Le Parti québécois se meurt, le Parti québécois est mort.
Les sondages ne trompent plus personne ; ils confirment des tendances lourdes, constantes, irréversibles, plus irréversibles encore que ne l’était l’irréversible indépendance dont parlait M. Lévesque, à New York, en janvier 1977. Le fait est que, sauf les sursauts de 1994 (44,8 %) et de 2008 (35,2 %), l’électorat du Parti québécois s’érode irrémédiablement depuis 1981.
Il s’érode parce que nos concitoyens n’ont de cesse de se détacher, malgré le cas d’exception de 1995, de l’option souverainiste. Ils délaissent « l’option » parce que la défaite référendaire de 1980 a radicalement cassé le puissant courant, généré par la Révolution tranquille, et qui voulait que la modernisation rapide et profonde de la société québécoise aboutisse nécessairement à la pleine souveraineté de son État. M. René Lévesque lui-même, après avoir été le plus important leader indépendantiste de l’histoire moderne du Québec, a parfaitement incarné cette cassure après 1981, imprimant à son gouvernement un virage à droite, antisyndical, souvent hargneux, particulièrement à l’encontre des employés de l’État, de celles et de ceux qui servaient avec enthousiasme les politiques publiques du Québec — et qui votaient pour le Parti québécois.
Plus personne, maintenant, ne s’inquiète de l’État du Québec, sauf pour accuser ses politiques déjà rétrogrades de ne pas être suffisamment réactionnaires – ou de les fantasmer, ces politiques d’État, à gauche toute, rêve d’un grand soir de libération qui ne serait qu’essentiellement économique et sociale, mais que très modestement « nationale », timidement, baissant les yeux, embarrassé par ce mot même de « nation ». C’est partie belle pour M. Trudeau deuxième génération, créé et statufié par la Charte constitutionnelle de 1982. C’est tout autant partie belle pour M. Legault, qui peut rêver désormais d’un gouvernement qui soit franchement, irréductiblement, le gouvernement de la droite anti-Révolution tranquille, dont certains ont rêvé depuis si longtemps, créditistes naguère, adéquistes ensuite, et maintenant caquistes. Ceux-là se disent l’avenir, gonflés à bloc, le vent dans les voiles, idéalisant travail, famille, et la patrie de l’ancien temps. Il y aura du défi à relever pour Québec solidaire à s’accaparer le vote caquiste, autrement plus coriace que ne le fut et ne l’est l’électorat du Parti québécois.
Le vote péquiste s’érode parce que le mouvement indépendantiste a rompu, toujours plus profondément, avec la conviction que l’indépendance était nécessaire à la libération nationale du peuple canadien-français, « classe-nation », formée de « colonisés dont les trois repas par jour dépendent trop souvent de l’initiative et du bon vouloir de patrons étrangers. » (René Lévesque, Option Québec, pp. 23-24) Camille Laurin disait, lui, de ce peuple dominé, exploité, appauvri, qu’il « devait souffrir beaucoup et depuis longtemps pour que l’évocation de sa liberté lui arrache une telle clameur. » (Camille Laurin, Ma traversée du Québec, 1970, p. 96) Or la clameur ne se fait plus guère entendre, peut-être parce que le Québec français s’est tout simplement embourgeoisé, succès suicidaire d’un objectif sociopolitique majeur des gouvernements péquistes. C’est à cette bourgeoisie francophone que s’en prend, désormais, Québec solidaire. Mais dans l’opération, c’est la libération nationale elle-même qui est sacrifiée, abandonnée. Classe et nation sont devenues des notions antithétiques. Voilà pourquoi Québec solidaire ne fera jamais l’indépendance, du moins pas celle qui a soulevé l’espoir de masses canadiennes-françaises il y a, déjà, bien longtemps.
Le vote péquiste s’érode encore parce que, parti de gouvernement, le Parti québécois s’est fait des adversaires, bien évidemment, qui le grugent désormais sur sa droite (la CAQ) et sur sa gauche (QS). Entamé au cœur, quant à sa raison d’être principale, discrédité — démonisé — pour son nationalisme sans enracinement économique et social (sans colère, sans révolte, sans cette rage « nationale » qui habitait si puissamment M. Lévesque), éclaté au bénéfice d’adversaires qui ne demandent pas mieux que de se nourrir de ses dépouilles électorales, le Parti québécois ne peut que décliner, et il décline, en effet, n’en finissant plus de dépérir, triste « champ de ruines », alors qu’y militent encore tant de gens talentueux.
Et pourtant, nous sommes toujours, comme peuple, et tout comme les peuples indiens, profondément aliénés. Maurice Séguin disait que nous étions certes une colonie, mais la colonie la mieux entretenue au monde, avec sa pléthore de petits potentats grassement nourris au provincialisme satisfait, et parfaitement bilingues, comme de juste. C’est notre malheur, comme c’est celui des nations autochtones, avec lesquelles nous partageons, depuis la Grande Paix de Montréal, si étroitement la même histoire et le même destin.
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