mercredi 22 octobre 2014

CAS D’EXCEPTION: À PROPOS DES ÉVÉNEMENTS D’OTTAWA


Photo Reuters



(Billet d’abord publié sur Facebook. Mais les événements d’Ottawa, en ce 22 octobre 2014, étant exceptionnellement graves, cela excuse, certainement, que je reproduise ici mon texte, sans autre prétention que de garder intactes sa tête et ses idées.)

… « J’ai une irrésistible envie d’écrire quelques mots pacifiant — hasard inconséquent un peu plate, quelques jours à peine après avoir fermé mon blogue Choses vues. Quelques mots pacifiant, et pacifiques. Allons-y, risquons-nous, sans haine, autant que possible, y compris dans les commentaires que je pourrais, peut-être, recevoir comme gratifications désagréables…

J’espère que les événements d’Ottawa (et de Saint-Jean-sur-Richelieu) ne dériveront pas d’abord en une agression réactionnelle contre la pensée, l’analyse, la réflexion, le savoir et le souvenir. Qu’on ne répondra pas au fanatisme par le dogmatisme, qui n’aurait ni de sens ni de raison, faute de quoi la recherche et l’éducation deviendraient radicalement inutiles, sinon dans des cercles intellectuels tragiquement fermés sur eux-mêmes.

J’espère aussi qu’ils ne seront pas prétexte à une agression contre les libertés les plus fondamentales, les plus essentielles, même s’il faut, par delà tout, assurer, bien sûr, la sécurité de tous, ici au Canada, mais aussi ailleurs, de par le vaste monde, complexe, trop souvent saigné à blanc par ceux qu’on a appelés, très justement, les «bourgeois conquérants», détail sanglant qu’on oublie trop souvent, sous le coup de l’émotion scandalisée, quand l’horreur frappe non pas au loin, mais juste à la porte d’à-côté…

J’espère encore que ces événements d’Ottawa n’éteindront pas, pendant un temps toujours trop long à espérer, l’avenir d’un monde qui doit absolument, s’il veut être en paix, être d’abord mieux compris, plus juste, plus équitable, plus respecté et plus libre. (En 2008, souvenons-nous, le candidat Obama se disait prêt à parler à tous les ennemis des États-Unis, et de l’Occident, pour chercher à comprendre et à désamorcer la haine… Où en sommes-nous, Monsieur le Président, du dialogue que vous aviez heureusement proposé ?)

Ces événements sont évidemment témoins de notre époque, et notre époque est le produit de l’Histoire, au moins de celle du dernier siècle, et des erreurs graves, par exemple, qui ont ponctué la Première Guerre mondiale au Moyen-Orient: je pense à la trahison des Anglais (et des Français) face au monde arabe de l’époque, — c’était en 1919, au moment et en suite du traité de Versailles — et au colonialisme qui s’est rapidement déployé dans un espace politique et culturel qui aurait dû être libre, constitué, et capable d’assumer son destin propre…

C’est en prof d’Histoire que j’écris ces quelques lignes, pas nécessairement en homme de la gauche québécoise. C’est pourquoi j’espère enfin qu’il y a encore place pour l’esprit des Lumières dans ce terrible XXIe siècle. Très franchement, je n’en doute pas: il y aura toujours à faire usage de responsabilité critique pour que survivent le bon sens et la lucidité, généralement (et heureusement) proches de l’incroyance, une fois passés le choc, la terreur, l’incompréhension de l’indicible et de la barbarie, et le deuil douloureux des nôtres… »

 

lundi 20 octobre 2014

VOILÀ DONC LA FIN DE CE BLOGUE !

Il y a près de deux mois que je n’ai plus rien écrit sur ce blogue. Il est temps que j’en tire l’inévitable conclusion: ce carnet virtuel prend fin avec ce dernier message.

Hors de question, cependant, que je le retire du réseau Internet. Il y a, de-ci de-là, des billets dont je suis content, auxquels je tiens, qui méritent de rester en ligne, même s’ils ne trouvent que peu de lecteurs, noyés que sont ces articles dans l’incroyable encombrement de textes numérisés en tous genres qui pullule (qui pollue ? qui tétanise ?) l’autoroute de l’information.

Depuis sa parution en juin 2011, Le nu masculin en peinture [http://chosesvues-rpl.blogspot.ca/2011/06/le-nu-masculin-en-peinture.html] est presque continuellement resté en première place des articles les plus consultés (et lus ?) du blogue. Affaire de sexe, bien sûr: même les corps d’hommes ont leurs inconditionnels, et on ne leur en fera pas de reproches… Mon intention n’était pourtant pas de stimuler l’instinct érotique du lecteur, bien au contraire ! Cependant, ce que j’ai écrit, avec passion, et qui a été, de beaucoup, le plus lu, a été ma Réponse aux cent intellectuels contre la Charte, publiée le 8 septembre 2013. [http://chosesvues-rpl.blogspot.ca/2013/09/et-pourtant-elle-tourne-une-reponse-aux_8.html] C’était un peu prétentieux de ma part, que de souhaiter répliquer à certains des auteurs du brûlot, prétendument antiraciste, qui avaient pour eux la notoriété (et souvent, la crédibilité) de leur nom et de leur profession… Et pourtant, ma réponse a été lue, par milliers, si je me fie aux statistiques de Google. J’avais tiré profit, il faut bien le dire, de la générosité (et du partage) de lecteurs abonnés à mon compte Facebook, où j’avais fait la «promotion» de ma réflexion laïque favorable à la Charte, parce qu’athée. La religion a gagné; elle est là pour rester, encore longtemps, au nom d’une tolérance anti-scientifique, où une bonne partie de la gauche s’est (à mon humble avis) discréditée. C’est certes là une des raisons pour lesquelles je mets fin à ce blogue. Je ne me reconnais plus dans ce monde qui confond chouannerie religieuse et révolution. Ce n’est pas mon truc. J’écrirai ailleurs, autre chose, qui me ressemblera davantage.

Dernière remarque, finale: je voulais, quand j’ai lancé ce blogue, en janvier 2011, n’écrire que de courts billets, sur des choses vues, ou lues, très immédiatement, presque journellement. J’ai raté là mon objectif. Je croyais par ailleurs que Choses vues constituerait un titre original ! J’aurais dû vérifier avant que de lancer le blogue. Depuis Victor Hugo, des Choses vues, il y en a des tas, sur Internet en trop grand nombre. Je me suis là tiré dans le pied ! Quoi qu’il en soit, ça restera quand même presque quatre années de Choses vues, avec plus de 130,000 visites virtuelles à ce jour: c’est déjà pas si mal, pour l’obscur inconnu que je suis.




dimanche 31 août 2014

APOLOGIE DE L’IGNORANCE






Source: http://www.en-quete.net/index.php?no=6&page=5




« — Ce qui me passionne dans l’art brut, attaqua-t-il comme si une interview commençait, c’est la liberté. La pureté. Tu sais comment Dubuffet le définissait ?
Narcisse fit poliment « non » de la tête.
L’autre poursuivit sur un ton moqueur :
— « Nous entendons par là des ouvrages artistiques exécutés par des personnes indemnes de toute culture artistique. De l’art où se manifeste la seule fonction de l’invention, et non celles, constantes dans l’art culturel, du caméléon et du singe. » Pas mal, non ?
Il cracha une grosse bouffée [de fumée] et devint soudain sérieux.
— Le seul poison, fit-il à voix basse, c’est la culture. Elle étouffe l’originalité, l’individualité, la créativité. (Il brandit son cigare.) Elle impose son putain de message politique ! »


- Jean-Christophe Grangé, Le passager

Cet extrait d’un roman de Grangé me rappelle un article, écrit pour L’Ordre (éphémère et brillant journal des années 1930, publié par Olivar Asselin), où Claude-Henri Grignon défendait l’idée qu’une «littérature nationale canadienne-française», réelle, substantielle, originale, ne pourrait naître que de la plume d’un ignorant — entendons, d’un auteur qui ne plagierait pas les écrivains français, qui ne les aurait pas même lus.

Réjean Ducharme ? Michel Tremblay ? Des archétypes de fantastiques — et nécessaires — «ignorants» risquant la littérature québécoise, alimentant l’effervescence créative des années de la Révolution tranquille ?

Auparavant, Claude-Henri Grignon s’était, dit-on, censuré, dans l’écriture d’Un homme et son péché. Quant au journal L’Ordre, il avait été condamné, en chaire, par le cardinal Villeneuve lui-même, primat de l’Église canadienne, et Asselin avait dû fermer boutique, non sans un petit sarcasme assassin contre «l’infâme»…

Le «soi» est brut, dans tous les cas de personne, seul lieu de rébellion véritable. Sinon, il n’est que de la copie, rampante, aliénée. C’est là une théorie dense, certes discutable, mais surtout libre. À lire Ducharme, Tremblay, et bien d’autres, on en sort facilement convaincu. Il y a un risque, toujours, à ce que la culture, (l'érudition, la civilisation), soit comme la religion, qu’elle enferme le créateur dans un dogme et qu’elle (le) tue.




mardi 3 juin 2014

MERCI À VOUS






Fabuleux cadeau de la vie: un collègue de travail m’exprime sa gratitude, dans le cadre de la campagne Merci à vous, lancée récemment par la CSN. Je vois ça, lis ça, m’étrangle (presque) sous l’émotion ! Et j’entends Édith Piaf qui chante: Non, rien de rien, non, je ne regrette rien… (si ce n’est de ne pas en avoir fait davantage encore, quand il le fallait). Merci, mille fois, François ! Il y a de ces prix qui valent bien toutes les médailles du monde.

Formidable idée, que celle de lancer un vaste mouvement de reconnaissance, adressée à celles et ceux qui, travailleurs de la fonction publique, rendent tous les jours les services indispensables à la population, souvent avec passion, et toujours dans l’ombre. C’est une initiative exceptionnelle, qui renverse ce qu’il y a d’odieux dans la prétendue sociale démocratie, où ce sont invariablement les petits pouvoirs, «patrons», «cadres» et autres personnes en quête d’autorité contraignante (et «neutre», comme de juste !) qui s’autocongratulent, se récompensent, se promettent de lucratives carrières, sans jamais mettre les pieds (par exemple) dans une classe, ou dans un bloc opératoire.

Je rêve du jour où le modèle de démocratie directe, mise de l’avant par l’ASSÉ, remplacera cette incroyable absence de gouvernement démocratique qui caractérise l’administration de nos services publics.

Nous n’en sommes pas encore là, tant s’en faut !

Les négociations des conventions collectives sont indispensables, bien sûr, incontournable (et très, très difficile) marche avant vers la démocratie sociale. Mais ce sont d’habituelles équipes spécialisées qui font l’essentiel du travail, sans compter que, depuis 1983 (l’année des fameux décrets du gouvernement Lévesque), les négos s’achèvent la plupart du temps par quelque loi spéciale — et une intoxication médiatique dirigée contre les employés de l’État.

Mais on peut donner du pouvoir à celles et ceux qui fournissent les services publics: commencer par leur dire merci, directement, parfois en les identifiant, les reconnaître pour ce qu’ils font, pour l’indispensabilité de ce qu’ils accomplissent, jour après jour, c’est déjà leur donner un certain pouvoir sur le travail même qu’ils effectuent. La valeur reconnue par les pairs, le mérite avéré par celles et ceux qui bénéficient de la fonction publique, seront toujours immensément plus gratifiants qu’une montre ou un chandelier offerts à petit budget, à chaque vingt ans de carrière !

Dire merci, c’est exercer un fantastique contre-pouvoir. 


Merci, François. Cette photo, ton sourire, ton message, c’est trop exceptionnel pour que je laisse passer ce moment de bonheur, sans souligner, publiquement, la chance que j’ai qu’un collègue, et pas n’importe quel, ait pensé à moi.





dimanche 1 juin 2014

POUR EN FINIR AVEC EDDY BELLEGUEULE





Je viens tout juste de lire, en quelques heures, le petit livre d’Édouard Louis, En finir avec Eddy Bellegueule (Seuil, 2014).

Je suis bouleversé, comme après toute lecture importante, encore qu’important à ce point soit un fait littéraire plutôt rare. Ce roman autobiographique me rappelait Les mots pour le dire, de Marie Cardinal — en apparence deux romans très différents, et pourtant parlant tous deux de violence, de celle faite aux jeunes filles qui deviennent des femmes, de celle faite aux jeunes garçons qui deviennent des hommes, et pas nécessairement de ces «durs» qui plaisaient tant, naguère, à l’image virile qu’idéalisait le réalisme socialiste. Fallait voir ce qu’il en coûtait, d’êtres humains broyés pour l’exemple. Édouard Louis, tout comme Marie Cardinal, règle son compte avec la tyrannie de l’image, et bien sûr (et surtout), avec la violence sexuelle.

J’ai fouillé, et lu, aussi, ce soir, le texte de plusieurs interviews qu’a données Édouard Louis, pour expliquer son livre. Il ne m’a pas toujours convaincu, sauf si la poésie de l’écriture est, de quelque manière qui m’échappe un peu, une forme d’amour et d’indulgence. Je n’en suis pas certain. La révolution ne pardonne que rarement.

Je ne sais trop si le hasard fera qu’Édouard Louis lira ce très court article de blogue. Si jamais il me lisait, je voudrais tant et tant lui dire que je le crois, que je l’aime, et que je n’ai que rarement autant admiré, avec autant d’affection et de solidarité, j'insiste, de solidarité, l’auteur remarquable qu’il est, du récit stupéfiant qu’il a écrit.

Il y a de ces courages qui ne mentent jamais.







vendredi 30 mai 2014

LA RELIGION EST LÀ POUR RESTER


... Mahou-Lissa, double entité masculine et féminine, est le dieu créateur, le dieu des dieux ...
Source: http://amikpon.net/togou19.htm





Tout récemment, je mangeais avec une copine qui a milité pour le Parti québécois, dès que Mme Pauline Marois en est devenue cheffe. Elle n’avait jusqu’alors jamais été membre de quelque parti politique que ce soit. Elle s’est ralliée au Parti québécois par conviction indépendantiste et surtout, je crois, par engagement féministe.

Elle m’a raconté qu’elle a lu, lors d’une réunion d’un exécutif régional du PQ où elle militait, la conclusion d’un de mes textes de blogue, favorable à cette Charte de la laïcité, que le gouvernement de Mme Marois proposait à législation à l’automne 2013. C’était un texte passionné, où j’expliquais que mon appui à la Charte procédait de mon athéisme, aussi de mon agnosticisme (un peu freudien) qui exclut de fait toute compromission de l’État, de ses lois et de ses services, avec une supposée morale divine et ses commandements, comme fatalement supérieure à quelque norme humaniste que ce soit, peu importe la religion monothéiste qui les dicte.

Ma copine m’a dit: «J’ai lu ton texte. Il y a eu un lourd, long silence. Et j’ai compris qu’on n’en était pas encore rendu là: la neutralité religieuse de l’État, peut-être, mais l’irréligion, radicale ? Certainement pas reçue par l’ensemble de nos compatriotes citoyens, et pas même chez les militants les plus actifs du Parti québécois.»

J’étais sidéré d’entendre l’anecdote, éclairé aussi. Nous n’en étions pas encore là, à rompre avec Dieu. Ce n’était pas ce que, comme peuple, pris dans sa majorité tout au moins, nous comprenions de la Charte. C’est vrai qu’il s’en trouvait, beaucoup, pour considérer certains signes religieux ostentatoires comme moins tolérables que d’autres. Et il s’en trouvait, plus encore, pour refuser quelque religion que ce soit, qui puisse remettre en cause, et menacer, l’égalité juridique durement acquise entre les hommes et les femmes. Mais comprendre la Charte de la laïcité comme un pas irréversible vers la mort de Dieu, évidente créature historique, et comme un renforcement singulier de l’humanisme, exigeant de nous tous plus de justice intentionnelle que jamais, il y avait à douter que nous en soyons réellement rendus là. «Il y a eu un lourd, long silence.»

Ce n'était pas tant le modèle pluraliste, canadien ou québécois qui résistait, que cette révolution fondamentale d'admettre, une fois, enfin, que les religions sont toutes des produits de l’histoire; d’admettre qu'il n'y a pas de Dieu, pas même nommé Chose, tel que l'Homme l'a projeté et auquel il obéit. Et qu’on a dû constater qu’une partie importante de nos compatriotes considérait comme inimaginable de considérer que les droits à l'égalité des sexes et à l’égalité des religions, y compris dans leurs exigences, puissent être enfreints, pour en soumettre, par exemple, l’un, immatériel, à l’autre, de principe humaniste. C'était déjà le but des accommodements raisonnables, destinés à assurer l'égalité entre le droit aux convictions et pratiques religieuses, avec tous les autres droits fondamentaux. Ce que proposait le gouvernement de Mme Marois était une rupture fondamentale, d’essence républicaine, une et indivisible, de langue et de valeurs communes; un contrat social plutôt que moral, consensus athée, sans symboles ostentatoires du tout. 

Or la monarchie avait déjà fixé ses règles: sur la prière avant la tenue de conseils municipaux, sur le port du kirpan à l’école, du niqab devant les tribunaux… La Commission Bouchard-Taylor prétendait même ne maquiller que la monarchie (l‘Autorité contraignante), et qu’elle seule, d’athéisme, et par conséquent d’absences de symboles religieux: au peuple, et au peuple seul, désormais, l’existence «par la grâce de Dieu», et le droit de croire à n’importe quoi.

Le Parti québécois était-il conscient de l’ampleur de la «révolution» qu’il proposait ? Je ne sais pas. N’empêche. Nous avons choisi, à droite comme à gauche, le pari de Dieu et de ses contraintes: et cette terrible défaite de la Charte, et celle du gouvernement de Mme Marois, le 7 avril dernier, repoussent à un très lointain avenir tout essai d’organiser une société sagement humaniste, plus juste et socialement meilleure. La religion est là pour rester.

Nous en serons donc, encore, et pour longtemps, à la religion qui incarne et soutient l’ordre social, et l’inégalité fondamentale qui le caractérise. Nous en serons encore à considérer les êtres d’exception comme des personnes à morale essentiellement spirituelle, des sortes d’élus de Dieu, peu importe la religion du Dieu qui les présente comme «saints». Nous en serons encore à considérer le travailleur athée, luttant pour la justice au nom de sa seule et unique vie, trop courte, et terminale, comme un être isolé, socialement dangereux, un peu cinglé. Nous serons toujours largement instruits, comme les illettrés du Moyen Âge, par les monuments religieux et patrimoniaux qui donnent formes, convictions et civilisation aux territoires où ces monuments sont édifiés, et où ils se répartissent, d’autant plus solides qu’ils sont souvent couverts de pierres de taille gravées de «messages». Nous n’avancerons vers l’athéisme qu’à petits pas, et que pour les Autorités contraignantes, qui savent bien, elles, de quoi il en retourne, de Dieu, et qui n’en ont guère besoin pour disposer à leur guise de leur puissance de contrainte. Il y a quelque chose d’incroyablement déroutant à ce que la violence des notables, des exploiteurs, des contrôlants, prétende se draper, elle et elle seule, dans un athéisme qui refoule le bon peuple vers la crédulité, plus aliénante que jamais, plus néolibérale que jamais.

Mais c’est comme ça; et c’est comme ça pour durer encore longtemps.


P.-S.

Ce texte est d’abord, pour l’essentiel, paru sur Facebook, en cercle fermé. Il était hors de question que je le publie, sur ce blogue, sans l’accord de l’amie qui m’avait raconté l’anecdote centrale de ce texte. Je publie ici, avec son accord, non seulement l’article, revu, paru sur Facebook, mais la superbe réponse qu’elle m’a faite.


Apostille de la copine

Mon ami Richard me fait l’honneur de citer un brin de notre conversation dans ce texte … permettez que je mette mon grain de sel.

Le texte dont j’ai lu quelques passages à mon exécutif régional du PQ est celui que Richard a publié le 8 septembre 2013 sous le titre ET POURTANT ELLE TOURNE … Il y prenait effectivement position en faveur de la Charte en invoquant son athéisme, mais aussi en situant l’enjeu dans un contexte républicain. Il écrivait :

À les lire attentivement, et à les en croire, les Cent se seraient opposés, autrefois, aux principes mêmes de la Révolution française, parce qu’ils […] auraient regardé la déchristianisation comme une menace aux droits universels de l’homme quant à l'exercice des religions. En fait, tout leur raisonnement part de cette apriorité, s’appuie sur cette conviction de base, qu’il y a la possibilité de Dieu. Or s’il y a Dieu, il y a une vérité révélée, et fatalement, une Loi au-dessus de toutes les lois humaines. Ça ne peut pas être autrement. Accepter Dieu, c’est reconnaître sa « suprématie », comme le dit expressément la Constitution canadienne, en parfaite logique, d’ailleurs. 
  
C’est ça d’abord qui m’avait frappée. Car à mon avis, c’était ça, l’enjeu véritable … et Richard était le seul … LE SEUL … à en traiter.

J’avais dit aux gens de mon exécutif : Je vous propose le texte d’un blogueur qui situe très bien l’enjeu qui nous occupe en rappelant que la laïcité est la caractéristique d’un État républicain. Le Québec aspire à être une république. C’est ce qui nous distingue du Canada anglais, surtout dans sa mouture actuelle,  qui cherche à préserver une structure coloniale, de type monarchiste, qui pose Dieu au point d’origine de sa hiérarchie …

J’avais développé un peu, lu quelques passages du texte de Richard et puis, arrivée à la fin, j’avais lu haut et fort la déclaration percutante par laquelle il concluait : 

Ça n’existe pas, dieu, ça n’existe pas les commandements de dieu, ça n’existe pas les interdits de dieu, ça n’existe pas les froncements de regard de dieu, ça n’existe pas les exigences de dieu, ça n’existe pas les punitions de dieu, ça n’existe pas les prescriptions de dieu, ça n’existe pas, rien de ça, pour une raison bien simple, ça n’existe pas, dieu

Arrêtons-nous un moment ici pour admirer cette phrase! C’est écrit comme une réplique de théâtre. Il y a une progression, une montée d’intensité, une scansion, un rythme … et puis à la fin, vlan! ça tape dans le mille!

Je l’ai dit comme on dit une réplique de théâtre et je peux en attester : c’est un texte fort, jouissif, cathartique. Et qui a eu de l’effet. Quand je me suis tue, il y a eu pendant quelques instants, un silence de mort et – je vous jure – le pivot du monde a tremblé!

Parce que dire, comme ça, que dieu n’existe pas, c'est beaucoup plus que d’affirmer son athéisme … c’est tenir un propos absolument révolutionnaire. Dieu, c’est la figure du père par excellence. C’est l’ancrage, la clé de voûte du patriarcat, cette construction de l’esprit qui a cours depuis quelques millénaires et en fonction de laquelle  on interprète la réalité qui nous entoure. Dire que dieu n’existe pas, c’est enlever la clé de voûte et prendre le risque que tout s’écroule comme un château de cartes. Il faut être très, très fort pour s’approcher du gouffre à ce point-là sans trembler.  C'est à cette révolution-là que nous ne sommes pas prêts : ni le PQ, ni les Québécois ni le reste du monde d’ailleurs, d’où les mouvements régressifs auxquels nous assistons actuellement. Pour qu’elle ait lieu, cette révolution, il va d’abord falloir qu’on se mette à la tâche de repenser le monde, de proposer une autre construction de l’esprit, une autre interprétation de la réalité qui nous entoure. C’est une tâche colossale, mais passionnante et qui vaut bien la peine qu’on s’y consacre.

Un dernier mot … Je pense que mon ami Richard n’est pas conscient de sa force. C’est un homme qui s’est fait lui-même, hors des prescriptions du patriarcat … sa force n’est pas machiste, mais elle est bien réelle. Il se tient au bord du gouffre, sans trembler … c’est beau à voir et c'est inspirant.






jeudi 24 avril 2014

L'INDÉPENDANCE DU QUÉBEC EST UNE RÉVOLUTION




Décembre 1961, il y a (presque) 53 ans. Pierre Bourgault s’adresse aux tout premiers indépendantistes, réunis à la salle de la Fraternité des policiers de Montréal. Le Québec est alors plongé dans la Révolution tranquille, que Bourgault ne renie pas, loin de là. Mais c’est à une tout autre révolution, essentielle, fondamentale, faisant (douce) violence à l’aliénation collective canadienne-française, qu’il fait appel, et à laquelle il rattache le mouvement indépendantiste québécois naissant. Peut-être est-ce mon âge qui fait ma conviction; peut-être aussi ma formation et ma sensibilité d’historien, et peut-être est-ce encore l’origine sociale modeste qui est la mienne: reste que je crois toujours vrai le contenu de ce discours, toujours exacte l’analyse qu’il propose, toujours nécessaire en lui-même le projet que Bourgault soumet au peuple du Québec pour sa libération.

… « Mais malgré tout, et que cela plaise ou non, nous sommes la Révolution. Expliquons-nous bien vite avant que quelques-uns se mettent à crier qu’on veut les assassiner. (…) ll est indéniable que l’indépendance apportera un changement assez brusque dans la politique et le gouvernement du Canada, comme dans ceux du Québec. (…) Mais il y a le petit mot « violent ». 

La plupart d’entre nous, et c’est normal, réagira devant ce mot en jetant les hauts cris, en jurant qu’il y a assez de guerres dans le monde sans en faire une ici, en s’imaginant des tableaux pleins d’horreurs et de détresse, en exhortant les séparatistes à rester calmes, et en voyant déjà les armées s’affronter. Beaucoup d’entre vous savez comme moi qu’il n’est d’ailleurs pas nécessaire de prononcer ces mots pour que tout de suite on imagine le pire. Aux yeux de certains, nous sommes méchants, sanguinaires et barbares, et c’est l’arme au poing que nous voulons atteindre notre but. 

Rassurez-vous, nous n’avons pas de ces intentions. Notre action n’en est pas moins violente et le deviendra sans doute encore plus. Il existe à côté de la violence purement physique que nous réprouvons fortement, une violence faite à l’esprit, à l’intelligence des hommes. C’est cette violence que nous pratiquons pour arriver à changer la politique et le gouvernement de notre pays. C’est l’esprit que nous attaquons, et c’est avec les mots et la raison que nous nous battons. Et notre raisonnement est violent parce qu’il s’attaque à détruire des préjugés, des complexes de l’intelligence qui, trop souvent, chez beaucoup de personnes, leur cachent la réalité des circonstances et du contexte dans lesquels elles vivent. (…)

C’est dans ce sens que nous pouvons dire que nous sommes la Révolution.

Révolution pacifique, mais Révolution quand même. Révolution dans la raison et les sentiments, Révolution dans les habitudes, dans les structures, dans les cadres. Passage brusque et violent de la honte à la dignité. Passage brusque et violent de la médiocrité à la fierté. Passage brusque et violent de la servitude à la liberté. C’est ça la Révolution. »


Source: Paul Terrien, Les grands discours de l’histoire du Québec, pp. 310-312







dimanche 20 avril 2014

PIERRE LAPORTE: ENTRE LA FADEUR ET LE DRAME




Du livre que mon ami et collègue Jean-Charles Panneton a publié en 2012,  biographie politique de l’ancien ministre libéral Pierre Laporte, la première chose qui étonne, chez cet historien encore jeune, c’est pourquoi, mais pourquoi donc avoir choisi comme objet d’études Pierre Laporte ? Qui s’en rapporte encore maintenant à une quelconque doctrine de Pierre Laporte, à une vision qu’il aurait eue du Québec contemporain, et de son avenir ? À tout prendre, n’eût été sa mort tragique, Laporte ne serait vraisemblablement reconnu que pour sa carrière de journaliste de combat, et son opposition systématique au premier ministre Duplessis, au Duplessis catholique d’imitation, au Duplessis socialement rétrograde des années 1950.

Mais hélas pour Pierre Laporte, politicien de carrière et de talent, remarquable parlementaire, et qui adorait ce métier, c’est la Crise d’octobre 1970, et c’est son assassinat par le Front de libération du Québec qui l’auront rendu célèbre à jamais.

Et ce sont effectivement les pages du dernier chapitre du bouquin, très fouillé, de Panneton, portant sur la mort tragique de Laporte, qui sont les plus émouvantes. Le style de Panneton devient sobre, les phrases courtes, masquant à peine l’émotion de l’auteur. Le drame du meurtre politique,  presque sacrificiel, est avivé par quelques documents restés célèbres, les lettres du ministre envoyées à Robert Bourassa, qui aurait pu le sauver, et à sa femme, isolée dans un hôtel chic de Montréal, les témoignages post-mortem des proches de Laporte, qui n’ont peut-être jamais pardonné l’abandon auquel a été contraint leur père au nom de la raison d’État... Ce dernier chapitre de Jean-Charles Panneton règle leur compte, une fois pour toutes, on l’espère, aux théories conspirationnistes qui survivent encore et encore, au grand découragement d’anciens felquistes eux-mêmes, «qui étaient là», protestent-ils, et qui désespèrent qu’on invente n’importe quoi à leur propos, à leur exacte participation aux faits, à leur responsabilité première dans ces événements terribles. Panneton fait la part belle aux enquêtes publiques qui ont aussi vidé de tout contenu un tant soit peu crédible les théories présumant d’un complot d’État dans l’affaire d’Octobre 1970.

Quant au corps du livre, à la biographie de Pierre Laporte, que je connaissais peu, j’ai adoré le lire. Le problème n’est ni dans la documentation, abondante, rigoureusement traitée, ni dans la reconstitution d’une vie que Panneton a effectuée avec talent. Il est dans la médiocrité intellectuelle d’un personnage qui a grondé, tonné, s'est souvent passionné, puis qui s’est rangé, s’est contredit, et qui n’a eu de fait ni système ni conviction stable; c'était ou bien Laporte le «nationaliste», voire même le «néonationaliste», dit Panneton, qui a flirté avec le projet constitutionnel d’un statut d’État particulier pour le Québec, ou bien le Laporte qui a pourfendu les choix politiques souverainistes de son «ami» René Lévesque.

Passé en politique active, Laporte est devenu un partisan, souvent au gré du vent et des humeurs des électeurs, en tant que tel un homme rusé, et rien de bien plus que ça. Sans sa mort tragique, que Panneton raconte clairement, brièvement, sans voyeurisme ni sans fausse pudeur, Pierre Laporte serait oublié aujourd’hui, sauf de quelques spécialistes, comme sont oubliés Bona Arsenault ou Claude Wagner, vedettes politiques de l’époque, aux côtés de Pierre Laporte.

Jean-Charles Panneton a fait du beau et du bon travail, qui m’épate. Son livre devient un indispensable pour qui veut mieux connaître la grande noirceur duplessiste, et la Révolution tranquille qui a suivi. C’est Laporte lui-même, l’homme politique, qui est, à mon humble avis, pâle et décevant.





lundi 14 avril 2014

LARMES DE CROCODILE




Je ne sais trop si Miss Jillian fait de l’humour noir, et donne dans le sarcasme insolant, en écrivant ce court texte de blogue dans la Montreal Gazette.


Mais ce que je sais, c’est que, quoi qu’il en soit de sa sincérité, elle n’apprécierait sûrement pas la réponse que je lui ferais, s’agissant de sa tristesse et du sentiment romantique de culpabilité qu’elle dit ressentir, à la suite des élections générales du 7 avril dernier, qui ont vu la dévastation du Parti québécois et du gouvernement de Mme Marois.

- Why couldn’t we understand...

- Why did we have to impose...


Traduction libre: «Pourquoi, nous Anglos, ne comprenons-nous rien à rien; pourquoi voulons-nous imposer, nous, notre pays et nos valeurs», depuis 40 ans, à ces Québécois dont le séparatisme n’est peut-être ni fou ni déraisonnable... : au fond, je crois que Miss Jillian connait déjà ce qu’il en serait de ma réponse. Mieux, encore, je crois qu’elle connait parfaitement bien cette réponse.





mardi 8 avril 2014

RECUL






Les puissances d’argent du statu quo — le fric, les cabinets d’avocats et les cabinets comptables, les CA des banques et des grandes entreprises, qui se scandaliseraient si peu d’un petit compte bancaire à la dérobée, pour le nouveau premier ministre, quel qu’il soit, pourvu qu’il ne soit pas péquiste, ont eu ce soir le résultat qu’ils espéraient.


Et la plupart des tuteurs traditionnels de notre peuple — les entreprises de presse, et plus encore, ces nouveaux prêtres que sont les journalistes, qui discourent et moralisent, qui veillent à la rectitude de l’État, à la platitude de ses politiques, à la honte du soi collectif si savamment entretenue par une certaine gauche qui dicte la pensée convenable, tout en se drapant d’un supposé dieu de la révolution, soutenu avec les arguments mêmes du néolibéralisme, — ces curateurs de notre peuple ont eu ce soir le résultat qu’ils espéraient.


Bien sûr, les médiocres, à la pensée courte, qui se vautrent depuis toujours dans la vulgarité, l’insulte et le mépris, ceux-là réclameront la victoire libérale et la belle performance de la CAQ comme étant les leurs: ce sont eux, les premiers, qui ont hurlé de rire et de condescendance parce que la première ministre Marois, — Pauline, Popo, la reine Marois, — parlait mal l’anglais, alors que pour cette fange, la valeur première, bien sûr, est de parler la langue du dominant sans accent.

Tous ces notables de droite et de gauche, populistes, installés, dédaigneux de ce petit peuple facilement raciste si on le laisse s’égarer, tous ces gens qui «savent», ont obtenu la réaction qu’ils espéraient, le recul vers le PLQ, plutôt qu’un changement vers la modernité et vers l’audace, pour lequel Mme Marois et son équipe ont travaillé comme jamais, pour ce progressisme réaliste, et surtout, pour cette Charte de la laïcité, qui allait ouvrir un espace de liberté et d’égalité totalement inédit dans notre société.

Cette défaite n’a aucunement l’air d’une victoire, pas même morale; c’est une invitation à rester chez soi; c’est avoir peur des meilleurs d’entre nous, peur sciemment entretenue, qui a profondément colonisé notre culture collective depuis très, très longtemps; mais c’est aussi une incitation à jouir de la vie, à n’espérer la richesse que pour soi. Ce qui a gagné ce soir, c’est le Canada, et c’est la «suprématie de Dieu». Ce ne sont ni mon pays ni mes convictions. C’est l’impuissance, et c’est le ridicule qui humilie et qui tue. 




P.-S. (1) Je me suis inspiré, pour la colère et pour le rythme, des tout premiers mots de la déclaration de René Lévesque, en avril 1970, après la lourde défaite électorale de son parti. Ces mots avaient été repris dans le manifeste du Front de libération du Québec, en octobre 1970.

P.-S. (2) Pour mes lecteurs français, il faut savoir qu’aux élections générales du 7 avril 2014, le gouvernement souverainiste du Parti québécois, de centre-gauche, a subi une lourde défaite, y compris pour la première ministre elle-même, battue dans sa propre circonscription électorale. Cette défaite était prévisible, non pas tant de par les erreurs du gouvernement, que par la volonté délibérée (voulue, souhaitée, et qui sera célébrée) de défaire ce gouvernement aux urnes, et de se débarrasser des éléments de modernité et de solidarité de son programme. Autrement dit, le Québec vient d’être traversé par une vague de droite que la France, je crois, connait bien.


N.B:
Ce texte, vibrant, bouleversant, vaut la lecture:
http://exilinterieur.blogspot.ca/2014/04/merci-madame-marois.html 





dimanche 6 avril 2014

LA BELLE MARCHE PRINTANIÈRE DU CRIPHASE



À Montréal, le dimanche 6 avril 2014



Je me suis secoué un peu, ce midi, pour aller à une manifestation, celle organisée par le CRIPHASE (le Centre de ressources et d’intervention pour hommes abusés sexuellement dans leur enfance), qui se tenait pour l’essentiel dans les rues du Vieux-Montréal, du Palais de justice au Cégep du «Vieux». C’était, à ce que je sache, la troisième manifestation du genre, après celles de 2010 et 2011. J’avais participé aux précédentes: il était hors de question que je rate celle de cette année, même si le hasard l’a placée à la veille des élections générales, au Québec, et qu’il y aurait eu d’autres promenades possibles — plus partisanes.

Les hommes qui se rendent à la démonstration publique du CRIPHASE, qui portent des pancartes, des banderoles, et qui font publiquement la marche, telle qu’elle est prévue, font aussi la marche de l’Histoire, de ça j’en suis profondément convaincu. Ils vont à visage découvert, dignement, courageusement, souvent accompagnés de leurs épouses, parfois de leurs enfants, et bien sûr, de femmes solidaires, elles-mêmes victimes, dans la majorité des cas, de violences sexuelles. Il y avait, cette année, deux femmes autochtones. Je les voyais là pour la première fois.

Nous étions peu nombreux, comme d’habitude, à peine plus d’une centaine: les hommes qui parlent et qui révèlent ce qui leur est advenu, c’est encore l’exception. Mais la révolution de la parole spécifiquement masculine viendra; elle sera; et ça fera partie d’une lente, mais irréversible redéfinition des genres, des couples, des identités sexuelles, des «maladies» mentales et des actes criminels, quand cette problématique des abus sexuels au masculin, sans présumer du sexe du prédateur, sera prise plus au sérieux, autrement que dans le seul rapport de domination vraiment respecté, celui qu'on dit «phallocrate». Nous étions peu nombreux, mais des hommes et des femmes de tous âges, de bonne humeur, heureux d’avoir survécu, heureux du printemps.

J’ai rencontré là — détail extraordinaire, quand même ! — un ancien étudiant, très impliqué dans ce mouvement d’aide aux hommes en détresse: belle conversation, généreuse et soutenue.  Et j’ai jasé un petit moment avec Sébastien Richard, cet homme qui a mené, presque seul, m’a-t-il semblé, le combat contre l’Église catholique et la Congrégation des Pères et Frères de Ste-Croix. Je lui ai dit: « Certains se butent sur le déni familial, ou l’indifférence incompétente et un peu cruelle du milieu de travail; mais vous, en plus de tout ça, vous avez affronté les caméras, une puissante congrégation, et l’opinion publique. À mes yeux, vous avez fait montre d’un courage inimaginable, et parfaitement exemplaire. » Je crois que c’est son épouse qui se tenait à ses côtés: en tout cas cette femme me regardait-elle avec un sourire radieux, évidemment complice. Un beau moment.


P.-S. Merci, André, meilleur ami, de toujours m’accompagner dans ces trucs un peu difficiles, toujours fortement émotifs. 







mercredi 2 avril 2014

L'INTOUCHABLE VERTU DE LA PRESSE



Source: http://fansdedisney.centerblog.net/rub-Pinocchio.html?ii=1

J’ai encore une fois eu honte, mais, vraiment, honte, de la manière dont la télévision de Radio-Canada traite de ce qu’elle met en ondes durant cette campagne électorale québécoise de 2014. C’était il y a peu, ce soir, au Téléjournal de Mme Céline Galipeau, celui de 22 heures.

À quelques jours du scrutin, l’entrevue avec la première ministre Marois était corsée, mais c’est de bonne guerre, si Mme Galipeau, la journaliste, a recours à la même agressivité avec les autres chefs de parti. Et de toute façon, Mme Marois est une admirable battante, qui répond avec aplomb.

Non, c’est le traitement de la toute première nouvelle qui m’a scandalisé. Mme Galipeau a commencé par qualifier de «révélations», ré-vé-la-tions, ce que contenait cette lettre anonyme assermentée dont la Société Radio-Canada avait fait grand bruit la veille. (Demandez à un croyant le sens précis du mot «révélation»: pas de doute, c’est ce que «vérité révélée» par Radio-Canada veut dire.)

Dès que la nouvelle de ce soir s’est un peu étoffée, voilà que Mme Galipeau a opéré un retrait stratégique (il y a des poursuites possibles, voyez-vous, à l’encontre de la révélation sensationnelle de la veille), et qu’elle est passée au conditionnel: «aurait», a-t-elle prononcé, les lèvres pincées, deux fois plutôt qu’une, «au-rait». Comme dans: le financement du Parti québécois aurait, peut-être, pu être ce que nous en avons dit, mais bon, c’est conditionnel à ce que soit vrai ce que nous avons dit...

Par la suite, on entend Mme Marois, en conférence de presse, poser des fameuses de bonnes questions: n’y aurait-il pas vengeance contre elle et son parti, pour avoir réclamé cette commission d’enquête sur le crime dans l’industrie de la construction, qui secoue tant et tant le petit monde interlope des complets vestons, y compris dans les cabinets de génie-conseil ? C’est une question pertinente, d’autant plus que Mme Marois dit ignorer complètement qui est derrière l’accusation qui l’atteint, elle, par le biais de son époux. Mais ça n’intéresse pas du tout Mme Galipeau. Détail secondaire. Billevesées insignifiantes. La SRC n’aurait quand même pas pu être manipulée par des vengeurs masqués, non ?  Alain Gravel, manœuvré par un anonyme, lui si bouffi de sa propre suffisance ? Allons donc, c’est d’un ridicule. Embarrassant. 

Révélation, au conditionnel, devient donc «information», et encore, nouveau glissement: M. Sébastien Bovet, autre journaliste chevronné qui se joint à Mme Galipeau pour parler de ces choses de la vie, spécifie que si tous les partis dénoncent le «crime» du PQ (et même Mme Françoise David, qui a la vertu de Robespierre, et qui fait de grands signes que, oui, elle dénonce), il n’en reste pas moins qu’ils restent prudents sur ces «allégations». A-l-l-é-g-a-t-i-o-n-s, prononce Bovet, prudemment, sciemment. Enfin.

Mme Galipeau s’accroche, c’est le moment, un regard attristé au visage: n’est-ce pas une campagne exceptionnellement sale, demande-t-elle ? Oui, répond Bovet, mais glisse-t-il, comme si un bout de vérité avait enfin le droit d’exister, «la télévision, avec ses clips de 15 secondes, adore ces attaques» vicieuses, et en remet. Nous voilà finalement au fait. La récupération a été magistrale - ou presque. Radio-Canada a dit, et s’est dédite. L’important, c’est que le message reste. Un juge, lui, saura bien comprendre les vraies affaires.

N’empêche, honte à Mme Céline Galipeau. Honte à l’équipe du TJ de Radio-Canada. 


(Et c’est vraiment la dernière fois que j’écris quelque chose sur toutes ces saloperies journalistiques, d’ici les élections. On en a marre d’être odieusement manipulés par des gens qui savent parce qu’ils lisent n'importe quoi, et parce qu’ils appartiennent au monde des importants, ceux qui se donnent des missions.)





lundi 31 mars 2014

LE CODE NAPOLEON ET LA NEUTRALITÉ RELIGIEUSE DE L'ETAT









Je lisais la nuit dernière un bouquin d’un historien majeur (Thierry Lentz), qui faisait remarquer qu’un des aspects très modernes, pour l’époque -1804 - de ce vaste assemblage de textes de loi qu’on appellera le Code Napoléon, est d’avoir établi, en principe et en droit, le caractère non-confessionnel de l’État, base de sa future neutralité. 

C’est très clair, par exemple, dans le droit de la famille, et la reconnaissance du divorce, ou dans le refus que le droit civil se porte garant des interdits religieux, par exemple de la proscription du mariage des prêtres, imposée pourtant par l’Église de Rome. (Le ministre Portalis écrit, sur cette question, l’année même de la publication du Code civil: « La prêtrise n’est point un empêchement au mariage; une opposition au mariage, fondée sur ce point, ne serait pas reçue et ne devrait pas l’être, parce que l’empêchement provenant de la prêtrise n’a pas été sanctionné par la loi civile. » Napoléon, peu croyant dans les religions, c’est pour le moins, pense exactement de la même manière que son ministre sur cette question.) 

En fait, le Code Napoléon se refuse à faire des engagements et autres restrictions de nature religieuse de quelque Église (ou confession) que ce soit, des articles de loi, et s’en tient à la liberté de conscience, héritage de la Révolution, qu’il doit protéger. En 1804, le Pape a protesté de la chose, bien évidemment. Et si les Juifs, eux, vont au contraire fortement apprécier les dispositions du Code, c’est que Napoléon, toujours au nom de la «neutralité» de l’État et de la liberté de conscience qui en découle, leur accordera, grande première pour l’époque, la pleine appartenance à la société et à la citoyenneté française, à la condition, là aussi, que les règles de conduite religieuse du judaïsme ne deviennent jamais règles d’État.

Les grandes lignes de cette neutralité de l’État avaient été définies par le philosophe Nicolas de Condorcet, dans un rapport qu’il avait présenté à la Convention nationale (le parlement français, en 1792) : pour l’essentiel, écrivait-il, un peuple qui se veut souverain ne peut l’être que s’il n’est soumis à aucun article de foi ou élément de doctrine religieuse, jamais; en conséquence, l’État ne peut établir de règles communes, visant une certaine cohérence de la nation dans son ensemble, qu’en refusant de modifier, ou d’accommoder ces règles communes par quelque compromission inacceptable que ce soit avec une dogme religieux, quel qu’il soit.






dimanche 30 mars 2014

PARTI QUÉBÉCOIS EN DEUX TEMPS, DEUX MOUVEMENTS 1980-2014




2014
Je n’ai jamais vu (depuis longtemps, probablement depuis le référendum de 1995) une assemblée aussi enthousiaste, fébrile et passionnée, que celle qu’a tenue le Parti québécois au Théâtre Télus, rue Saint-Denis, ce samedi soir 29 mars 2014.

Des milliers de personnes, de tous âges — contrairement à ce que prétend Mme Françoise David, qui dit du P.Q. qu’il est devenu exclusivement un parti de vieux, Mme David, bien sûr, ayant l’âge pour affirmer ce genre de choses, — tellement de personnes, en fait, que des centaines d’entre elles ont dû rebrousser chemin, après s’être vus refuser une entrée dans une salle déjà trop bondée. J’imagine qu’au Parti québécois, on ne rigole plus du tout avec les questions de sécurité, et de fait, on entrait au Télus comme on entre en zone internationale, dans un aéroport. Séquelle d’une tentative d’assassinat, il n’y a pas si longtemps.

C’était sympa, c’était amoureux, et c’était croyant, encore et toujours, dans ce possible pays du Québec, évoqué parfois brillamment, comme l’a fait Mme Lorraine Pintal, dans un magnifique plaidoyer pour la culture, essence même de toute vie nationale. J’ai vu des yeux allumés, souvent, partout où j’ai pu regarder, dans cette salle trop petite pour celles et ceux qui voulaient rêver de l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire, capable du plus bel idéal qui soit, celui de la neutralité de l’État et de l’égalité absolue de tous, et pour tous.

J’ai eu, moi, aussi, souvent, les yeux mouillés. La foule qui aime et qui vibre, quand la première ministre rappelle ce qu’a été l’humiliation sociale et linguistique des ouvriers canadiens-français dans les usines de la «province», il n’y a pas si longtemps; la foule qui aime et qui applaudit frénétiquement les leaders étudiants, qui poursuivent, et le disent clairement, les mêmes objectifs sociaux qu’en 2012, par des moyens désormais différents; la foule qui veut se faire aimer et sécuriser, par Guylaine Tremblay, par Jean-Pierre Ferland, par Janette Bertrand, qui tous ensemble les rassurent: bien sûr que non, militants souverainistes anciens comme nouveaux, vous n’êtes ni débiles, ni fascistes, mais simplement de bonnes et justes personnes, progressistes, qui ont beaucoup appris du Parti québécois; elles le savent et font, en conséquence, une ovation monstre à Véronique Hivon qui, tout comme Bernard Drainville, avouent ressentir la crainte que la dignité ne meure avec le résultat de ces élections générales... J’ai souvent, oui, les yeux mouillés quand la foule aime, vibre, espère, applaudit celles et ceux qui la soutiennent et prennent sa défense, celles et ceux «qui sont du bord des miens» — Geneviève Bujold.

Décidément, c’était une belle réussite, que cette assemblée populaire du Parti québécois du samedi 29 mars 2014.

Le Parti québécois a été un formidable professeur d’éducation populaire, vers une société réellement plus juste et plus tolérante, et la foule bon enfant de ce samedi soir, au Théâtre Télus, savait qu’elle avait beaucoup appris de ce remarquable pédagogue, qui a retenu la manière de René Lévesque de dire les problèmes, et de convaincre des solutions les plus urgentes.




1980

Nous sommes au printemps 1980, au début de ma vingtaine. C’est le référendum. J’aime passionnément M. René Lévesque. Je rêve passionnément d’un pays libre. Je m’engage, fais du porte-à-porte, et, là, je découvre l’horreur: les portes qui claquent, les vulgarités lancées à pleins poumons, les insultes gratuites. Tout ça dans le Plateau, dans le circonscription électorale, Mercier, de M. Gérald Godin. (Quand je fais des visites avec M. Godin, seulement chez ceux qui ont été ciblés comme indécis, là les portes s’ouvrent, il y a du café, de la bière, des demandes...: M. Godin est d’une politesse parfaite, il prend des notes, écoute des histoires familiales parfois terribles, dit franchement s’il peut aider ou pas... Bref, un vrai militant.)

Un jour, sonnant chez une dame pour vérifier, avec elle, la liste électorale, elle m’assène un catégorique: «Mon nom est Canadienne, mon prénom est Québécoise !» Je fais semblant d'attester de son inscription, et je lui dis: «Mme Canadienne, vous n’êtes pas inscrite sur ma liste !» La porte, l’immeuble, la rue, le quartier de cette dame en tremblent encore, j’en suis sûr, tellement elle a vociféré, que c’en était étonnant pour une fumeuse. C’est qu’ils étaient coriaces, dans ce temps-là, les fédéralistes !

Quelques jours plus tard, on devait passer une lettre du premier ministre Lévesque aux personnes âgées, pour les tranquilliser, leur assurer qu’il n’y avait aucun danger quant à une victoire du OUI à la souveraineté. Je sonne (encore). Une vieille dame respectable d’allure me répond: «Qu’est-ce que c’est ?»; «Une lettre du Premier ministre pour vous, madame». (C’est ce qu’on devait dire, mot pour mot.) «Ah ben le tab..., y peut ben se torcher avec !» Jamais plus je n’ai eu cette confiance naïve dans les chevelures bleutées qui font normalement le charme de la vie.

Vers la toute fin de mon bénévolat national, je sonne chez un jeune mec de mon âge, rue Mont-Royal. Je ne savais rien de qui habitait là, bien sûr. Il me voit, me fait entrer, m’amène immédiatement dans sa chambre ! « On sera mieux pour jaser, me dit-il, j’ai un coloc. » J’ai vécu là un tourment existentiel douloureux, parce que le mec se questionnait sur son OUI, et qu’il était un absolu pétard ! Mais la Cause avant tout: et j’ai résisté à lui donner des arguments plus personnels.

Monsieur Lévesque a perdu. Au soir du 20 mai 1980, les pancartes du NON, posées sur les balcons, ont disparu à toute vitesse, comme s’il y avait une honte affreuse à s’être affiché pour ce camp. Et je crois, en effet, qu’il y avait, ce soir-là, une honte affreuse à vivre cette soirée dite «historique», où M. Trudeau, premier ministre canadien, nous a dit, à nous Québécois, de «remballer nos rêves»
pour longtemps.