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lundi 4 décembre 2017

LE DÉCLIN IRRÉVERSIBLE DU PARTI QUÉBÉCOIS





Le Parti québécois se meurt, le Parti québécois est mort.

Les sondages ne trompent plus personne ; ils confirment des tendances lourdes, constantes, irréversibles, plus irréversibles encore que ne l’était l’irréversible indépendance dont parlait M. Lévesque, à New York, en janvier 1977. Le fait est que, sauf les sursauts de 1994 (44,8 %) et de 2008 (35,2 %), l’électorat du Parti québécois s’érode irrémédiablement depuis 1981. 

Il s’érode parce que nos concitoyens n’ont de cesse de se détacher, malgré le cas d’exception de 1995, de l’option souverainiste. Ils délaissent « l’option » parce que la défaite référendaire de 1980 a radicalement cassé le puissant courant, généré par la Révolution tranquille, et qui voulait que la modernisation rapide et profonde de la société québécoise aboutisse nécessairement à la pleine souveraineté de son État. M. René Lévesque lui-même, après avoir été le plus important leader indépendantiste de l’histoire moderne du Québec, a parfaitement incarné cette cassure après 1981, imprimant à son gouvernement un virage à droite, antisyndical, souvent hargneux, particulièrement à l’encontre des employés de l’État, de celles et de ceux qui servaient avec enthousiasme les politiques publiques du Québec — et qui votaient pour le Parti québécois. 

Plus personne, maintenant, ne s’inquiète de l’État du Québec, sauf pour accuser ses politiques déjà rétrogrades de ne pas être suffisamment réactionnaires – ou de les fantasmer, ces politiques d’État, à gauche toute, rêve d’un grand soir de libération qui ne serait qu’essentiellement économique et sociale, mais que très modestement « nationale », timidement, baissant les yeux, embarrassé par ce mot même de « nation ».  C’est partie belle pour M. Trudeau deuxième génération, créé et statufié par la Charte constitutionnelle de 1982. C’est tout autant partie belle pour M. Legault, qui peut rêver désormais d’un gouvernement qui soit franchement, irréductiblement, le gouvernement de la droite anti-Révolution tranquille, dont certains ont rêvé depuis si longtemps, créditistes naguère, adéquistes ensuite, et maintenant caquistes. Ceux-là se disent l’avenir, gonflés à bloc, le vent dans les voiles, idéalisant travail, famille, et la patrie de l’ancien temps. Il y aura du défi à relever pour Québec solidaire à s’accaparer le vote caquiste, autrement plus coriace que ne le fut et ne l’est l’électorat du Parti québécois.

Le vote péquiste s’érode parce que le mouvement indépendantiste a rompu, toujours plus profondément, avec la conviction que l’indépendance était nécessaire à la libération nationale du peuple canadien-français, « classe-nation », formée de « colonisés dont les trois repas par jour dépendent trop souvent de l’initiative et du bon vouloir de patrons étrangers. » (René Lévesque, Option Québec, pp. 23-24) Camille Laurin disait, lui, de ce peuple dominé, exploité, appauvri, qu’il « devait souffrir beaucoup et depuis longtemps pour que l’évocation de sa liberté lui arrache une telle clameur. » (Camille Laurin, Ma traversée du Québec, 1970, p. 96) Or la clameur ne se fait plus guère entendre, peut-être parce que le Québec français s’est tout simplement embourgeoisé, succès suicidaire d’un objectif sociopolitique majeur des gouvernements péquistes. C’est à cette bourgeoisie francophone que s’en prend, désormais, Québec solidaire. Mais dans l’opération, c’est la libération nationale elle-même qui est sacrifiée, abandonnée. Classe et nation sont devenues des notions antithétiques. Voilà pourquoi Québec solidaire ne fera jamais l’indépendance, du moins pas celle qui a soulevé l’espoir de masses canadiennes-françaises il y a, déjà, bien longtemps.

Le vote péquiste s’érode encore parce que, parti de gouvernement, le Parti québécois s’est fait des adversaires, bien évidemment, qui le grugent désormais sur sa droite (la CAQ) et sur sa gauche (QS). Entamé au cœur, quant à sa raison d’être principale, discrédité — démonisé — pour son nationalisme sans enracinement économique et social (sans colère, sans révolte, sans cette rage « nationale » qui habitait si puissamment M. Lévesque), éclaté au bénéfice d’adversaires qui ne demandent pas mieux que de se nourrir de ses dépouilles électorales, le Parti québécois ne peut que décliner, et il décline, en effet, n’en finissant plus de dépérir, triste « champ de ruines », alors qu’y militent encore tant de gens talentueux.

Et pourtant, nous sommes toujours, comme peuple, et tout comme les peuples indiens, profondément aliénés. Maurice Séguin disait que nous étions certes une colonie, mais la colonie la mieux entretenue au monde, avec sa pléthore de petits potentats grassement nourris au provincialisme satisfait, et parfaitement bilingues, comme de juste. C’est notre malheur, comme c’est celui des nations autochtones, avec lesquelles nous partageons, depuis la Grande Paix de Montréal, si étroitement la même histoire et le même destin.






vendredi 10 mars 2017

GABRIEL NADEAU-DUBOIS POLITICIEN




On ne sait plus pourquoi. 

On ne sait plus pour quelle raison projeter la souveraineté du Québec. Faire l’indépendance est devenue, avec le temps, une proposition thaumaturge, qui garantit que celui (ou celle) qui en fait la promotion peut se dire docteur ès gauche, praticien qui peut tout guérir des maux sociaux avalisés par les autres, celles et ceux qui se partagent, avec une parfaite immoralité (dit-il, depuis 30 ans), l’assiette au beurre du petit pouvoir provincial. C’était manifeste dans la déclaration de candidature de Gabriel Nadeau-Dubois, ce jeudi 9 mars, engagement loin, archi loin de ce qui pouvait, par exemple, motiver MM Lévesque ou Parizeau. 

Être de gauche, nous a déclaré GND, « c’est s’opposer à la stigmatisation de la religion » ; être de gauche, « c’est être du côté des gens ordinaires, des mal pris, des oubliés. » Être indépendantiste, c’est « pour que le Québec puisse devenir un lieu où tout le monde vit bien »; c’est pour « revoir nos accords commerciaux et sortir du pétrole ». 

Je veux bien de tout ça — encore que je reste attaché à la laïcité de l’État, qui ne devrait stigmatiser rien ni personne, sauf l’obscurantisme et les idéaux déshumanisants, véritable opium du peuple.

Je veux bien de tout ça, mais pourquoi ce programme ambitieux, emballant, devrait-il nécessiter l’indépendance du Québec ? En quoi le RestOfCanada est-il à ce point borné qu’il lui soit impossible de partager les idéaux économiques et sociaux des progressistes québécois ? En quoi le système fédéral, dans sa structure même, et tout en considérant qu’il est l’État fort, empêche-t-il qu’on puisse s’assurer de la paix religieuse, se préoccuper des gens ordinaires et des mal pris, revoir nos (mauvais) accords commerciaux et désavouer notre économie trop polluante ?

On sent bien, à simplement poser ces questions, que le projet indépendantiste se situe ailleurs que dans ces objectifs que s’est fixés GND, aussi nobles soient-ils.

Pourquoi, alors, faire la souveraineté ? Là-dessus, sur cette problématique essentielle, cruciale, qui transcende la gauche contemporaine, je suis de ceux qui, comme Pierre Vadeboncoeur, parlent certes pour l’instant de « résistance », mais qui parlent aussi, avec l’indépendance, de pouvoirs à venir, « et c’est ici que l’histoire du Québec s’inverse complètement. » (1) C’est ce formidable retournement historique, c’est ce renversement, cette révolution, qui sont impensables sans l’indépendance. Et c’est précisément cette inversion de l’histoire du Québec qui, personnellement, me fonde à rester indépendantiste.

(1) Pierre Vadeboncoeur, La dernière heure et la première, 1970, p. 74.







jeudi 24 avril 2014

L'INDÉPENDANCE DU QUÉBEC EST UNE RÉVOLUTION




Décembre 1961, il y a (presque) 53 ans. Pierre Bourgault s’adresse aux tout premiers indépendantistes, réunis à la salle de la Fraternité des policiers de Montréal. Le Québec est alors plongé dans la Révolution tranquille, que Bourgault ne renie pas, loin de là. Mais c’est à une tout autre révolution, essentielle, fondamentale, faisant (douce) violence à l’aliénation collective canadienne-française, qu’il fait appel, et à laquelle il rattache le mouvement indépendantiste québécois naissant. Peut-être est-ce mon âge qui fait ma conviction; peut-être aussi ma formation et ma sensibilité d’historien, et peut-être est-ce encore l’origine sociale modeste qui est la mienne: reste que je crois toujours vrai le contenu de ce discours, toujours exacte l’analyse qu’il propose, toujours nécessaire en lui-même le projet que Bourgault soumet au peuple du Québec pour sa libération.

… « Mais malgré tout, et que cela plaise ou non, nous sommes la Révolution. Expliquons-nous bien vite avant que quelques-uns se mettent à crier qu’on veut les assassiner. (…) ll est indéniable que l’indépendance apportera un changement assez brusque dans la politique et le gouvernement du Canada, comme dans ceux du Québec. (…) Mais il y a le petit mot « violent ». 

La plupart d’entre nous, et c’est normal, réagira devant ce mot en jetant les hauts cris, en jurant qu’il y a assez de guerres dans le monde sans en faire une ici, en s’imaginant des tableaux pleins d’horreurs et de détresse, en exhortant les séparatistes à rester calmes, et en voyant déjà les armées s’affronter. Beaucoup d’entre vous savez comme moi qu’il n’est d’ailleurs pas nécessaire de prononcer ces mots pour que tout de suite on imagine le pire. Aux yeux de certains, nous sommes méchants, sanguinaires et barbares, et c’est l’arme au poing que nous voulons atteindre notre but. 

Rassurez-vous, nous n’avons pas de ces intentions. Notre action n’en est pas moins violente et le deviendra sans doute encore plus. Il existe à côté de la violence purement physique que nous réprouvons fortement, une violence faite à l’esprit, à l’intelligence des hommes. C’est cette violence que nous pratiquons pour arriver à changer la politique et le gouvernement de notre pays. C’est l’esprit que nous attaquons, et c’est avec les mots et la raison que nous nous battons. Et notre raisonnement est violent parce qu’il s’attaque à détruire des préjugés, des complexes de l’intelligence qui, trop souvent, chez beaucoup de personnes, leur cachent la réalité des circonstances et du contexte dans lesquels elles vivent. (…)

C’est dans ce sens que nous pouvons dire que nous sommes la Révolution.

Révolution pacifique, mais Révolution quand même. Révolution dans la raison et les sentiments, Révolution dans les habitudes, dans les structures, dans les cadres. Passage brusque et violent de la honte à la dignité. Passage brusque et violent de la médiocrité à la fierté. Passage brusque et violent de la servitude à la liberté. C’est ça la Révolution. »


Source: Paul Terrien, Les grands discours de l’histoire du Québec, pp. 310-312







jeudi 20 mars 2014

LA SINISTRE BESOGNE DES BOUFFONS SOLIDAIRES




Il écrit superbement bien. Marc-André Cyr (que je ne connais pas du tout) est un écrivain. Blogueur, journaliste, écrivain. Il ne résiste donc pas, comme tout écrivain, à l’envie de tordre (de gauchir) la réalité (et l’analyse) pour rechercher l’effet littéraire. C’est réussi, c’est incontestable, mais c’est un danger. C’est un piège, par exemple, qui guette les historiens qui sont aussi, parfois, de grands écrivains, et qui peuvent avoir l’attrait de la formule, du raccourci peu exigeant, mais qui enflamme le lecteur qui croit tout, parce que c’est de la science. Lucien Febvre, que j’admire tant, luttait mal contre la tentation de faire des phrases. Il est évidemment passionnant à lire. Henri Guillemin est le plus parfait exemple d’une écriture passionnée, qui s’embarrasse peu des faits têtus, contrariants, quitte, même, à les triturer, à les maquiller habilement, pour les faire mentir avec aplomb, avec talent. Sous la plume de M. Guillemin, tout devient théâtre — amour, haine, comédie, caricature, et ça fait de l’effet, littéraire, bien entendu.

Marc-André Cyr est passionnant à lire. Ses principes, sa morale, c’est de la polémologie sociale bouleversante, quasi shakespearienne.

J’aime lire Marc-André Cyr, mais je vais quand même voter pour le Parti québécois, le lundi 7 avril qui vient, et je voterai OUI à un possible référendum sur la souveraineté du Québec. Et pourtant, je suis largement d’accord avec Cyr, et je connais, douloureusement, ce qui le fait rager. Il décrit passionnément une réalité parfaitement insupportable, celle de la pauvreté qui indiffère, celle de ce peuple, pourtant pays réel, de plus en plus «rachitique» à force d’exploitation néolibérale. C’est précisément sur cette base, essentielle, que lui croit que Québec-Province ou Québec-Pays ne changeraient théoriquement rien à rien, rien à l’exploitation, rien à cette étrangeté scandaleuse qui fait tolérer non pas tant la pauvreté, que l’occurrence même des pauvres. Mais voilà, Fernand Ouellet, l’historien de l’économie québécoise, fédéraliste, ami et inspirateur de Trudeau, et très à droite, serait lui aussi (et c'est gênant !) d’accord avec Cyr: la Conquête, a-t-il écrit dans une thèse restée fameuse, et qui a fait des petits, n’a rien changé pour le Canayen, rien sauf la langue de la bourgeoisie qui l’a désormais exploité, lui et du reste l’Indien qui l’accompagnait dans l’Ouest, quand ils partaient, tous deux, chercher ce qui, à l’époque, faisait la fortune de ceux qui l’avaient déjà.

Je suis largement d’accord avec Cyr, sauf sur la Conquête, justement. Je me sépare de Ouellet. Je crois à l’asservissement national des Canayens, et des Indiens, que le nouveau pouvoir anglais confondait sans souci, et non sans raison. Je crois que la prolétarisation des Canayens est très marquée, à long terme, par le fait même de la Conquête et de l’asservissement national. Je crois que la pauvreté systémique (en fait, le mal développement) des Québécois, et leur aliénation (sans que ce mot ne soit en rien, ici, péjoratif, bien au contraire) sont le produit même de cette Conquête. Et je crois, enfin, que la libération nationale des Québécois, tout comme celle des Indiens d’Amérique, est absolument nécessaire pour rouvrir l’avenir. Le séparatisme québécois, c’est le potentiel permanent de rupture de cette société. Voilà précisément pourquoi l’indépendance est si difficile à se gagner, quand il s’agit de renverser l’abdication de soi-même, alors que la liberté ne devrait que se prendre, sans jamais en demander la permission; voilà pourquoi l’indépendance est souhaitable en elle-même, quand il s’agit de décolonisation, d’éducation à la liberté et à la justice sociale. Voilà pourquoi l’indépendance n’est pas qu’État-nation, mais bien libération d’une classe-nation – j’entends déjà le tollé des spécialistes qui ont toujours protesté de l’existence d’une bourgeoisie franco-québécoise, la meilleure preuve, et accablante, à leurs yeux, de la vanité du projet souverainiste et de ce peuple faussement exploité dans un rapport qui serait, à tort, colonial. Voilà pourquoi la gauche, et singulièrement Québec Solidaire, (avec ses valses hésitation sur l’indépendance, tergiversations qui sont à ras de terre, éminemment électoralistes), a tort de bouffer du PQ, de s’associer au mépris raciste que Fernand Ouellet and Co retournent contre nous-mêmes, et de mépriser la bourgeoisie nationale: elle peut être utile, même contre elle-même. Je ne suis pas marxiste, mais je suis sûr que Marx ne me contredirait pas là-dessus. Et certainement pas Maurice Séguin non plus.


P.S. L’article puissant, percutant de Marc-André Cyr, auquel je faire référence dans ce billet, peut se lire ici : http://voir.ca/marc-andre-cyr/2014/03/19/les-bouffons-dun-temps-nouveau/





lundi 10 mars 2014

MAIS QUI EST DONC CE «MONSIEUR LÉVESQUE» DONT PARLE SI SOUVENT MME DAVID ?

 MM. Paul Desmarais (Power Corp.), M. Louis Laberge (Fédération des travailleurs du Québec) et M. René Lévesque, premier ministre du Québec.



Comme d’habitude, quand elle parle du Parti québécois et de René Lévesque, Mme Françoise David, députée de Gouin, co-porte-parole de Québec Solidaire, dit n’importe quoi, avec une malhonnêteté (et un aplomb) probablement délibérée.

Mme David prétend donc que M. Lévesque se serait scandalisé d’une candidature aussi attentatoire au «progrès» que celle de M. Pierre-Karl Péladeau; enrôlant pareil personnage, roi du capitalisme sauvage et du lock-out, Mme Pauline Marois, première ministre et actuelle présidente du Parti québécois, trahirait l’héritage du grand homme, héraut réinventé par la gauche et remodelé au goût du jour, une gauche qui se prétend, du fait de Mme David, être la seule bénéficiaire de l’héritage inoubliable, éternel, laissé par M. Lévesque. Tout cela, sans même baisser les yeux. Sans même montrer un peu de gêne, quand même, devant une manœuvre partisane aussi grossière.

Le fait est que M. Lévesque aurait donné n’importe quoi, sa chemise et des promesses d’emploi, pour avoir une candidature patronale de prestige dans ses rangs — ça n’arrivera qu’une fois, au Parti québécois, avec M. Richard le Hir, que M. Jacques Parizeau recrute en 1994. Le fait est que M. Lévesque s’est toujours montré froid, critique et distancié face à l’étiquette sociale-démocrate qu’on accolait au Parti québécois, durant les années 1970, les années de la forte croissance du parti. Le fait est que M. Lévesque s’est reconnu des affinités constantes avec l’aile droite de son parti, avec M. Pierre-Marc Johnson notamment (un avocat-médecin, pensez donc: ça l’épatait !), M. Johnson qui voulait, dès le premier mandat du gouvernement Lévesque, limiter considérablement la portée de la formule Rand (l’obligation faite à tous les travailleurs syndiqués de cotiser à leurs syndicats, mesure nécessaire de paix et de justice sociale, inévitable, mais dont MM. Lévesque et Johnson se seraient bien passés, n’eut été des protestations de «gauche» qui se sont immédiatement fait entendre), M. Johnson qui souhaitait, durant le second mandat du même gouvernement, établir un ticket modérateur dans le système de santé, et même privatiser la Société des Alcools.

Le fait est que le gouvernement de M. Lévesque a été au moins aussi rigide (et pénible) que M. Péladeau en matière de relations de travail, coupant de 20%, pendant trois mois, les salaires des employés de l’État, bloquant, plus grave encore, pendant une année entière, la progression prévue dans les échelles salariales conventionnées (réduction qui, du coup, allaient se répercuter jusqu’à nos jours), généralisant les mises à pied et les mises en disponibilité, adoptant l’atroce loi 111 qui forçait, sous la menace de représailles salariales et judiciaires, le retour au travail de tous les grévistes du secteur public. M. Lévesque leur faisait avaler du coup et de force une politique qui se comparait précisément à celle que Reagan menait au même moment aux États-Unis, avec les contrôleurs aériens, par exemple. S’en trouvent-ils pour s’en souvenir ? MM. Lévesque et Reagan avaient pourtant, et de toute évidence, lu les mêmes ouvrages d’économie politique. (MM. Trudeau et Mulroney les liront aussi, bien entendu. Avec sa Charte des droits constitutionnalisée, M. Trudeau deviendra même le champion toute catégorie de ce qu'on allait appeler le néolibéralisme, c'est à dire le chacun pour soi.)

Mme David sait tout cela, et s’y est très certainement opposée, à l’époque: c’était en 1982-1983. Ça me tue quand elle (ou M. Couillard, chef du Parti libéral) cite René Lévesque pour l’opposer au Parti québécois de Mme Marois. Elle sait parfaitement bien qu’elle commet là un mensonge indécent, éhonté. Elle sait parfaitement bien que Mme Marois réussit là où M. Lévesque a échoué. (Ça se poursuivra peut-être, du reste, dans le projet même de l’indépendance du Québec: Mme Marois est étonnamment solide, résiliente, déterminée.)

Je connais les méthodes de gestion de M. Péladeau. Je connais tout autant les méthodes de gestion qu’on pratique dans le secteur public, qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau, ou deux abcès purulents, c’est comme on voudra. Là où j’ai longtemps travaillé, l’employeur refuse depuis des années, presque 10 ans maintenant, d’appliquer deux jugements de Cour portant sur un conflit de travail et ordonnant le versement de salaires que cet employeur doit toujours, la Cour lui intimant pourtant de respecter le droit de grève, et de payer les salaires injustement refusés quand le travail a dû être repris gracieusement… (Cette affaire est majeure, soit dit en passant, pour l’avenir même des relations de travail dans le secteur public.) M. Péladeau n’est pas l’unique patron à fantasmer sur ses droits de gérance, même appliqués de façon sauvage. Ça fantasme aussi, et d’exacte manière, dans les bureaux huppés de l’État québécois, et même quand les patrons sont des patronnes. C’est idéologique;  c’est là les conséquences des privatisations presque massives, tout juste initiées sous M. Lévesque, poursuivies avec célérité sous M. Bourassa (pensez donc: le Manoir Richelieu, vendu un dollar, un dollar à Malenfant, qui en a cassé, lui aussi, du syndicat, la CSN est là pour en témoigner avec, toujours, le vibrato nerveux dans la voix…); c’est là la conséquence de la «réingénierie» de l’État, patente chère à M. Charest; c’est là surtout la conséquence d’un État post-Révolution tranquille, qui a réappris, avec enthousiasme, et peu de morale, à être patron, tapis sous les pieds, le mépris aux lèvres, pincées.

Quand sera faite cette petite révolution qu’est la transformation de l’État en une institution publique qui soit effectivement neutre, laïque et sans religion aucune, j’espère beaucoup qu’un jour, avant ou après l’indépendance du Québec, viendra la révolution démocratique participative que prône l’ASSÉ, à laquelle je crois profondément: et on pourrait commencer là aussi, pour l’appliquer, par transformer les pratiques démocratiques de l’État québécois dans ses relations de travail. À l’époque du gouvernement de M. Lévesque, un pareil projet, j’en suis sûr, aurait enthousiasmé un ministre de «gauche» comme M. Camille Laurin. Nous sommes loin, très loin de ça présentement. La gestion publique est néolibérale: les petits patrons du secteur public s’en réjouissent fort, d’ailleurs, et n’ont là-dessus aucun problème de conscience. J’imagine que Mme Hélène David, la sœur de l’autre, pourrait sur ça nous en raconter longtemps: on comprend qu'elle ait abouti au Parti libéral.

Je ne sais trop comment les ministres progressistes du gouvernement Marois se ressentiront à côtoyer quelqu’un d’aussi patronal, et propriétaire, que M. Péladeau. Reste que M. Péladeau se rallie à un gouvernement qui a aussi un projet souverainiste, qu’il peut fortement contribuer au succès éventuel de sa réalisation. Il y avait des purs et durs, dans les colonies anglaises révoltées, en 1776: certains élus du nord-est, radicalement antiesclavagistes, ont pourtant accueilli avec joie le ralliement de George Washington à la cause indépendantiste, parce qu’il amenait avec lui les colonies du Sud, récalcitrantes, craignant pour leurs «avoirs» humains. Une indépendance est, de par sa nature même, «nationale»: elle ne peut être autre chose qu’une coalition, vaste, hétéroclite. Le pays à construire se fait après coup: en 1787, les Américains ont choisi de le faire plutôt à droite. À nous, quand le moment viendra, d’y voir de près, de faire les choix sociaux qui nous conviennent, et qui seront de nos «valeurs». En attendant, c’est M. Péladeau qui est utile, à n’en pas douter.

Quand Mme Lise Payette s’est ralliée au Parti québécois, elle raconte avoir dit à M. Lévesque qu’elle entrait au PQ par la porte de gauche: M. Lévesque, en riant, lui aurait répondu que le parti en avait trois, des portes, à gauche, au centre et à droite, et qu’elle avait donc le choix ! Mme Marois pratique exactement la même politique; elle est en droite ligne la continuatrice de M. Lévesque, bien davantage que ne le sera jamais l’indépendantiste sans conviction et sans âme qu’est Mme David.

(En espérant, tout de même, puisqu’elle était déjà ministre en 1982-1983, et qu’elle n’a pas démissionné durant la crise ni celle du «beau risque» qui a suivi de peu, que Mme Marois se souviendra, pour ne pas les répéter, des erreurs affreusement antisyndicales et antisociales que M. Lévesque a fait commettre à son gouvernement en cette terrible année 1983.)

Mme Françoise David dit donc, et elle le sait, n’importe quoi de M. Lévesque. Ce qu’elle oublie de cet immense personnage, de ce «personnage historique», comme le disait déjà Pierre Bourgault au début des années 1970, c’est que M. Lévesque était de ceux, nombreux, qui souhaitaient la formation d’une bourgeoisie nationale, et de créer les instruments publics pour y arriver; c'est qu’il ne supportait pas la tutelle depuis longtemps imposée au Québec, et qu’il en souffrait jusqu’au tréfonds de lui-même; c’est qu’il dénonçait ces «tuteurs traditionnels de notre peuple» qui le jugeaient incapable, sauf à servir, mimes, bouffons, aliénés, surexploités; humilié, souffrant du mépris rhodésien des dominants, souvent possédants, il arrivait à M. Lévesque de crier haut et fort: «Québec français !»; M. Lévesque n’avait pas de religion, et s’en moquait bien, lui qui comprenait tout aussi bien la nécessité de la liberté politique que d’un anticonformisme rayonnant, dans lequel les nôtres se reconnaissaient si bien. Mais de cette manière d’envisager les choses et la vie, Mme David y aurait vu, elle, à l’époque du gouvernement de M. Lévesque, et encore maintenant, du racisme, de l’intolérance, de l’atteinte aux droits fondamentaux, de l’immoralité. 





mercredi 19 juin 2013

VERS UN RÉALIGNEMENT DES FORCES POLITIQUES AU QUÉBEC ?


Source: Google Images



Jean-Martin Aussant démissionne. Ça ne m'étonne pas. Des propos, de-ci de-là, laissaient prévoir cette démission depuis plusieurs mois. Ça ne m'étonne pas, par ailleurs, parce qu’Option Nationale était le parti d'un seul homme, souvent magnifié hors de toute proportion, parfois même déifié. J'imagine que, pour «JMA», le poids d'une pareille confiance, d'une pareille adulation, était franchement trop lourd à porter.

Option Nationale ne survivra pas à son chef, ça me semble évident. Je suis triste, et franchement désolé pour toutes celles et ceux qui y ont cru, et qui ont milité, ardemment, sincèrement, comme bénévoles pour ce parti, partout au Québec. Mais «JMA» était vraiment seul. L'appui de M. Jacques Parizeau n'était, en soi, à l’évidence, pas suffisant. Il était seul, et sans grande réalisation publique derrière lui, et c'est peut-être là que se trouve l'erreur de jugement la plus grande qu'il aura faite, celle de claquer la porte du Parti québécois. À certains de ses ministres qui parfois montraient un peu trop d'impatience à accéder au poste de chef du gouvernement, l'ancien premier ministre René Lévesque répondait (et conseillait) d'attacher d'abord leur nom à une grande réalisation publique, comme lui avait arrimé le sien à la nationalisation de l'électricité. C'est ce qui (à mon très humble avis) a manqué à M. Aussant: exceptionnellement talentueux, et brillant, il n'avait cependant pas de réalisations d'État sur lesquelles appuyer sa crédibilité. Ministre du Parti québécois, il aurait pu se donner cette crédibilité. Il aurait pu être un candidat enthousiasmant à la succession (éventuelle) de la première ministre Marois.

Pour l'immense majorité des Québécois, M. Aussant était un ancien député péquiste, régional, peu connu à l'échelle nationale. Ce que j'espère, désormais, de M. Aussant, dont personne ne peut mettre en doute l'irréprochable droiture, c'est qu'il jouera un rôle essentiel dans la convergence des forces indépendantistes. 





mercredi 13 février 2013

LA RÉVOLUTION TRANQUILLE N'EST PAS TERMINÉE


Jacques Parizeau, premier ministre, à l'Assemblée nationale du Québec



- Pendant plus de 20 ans, la société québécoise a fonctionné sur la base d’une gratuité scolaire qui, éventuellement, devait venir quand les frais de scolarité ne devaient plus représenter grand-chose, à cause de l’inflation. Que des jeunes d’aujourd’hui veuillent discuter de ça, eh bien, il y a toute une génération qui a pensé la même chose. Ils ne sont pas hors-norme, ils ne sont pas hors d’ordre. C’est ridicule de les envoyer paître [ à cause du... ] déficit zéro [qui] bousille tout. À partir du moment où vous fixez l’objectif zéro [en France, entendez l'austérité de droite, la rigueur de gauche,] pour une date butoir et que ça devient une religion, vous cessez de réfléchir. On coupe partout, on ne se pose pas de questions... [Et pourtant...] c’est certain que la contribution des entreprises doit être augmentée. [...] Par exemple, voulez-vous bien me dire pourquoi on a enlevé la taxe sur le capital au Québec ? Qu’est-ce que ça a donné ? [...] [P]our les banques, ça ne crée pas une job. Tout ce que ça fait, c’est transférer de l’argent des contribuables aux actionnaires. 
Jacques Parizeau, ancien premier ministre du Québec, en entrevue au journal Le Devoir, le 12 février 2013.


J'aime M. Parizeau. Il a été le plus décolonisé, le plus libre de nos premiers ministres. Je me rappelle quand il a démissionné: des éditoriaux disaient de lui qu'il n’aura été, à tout prendre, qu’un petit, qu’un microscopique premier ministre. Et il s'en est trouvé, nombreux, pour faire la fine bouche, et même la grimace: quel raciste, quand même, que ce vieil alcoolique ! On marchait dessus, avec plaisir, comme on piétine un drapeau honni, et la conscience nette avec ça: « plus jamais de ma vie je n'allais voter Oui » à une souveraineté aussi vulgairement ethnique, disait encore tout récemment Line Beauchamps. Richard Desjardins lui-même, de France, et très suffisant, s'était permis en 1995 de sermonner Parizeau. Et voilà que M. Parizeau parle, et parle encore, et critique sévèrement la responsabilité des gens de la finance pour la crise de 2008, et la pauvreté dévastatrice qu'elle a créée. Et voilà que M. Parizeau soutient, sans rompre avec le Parti québécois, les convictions indépendantistes de M. Jean-Martin Aussant, « avant, pendant et après » les élections générales. Et voilà que M. Parizeau critique l'obsession du déficit Zéro de l’actuel gouvernement du Québec, et explique que la gratuité scolaire se financerait facilement par une taxation plus équitable sur les profits (scandaleux) des banques. Et là, c'est le concert, magique, à gauche, et chez tous les progressistes bien-pensants: quel homme, quand même, ce Parizeau, et on les lui passe bien, désormais, ses propos sur « l'argent et les votes ethniques », premiers responsables de la défaite référendaire de 1995, à l’opposé d’un « nous » francophone qui a voté Oui, pour l'indépendance nationale, à plus de 60%. J'aime M. Parizeau. Je n'ai jamais cessé de l'aimer beaucoup. Mais ça me fait rigoler (et ça me dégoûte un peu, très franchement) de lire, de voir et d’entendre celles et ceux qui l'ont démonisé, à jamais, et qui ont fait un tort irréparable à l'indépendantisme québécois en lepenisant M. Parizeau, son discours de défaite référendaire, et tout le mouvement indépendantiste avec lui, le monter aux nues, aujourd'hui, et le dire des « nôtres », parce que M. Parizeau soutient la Cause des gens qui se flattent de morale, et se prétendent les seuls justes et bons. 









samedi 3 novembre 2012

LA GUERRE, LA PAIX ET L'ÉLÉGANCE DE COEUR


Photo: Jacques Boissinot, Presse canadienne



Je viens tout juste d'écouter les nouvelles du jour, à 23 heures, au Réseau de l'information en continu... De vieux soldats canadiens s'offusquent — spontanément ? On peut au moins en douter. « Elle a insulté les vétérans ! » Elle, c'est Mme Pauline Marois, première ministre du Québec, indépendantiste; elle a osé porter le coquelicot, l'emblème du Souvenir, rattaché à sa veste par une épingle en forme de fleur de lys.  Une fleur de lys ! L'emblème du Québec ! Et tout de même une image très apparentée à la France éternelle, avec laquelle nous nous sommes battus, non, en 14, en 40 ?... Elle, elle donne pourtant une explication toute simple à son geste; et pour apaiser l'absurde tempête dans un verre d'eau, si proche de s'exciter, dans cette maison de fous*, toujours, quand la chicane vire au sordide, et si dangereusement susceptible d'alimenter tous les fanatismes, elle s'est empressée de faire savoir qu'elle porterait le coquelicot comme le veut la coutume et le règlement de l'insigne. Honte à tous ceux et celles qui ont fait un plat de l'affaire, caricaturant Mme Marois aux extrêmes.  Honte en particulier à Gérard Deltell, le pire de tous, l'imbécile de première, qui en a remis une couche épaisse, faisant de Mme Marois une provocatrice volontariste, particulièrement perverse. Et pourtant, Mme Marois a essayé de calmer le jeu, parce que faire autrement n'en valait pas la peine, sauf d'être porteur de hauts risques ultras. Pourrait-on, si possible, se souvenir qu'il y a à peine deux mois, cette femme a été victime d'une tentative d'assassinat fomenté par la haine ?

* L'expression est de M. René Lévesque, telle quelle, dans Option Québec.







lundi 3 septembre 2012

WEEK-END À QUÉBEC-LA-MAGNIFIQUE




Week-end à Québec-la-magnifique. Ciel peint bleu (comme disait l'autre) sur une ville d'une exceptionnelle beauté. Il y avait foule, samedi soir, pour Madonna: on s'est approché de la scène, et on a entendu, de loin, la diva... Le même soir, nous nous sommes plutôt, de préférence, rendus au Moulin à images, création de Robert Lepage, spectacle en trois dimensions diffusé sur les silos à grain du Vieux-Port: c'était à ce point étonnant, superbe, inspiré, que je m'imaginais, rien de moins, serrer dans mes bras le créateur lui-même, et le convaincre de son talent ! Il y avait, à Québec, des grappes de touristes émerveillés: à ce point photographiée, la ville pourrait en venir à perdre son âme, éparpillée aux quatre coins de la planète. Mais non: elle reste ce qu'elle est, l'autre Amérique, l'authentiquement française, avec le goût et le savoir-vivre de la vieille France. (Dommage qu'elle ne sache pas encore comment voter!) C'est le mystère de Québec, ce qu'elle a de moins charmant, cette ville restée française, mais pourtant plus colonisée que le reste du Québec tout entier: un jour, peut-être, cela changera. En attendant, la ville s'illusionne, se dit sans gêne Capitale nationale, et pour elle l'affaire est faite; elle se couvre de monuments d'illustres personnages, ou réputés comme tels. Les guides touristiques en remettent, disent n'importe quoi aux étrangers qui ne retiendront rien, de toute façon, de la leçon d'histoire absolument nulle qu'ils subissent sourire ébahi... (Rien d'aussi grave, quand même, que ce guide français qui prétendait naguère, à Fontainebleau, que saint Louis y était mort !) Quant à la Fête Arc-En-Ciel qui avait lieu ce we, la Gay Pride de Québec, elle a encore à se payer d'un peu d'audace pour avoir vraiment l'air d'être fière valant peine...

Merveilleuse ville ! Elle est ce qu'on a de plus beau, très probablement, dans ce pays du Québec qui se rêve à n'en plus finir, et qui ne peut pourtant pas compter sur Québec pour se réveiller et aboutir, une fois pour toutes, et qu'on n'en parle plus...








vendredi 3 août 2012

NE PAS VOTER DU TOUT


20 mai 1980: c'en était fait.



Le 2 mai 2011, les électeurs québécois ont rejeté une équipe parlementaire qui n'avait pas démérité, et qui avait au cœur même de son existence de faciliter, un jour, l'accès du Québec à son indépendance, quand en viendrait le temps - comme le temps de la République était finalement arrivé pour les Irlandais, divisés, hésitants à n’en plus finir, longtemps dominés, aliénés, et presque assimilés. Désirant clairement le choix qu'il faisait, le peuple québécois a dans les faits rejeté son indépendance, et a mis fin, définitivement, au rêve difficile et douloureux, souvent refoulé, de son émancipation collective, de sa maturité enfin assumée, avec risques et périls, avec gauche et droite, avec connaissance et présence dans le monde, comme pour tout autre peuple libre de son destin.

Claude Ryan avait dit un jour la nécessité historique, inévitable, qu'une des deux options, fédéraliste ou souverainiste, disparaisse complètement. Au lendemain du 2 mai, c’était chose faite, désormais. Le Bloc québécois anéanti, le choc a été énorme. La tourmente a failli emporter le Parti québécois, hébété, déchiré entre ceux qui ont voulu sauver l'option à tout prix, et ceux qui ont voulu coûte que coûte sauver le parti de gouvernement, qui a rendu de grands services, ceux mêmes qui croyaient, encore, que le pouvoir provincial exercé par des souverainistes augmentait la confiance en nous des Québécois. Des souverainistes, proches d'Option Québec, publié en 1968, ont critiqué l'origine même de l'impasse, voire de l'impuissance nationale, dans cette démarche référendaire destinée à toujours échouer, victime de modifications démographiques de plus en plus rapides, ce pendant que le vote des jeunes désertait la cause, s'abstenait de plus en plus massivement. Des souverainistes restés attachés au parti, fidèles à l'idée lévesquiste qu'un bon gouvernement, nationaliste, social-démocrate, pouvait préparer l’indépendance par la gouvernance souverainiste, en attendant un possible référendum gagnant, sont restés fidèles à l'idée d'une élection provinciale victorieuse, malgré l'effroyable déroute du Bloc québécois au 2 mai 2011. Et pourtant l'option est bien morte, aussi irréversiblement que M. Lévesque l'avait cru « irréversible », dans son fameux discours, excellent, essentiel, inutile, et qu’il a regretté, tenu à l’Economic Club de New York, en janvier 1977. L’option est morte depuis longtemps. Elle survivait comme un fantasme masquant l’humiliation à renoncer; le 2 mai, elle a été une fois pour toutes liquidée, enterrée.

J’en ai mal au cœur, encore, parce que j’ai toujours cru l’indépendance du Québec impérative, urgente et nécessaire. Fragmenté, centré sur la langue, le drapeau, les grands mythes historiques, les statues de présumés grands personnages de notre histoire, le nationalisme québécois me touche peu, m’embarrasse souvent, comme me désarçonnait déjà la gêne de M. Lévesque de faire adopter la Loi 101. Nos compatriotes anglo-québécois ne s’embarrassent pourtant pas d’être unanimes, à peu d’électeurs près, quand il s’agit de rejeter le Québec pays, le Québec français, le Québec national ; ils n’ont aucune réserve à s’appuyer sur les instruments législatifs, et constitutionnels, qu’ils se sont donnés, depuis 1867, plus encore depuis 1982, pour assurer l’épanouissement de leur collectivité. Ils exigent qu’on leur parle dans leur langue. Ils exigent qu’on leur donne leurs villes, leurs institutions scolaires, la libre disposition de leurs revenus communautaires, le libre usage de la Charte fédérale des droits et libertés. Ils exigent une identité séparée, et menacent même, si jamais l’indépendance devait se réaliser, de partitionner le Québec, comme l’Irlande a dû se laisser déchirer, un séparatisme payé très cher. Ils sont sans gêne et conscients, ce qui nous manque, à nous francophones, souverainement. J’ai cru à la nécessité, oui, de l’indépendance du Québec, comme à un acte de libération essentielle, qui donnerait, par exemple, aux étudiants la capacité de surmonter l’envie du décrochage scolaire, ce désir qu’ils ont, puissant, aujourd’hui irrationnel, de la fuite dans un misérabilisme toujours vivace parce qu’il a un sens, parce qu’il masque une autre liberté, désirée, passionnante, celle du pauvre, du squatter, de l’errant, du modeste, qui se croit libre parce qu’il a l’espace pour lui, et peu de besoins à combler. Tout cela n’est pas du gauchisme, pas même un penchant pour l’anarchisme, c’est de la dérobade. C’est notre communautarisme à nous, une aliénation terrible, une peur tenace que ça change, et que la liberté dont parlait M. Lévesque, mieux encore M. Parizeau, ne soit plus la liberté de faire ce que l’on veut, sans qu’on nous bâdre avec le souci des autres, avec l’effort, avec la culture, avec la connaissance, avec le changement. Un livre magnifique, paru il y a quelques années, Québec, quatre siècles d’une capitale, l’œuvre entre autres de l’historien Gilles Gallichan, faisait en réalité l’histoire d’une capitale en perte de continuité, constamment ravagée et refaite, sans souvenirs persistants, le lieu d’une singerie caricaturale du pouvoir des Anglais d’Angleterre, arrivés ici à force d’armées conquérantes, capitale incurablement provinciale qui se donne, sans rire du tout, un titre, un trône, des costumes brillants, des habitudes bien élevées, une sagesse de colonisés parfaitement affligeante… Qu’importe aux Québécois cette parade ridicule, pourvu qu’on les laisse en paix. Le vernis du colonisé est solide et brillant ; mais sous la couche épaisse et résistante de la petite bourgeoisie, il y a un peuple qui a tout encaissé, mépris, exploitation, tromperie, et qui ne sent de survie que dans sa liberté d’être, immédiate, protégée par l’ignorance des défis inévitables, soulagée par le rire gras, rêvant qu’un jour il y aura pour lui aussi commerces prospères et beaux quartiers. Le pays, dans ce contexte, est pour le moins lointain, et nébuleux…

L’indépendance n’est pas une fin en soi ; mais elle est, j’y ai cru, un bien en soi. Je trouve ça triste, et désolant, qu’on y ait renoncé, mais c’est un fait. Le déni là-dessus est tellement puissant que lorsque je suppose la fin du rêve, preuves à l’appui, j’en perds des amis. Et pourtant, j’en ai assez de m’illusionner. Ça m’épate de voir Léo Bureau-Blouin s’engager, et Jean-François Lisée, et Maka Kotto, et Jean-Martin Aussant, lui autrement, d’un sans-gêne à priori emballant, et même Françoise David, sans qu’elle semble vraiment y croire, au pays, comme d’une nécessité absolue, de toute première importance. Je les admire, je le jure, et combien d’autres. Mais je refuse qu’ils m’emportent désormais dans la calamité, et la consternation, à répétition. Comment raconterons-nous donc notre histoire nationale, dans cinquante ans, dans cent ans, déjà que ce n’est pas simple d’expliquer à des étudiants à qui il faut faire aimer l’Histoire, imaginez, que nous provenons d’une colonisation ratée, d’une conquête, d’une révolte échouée en plein hiver, d’un asservissement, et d’un long, d’un très long mépris.

Je ne voterai donc plus, plus jamais, à l’exception d’une élection référendaire, ou d’un référendum sur la souveraineté ; alors, là, oui, j’irai voter. Mais il n’y aura ni de ce jour improbable, ni d’une victoire impossible, et je ne voterai donc plus. La polarisation nouvelle entre la droite et la gauche montre bien que l’autre projet a été trop long à se réaliser, qu’il ne se réalisera jamais : l’illusion du pays s'incarne en ce moment avant l’indépendance réelle, et c’est de projet de société dont on parle désormais. Ce nouveau clivage est la plus belle preuve que la question de la souveraineté est tranchée. M. Legault, tout comme Mme David, qui tous deux en ont gros contre le Parti québécois, sont les naufrageurs ultimes de la souveraineté, au bénéfice d’une gauche ou d’une droite provinciale, de parenté évidente avec des partis fédéraux, le NPD ou le parti conservateur. Au reste, Québec Solidaire se dit souverainiste parce que l'écrasante majorité des personnes de gauche le sont. Cela changerait ( et cela changera, ) que QS changera d'option constitutionnelle, je parie fort là-dessus. 

Ce printemps, le mouvement étudiant a été remarquable, l’argumentaire, impeccable. La Révolution tranquille n’a pas été complètement inutile ! Mais le mouvement étudiant n’était pas toute la jeunesse, et certainement pas les décrocheurs, ni ceux, excusez l’expression, qui s’en crissent ; il n’incarnait pas non plus le peuple québécois dans toute l’épaisseur de son existence historique, bien loin de là. Il aurait pu cependant nous faire croire que la société québécoise avait réellement changé, et qu’elle avait désormais de nouveaux idéaux démocratiques. À ceux et celles qui pourraient l’espérer, allez lire ce qui s’écrit dans les médias sociaux, allez  suivre sur Twitter la campagne électorale en cours : rien n’a changé, la partisanerie reste aveugle, agressive, et de mauvaise foi ; la gauche pratique la vieille politique du discrédit des personnes comme une pro de droite radoteuse et sénile. Voter, dit-on souvent, est un devoir ; il m’arrive de penser, c’en est même une conviction profonde, qu’il faudrait un code de déontologie de l’électeur, une éthique de l’électeur, une exigence démocratique de l’électeur, avant de pouvoir même voter. Pour devenir citoyens, on vérifie que le candidat a quelques connaissances de base sur le pays qui l’accueille. Ça me fait fantasmer, pour tout dire, qu’on exige la même chose de chaque électeur, avant même de réformer les mœurs électorales, ou le système lui-même. La démocratie ne s’en porterait que mieux. En attendant, c’est le suffrage universel lui-même qui me laisse froid.

À défaut d’indépendance, peut-être faut-il, comme on dit, commencer par le commencement, et nous mériter notre propre démocratie. Une véritable démocratie, qui sorte du parlement, même réformé, et qui s’impose dans tous les lieux de travail, où l’autoritarisme reste encore la norme, telle qu’elle l’était au 19e siècle, exception faite des balbutiements du syndicalisme  – de toute façon écrasé dans le sang. C’est fou ce qu’un cadre peut se croire seigneur féodal, au milieu de ses vassaux, ce qu’un patron d’entreprise peut se croire monarque absolu, gérant selon son bon plaisir. Mais pour ce faire, éliminons le système actuel, la corruption actuelle, la mesquinerie actuelle, en refusant d’aller voter, en masse. Il faudrait être en si grand nombre que le poids écrasant des abstentionnistes discrédite le système lui-même, et ses électeurs fanatiques, gavés d’images, heureux d’être si grossièrement désinformés. Et peut-être, peut-être arriverons-nous à passer d’une liberté à l’autre, de l’inconscience indocile et sarcastique à la liberté publique, collective et juste, parce que corrigeant ce que l’Histoire aura fait de nous.

J’aime les Québécois. J’aime le Québec. Mais le 4 septembre prochain, je n’irai pas voter. 








dimanche 24 juin 2012

FÊTE NATIONALE DES QUÉBÉCOIS




« Nature pacifique, aisément content de son sort, le Canadien français de la présente génération, surtout des classes simples, n'est peut-être pas fait pour jouer les premiers rôles dans cette vie à outrance, de concurrence à tout rompre, d'affaires traitées au pas de course, de lutte impitoyable, qui est à la mode du jour. Son peu d'ambition personnelle, son goût pour la vie paisible, ses instincts domestiques, le caractère passif de son énergie même, tout le prédispose contre cette course à fond de train, contre ce culte affolé du veau d'or qui sont la marque distinctive de ce siècle ploutocratique. Il y a longtemps qu'il a appris ce salutaire précepte, qu'ayant le pain et le vêtement, il ne faut pas s'inquiéter du reste; ou plutôt il ne l'a pas appris, mais il l'a toujours su d'instinct. »

Nicholson Byron, Le Canadien français, 1904. [ L'auteur appartenait à la communauté anglo-montréalaise. À l'époque, il s'agissait d'une des minorités les plus riches, et les plus puissantes du monde. ]

Un tel portrait de notre peuple, suffisant, condescendant, et surtout, surtout méprisant, innocente l'exploitation à outrance qu'on en a fait, longtemps, et donne bonne conscience à ceux qui n'avaient pas honte du tout de vénérer le veau d'or: quelle sagesse admirable, quand même, chez ces pauvres gens sans ambition ! Ce genre de description n'est pas essentiellement différente de ce qu'un texte raciste aurait pu prétendre, comme d'absolues certitudes, des Noirs américains à la même époque. Et il s'en trouverait encore pour tenir des propos semblables sur nos compatriotes indiens d'Amérique.

Nous avons profondément ingéré cette image de nous-mêmes qu'on nous a renvoyée. Nous avons cru au petit pain, à la modestie, au misérabilisme comme une qualité enviable, bénie même par « Dieu ».

C'est fini. Nous ne sommes plus soumis. Nous ne  nous réjouissons plus de notre pauvreté. Mais, chassés du capitalisme conquérant, méprisé par le bourgeois,  nous restons critiques de la ploutocratie. C'est en masse, depuis des mois, que nous sortons, que nous manifestons, que nous protestons: nous n'avons plus rien de passif. Nous sommes résilients, résistants. La jeunesse québécoise fait, ces temps-ci, la démonstration éclatante que nous avons changé, qu'une nouvelle révolution nous transforme. Il y a de quoi être fier, il y a de quoi célébrer la fête nationale.

Bonne fête, Québec libre !