment démocratique, de par sa régionalisation, et son financement public, pour accomplir une formidable récupération. En 1960, les Québécois francophones étaient incroyablement sous-scolarisés, plus en retard d’instruction commune que les Noirs états-uniens, qui subissaient à l’époque une ségrégation scolaire institutionnelle ! C’est dire ce que les Québécois francophones ont longtemps subi comme entraves, jusqu’à la Grande Noirceur; c’est dire les forces qui leur refusaient le droit à l’instruction. Papineau savait bien, j’imagine, que l’écrasement des patriotes, en 1837, tenait en partie des écoles ( publiques, laïques, )   que l’Assemblée avait instituées. Mercier se doutait bien qu’on le détestait, en certains milieux, parce qu’il avait voulu créer des écoles du soir, pour les ouvriers canadiens-français, analphabètes, de ce fait aliénés.

Après six ans de Révolution tranquille, en 1966, et ce trois ans seulement après la création d’un ministère de l’Éducation, la cohorte d’élèves qui s’inscrivait à l’école primaire allait être la première à se scolariser davantage que la moyenne canadienne. Autrement dit, si nous avons réussi quelque chose, depuis le dernier demi-siècle, qui dure, et peut-être transforme le Québec en profondeur, c’est bien la réforme scolaire. C’est, avec les grands instruments économiques d’État, le moyen déterminant de notre épanouissement collectif, et de notre liberté, nécessaire, assumée. 

Remarquez bien, c’est sans illusion que j’écris ces quelques lignes. Je sais bien que le système, très bon, a quelques ratés – au sens très exact du terme. Je sais que les programmes ont été écorchés, souvent ratatinés, capitalisme oblige. Je sais bien que, même dans les collèges publics, la réussite scolaire des étudiants tient beaucoup, déjà, avant même tout renchérissement des coûts de la scolarisation, au milieu privilégié – à la classe sociale — auquel les parents, la famille, la maison appartiennent, et au fric qui leur assure de bien meilleures chances que pour la multitude des autres. Je sais que plusieurs des nôtres, désormais capables de penser, de créer, de gérer, ont pris le virage de la réussite strictement personnelle. Je sais aussi que, depuis 50 ans, notre peuple s’est souvent recoquillé, qu’il a hésité, a voté à droite, a voté Non, s’est cru incapable malgré ses tout nouveaux diplômes, s’est laissé facilement culpabiliser, perdant parfois tout sens critique, la compétence première qu’on acquiert pourtant avec toute bonne éducation. Je sais bien que les Québécois ont parfois honte d’être instruits. On ne se débarrasse pas si facilement de vieux préjugés, surtout de ceux qu’on entretient sur soi-même. L’historien que je suis sait bien que de tout ce qui prend énormément de temps à changer, le mental collectif est ce qui est le plus rebelle, le plus buté. Mais depuis un demi-siècle, nous nous sommes quand même développés, enrichis, rendus suffisamment connaisseurs pour prendre, largement, le contrôle du Québec, tel qu’il est présentement – pas nécessairement tel qu’il pourrait être. L’éducation publique, à faibles coûts, a permis une mobilité sociale qui a fracturé l’étanchéité des classes sociales, et des groupes linguistiques. Nous n’avons pas encore osé jeter par terre ce scandale social permanent qu’est l’éducation privée, pour les fils et filles de quelques familles qui tiennent là, mordicus, aux subventions publiques payées par ce bon peuple avec lequel il est hors de question de se métisser. Je suis surpris que le mouvement étudiant ne s’en prenne pas à cet anachronisme, illustration même de ce que veut dire une éducation qui coûte cher, rogne la démocratie et le droit à une éducation d’égale qualité pour tous.

Pour être clair, j’étais à la manifestation, non pas pour le gel des droits de scolarité, mais plutôt pour leur modulation, et mieux encore, pour la gratuité complète de tout le réseau d’éducation, pour un projet de démocratie sociale qui s’assure, en éducation comme en santé, d’un accès large et équitable, pour tous, à la richesse collective. Monsieur Parizeau disait, en 1977,  que « les voies de l’indépendance passent par des finances publiques saines » ; saines et justes, faut-il ajouter. Une fiscalité impartiale permet, certainement, un financement collectif entier du système national d’éducation. J’imagine que M. Parizeau pourrait être d’accord avec ceci : les chemins de l’indépendance passent par des finances justes, et une éducation gratuite, généralisée, jusqu’au plus haut niveau de formation. 

Pour tout dire, enfin j’espérais revoir, dans le courant de la manifestation,  d’anciens étudiants, d’anciens collègues enseignants. Pas évident de reconnaître qui que ce soit dans un torrent humain. Je n’ai rencontré personne de connu ! De ça j’étais franchement désolé : j’en aurais bien serré une couple dans mes bras !


L'été en mars: les conditions idéales  pour une manif réussie !





Il semble que les chevaux impressionnent les casseurs... Heureusement, pas un seul incident, pas une seule arrestation: la manif du 22 mars 2012 restera comme un modèle !







jeudi 15 mars 2012

LE BESOIN DE SOLEIL



C’était un 14 mars gris, morne, humide et froid, aujourd’hui. J’ai pris quelques photos de cette nature encore inerte, qui n’ose pas bouger, et avec raison. Là où le printemps hâtif a provoqué la pousse de quelques malheureux bourgeons, la pluie glaciale, la neige fondante a tôt fait de les étouffer. C’était laid à voir, c’était poignant. Il m’a semblé que ça souffrait... Il faut une fameuse dose de poésie pour s’émerveiller du croisement pénible, parfois calamiteux, des saisons. L’hiver résiste, la vie avorte, la mort s’accroche. Il y a de quoi expliquer bien des immuabilités dans ce pays...

Peuple immuable, c’est vrai, mais pas nécessairement immobile, tout au contraire... Parce qu’on part, les Québécois, en masse, durant l’hiver. On quitte, on s’en va, on décrisse, pestant contre une saison qui déraisonne, contre un pays trop froid... L’auto a eu ceci de merveilleux qu’elle a ouvert les routes du Sud, et l’avion nous y mène encore plus loin, plus profondément. La Floride, les îles des Antilles, le Mexique, l’Amérique centrale... : en hiver, on y entend parler québécois partout, à croire que nous sommes des centaines de millions sur cette planète, alors que nous ne sommes que 8 millions, tout juste, chez nous. Mais nous avons depuis longtemps cette habitude du départ, parfois irréversible. Il y a plus de cent ans, c’est près de la moitié de notre population qui a abandonné le pays. La moitié, vous imaginez ! Une sorte de grande évasion, affreusement significative, et terrible pour l’avenir... Depuis, la vie est devenue plus douce, le Québec est devenu plus confortable: il s’est développé, il s’est enrichi, il s’est doté d’une sociale démocratie à la québécoise, devenue un dogme, c’est exact, mais devenue aussi un système auquel je tiens... Le Québec est donc plus confortable, et plus juste, mais pas davantage clément: sauf exception, on ne le quitte plus à vie, mais que pour une portion d’hiver - encore que parfois, quand le corps est vieux et douloureux ( mais que le portefeuille est grassouillet ), certains arrivent à se payer le Sud l’hiver durant.




Je suis allé, récemment, au Mexique, un peu plus d’une semaine: c’est tout dire de mon âge et de mes moyens ( limités ) ! Mais j’ai adoré: le soleil, a dit le Dr Richard Béliveau, qui s’y connait, reste le meilleur antidépresseur qui soit.  Puerto Vallarta était plus belle encore que l’an dernier, restée agressivement mexicaine malgré l’invasion internationale qu’elle subit. En moins d’un an, un an seulement, Puerto Vallarta a piétonnisé une rue de bord de mer, dans la vieille ville, et l’a fait très joliment. Les palmiers fraichement plantés sont un peu souffreteux, mais ils vivent; les fleurs s’ouvrent à peine, mais elles poussent; les artistes ont été mis à contribution, et ils ont fait du beau travail. Puerto Vallarta n’a pas laissé faire n’importe quoi, n’importe comment, et que pour le fric. Tant qu’à faire, on a fait bien, on a fait beau. On n’éventre pas les rues pour le plaisir, peut-être parce que, là-bas, on manque d’argent pour satisfaire, à répétition, l’appétit de constructeurs trop voraces. Bref, Montréal ( et les organisateurs de la piétonnisation de la rue Sainte-Catherine ), auraient tout à gagner à faire un très bref - de grâce ! - , mais très instructif voyage d’étude à Puerto Vallarta, juste pour apprendre comment les Mexicains s’y sont pris pour commencer et terminer des travaux d’aménagement urbain si rapidement, et si joliment. 

À Montréal, il semble que faire vite et beau, et à des coûts raisonnables, relèvent du défi insurmontable. Telle qu’elle est, toujours en travaux, toujours exposée au spectacle de chantiers aussi vite quittés qu’on les a commencés ( à moins, bien sûr, d’éventrer des rues deux ou trois fois de suite, pour satisfaire aux besoins différents d’entrepreneurs qui ont chacun leurs règles et leurs exigences ), Montréal, il faut bien le dire, rend l’hiver encore plus insupportable qu’il ne l’est au naturel. On restera nombreux, j’en ai bien peur, à se réjouir de la quitter, un temps, durant l’hiver.




dimanche 11 mars 2012

ONZE MARS


Paul Gauguin, Nature morte avec fleurs et idole, 1892



C’est mon anniversaire de naissance.

Normalement, je me fais, cette journée-là, le plus discret possible. C’est comme ça depuis toujours, ou presque. J’imagine que je suis resté petit, que je suis resté blessé. Je ne trouve rien de drôle à me laisser fêter. Je suis bien quand je passe inaperçu. Je crois difficilement qu’on puisse m’aimer. C’est narcissique, je sais bien ; mais c’est aussi douloureux, parce que je ne pardonne pas qu’on m’oublie ! Je supplie qu’on m’aime, silencieusement : c’est comme ça depuis toujours ; j’ai peur de rester seul, mais je ne risque pas le rejet. De sorte que, pour moi, depuis longtemps, le mois de mars, c’est plutôt le printemps qui s’annonce et se ressent, et le 11, souvent, ce sont les premières chaleurs qui remontent du sud. Les bourgeois sortent en masse, gagnent le Vieux-Montréal, retrouvent le fleuve Saint-Laurent gorgé, vif et tonnant, comme jamais. C’est là qu’est le vrai plaisir de ma fête, depuis longtemps, depuis toujours. 

Et pourtant.

Et pourtant, il y a Alcib, qui vient tout juste de me laisser un message, ce qui m’a décidé à écrire ce petit billet. Il y a cet ami, aussi, qui voyage en Asie en ce moment, mais qui a pensé, ce soir – c’est déjà le 11, là-bas, - à m’envoyer un courriel à ma santé et à mon bonheur. Il y a ma sœur ( jumelle ! ) qui s’est moquée gentiment de l’âge tordu qui devient le mien. ( Avec galanterie, je dirai que le sien tarde un peu ! ) Il y a mon Chum qui, comme moi, ne sait trop que faire de son anniversaire, et d’ailleurs de tous les anniversaires, mais qui n’a pas oublié de demander au Grand Copain d’organiser quelque chose, dimanche en soirée, au resto, avec quelques amis que j’aime beaucoup, un dîner steak-frites, ventrée banale que j’adore, un petit plaisir qu’ils me laisseront tous apprécier sans trop protester du réchauffé de la fête, et du danger qu’il y a pour mon tour de taille ! J’espère que les amis seront là. Le Chum sera là. Le Grand Copain sera là. Je montrerai que je sais, désormais, recevoir de l’affection, sans trop m’en faire.

J’avais 17 ou 18 ans quand, une année, j’avais carrément refusé qu’on me fête, surtout en famille. J’avais demandé, imposé le silence là-dessus. Le dîner se déroulait normalement, quand ma mère s’était risquée: « bonne fête, Richard ! » Mon père s’était fâché, avait crié : « il ne veut pas, il ne veut pas, laisse-le tranquille ! » Ma mère a pleuré. J’avais beau savoir pourquoi je faisais ça, et quel compte je réglais, je ne me suis jamais pardonné les larmes de ma mère. Ce 11 mars-là, je ne l’ai jamais oublié. Ce soir, je serai autrement, plus vieux et plus généreux. Voire, plus heureux et plus libre. On mérite tous nos anniversaires.

Bonne fête, Richard !


PS. Bien honnêtement, il y en a un autre, dont c'est l'anniversaire; je me suis librement inspiré du texte qu'il a écrit là-dessus. Il ne m'en voudra pas. 

PS. ( 12h15 ) : Ma jeune soeur « jumelle » m'a fait parvenir cette carte de voeux, irrésistible, authentique petit moment de bonheur ! C'est avec son accord que je la publie, ici. Une fois n'est pas coutume ! Merci mille fois ! ( Elle est superbe, ma soeur jumelle, non ? )













Ça vient tout juste d'arriver, du Chum ! ( Photo prise avec le iPod, avec recherche d'effets - quant à faire de la pub ! )