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mardi 8 avril 2014

RECUL






Les puissances d’argent du statu quo — le fric, les cabinets d’avocats et les cabinets comptables, les CA des banques et des grandes entreprises, qui se scandaliseraient si peu d’un petit compte bancaire à la dérobée, pour le nouveau premier ministre, quel qu’il soit, pourvu qu’il ne soit pas péquiste, ont eu ce soir le résultat qu’ils espéraient.


Et la plupart des tuteurs traditionnels de notre peuple — les entreprises de presse, et plus encore, ces nouveaux prêtres que sont les journalistes, qui discourent et moralisent, qui veillent à la rectitude de l’État, à la platitude de ses politiques, à la honte du soi collectif si savamment entretenue par une certaine gauche qui dicte la pensée convenable, tout en se drapant d’un supposé dieu de la révolution, soutenu avec les arguments mêmes du néolibéralisme, — ces curateurs de notre peuple ont eu ce soir le résultat qu’ils espéraient.


Bien sûr, les médiocres, à la pensée courte, qui se vautrent depuis toujours dans la vulgarité, l’insulte et le mépris, ceux-là réclameront la victoire libérale et la belle performance de la CAQ comme étant les leurs: ce sont eux, les premiers, qui ont hurlé de rire et de condescendance parce que la première ministre Marois, — Pauline, Popo, la reine Marois, — parlait mal l’anglais, alors que pour cette fange, la valeur première, bien sûr, est de parler la langue du dominant sans accent.

Tous ces notables de droite et de gauche, populistes, installés, dédaigneux de ce petit peuple facilement raciste si on le laisse s’égarer, tous ces gens qui «savent», ont obtenu la réaction qu’ils espéraient, le recul vers le PLQ, plutôt qu’un changement vers la modernité et vers l’audace, pour lequel Mme Marois et son équipe ont travaillé comme jamais, pour ce progressisme réaliste, et surtout, pour cette Charte de la laïcité, qui allait ouvrir un espace de liberté et d’égalité totalement inédit dans notre société.

Cette défaite n’a aucunement l’air d’une victoire, pas même morale; c’est une invitation à rester chez soi; c’est avoir peur des meilleurs d’entre nous, peur sciemment entretenue, qui a profondément colonisé notre culture collective depuis très, très longtemps; mais c’est aussi une incitation à jouir de la vie, à n’espérer la richesse que pour soi. Ce qui a gagné ce soir, c’est le Canada, et c’est la «suprématie de Dieu». Ce ne sont ni mon pays ni mes convictions. C’est l’impuissance, et c’est le ridicule qui humilie et qui tue. 




P.-S. (1) Je me suis inspiré, pour la colère et pour le rythme, des tout premiers mots de la déclaration de René Lévesque, en avril 1970, après la lourde défaite électorale de son parti. Ces mots avaient été repris dans le manifeste du Front de libération du Québec, en octobre 1970.

P.-S. (2) Pour mes lecteurs français, il faut savoir qu’aux élections générales du 7 avril 2014, le gouvernement souverainiste du Parti québécois, de centre-gauche, a subi une lourde défaite, y compris pour la première ministre elle-même, battue dans sa propre circonscription électorale. Cette défaite était prévisible, non pas tant de par les erreurs du gouvernement, que par la volonté délibérée (voulue, souhaitée, et qui sera célébrée) de défaire ce gouvernement aux urnes, et de se débarrasser des éléments de modernité et de solidarité de son programme. Autrement dit, le Québec vient d’être traversé par une vague de droite que la France, je crois, connait bien.


N.B:
Ce texte, vibrant, bouleversant, vaut la lecture:
http://exilinterieur.blogspot.ca/2014/04/merci-madame-marois.html 





mercredi 2 avril 2014

L'INTOUCHABLE VERTU DE LA PRESSE



Source: http://fansdedisney.centerblog.net/rub-Pinocchio.html?ii=1

J’ai encore une fois eu honte, mais, vraiment, honte, de la manière dont la télévision de Radio-Canada traite de ce qu’elle met en ondes durant cette campagne électorale québécoise de 2014. C’était il y a peu, ce soir, au Téléjournal de Mme Céline Galipeau, celui de 22 heures.

À quelques jours du scrutin, l’entrevue avec la première ministre Marois était corsée, mais c’est de bonne guerre, si Mme Galipeau, la journaliste, a recours à la même agressivité avec les autres chefs de parti. Et de toute façon, Mme Marois est une admirable battante, qui répond avec aplomb.

Non, c’est le traitement de la toute première nouvelle qui m’a scandalisé. Mme Galipeau a commencé par qualifier de «révélations», ré-vé-la-tions, ce que contenait cette lettre anonyme assermentée dont la Société Radio-Canada avait fait grand bruit la veille. (Demandez à un croyant le sens précis du mot «révélation»: pas de doute, c’est ce que «vérité révélée» par Radio-Canada veut dire.)

Dès que la nouvelle de ce soir s’est un peu étoffée, voilà que Mme Galipeau a opéré un retrait stratégique (il y a des poursuites possibles, voyez-vous, à l’encontre de la révélation sensationnelle de la veille), et qu’elle est passée au conditionnel: «aurait», a-t-elle prononcé, les lèvres pincées, deux fois plutôt qu’une, «au-rait». Comme dans: le financement du Parti québécois aurait, peut-être, pu être ce que nous en avons dit, mais bon, c’est conditionnel à ce que soit vrai ce que nous avons dit...

Par la suite, on entend Mme Marois, en conférence de presse, poser des fameuses de bonnes questions: n’y aurait-il pas vengeance contre elle et son parti, pour avoir réclamé cette commission d’enquête sur le crime dans l’industrie de la construction, qui secoue tant et tant le petit monde interlope des complets vestons, y compris dans les cabinets de génie-conseil ? C’est une question pertinente, d’autant plus que Mme Marois dit ignorer complètement qui est derrière l’accusation qui l’atteint, elle, par le biais de son époux. Mais ça n’intéresse pas du tout Mme Galipeau. Détail secondaire. Billevesées insignifiantes. La SRC n’aurait quand même pas pu être manipulée par des vengeurs masqués, non ?  Alain Gravel, manœuvré par un anonyme, lui si bouffi de sa propre suffisance ? Allons donc, c’est d’un ridicule. Embarrassant. 

Révélation, au conditionnel, devient donc «information», et encore, nouveau glissement: M. Sébastien Bovet, autre journaliste chevronné qui se joint à Mme Galipeau pour parler de ces choses de la vie, spécifie que si tous les partis dénoncent le «crime» du PQ (et même Mme Françoise David, qui a la vertu de Robespierre, et qui fait de grands signes que, oui, elle dénonce), il n’en reste pas moins qu’ils restent prudents sur ces «allégations». A-l-l-é-g-a-t-i-o-n-s, prononce Bovet, prudemment, sciemment. Enfin.

Mme Galipeau s’accroche, c’est le moment, un regard attristé au visage: n’est-ce pas une campagne exceptionnellement sale, demande-t-elle ? Oui, répond Bovet, mais glisse-t-il, comme si un bout de vérité avait enfin le droit d’exister, «la télévision, avec ses clips de 15 secondes, adore ces attaques» vicieuses, et en remet. Nous voilà finalement au fait. La récupération a été magistrale - ou presque. Radio-Canada a dit, et s’est dédite. L’important, c’est que le message reste. Un juge, lui, saura bien comprendre les vraies affaires.

N’empêche, honte à Mme Céline Galipeau. Honte à l’équipe du TJ de Radio-Canada. 


(Et c’est vraiment la dernière fois que j’écris quelque chose sur toutes ces saloperies journalistiques, d’ici les élections. On en a marre d’être odieusement manipulés par des gens qui savent parce qu’ils lisent n'importe quoi, et parce qu’ils appartiennent au monde des importants, ceux qui se donnent des missions.)





dimanche 30 mars 2014

PARTI QUÉBÉCOIS EN DEUX TEMPS, DEUX MOUVEMENTS 1980-2014




2014
Je n’ai jamais vu (depuis longtemps, probablement depuis le référendum de 1995) une assemblée aussi enthousiaste, fébrile et passionnée, que celle qu’a tenue le Parti québécois au Théâtre Télus, rue Saint-Denis, ce samedi soir 29 mars 2014.

Des milliers de personnes, de tous âges — contrairement à ce que prétend Mme Françoise David, qui dit du P.Q. qu’il est devenu exclusivement un parti de vieux, Mme David, bien sûr, ayant l’âge pour affirmer ce genre de choses, — tellement de personnes, en fait, que des centaines d’entre elles ont dû rebrousser chemin, après s’être vus refuser une entrée dans une salle déjà trop bondée. J’imagine qu’au Parti québécois, on ne rigole plus du tout avec les questions de sécurité, et de fait, on entrait au Télus comme on entre en zone internationale, dans un aéroport. Séquelle d’une tentative d’assassinat, il n’y a pas si longtemps.

C’était sympa, c’était amoureux, et c’était croyant, encore et toujours, dans ce possible pays du Québec, évoqué parfois brillamment, comme l’a fait Mme Lorraine Pintal, dans un magnifique plaidoyer pour la culture, essence même de toute vie nationale. J’ai vu des yeux allumés, souvent, partout où j’ai pu regarder, dans cette salle trop petite pour celles et ceux qui voulaient rêver de l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire, capable du plus bel idéal qui soit, celui de la neutralité de l’État et de l’égalité absolue de tous, et pour tous.

J’ai eu, moi, aussi, souvent, les yeux mouillés. La foule qui aime et qui vibre, quand la première ministre rappelle ce qu’a été l’humiliation sociale et linguistique des ouvriers canadiens-français dans les usines de la «province», il n’y a pas si longtemps; la foule qui aime et qui applaudit frénétiquement les leaders étudiants, qui poursuivent, et le disent clairement, les mêmes objectifs sociaux qu’en 2012, par des moyens désormais différents; la foule qui veut se faire aimer et sécuriser, par Guylaine Tremblay, par Jean-Pierre Ferland, par Janette Bertrand, qui tous ensemble les rassurent: bien sûr que non, militants souverainistes anciens comme nouveaux, vous n’êtes ni débiles, ni fascistes, mais simplement de bonnes et justes personnes, progressistes, qui ont beaucoup appris du Parti québécois; elles le savent et font, en conséquence, une ovation monstre à Véronique Hivon qui, tout comme Bernard Drainville, avouent ressentir la crainte que la dignité ne meure avec le résultat de ces élections générales... J’ai souvent, oui, les yeux mouillés quand la foule aime, vibre, espère, applaudit celles et ceux qui la soutiennent et prennent sa défense, celles et ceux «qui sont du bord des miens» — Geneviève Bujold.

Décidément, c’était une belle réussite, que cette assemblée populaire du Parti québécois du samedi 29 mars 2014.

Le Parti québécois a été un formidable professeur d’éducation populaire, vers une société réellement plus juste et plus tolérante, et la foule bon enfant de ce samedi soir, au Théâtre Télus, savait qu’elle avait beaucoup appris de ce remarquable pédagogue, qui a retenu la manière de René Lévesque de dire les problèmes, et de convaincre des solutions les plus urgentes.




1980

Nous sommes au printemps 1980, au début de ma vingtaine. C’est le référendum. J’aime passionnément M. René Lévesque. Je rêve passionnément d’un pays libre. Je m’engage, fais du porte-à-porte, et, là, je découvre l’horreur: les portes qui claquent, les vulgarités lancées à pleins poumons, les insultes gratuites. Tout ça dans le Plateau, dans le circonscription électorale, Mercier, de M. Gérald Godin. (Quand je fais des visites avec M. Godin, seulement chez ceux qui ont été ciblés comme indécis, là les portes s’ouvrent, il y a du café, de la bière, des demandes...: M. Godin est d’une politesse parfaite, il prend des notes, écoute des histoires familiales parfois terribles, dit franchement s’il peut aider ou pas... Bref, un vrai militant.)

Un jour, sonnant chez une dame pour vérifier, avec elle, la liste électorale, elle m’assène un catégorique: «Mon nom est Canadienne, mon prénom est Québécoise !» Je fais semblant d'attester de son inscription, et je lui dis: «Mme Canadienne, vous n’êtes pas inscrite sur ma liste !» La porte, l’immeuble, la rue, le quartier de cette dame en tremblent encore, j’en suis sûr, tellement elle a vociféré, que c’en était étonnant pour une fumeuse. C’est qu’ils étaient coriaces, dans ce temps-là, les fédéralistes !

Quelques jours plus tard, on devait passer une lettre du premier ministre Lévesque aux personnes âgées, pour les tranquilliser, leur assurer qu’il n’y avait aucun danger quant à une victoire du OUI à la souveraineté. Je sonne (encore). Une vieille dame respectable d’allure me répond: «Qu’est-ce que c’est ?»; «Une lettre du Premier ministre pour vous, madame». (C’est ce qu’on devait dire, mot pour mot.) «Ah ben le tab..., y peut ben se torcher avec !» Jamais plus je n’ai eu cette confiance naïve dans les chevelures bleutées qui font normalement le charme de la vie.

Vers la toute fin de mon bénévolat national, je sonne chez un jeune mec de mon âge, rue Mont-Royal. Je ne savais rien de qui habitait là, bien sûr. Il me voit, me fait entrer, m’amène immédiatement dans sa chambre ! « On sera mieux pour jaser, me dit-il, j’ai un coloc. » J’ai vécu là un tourment existentiel douloureux, parce que le mec se questionnait sur son OUI, et qu’il était un absolu pétard ! Mais la Cause avant tout: et j’ai résisté à lui donner des arguments plus personnels.

Monsieur Lévesque a perdu. Au soir du 20 mai 1980, les pancartes du NON, posées sur les balcons, ont disparu à toute vitesse, comme s’il y avait une honte affreuse à s’être affiché pour ce camp. Et je crois, en effet, qu’il y avait, ce soir-là, une honte affreuse à vivre cette soirée dite «historique», où M. Trudeau, premier ministre canadien, nous a dit, à nous Québécois, de «remballer nos rêves»
pour longtemps.








lundi 10 mars 2014

MAIS QUI EST DONC CE «MONSIEUR LÉVESQUE» DONT PARLE SI SOUVENT MME DAVID ?

 MM. Paul Desmarais (Power Corp.), M. Louis Laberge (Fédération des travailleurs du Québec) et M. René Lévesque, premier ministre du Québec.



Comme d’habitude, quand elle parle du Parti québécois et de René Lévesque, Mme Françoise David, députée de Gouin, co-porte-parole de Québec Solidaire, dit n’importe quoi, avec une malhonnêteté (et un aplomb) probablement délibérée.

Mme David prétend donc que M. Lévesque se serait scandalisé d’une candidature aussi attentatoire au «progrès» que celle de M. Pierre-Karl Péladeau; enrôlant pareil personnage, roi du capitalisme sauvage et du lock-out, Mme Pauline Marois, première ministre et actuelle présidente du Parti québécois, trahirait l’héritage du grand homme, héraut réinventé par la gauche et remodelé au goût du jour, une gauche qui se prétend, du fait de Mme David, être la seule bénéficiaire de l’héritage inoubliable, éternel, laissé par M. Lévesque. Tout cela, sans même baisser les yeux. Sans même montrer un peu de gêne, quand même, devant une manœuvre partisane aussi grossière.

Le fait est que M. Lévesque aurait donné n’importe quoi, sa chemise et des promesses d’emploi, pour avoir une candidature patronale de prestige dans ses rangs — ça n’arrivera qu’une fois, au Parti québécois, avec M. Richard le Hir, que M. Jacques Parizeau recrute en 1994. Le fait est que M. Lévesque s’est toujours montré froid, critique et distancié face à l’étiquette sociale-démocrate qu’on accolait au Parti québécois, durant les années 1970, les années de la forte croissance du parti. Le fait est que M. Lévesque s’est reconnu des affinités constantes avec l’aile droite de son parti, avec M. Pierre-Marc Johnson notamment (un avocat-médecin, pensez donc: ça l’épatait !), M. Johnson qui voulait, dès le premier mandat du gouvernement Lévesque, limiter considérablement la portée de la formule Rand (l’obligation faite à tous les travailleurs syndiqués de cotiser à leurs syndicats, mesure nécessaire de paix et de justice sociale, inévitable, mais dont MM. Lévesque et Johnson se seraient bien passés, n’eut été des protestations de «gauche» qui se sont immédiatement fait entendre), M. Johnson qui souhaitait, durant le second mandat du même gouvernement, établir un ticket modérateur dans le système de santé, et même privatiser la Société des Alcools.

Le fait est que le gouvernement de M. Lévesque a été au moins aussi rigide (et pénible) que M. Péladeau en matière de relations de travail, coupant de 20%, pendant trois mois, les salaires des employés de l’État, bloquant, plus grave encore, pendant une année entière, la progression prévue dans les échelles salariales conventionnées (réduction qui, du coup, allaient se répercuter jusqu’à nos jours), généralisant les mises à pied et les mises en disponibilité, adoptant l’atroce loi 111 qui forçait, sous la menace de représailles salariales et judiciaires, le retour au travail de tous les grévistes du secteur public. M. Lévesque leur faisait avaler du coup et de force une politique qui se comparait précisément à celle que Reagan menait au même moment aux États-Unis, avec les contrôleurs aériens, par exemple. S’en trouvent-ils pour s’en souvenir ? MM. Lévesque et Reagan avaient pourtant, et de toute évidence, lu les mêmes ouvrages d’économie politique. (MM. Trudeau et Mulroney les liront aussi, bien entendu. Avec sa Charte des droits constitutionnalisée, M. Trudeau deviendra même le champion toute catégorie de ce qu'on allait appeler le néolibéralisme, c'est à dire le chacun pour soi.)

Mme David sait tout cela, et s’y est très certainement opposée, à l’époque: c’était en 1982-1983. Ça me tue quand elle (ou M. Couillard, chef du Parti libéral) cite René Lévesque pour l’opposer au Parti québécois de Mme Marois. Elle sait parfaitement bien qu’elle commet là un mensonge indécent, éhonté. Elle sait parfaitement bien que Mme Marois réussit là où M. Lévesque a échoué. (Ça se poursuivra peut-être, du reste, dans le projet même de l’indépendance du Québec: Mme Marois est étonnamment solide, résiliente, déterminée.)

Je connais les méthodes de gestion de M. Péladeau. Je connais tout autant les méthodes de gestion qu’on pratique dans le secteur public, qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau, ou deux abcès purulents, c’est comme on voudra. Là où j’ai longtemps travaillé, l’employeur refuse depuis des années, presque 10 ans maintenant, d’appliquer deux jugements de Cour portant sur un conflit de travail et ordonnant le versement de salaires que cet employeur doit toujours, la Cour lui intimant pourtant de respecter le droit de grève, et de payer les salaires injustement refusés quand le travail a dû être repris gracieusement… (Cette affaire est majeure, soit dit en passant, pour l’avenir même des relations de travail dans le secteur public.) M. Péladeau n’est pas l’unique patron à fantasmer sur ses droits de gérance, même appliqués de façon sauvage. Ça fantasme aussi, et d’exacte manière, dans les bureaux huppés de l’État québécois, et même quand les patrons sont des patronnes. C’est idéologique;  c’est là les conséquences des privatisations presque massives, tout juste initiées sous M. Lévesque, poursuivies avec célérité sous M. Bourassa (pensez donc: le Manoir Richelieu, vendu un dollar, un dollar à Malenfant, qui en a cassé, lui aussi, du syndicat, la CSN est là pour en témoigner avec, toujours, le vibrato nerveux dans la voix…); c’est là la conséquence de la «réingénierie» de l’État, patente chère à M. Charest; c’est là surtout la conséquence d’un État post-Révolution tranquille, qui a réappris, avec enthousiasme, et peu de morale, à être patron, tapis sous les pieds, le mépris aux lèvres, pincées.

Quand sera faite cette petite révolution qu’est la transformation de l’État en une institution publique qui soit effectivement neutre, laïque et sans religion aucune, j’espère beaucoup qu’un jour, avant ou après l’indépendance du Québec, viendra la révolution démocratique participative que prône l’ASSÉ, à laquelle je crois profondément: et on pourrait commencer là aussi, pour l’appliquer, par transformer les pratiques démocratiques de l’État québécois dans ses relations de travail. À l’époque du gouvernement de M. Lévesque, un pareil projet, j’en suis sûr, aurait enthousiasmé un ministre de «gauche» comme M. Camille Laurin. Nous sommes loin, très loin de ça présentement. La gestion publique est néolibérale: les petits patrons du secteur public s’en réjouissent fort, d’ailleurs, et n’ont là-dessus aucun problème de conscience. J’imagine que Mme Hélène David, la sœur de l’autre, pourrait sur ça nous en raconter longtemps: on comprend qu'elle ait abouti au Parti libéral.

Je ne sais trop comment les ministres progressistes du gouvernement Marois se ressentiront à côtoyer quelqu’un d’aussi patronal, et propriétaire, que M. Péladeau. Reste que M. Péladeau se rallie à un gouvernement qui a aussi un projet souverainiste, qu’il peut fortement contribuer au succès éventuel de sa réalisation. Il y avait des purs et durs, dans les colonies anglaises révoltées, en 1776: certains élus du nord-est, radicalement antiesclavagistes, ont pourtant accueilli avec joie le ralliement de George Washington à la cause indépendantiste, parce qu’il amenait avec lui les colonies du Sud, récalcitrantes, craignant pour leurs «avoirs» humains. Une indépendance est, de par sa nature même, «nationale»: elle ne peut être autre chose qu’une coalition, vaste, hétéroclite. Le pays à construire se fait après coup: en 1787, les Américains ont choisi de le faire plutôt à droite. À nous, quand le moment viendra, d’y voir de près, de faire les choix sociaux qui nous conviennent, et qui seront de nos «valeurs». En attendant, c’est M. Péladeau qui est utile, à n’en pas douter.

Quand Mme Lise Payette s’est ralliée au Parti québécois, elle raconte avoir dit à M. Lévesque qu’elle entrait au PQ par la porte de gauche: M. Lévesque, en riant, lui aurait répondu que le parti en avait trois, des portes, à gauche, au centre et à droite, et qu’elle avait donc le choix ! Mme Marois pratique exactement la même politique; elle est en droite ligne la continuatrice de M. Lévesque, bien davantage que ne le sera jamais l’indépendantiste sans conviction et sans âme qu’est Mme David.

(En espérant, tout de même, puisqu’elle était déjà ministre en 1982-1983, et qu’elle n’a pas démissionné durant la crise ni celle du «beau risque» qui a suivi de peu, que Mme Marois se souviendra, pour ne pas les répéter, des erreurs affreusement antisyndicales et antisociales que M. Lévesque a fait commettre à son gouvernement en cette terrible année 1983.)

Mme Françoise David dit donc, et elle le sait, n’importe quoi de M. Lévesque. Ce qu’elle oublie de cet immense personnage, de ce «personnage historique», comme le disait déjà Pierre Bourgault au début des années 1970, c’est que M. Lévesque était de ceux, nombreux, qui souhaitaient la formation d’une bourgeoisie nationale, et de créer les instruments publics pour y arriver; c'est qu’il ne supportait pas la tutelle depuis longtemps imposée au Québec, et qu’il en souffrait jusqu’au tréfonds de lui-même; c’est qu’il dénonçait ces «tuteurs traditionnels de notre peuple» qui le jugeaient incapable, sauf à servir, mimes, bouffons, aliénés, surexploités; humilié, souffrant du mépris rhodésien des dominants, souvent possédants, il arrivait à M. Lévesque de crier haut et fort: «Québec français !»; M. Lévesque n’avait pas de religion, et s’en moquait bien, lui qui comprenait tout aussi bien la nécessité de la liberté politique que d’un anticonformisme rayonnant, dans lequel les nôtres se reconnaissaient si bien. Mais de cette manière d’envisager les choses et la vie, Mme David y aurait vu, elle, à l’époque du gouvernement de M. Lévesque, et encore maintenant, du racisme, de l’intolérance, de l’atteinte aux droits fondamentaux, de l’immoralité. 





samedi 3 novembre 2012

LA GUERRE, LA PAIX ET L'ÉLÉGANCE DE COEUR


Photo: Jacques Boissinot, Presse canadienne



Je viens tout juste d'écouter les nouvelles du jour, à 23 heures, au Réseau de l'information en continu... De vieux soldats canadiens s'offusquent — spontanément ? On peut au moins en douter. « Elle a insulté les vétérans ! » Elle, c'est Mme Pauline Marois, première ministre du Québec, indépendantiste; elle a osé porter le coquelicot, l'emblème du Souvenir, rattaché à sa veste par une épingle en forme de fleur de lys.  Une fleur de lys ! L'emblème du Québec ! Et tout de même une image très apparentée à la France éternelle, avec laquelle nous nous sommes battus, non, en 14, en 40 ?... Elle, elle donne pourtant une explication toute simple à son geste; et pour apaiser l'absurde tempête dans un verre d'eau, si proche de s'exciter, dans cette maison de fous*, toujours, quand la chicane vire au sordide, et si dangereusement susceptible d'alimenter tous les fanatismes, elle s'est empressée de faire savoir qu'elle porterait le coquelicot comme le veut la coutume et le règlement de l'insigne. Honte à tous ceux et celles qui ont fait un plat de l'affaire, caricaturant Mme Marois aux extrêmes.  Honte en particulier à Gérard Deltell, le pire de tous, l'imbécile de première, qui en a remis une couche épaisse, faisant de Mme Marois une provocatrice volontariste, particulièrement perverse. Et pourtant, Mme Marois a essayé de calmer le jeu, parce que faire autrement n'en valait pas la peine, sauf d'être porteur de hauts risques ultras. Pourrait-on, si possible, se souvenir qu'il y a à peine deux mois, cette femme a été victime d'une tentative d'assassinat fomenté par la haine ?

* L'expression est de M. René Lévesque, telle quelle, dans Option Québec.







lundi 24 septembre 2012

L'IMPÔT ? C'EST DU VOL !


( Source: Cyberpresse. 23 septembre 2012 )



La hausse d'impôts du PQ (pas du gouvernement, non, du PQ) condamnée: c'est le titre d'un article de la Presse, signé Philippe Teisceira-Lessard. Un jeune homme. La relève intellectuelle de la droite. Un chantre, parmi d'autres, d'un profil social à la Mitt Romney, où la richesse sert la multitude et la fait travailler. 

Et elle est condamnée par qui, cette spoliation fiscale ? Une incommensurable foule en colère ? Une gigantesque manifestation de casseroles agitées ? Une prise révolutionnaire du Black Watch par une multitude vociférant: « Aux armes, citoyens ! » ? Non: la hausse d'impôts est condamnée par la Coalition Avenir Québec et le Conseil du patronat. Oh ! Oh... Voilà donc la source unanime de la révolte de masse contre l'horrible PQ. Respect. Ce qu'on lira dans l'article, c'est la science économique en action, c'est le souci économique de ceux qui savent, et qui, comme de juste, n'ont pas d'intérêts particuliers. 

Ce qu'il faut savoir, c'est que cette hausse des impôts, qui affectera celles et ceux qui touchent plus de 130,000 dollars par année, est d'un tel « manque de respect » qu'elle en est « inacceptable », surtout quand on sait que les Québécois sont les plus taxés en Amérique du Nord: un scandale, Madame, oui, un scandale qui empêche les plus fortunés de « planifier leur budget » (de planifier leur budget ! c'est écrit tel quel ! la blague — inconsciente ? cynique ? — est bonne ! ) Et attention, que l'article nous dit, si nous ne sommes pas gentils avec les gens qui gagnent, quoi, 300,000, 400,000 dollars par année, ils pourraient bien s’envoler, aller là où ils pourraient bénéficier d'une fiscalité tellement plus compréhensive avec la fortune: quelque chose comme le syndrome belge qui frappe la France ces jours-ci, et qu'on importe allègrement, c'est gratuit. Mme Lise Payette disait des gens d'affaires qu'ils n'ont pas d'âme, pas de patrie. On se prend à nouveau à la croire: elle dénonçait pourtant la chose il y a déjà plus de 30 ans.

C'est là (je n'ai rien soustrait à l'article) tout l'essentiel de la condamnation généralisée dont la Presse se délecte les babines, et pense en alerter l'opinion. On a eu le printemps érable. On aura l'automne rouge feu: des masses humaines hurlant leur colère, dirigée contre la première ministre Marois. Paul Desmarais marchera en tête, arborant la feuille d'érable érubescente comme une cocarde ! Ce qu'ils rigoleront, quand même, quand ils se rappelleront la blague, le 25 décembre prochain au soir, nostalgiques des Noëls anciens où les pauvres étaient de vrais pauvres, éléments magiques — et comme tels cruciaux  — de la Nuit où le privilégié se rachetait l'humanité à si bon compte...

PS ( en date du 7 octobre 2012 ):
«Behind the pretenses to egalitarianism that dress up confiscatory Quebec tax laws and repressive language laws, the real driving ambition has been to push the non-French out of Quebec, buy up the real assets they cannot physically take with them, especially their mansions and office buildings in Montreal, and eliminate up to half the emphatically federalist votes in the province.» Conrad Black, The National Posthttp://www.nationalpost.com/m/wp/full-comment/blog.html?b=fullcomment.nationalpost.com%2F2012%2F10%2F06%2Fconrad-black-as-quebec-decays-toronto-seizes-greatness





mercredi 5 septembre 2012

LE COURAGE NE SE CONTREFAIT PAS...





Vers 23 h, en regardant la soirée électorale québécoise à la télé, chez un ami, je me disais que Mme Pauline Marois avait gagné le titre (et la fonction) de première ministre du Québec de haute lutte, certes, mais pourtant de justesse, presque en accroc à un processus électoral qui pourrait être exemplaire. Ça ne me donnait pas du tout le goût de célébrer. Le résultat des élections était drôlement serré, complexe : le gouvernement que Mme Marois allait désormais diriger n’aurait qu’un bien faible mandat de gouverner, encore moins de libérer quoi que ce soit. Mais elle, quand elle s'est présentée à la foule de ses partisans, elle était sereine, souriante, visiblement consciente de la lourde responsabilité d’État qui était désormais la sienne; elle a livré un discours tout en douceur, tentant de calmer une foule malgré tout déçue, et un peu amère. Quel souverainiste ne l’aurait pas été, même de la belle victoire de Françoise David, vécue ce mardi soir, plus que jamais, comme une douloureuse déchirure ? Je la trouvais belle, Mme Marois, digne, apaisante, et courageuse, d’exprimer encore et malgré tout ses espoirs et ses convictions. Elle a rappelé l’ouverture nécessaire sur le monde. Elle a tendu la main aux peuples indiens, leur a offert le dialogue, l’égalité entre nations. Elle a assuré, à nos compatriotes anglophones («entendez-moi bien», a-t-elle insisté) que jamais aucun de leurs droits, inaliénables, ne serait restreint.

Et puis, là, immédiatement, le drame, terrible, en direct, à la télé. Une tentative d’assassinat, sur la personne de la première ministre élue, visant peut-être aussi plusieurs autres militants indépendantistes. Deux personnes sont gravement blessées, une en est morte. Morte. Ce drame, c’est l’acte d’un probable dément, isolé, qui s’est investi lui-même d’une mission, qui s’est autoproclamé le vengeur d’une communauté qui se dit, depuis trente ans, depuis quarante ans, persécutée dans sa richesse, bafouée dans ses droits. « Les Anglais se réveillent ! », clamait le forcené, pour qu’on l’entende, de loin, et qu’on sache, tous, que son crime avait un sens. Le choc a été considérable. L’animateur télé, bouleversé, ne regardait plus que dans le vide, tout en essayant de comprendre l’impossible et l’impensable. Mme Pauline Marois, première ministre élue du Québec, venait d’échapper de peu à un attentat motivé par la haine.  Au Québec. Dans un pays où l’immense majorité de la population, depuis toujours, est pacifique jusqu’à l’aliénation.

Et puis, là, tout de suite après l’horreur, c'est l’étonnement, c'est la stupéfaction : Mme Marois est restée présente parmi les siens, n’a rien perdu de son assurance, ni même de sa bonhommie. Elle a tenu à rassurer la foule, à compléter la fête de la victoire, si faible et presque pauvre. Ce qu’elle savait à ce moment-là, de la tragédie, qui n’avait que quelques minutes, n’est pas ce qui est ici important : ce qui l’est, en revanche, c’est qu’après avoir tenu un discours vibrant, chaleureux, et rassembleur, elle soit revenue sur scène, affrontant un danger toujours possible, et surmontant sa propre peur, sans que rien n’y paraisse. Magnifique. Elle était tout à la fois superbe, féminine, décidée, leader vraiment responsable, dans un moment où le Québec tout entier a ressenti le besoin d’être rassuré. Jamais je n’ai cru les propos d’amour de Mme Marois aussi sincères que ce soir, au cœur d’événements violents, qui la visaient elle, elle et ses convictions. Mme Marois, ce soir, cette nuit, a gagné vraiment ses élections. Elle s’est méritée la fonction de première ministre du Québec, solide, béton, admirablement courageuse, dotée d’un jugement impeccable en situation de crise. S’il fallait encore en convaincre nos compatriotes, je fais le pari que c’est maintenant chose faite. Mme Marois a été tragiquement investie, mais nous tous, attachés à la démocratie et au bon sens, nous l’adopterons et la protégerons.

Il y a les excessifs (que je connais, parfois) qui polluent les réseaux sociaux de leur mépris et de la virulence de leurs propos (et qui le font encore cette nuit) ; il y a les enragés complètement fanatisés, qui distillent leur haine viscérale d’un Québec français qui s’affirme pourtant si difficilement, gêné parfois de sa timide audace, et qui par de trop courts instants rêve d’un pays à lui, un pays libre et indépendant, le meilleur professeur qui soit pour apprendre la fierté d’être et la capacité de réussir. Ces imbéciles, excessifs, enragés, qui sont toujours de trop, dans toute société, dans tous pays, portent leur part de responsabilité dans l’événement tragique de ce soir. Le crime est l’action d’un fou, c’est évident. Un désaxé, un pauvre type. Mais la folie ne se nourrit jamais d’elle-même et d’elle seule : elle est sociale, elle est alimentée. Ce soir, cette nuit, j’ai honte pour celles et ceux qui, par leur hargne, leur mépris, leur racisme même, ont engraissé le délire paranoïaque d’un halluciné.


PS (2 octobre 2012)

Il y avait, ce soir, au Métropolis, un spectacle-bénéfice: les critiques parlent déjà d'un événement digne, grave, musicalement réussi. Bravo pour qui a songé à ce concert, bravo aux artistes qui ont participé à l'événement. Il y a eu un mort, le 4 septembre dernier. Il y a eu un blessé grave. Tant mieux qu'on ne les oublie pas, tant mieux qu'on aide les victimes initiales de cette tragédie. Mais je ne voudrais pas qu'on oublie, jamais, ou qu'on ignore, ou qu'on fasse silence sur le fait qu'il y avait une personne qui était spectaculairement visée, au soir du 4 septembre, qui survit, qui assume le poids tragique de cet événement. Je n'ai pas d'intention politique, en écrivant cela, si ce n'est que je ne souhaite pas que, pour des raisons qui seraient précisément politiques, on fasse comme si cette personne visée n'existait pas.





jeudi 27 octobre 2011

TEMPS D'ALIÉNATION

 Source: Archives publiques du Canada

De loin ( de Paris, accroché à un temps de printemps qui persiste ), je ne lis que très épisodiquement les nouvelles en provenance du Québec.

Mais il y a deux choses qui m'étonnent quand j'y jette un œil, parce qu'elles sont récurrentes, toujours, ce qui ne veut pas dire résiliantes, tant s'en faut. Ça me semble plutôt malsain, pour tout dire.

M. Charest n'apparait plus du tout capable de décision, non pas juste et équitable - ce qui est toujours complexe - mais plus simplement évidente et consensuelle. Il n'a plus le sens politique. Tout se passe comme s'il ne comprenait plus rien, qu'il perdait ses repères, qu'il était carrément confus. La chose est franchement inquiétante. C'est le premier ministre.

Mme Marois s'accroche, se bat et se débat, dans un combat dont l'issue n'intéresse plus personne, tant le knock-out semble inévitable. Pourquoi ne part-elle pas ? Sa résistance n'a plus rien d'héroïque, même si elle semble s'appuyer sur la loyauté et l'honneur d'un dernier carré de fidèles; cette volonté de durer à tout prix devient franchement avilissante, pour elle, pour ses proches, pour la cause à laquelle elle croit. Et pourtant, ce n'est quand même pas de sa faute si les Québécois ont, le 2 mai dernier, tourné la page, et renoncé, une fois pour toutes, à leur propre liberté collective. 

L'effondrement du mouvement souverainiste trouve son explication dans des strates historiques bien plus significatives que la personnalité de Mme Marois elle-même. La loi 101 a beaucoup fait pour casser la dynamique indépendantiste. La Charte fédérale de 1982, et le renversement consécutif de la perception, comme du sens historique même, de l'existence de la minorité anglaise de Montréal, a fait beaucoup plus encore pour affaiblir et discréditer le mouvement de libération nationale. On s'est mis à le soupçonner d'être oppresseur, fascisant. Les Anglo-Montréalais, très combattifs, et jamais gênés de l'être, ont eu la partie belle là-dessus, drapés dans les droits et libertés de la personne, magnifiés par la Charte - on aurait presque envie de dire: la grande charte. 

L'image de Mme Marois est bien peu de choses, en regard de ces tendances lourdes, qui sont du reste plus que des tendances, mais bien des institutions. Elle n'y peut rien, ni elle, ni son successeur, ni M. Duceppe, ni Mme David, ni M. Khadir, ni même le trop brillant M. Aussant.

C'est l'Histoire qui est coupable, l'histoire qui a vu perdre M. Lévesque et gagner M. Trudeau, perdre M. Parizeau et gagner M. Chrétien. Ce n'est pas vrai que l'histoire soit juste. L'impopularité de la Cause n'est pas une indignité. Mais nier l'évidence jusqu'à l'extrême, mettant son nom propre - Pauline Marois - sur la fosse commune qui se creuse, et qui ne tient pas à elle, relève, cependant, de l'indignité la plus injuste, et la plus désolante qui soit. Partez, Mme Marois. Il n'y a pas de honte à y avoir.







POST-SCRIPTUM (  ... fait d’extraits d’interventions que j’ai écrites, ce dimanche 30 octobre, sur Google +, parlant politique avec d’autres passionnés, pas nécessairement d’accord avec mes propos. Mes arguments ne prétendent en rien - ou presque ! - à l’objectivité. Mais c’est ce que je crois, et je les reproduis ici, parce qu’ils étoffent ce que j’ai déjà écrit, dans ce billet sur ces Temps d’aliénation, il y a quelques jours. ) :

- Quant au sondage qui donne M. Duceppe gagnant contre tous ses adversaires possibles, y compris M. Legault, s’il devenait chef du Parti québécois:

« Intéressant... Mais j'y crois peu. Ce tangage de l’opinion est aussi superficiel et éphémère que le vote du 2 mai dernier. Non pas que M. Duceppe ne soit pas un politicien intègre, engagé à gauche, et fermement indépendantiste. Mais passer de Legault à Duceppe, comme ça, sur un trip, je n'y crois pas, pas plus que de passer, sur un trip, de Duceppe à Layton. C'est pas sérieux, même si les conséquences du vote du 2 mai dernier seront, elles, sérieuses. Cela aura un effet dévastateur sur les projets de société propres au Québec, entre autres et surtout sur la question nationale. Le 2 mai dernier, nos compatriotes ont congédié une des meilleures équipes parlementaires de l'histoire de la Chambre des communes. Sans raison. Sans reproche spécifique. Il y a eu l'effet « trip », bien entendu. L'effet moustache sympathique. Mais il y a eu plus profond que ça aussi. Il se peut, oui c’est possible, que Gilles Duceppe soit le prochain Premier ministre. Mais lui aussi sera prisonnier du dilemme d'être souverainiste face à une population qui a fait un choix ultime, le 2 mai dernier. Et les déchirements continueront. »

- Quant à l’avenir, pour moi douteux, du mouvement indépendantiste québécois:

... « Ouais, c'est moi qui ai parlé d'ordures et de méchants, parce que pour moi, il faut l'être pour tromper et manipuler l’électorat, entre autres avec le fric. Le comportement de l'État fédéral, en 1980 tout autant qu'en 1995, a été parfaitement odieux, illégal et immoral. Le plus grave de tout, c’est que l’État fédéral ne s’est pas gêné pour jouer avec le droit de vote lui-même, en violant sa propre loi sur la citoyenneté, et ce, à quelques jours du référendum du 30 octobre 1995.

Je pense, c’est exact, que les électeurs reconnaissent, parfois, qui leur dit vrai et porte en lui ( ou en elle ) leurs espoirs et leurs blessures. C'était certainement le cas de René Lévesque. Félix Leclerc disait qu’il avait, accusé dans les traits de son visage, toute la souffrance d'un peuple. Mais malgré tout, en ce qui concerne l'avenir du mouvement souverainiste, je n’y crois plus depuis le 2 mai dernier. ( J'en ai assez d'avoir de la peine et d'être humilié, faut dire ! ) C’est vrai que les choses ne s'évaluent correctement qu’à long terme. Le prof d'histoire que je suis ne va certainement pas nier ça. Il faudrait donc refaire l'histoire des 50 dernières années, et y déceler une constante possible, et en croissance. Mais... ( je vais me faire détester, c'est sûr, ) je n'y crois pas, je n'y crois plus. Les causes sont complexes. La Charte de 1982 a joué un rôle considérable, a donné des moyens légaux et moraux au Canada anglais, a transfiguré le rôle historique de la minorité anglo-montréalaise de façon radicale, essentielle. Et puis, je crois que les Québécois sont plus Canadiens qu'on ne le croit. Il y a de l'attachement bien réel pour ce pays qu’est le Canada. Et il y a surtout, cependant ( et ce, à mon humble, très humble avis, ) une aliénation profonde, aliénation au sens sociologique du terme, dont les causes sont multiples, et remontent à la Conquête elle-même.

Quand j'ai vu des citoyens de Louiseville, après le 2 mai, trouver leur nouvelle députée fédérale « cute » et « charmante », et qu'elle allait certainement « bien les représenter », tout cela sous l'oeil goguenard de l'ex d'Alliance-Québec Thomas Mulcair, je me suis déconnecté de mon rêve, irréversiblement, définitivement. Cette niaiserie collective, cette absence d'engagement réel, qui persiste et dure, ce n'est pas la faute de Mme Marois si ça se réalise finalement comme ça, en 2011. Mme David elle-même n'y pourrait rien. La faute, s’il en est une, elle est le fait de nos compatriotes qui ne veulent plus de leur libération nationale. Nous ne sommes vraiment pas les Irlandais, ni même les Américains de 1776.

Et pourtant, nous aurions tant à gagner de notre libération collective, ne serait-ce qu'au niveau du décrochage scolaire des garçons, par exemple.

Nous préférons Céline, Las Vegas, le fric, les torrents de paires de souliers. Ce n'est pas simplement de la manipulation. C'est aussi notre choix, notre identité. »


- Quant au suffrage universel, et ce qu’on en fait, au Québec, allègrement:

« Bien sûr que les électeurs peuvent se tromper. Bien sûr que les électeurs peuvent avoir tort. Affirmer que les électeurs ne se trompent, par essence, jamais, est une grossière illusion narcissique. Rappelons-nous ( je prends un exemple extrême ) janvier 1933. Il y a de nombreuses études historiques, bien faites, qui montrent à quel point le suffrage universel a été dénaturé et perverti, et cela, dès le 19ème siècle. Quand Madison, dans les Federalist Papers, disait à ses contemporains de ne pas redouter le suffrage universel, parce qu'il masquerait, grâce à l’aveuglement partisan, les intérêts bien réels qui se jouent et se révèlent au cours d’une élection, je crois qu'il avait parfaitement raison, et les cousus d’or de l’époque l’ont parfaitement compris. Il ne faut pas voter avec son coeur. Encore moins avec son instinct. Il faut voter pour ses intérêts ( de classe, de catégories d'âge, de régions, de sous-groupes, de nation, et que sais-je... ). Mais les électeurs, partout en Occident, et sauf de rares exceptions, ont rapidement cessé de voter en fonction de leurs intérêts. Ils votent, conditionnés par des machines bien huilées qui parviennent à leur faire considérer comme « ennemis » leurs propres compatriotes, de nation, ou de classe. C'est triste, mais c'est comme ça, et c’est voulu comme ça. Madison avait bien vu.

Le droit de vote va avec des obligations, non seulement de voter comme tel, mais de se renseigner, au-delà des images et des impressions. Il y a un devoir d'électeur. Si l'électeur vote sur un trip, pour « essayer autre chose », parce qu'il ou elle est sympa, parce qu'il ou elle a une face à claque, alors ça ne vaut pas la peine de voter. Et bien sûr, les puissants, les établis, les vrais détenteurs de pouvoir rigolent de ce bon peuple qui vote sans sens ni raison. ( J'ai eu de l'espoir, il y a quelques semaines, du côté des Indignés. Mais de toute évidence, ici comme ailleurs, ça ne va nulle part. Dommage. Comme l'expliquait récemment M. Parizeau, le scandale du comportement des banques est pourtant colossal. Ça justifie la colère. Et c'est autrement plus important que la tenue vestimentaire de Mme Marois. Mais ça ne mène nulle part. Pas davantage pour l’indépendance que pour la remise en question d’un système devenu scandaleux, crapuleux. »