Il y a des soirs ( des nuits ! ) où je suis seul chez moi, et où je vagabonde des heures durant, de site en site, sur Internet. Je n'y fais pas toujours des trouvailles hors du commun, et ce n'est pas nécessairement ce que je recherche non plus. En fait, je ne recherche rien. Je tombe.
Hasard ? Par exemple:
Léonard ( que j'aime depuis si longtemps, et dont l'histoire, tout autant que l'oeuvre artistique et scientifique, m'interpelle, surtout qu'elle est souvent occultée, que l'interprétation même des oeuvres est trop souvent modérée, ) Léonard, dis-je, travaillait encore à ce saint Jean Baptiste à quelques jours de sa mort.
Voilà qui suffisait pour que je m'arrête sur l'oeuvre - étrange doublon de la célèbre Joconde.
L'homme - le génie sans mesure - qui a peint ce portrait ( inspiré du visage son amant ? ) sur bois - allait mourir. Quand on a été Léonard de Vinci, qu'on a eu des problèmes avec la justice sermonneuse et arbitraire du fait même de sa vie amoureuse et sexuelle, et qu'on a eu par ailleurs toute sa vie une passion pour la physique et la médecine, on pourrait supposer que la curiosité scientifique a jeté un certain doute, métaphysique, critique, dans la pensée du peintre. Mais au XVIè siècle, il était en fait impossible d'être incroyant, moins encore athée. L'historien Lucien Febvre, dans un livre fameux(1), l'a superbement prouvé. Au XVIè siècle, l'homme est déiste et religieux, il n'en a guère le choix, et peut même difficilement imaginer qu'il puisse en être autrement. Tout au plus peut-il être exaspéré par les bornes intellectuelles de l'Église catholique - une Église souvent abjecte, mais qui persiste d'autant plus à faire peur, à réprimer et à tuer qu'elle fait scandale.
Alors, ce saint Jean Baptiste, peint par un homme mourant, qu'indique-t-il, qu'inspire-t-il, qu'espère-t-il ? La vie éternelle, je crois, une vie éternelle conforme à l'image idéalisée que Léonard se faisait de lui-même - jeune homme énigmatique, à la beauté transsexuelle, absolument serein sur ce qui l'attend, au-delà de la mort, dans un paradis amoral, chez un Dieu qui n'a ni normes, ni codes, ni châtiments, un Dieu qui ne s'embarrasse pas de la différenciation des sexes et qui réunit les contraires pour mieux les fondre dans une entité unique et universelle, d'essence réellement divine. L'homme est à l'image de Dieu. Le paradis, c'est l'unité de l'Homme. J'ai l'impression que c'est ce que pensait, ce qu'espérait Léonard au crépuscule de sa vie. Ma thèse n'a rien de scientifique. Elle est intuitive. Elle est possiblement projection de ma part. Elle n'en est peut-être pas moins tout à fait juste. J'imagine facilement un Léonard croyant en un Dieu qui soit l'inverse, radicalement, des princes ( les Sforza, de Florence ! ) et des papes de ce monde.
Il semble possible que cette peinture ait été une commande pontificale. On imagine la tête du saint Père voyant le travail ! S'il avait le coup d'oeil, il aurait vu le talent. Mais il aurait vu, tout autant, le caractère impie, voire même blasphématoire du travail. C'est à la même époque, à quelques années près, que le rapporteur du voyage de Magellan écrivait au Pape qu'il devrait se résoudre ( douloureusement ) à admettre « une vérité pourtant difficile à croire »: la Terre, votre Sainteté, est bel et bien ronde. Léonard aurait pu tout aussi bien dire que cette « vérité était difficile à croire », mais que Dieu était bon, sans clivage moral et sans connaissance du péché, et que l'Homme est sans devoir ni obligation. C'est ce qu'un mourant, lumineux, génial, aurait pu dire, sans crainte d'être trainé jusqu'au bûcher.
1. Lucien Febvre, Le problème de l'incroyance au 16è siècle.
Il semble possible que cette peinture ait été une commande pontificale. On imagine la tête du saint Père voyant le travail ! S'il avait le coup d'oeil, il aurait vu le talent. Mais il aurait vu, tout autant, le caractère impie, voire même blasphématoire du travail. C'est à la même époque, à quelques années près, que le rapporteur du voyage de Magellan écrivait au Pape qu'il devrait se résoudre ( douloureusement ) à admettre « une vérité pourtant difficile à croire »: la Terre, votre Sainteté, est bel et bien ronde. Léonard aurait pu tout aussi bien dire que cette « vérité était difficile à croire », mais que Dieu était bon, sans clivage moral et sans connaissance du péché, et que l'Homme est sans devoir ni obligation. C'est ce qu'un mourant, lumineux, génial, aurait pu dire, sans crainte d'être trainé jusqu'au bûcher.
1. Lucien Febvre, Le problème de l'incroyance au 16è siècle.
Il y a quelques jours, fin octobre 2011, j'ai vu la toile de Léonard « en personne » ! La photo n'est pas fabuleuse, mais l'émotion y était...