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samedi 5 mai 2012

GRÈVE PERDUE, VICTOIRE (NÉO)-LIBÉRALE


( Source inconnue de l'image: désolé ! )



Douze semaines de grève, menée par des étudiants magnifiques, mais profondément divisés, et dont le mouvement de contestation, pour spectaculaire qu'il ait été, s'épuisait, de toute évidence, fatigué par son propre effort, trop long sans rien gagner, ruiné devant l'opinion publique par quelques militants extrémistes qui ont ravagé le rapport de force à coups de briques, de pierres, de boules de billard, de bâtons, de masques, de provocation policière et de folie.

Douze semaines de grève pour aboutir à une entente dont seuls, seuls l'État et le Parti libéral du Québec, sortent gagnants. 

C'en est fait, à tout jamais, des droits de scolarité à bon compte, qui ont permis le formidable rattrapage scolaire que le Québec a accompli depuis plus de 40 ans. C'en est fait, en tout cas le risque est gros, de la mixité sociale en milieu scolaire, particulièrement universitaire. Les droits de scolarité font un bond spectaculaire, dès la session d'automne 2012. On ne reviendra jamais en arrière. Même le Parti québécois, dans l'hypothèse peu probable de sa victoire majoritaire aux prochaines élections générales, ne pourra annuler la hausse de ces droits, puisque le mouvement étudiant vient de les accepter, comme d'une réalité désormais permanente, irréversible, du financement des universités québécoises.

Acceptation en échange de quoi, au juste ? D'une sorte de moratoire sans le nom ( ce qui enlève tout crédit à la proposition péquiste de « moratoire », et il n’y a pas à dire là-dessus, les négociateurs gouvernementaux l'ont eue, l'affaire ! ), pour une session seulement, de ce qu'on appelle les droits afférents — les droits à payer pour les équipements sportifs, les photocopieuses et le papier à imprimerie, ce genre de truc, — droits que les étudiants n'ont la garantie de leur suspension que pour une session seulement, qu'une seule session, la prochaine.  Par après ? On verra, on verra sur ce qu'on peut économiser des dépenses somptuaires des universités. Qui peut croire qu'il y a là quoi que ce soit d'une résolution au conflit, qui était éminemment moral, parce qu'il portait sur le principe fondamental de la démocratie scolaire ? Tout le monde sait parfaitement, en milieu collégial, que les droits afférents sont depuis toujours un moyen détourné pour augmenter les droits de scolarité, sans qu'il semble qu'on remette en question le principe de la gratuité scolaire.

Alors, alors, comment expliquer que les combattants magnifiques aient accepté une pareille entente, qui consolide la hausse des droits de scolarité sur 7 ans, plutôt que 5, même compensée par un régime de prêts et bourses légèrement plus généreux, régime qui sera vite piégé par un relèvement, d'ici deux ans, trois ans, des droits afférents ? 

Parce que ces jeunes hommes, cette jeune femme, n'avaient plus le choix. Parce que le conflit s'éternisait, devant une opinion publique largement indifférente, quand elle ne devenait pas franchement hostile. Parce que le gouvernement a été le plus tenace, le plus manipulateur, et le plus fort, lui qui n'avait pas, soir après soir, à marcher dans les rues sous la menace d'une intervention policière. Parce que sous la pression, inouïe, de toute la société civile, les leaders étudiants ont cédé. Qu'aurait-on fait à leur place ? Nous sommes en économie néo-libérale. Nous sommes en période préélectorale. Nous sommes loin, archi loin, de toute révolution.

Ce qui restera, c'est le souvenir d'une crise sociale majeure. Ce qui restera, c'est le souvenir d'une jeunesse extraordinairement brillante, d'une élévation morale exemplaire. Mais ce qui restera, aussi, ce sont des droits de scolarité universitaires désormais très élevés, privilégiant une élite, qui déjà bénéficie d'un réseau privé d'enseignement que le bon peuple subventionne à hauteur de 80 %. ( Le réseau de la santé attend son tour ! Beaux revenus, belles cliniques, pour le beau monde ! )

La grève est tragiquement perdue. Mais je ne crois pas, honnêtement, qu'il aurait pu en être autrement. Sauf la violence, la casse, les blessés, les consciences meurtries, les jeux étaient faits d'avance, tout comme ça l'était fait, pour les Indiens, à qui on promettait naguère leurs droits pour aussi longtemps que couleraient les rivières. 






jeudi 26 avril 2012

IMPOSSIBLE RÉVOLUTION



Source: Photo - Le Devoir, Jacques Nadeau





Au point où en sont les choses politiques et sociales, au Québec ( crise majeure, je le spécifie pour mes amis lecteurs de l'étranger, provoquée par une très forte hausse des droits de scolarité, décidée et décrétée par le gouvernement du Québec, ) peut-être faudrait-il collectivement se rappeler quelques évidences incontournables.

1. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de révolution au Québec. La jeunesse a beau être nombreuse dans les rues, et aller à la casse avec un entrain qui laisse le téléspectateur sidéré, cette jeunesse que j'aime, à qui j'ai enseigné ( génération après génération ) toute ma vie, est isolée sur la grande question, la question essentielle qu'est le partage équitable de la richesse, quel que soit le processus pour y arriver, par exemple au moyen d'une justice fiscale rigoureuse. La jeunesse est isolée: elle n'a pas d'alliés sociaux qui l'appuient dans ce qui pourrait devenir une authentique poussée révolutionnaire. Les travailleurs cols bleus ou cols blancs, la classe moyenne inférieure, les retraités appauvris, année après année, par des rentes qui deviennent  fragiles, ont souvent une empathie active sur Twitter pour la cause étudiante, mais certainement pas au point de provoquer une constellation de colères sociales, préalable à une authentique poussée révolutionnaire. La jeunesse elle-même est divisée sur la question du sens social à donner à son mouvement de contestation. La société québécoise n'est pas encore prête de changer là-dessus, tant s'en faut, et tranquille qu’elle est. Le patronat est solidaire, de tout temps, en toutes circonstances, sur ce sujet de l'ordre social, comme sur tous sujets d'ailleurs, avec le parti libéral du Québec, qui lui écarte la CLASSE parce que précisément, cette association étudiante prétend développer un projet social plus large que la cible unique de droits de scolarité accessibles au plus grand nombre. Quant à la police, elle fait son travail, « neutre », dit-elle, c'est-à-dire au service de l'État, qui lui est « bourgeois ». Ce ne sont pas là des considérations anciennes: c'est encore comme ça que les choses sont. 

Il faut dire ces évidences, même désagréables à entendre, parce que le mouvement étudiant se dirige tout droit vers un cul-de-sac. Ça me désole. La cause est juste. J'y crois. Mais privilégiant la voie radicale, de l'affrontement dans les rues, du discours ultra à la télé ( que j'admire, bon dieu, Gabriel Nadeau-Dubois est à proprement parler admirable, ) et n'entendant rien, du moins en apparence, des gens de bien, qui cherchent une solution, une médiation, un report de la hausse, une alternative de négociation multipartite qui puisse remplacer le choix décrété par l'État, le mouvement étudiant laisse se préparer une répression, brutale, sans appel, qui lui tombera dessus, lui fera tout perdre, capital de sympathie, et validité de la cause, alors qu'il tient bon, après dix semaines, ce qui est proprement stupéfiant. Étudiants, ne parlez plus au gouvernement, ignorez-le; parlez aux autres, à celles et ceux, nombreux, encore influents, qui ont de la sympathie bien réelle pour les principes que vous défendez. Il faut imposer votre point de vue au gouvernement par le biais d'intermédiaires qui seuls, peuvent sauvegarder l'essentiel de votre combat. Sinon, cela risque fort d'être une grève perdue. Et tout cela sera long, très long à reprendre, et à réparer. 

2. Il n'y a pas à douter que l'État, et le parti politique qui en dispose cherchent une voie de sortie, qui ne soit bénéfique que pour eux seuls. L’État ne peut songer, désormais, qu'à des moyens extrêmes pour mettre fin à la crise. Il y a des précédents, et ce serait là une erreur prodigieusement naïve que de penser que l'État ne considère pas ses pouvoirs de législateur. Je ne sais trop à quelle loi spéciale le gouvernement pourrait recourir, puisque la grève étudiante ne relève pas du Code du travail. Je ne sais pas davantage à quelle suspension de libertés civiles le parti libéral pourrait se laisser tenter. Mais si Monsieur René Lévesque lui-même a fini par approuver et cautionner la terrible Loi 111, en février 1983 ( loi condamnée d'abord par le Bureau international du travail, et par la suite par la Cour suprême du Canada, bien que dans ce dernier cas, la Cour ne se soit pas arrêtée au scandale social majeur qu'était la loi, mais plutôt à une formalité constitutionnelle, ) comment penser que Monsieur Charest aurait des scrupules, s'il estimait, lui, qu'il y avait urgence d’agir pour protéger les biens et la propriété ? Je ne suis rien, moi, ni vedette ni personne qui compte ( pas même sur Twitter ! ), je ne suis qu'un obscur professeur de cégep, comme on me l’a déjà dit, sourire en coin; et pourtant je supplie le gouvernement actuel de ne jamais, jamais franchir la ligne de l'interdit, de ne se laisser tenter par aucune mesure qui restreigne ou suspende les libertés civiles, et de laisser les mesures normales de justice suivre leurs cours — c'est le cas de le dire. Il faudrait, là-dessus, être nombreux, très nombreux à en appeler au gouvernement du Québec: il n'y a qu'un moyen, qu'un seul, pour l'amener à être raisonnable, et à discuter, y compris de ses ( mauvais ) choix politiques, et c'est de l'amener, d'avance, à renoncer à tout moyen législatif d'exception. J'appelle ( très humblement ! ) Monsieur Charest à faire une déclaration publique en ce sens. Il doit engager son gouvernement à l'encontre de ce risque, parce qu'en réaction à la violence de la rue, toutes les tentations sont possibles pour un gouvernement, et un parti, en désespoir de cause et de crédibilité.

Voilà.

Bonne chance aux étudiants, et à leurs leaders, qui ont ces jours-ci le dos large, mais les jambes solides. Ils sont beaux; ils sont admirables.







samedi 21 avril 2012

PERDRE LE NORD




Il y a de ces moments, bénis pour un historien, parfois malheureux pour ceux et celles qui en font l’expérience, et qui ont l’accablant mérite d’être une esquisse parfaitement exacte d’une société, un croquis féroce des rapports de force qui la caractérisent, des accointances qui, la plupart du temps, se masquent au regard du commun. Ces moments uniques, brefs instants où les masques tombent, s’apparentent souvent à l’heure de vérité du menteur, du tricheur ou même du malfrat, quand l’affaire est vraiment par trop scandaleuse, et désolante. L’instant, trop vrai, qui heurte, indigne, révolte, devient à jamais célèbre, parce qu’il dit tout de l’essentiel. Il reste cruellement visible au front, ou au c… de celui ou celle qui n’a pas su tenir le rôle consensuel, comme une marque au fer rouge, indélébile. 

Ça a été le cas, par exemple ( et pour ne s’en tenir qu’à l’histoire récente, ) de la fête au Fouquet’s, le soir même de l’élection présidentielle française de 2007, et qui disait avec cynisme - et inconscience - aux Français : hé bien voilà, on vous a bien eus, et on vous le dit tout net, c’est maintenant, et encore, notre tour à nous, grande bourgeoisie, banquiers, spéculateurs sur les armes et sur la misère, affairistes en tous genres, qui nous installons à l’Élysée. Il est des nôtres, Sarko. Il va essayer l’ouverture à gauche, pour mieux vous duper, mais en fait, ce qu’on rigole, nous, les puissants, les riches, les hommes de fric et de médailles, les profiteurs de tout ce que la vie a de cher et beau ! 

Les Français n’ont jamais oublié ce moment trop vrai. Ils risquent de le faire savoir dans quelques jours à peine, une raclée bien méritée.

Ça a été le cas, aussi, d’une bonne blague que W. ( Georges  Bush fils, vous rappelez-vous ? ), avait osé clairement articuler, devant le gratin des gens d’affaires, assemblés devant lui à Washington pour une fête annuelle. Ce que c’était beau ! Tous ces messieurs dames, complets foncés, rivières de pierreries, qui se sont esclaffés quand le Président leur a dit, cynique, un peu baveux : « Pensez ce que vous voulez de moi, mais n’empêche, si je tombe, vous tomberez avec moi vous aussi ! » La blague devait rester privée, dite entre gens bien élevées, qui se seraient tues par la suite. C’était sans compter ce salaud de Michael Moore, qui avait tout filmé de la scène ; elle est devenue un de ces moments beaucoup trop visibles, tellement exacts qu’ils en deviennent gênants. Tel quel, le Président élu supposément pour tout le monde lançait, en privé : on est tous du même club sélect, pas vrai, ce club de gens influents qui inventent des ennemis au bon peuple et le fanatisent, pour qu’il accepte de se costumer en soldats, visages masqués s’il le faut, et courir aux méchants, pendant qu’on rigole, nous, à s’en mettre plein les poches ! Il avait étudié en Histoire, W., pas étonnant qu’il sache comment les choses fonctionnent, et qu’il connaisse la formule exacte pour dire l’exactitude des rapports de force et tranquilliser les gras durs quant à leur avenir. 

Ce vendredi midi 20 avril, à Montréal, M. Jean Charest s’est permis une blague innocente de trop ; il a craqué, et fait un magistral faux pas en direction de la vérité ; peut-être a-t-il voulu avouer quelque chose, comme un cagoulard qui en a trop sur la conscience ; bref, il a créé un de ces moments historiques inoubliables, trop précis, parfaitement attestés, filmés en HD. Le premier ministre était au Palais des Congrès, où il s’était d’abord caché, dans un salon réservé aux V.I.P. , pendant 30 minutes ; quand il s’est cru sûr de sa personne, il s’est cru sûr de son attribution, sûr de son rôle historique, sûr de la fonction sociale qui est la sienne: et devant un auditoire d’hommes et de femmes d’affaires hilares, heureux de se retrouver, tous ensemble, dans la perspective alléchante d’une manne de fric à dévorer après déjeuner, M. Charest a fait de l’esprit : Le plan Nord ? Les étudiants défoncent les portes pour en être ; eh bien, on va leur en trouver des jobs, dans le Grand Nord, le plus loin possible. L’exil, quoi. L’oubli, dans notre petite Sibérie locale. C’était une image, bien sûr, mais ce faisant, il a dit tout net ce qu’il pensait des objectifs de la contestation étudiante et surtout, de ses leaders : des vauriens, des gens à proscrire, de la chienlit mal fagotée. Gens d’affaires, ils veulent notre fric ! Ils ne l’auront pas ! Qu’ils paient leurs droits de scolarité sans réchigner, sinon c’est le Nord ! M. Charest a dit tout haut ce qu’il pensait du conflit social qui perdure, et qu’il ne veut régler que par l’abandon d’une des parties au champ d’honneur – matraquée, gazée, blessée, horrifiée, plus en rage que jamais. M. Charest a dit tout haut, aussi, et clairement, ce qu’il conçoit comme une bonne façon de gouverner. Dehors ! Disparaissez de ma vue ! Allez traîner vos savates ailleurs ! Ce que c’est drôle, quand même, quand c’est dit entre gens qui savent s'y prendre pour bien prospérer !

J’ai rarement eu aussi honte. Et moi, plutôt tranquille, et qui ne veux plus voter, vraiment pas, je suis plus en colère que jamais. Le premier ministre rigole, et la société civile abandonne les étudiants à leur sort. Personne n’écoute les propositions de solutions, et pourtant, il y en a : celle de M. Castonguay m’a toujours semblé, à court terme, la plus raisonnable, la plus respectueuse – un report, d’au moins un an, de toute augmentation des droits de scolarité, et l’enclenchement rapide d’un processus de négociation collective cherchant l’accord à long terme, qui ne ruine pas, injustement, la jeune génération. ( Remarquez, je l'ai déjà écrit ici, je suis, moi, favorable à la gratuité complète. )

J'ai rarement eu aussi honte... Mais ce qui me rend fier, par contre, c’est que M. Gabriel Nadeau-Dubois étudie en Histoire. Il a donc, très certainement, lui aussi, compris parfaitement le sens de cette journée, qui restera, à jamais, historique.

P.-S. Aux trois leaders étudiants, chapeau : vous êtes remarquables de talent, de ténacité, de courage. Vous êtes la preuve vivante, s’il en fallait une, que notre système d’éducation fonctionne assez bien, merci, et qu’il donne de bons résultats, parfois même épatants.