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mercredi 22 octobre 2014

CAS D’EXCEPTION: À PROPOS DES ÉVÉNEMENTS D’OTTAWA


Photo Reuters



(Billet d’abord publié sur Facebook. Mais les événements d’Ottawa, en ce 22 octobre 2014, étant exceptionnellement graves, cela excuse, certainement, que je reproduise ici mon texte, sans autre prétention que de garder intactes sa tête et ses idées.)

… « J’ai une irrésistible envie d’écrire quelques mots pacifiant — hasard inconséquent un peu plate, quelques jours à peine après avoir fermé mon blogue Choses vues. Quelques mots pacifiant, et pacifiques. Allons-y, risquons-nous, sans haine, autant que possible, y compris dans les commentaires que je pourrais, peut-être, recevoir comme gratifications désagréables…

J’espère que les événements d’Ottawa (et de Saint-Jean-sur-Richelieu) ne dériveront pas d’abord en une agression réactionnelle contre la pensée, l’analyse, la réflexion, le savoir et le souvenir. Qu’on ne répondra pas au fanatisme par le dogmatisme, qui n’aurait ni de sens ni de raison, faute de quoi la recherche et l’éducation deviendraient radicalement inutiles, sinon dans des cercles intellectuels tragiquement fermés sur eux-mêmes.

J’espère aussi qu’ils ne seront pas prétexte à une agression contre les libertés les plus fondamentales, les plus essentielles, même s’il faut, par delà tout, assurer, bien sûr, la sécurité de tous, ici au Canada, mais aussi ailleurs, de par le vaste monde, complexe, trop souvent saigné à blanc par ceux qu’on a appelés, très justement, les «bourgeois conquérants», détail sanglant qu’on oublie trop souvent, sous le coup de l’émotion scandalisée, quand l’horreur frappe non pas au loin, mais juste à la porte d’à-côté…

J’espère encore que ces événements d’Ottawa n’éteindront pas, pendant un temps toujours trop long à espérer, l’avenir d’un monde qui doit absolument, s’il veut être en paix, être d’abord mieux compris, plus juste, plus équitable, plus respecté et plus libre. (En 2008, souvenons-nous, le candidat Obama se disait prêt à parler à tous les ennemis des États-Unis, et de l’Occident, pour chercher à comprendre et à désamorcer la haine… Où en sommes-nous, Monsieur le Président, du dialogue que vous aviez heureusement proposé ?)

Ces événements sont évidemment témoins de notre époque, et notre époque est le produit de l’Histoire, au moins de celle du dernier siècle, et des erreurs graves, par exemple, qui ont ponctué la Première Guerre mondiale au Moyen-Orient: je pense à la trahison des Anglais (et des Français) face au monde arabe de l’époque, — c’était en 1919, au moment et en suite du traité de Versailles — et au colonialisme qui s’est rapidement déployé dans un espace politique et culturel qui aurait dû être libre, constitué, et capable d’assumer son destin propre…

C’est en prof d’Histoire que j’écris ces quelques lignes, pas nécessairement en homme de la gauche québécoise. C’est pourquoi j’espère enfin qu’il y a encore place pour l’esprit des Lumières dans ce terrible XXIe siècle. Très franchement, je n’en doute pas: il y aura toujours à faire usage de responsabilité critique pour que survivent le bon sens et la lucidité, généralement (et heureusement) proches de l’incroyance, une fois passés le choc, la terreur, l’incompréhension de l’indicible et de la barbarie, et le deuil douloureux des nôtres… »

 

mardi 3 juin 2014

MERCI À VOUS






Fabuleux cadeau de la vie: un collègue de travail m’exprime sa gratitude, dans le cadre de la campagne Merci à vous, lancée récemment par la CSN. Je vois ça, lis ça, m’étrangle (presque) sous l’émotion ! Et j’entends Édith Piaf qui chante: Non, rien de rien, non, je ne regrette rien… (si ce n’est de ne pas en avoir fait davantage encore, quand il le fallait). Merci, mille fois, François ! Il y a de ces prix qui valent bien toutes les médailles du monde.

Formidable idée, que celle de lancer un vaste mouvement de reconnaissance, adressée à celles et ceux qui, travailleurs de la fonction publique, rendent tous les jours les services indispensables à la population, souvent avec passion, et toujours dans l’ombre. C’est une initiative exceptionnelle, qui renverse ce qu’il y a d’odieux dans la prétendue sociale démocratie, où ce sont invariablement les petits pouvoirs, «patrons», «cadres» et autres personnes en quête d’autorité contraignante (et «neutre», comme de juste !) qui s’autocongratulent, se récompensent, se promettent de lucratives carrières, sans jamais mettre les pieds (par exemple) dans une classe, ou dans un bloc opératoire.

Je rêve du jour où le modèle de démocratie directe, mise de l’avant par l’ASSÉ, remplacera cette incroyable absence de gouvernement démocratique qui caractérise l’administration de nos services publics.

Nous n’en sommes pas encore là, tant s’en faut !

Les négociations des conventions collectives sont indispensables, bien sûr, incontournable (et très, très difficile) marche avant vers la démocratie sociale. Mais ce sont d’habituelles équipes spécialisées qui font l’essentiel du travail, sans compter que, depuis 1983 (l’année des fameux décrets du gouvernement Lévesque), les négos s’achèvent la plupart du temps par quelque loi spéciale — et une intoxication médiatique dirigée contre les employés de l’État.

Mais on peut donner du pouvoir à celles et ceux qui fournissent les services publics: commencer par leur dire merci, directement, parfois en les identifiant, les reconnaître pour ce qu’ils font, pour l’indispensabilité de ce qu’ils accomplissent, jour après jour, c’est déjà leur donner un certain pouvoir sur le travail même qu’ils effectuent. La valeur reconnue par les pairs, le mérite avéré par celles et ceux qui bénéficient de la fonction publique, seront toujours immensément plus gratifiants qu’une montre ou un chandelier offerts à petit budget, à chaque vingt ans de carrière !

Dire merci, c’est exercer un fantastique contre-pouvoir. 


Merci, François. Cette photo, ton sourire, ton message, c’est trop exceptionnel pour que je laisse passer ce moment de bonheur, sans souligner, publiquement, la chance que j’ai qu’un collègue, et pas n’importe quel, ait pensé à moi.





lundi 22 avril 2013

LE SOT, C'EST MOI - UMBERTO ECO


Francisco de Goya. Saturne dévorant son enfant.



« S’imaginer comme élément nécessaire dans l’ordre de l’univers équivaut, pour nous, gens de bonnes lectures, à ce qu’est la superstition pour les illettrés. On ne change pas le monde avec les idées. Les personnes de peu d’idées sont moins sujettes à l’erreur, elles suivent ce que tout le monde fait et ne dérangent personne, et elles réussissent, s’enrichissent, arrivent à de bonnes positions, députés, décorés, hommes de lettres renommés, académiciens, journalistes. Peut-on être sot quand on fait aussi bien ses propres affaires ? Le sot, c’est moi, qui ai voulu me battre contre les moulins à vent. » - Umberto Eco, Le cimetière de Prague, Grasset, 2010.

L'utopiste, le sot, c'est moi aussi. Et pourtant, je sais bien que je ne suis rien dans l'ordre de l'univers; je sais bien que le monde est sans règle ni credo. Il y a des étoiles qui brillent plus que d'autres; il y a des trous noirs qui absorbent tout. Tout cela est sans tourments, pas même inquiet qu'une conscience, essentiellement accidentelle, puisse observer et juger, de très loin, de très, très bas, subalterne sans intérêt, qu'on n'arrive même pas à nommer correctement. Le cadre avec dorures, de peu d'idée, c'est lui que l'on regarde, c'est lui qui hiérarchise l'espace, pourtant il n'est jamais rien de plus qu'une immense vanité, au mieux un reflet de roi, très plat de profil, une chose bête accrochée à un clou. La scène immobile, coagulée sous verre, entourée d'un filet d'or, leurre quelquefois, propose un sens sublime, une lumière inespérée, une stèle spirite dans un cimetière, mais elle se sert de «Dieu» pour racheter son avarice, la plus simple et la plus sordide des idées froides, celle qui réussit le mieux à duper, à exploiter, à cracher sa colère de boutiquier - qui n'a pas de morale, mais que des intérêts, parfois des titres, pire encore des fonctions, mesurées au sol en pieds carrés de droit. 

C'est incroyable, mais c'est comme ça. Ça marche comme ça parce que ça meurt. Et en attendant, ça tue.

Je ne suis pas un influent. Je ne suis pas un installé. Je ne suis ni superstitieux ni croyant. Mais je désespère de n'avoir rien appris, d'être pris avec ma conscience, et de vouloir, encore, me battre contre des moulins à vent, alors que les débrouillards en tout genre rigolent.






samedi 14 juillet 2012

QUATORZE JUILLET: À PROPOS D'ÉGALITÉ ET DE JUSTICE



Camille Desmoulins, soulevant le peuple de Paris, juillet 1789


Peu d’événements sont aussi historiquement significatifs que la prise de la Bastille, à Paris, le 14 juillet 1789. Camille Desmoulins, alerté, incandescent, qui est à l’origine directe de l’événement, en restera à jamais célèbre. En 1789, il n’avait que 29 ans. Il mourra, guillotiné, à 34 ans. Entretemps, il n’aura de cesse de rappeler l’événement, de s’honorer du succès impensable d’un soulèvement populaire qu’il avait puissamment contribué à déchaîner. « À la lanterne », les ennemis du peuple ! Mais ce qui a rendu la « journée » possible, bien davantage que le verbe brillant de Desmoulins, c’est le refus des soldats, stationnés aux Invalides, de réprimer à coups de fusils et de canons le peuple de Paris réclamant des armes, sûr que le Roi concentrait des troupes, les dirigeait vers la capitale, allait réprimer dans le sang les débuts encore fragiles de la Révolution. Une autre révolution, celle de février 1917, a réussi parce que l’armée a là aussi refusé d’obéir aux ordres, a même fraternisé, massivement, avec le peuple de Saint-Pétersbourg, affamé, épuisé, soulevé contre la tyrannie tsariste.

Je me rappelle encore de manifestations où l’on criait, naïvement, en l’espérant sans vraiment y croire : « Policiers, dans la rue ! », tant la défection massive des forces de l’ordre, et leur ralliement à la cause de l’insurrection, sont restés dans la légende magnifiée des grandes révolutions, devenus référence incontournable des insurrections victorieuses de 1789 ou de 1917.

Il s’en faut encore, et de beaucoup, que les policiers de Montréal descendent dans la rue, autrement que pour contrôler, réprimer, pourchasser des manifestants ! Et pourtant, la situation actuelle, pour ce qui est de l’écart scandaleux des fortunes, comme de la faillite des finances publiques, rappelle étrangement la situation française de 1789. Même le « château » de Sagard, absurde caricature d’Ancien Régime, est devenu, tout récemment, une sorte de nouveau « Versailles », lieu de Cour d’une élite qui jouit des plaisirs et des privilèges de la classe dominante. Les grandes fortunes états-uniennes se montrent, s’étalent au grand public, n’ont jamais honte d’elles-mêmes, se jouent du système fiscal sans que ça n’embête vraiment la foule des curieux admiratifs ; ici, l’argent se dérobe aux regards critiques, ou moqueurs, l’argent corrompt au noir, et en lieu sûr… Sagard se cache au fin fond d’une forêt immense, d’un parc sans fin. Se cacher, c’est aussi maintenir dans l’ignorance, et dieu sait que cette stratégie de l’obscurantisme a su, ici, tenir le joug depuis belle lurette... Les Québécois, comme les Français, préfèrent l’égalité à la liberté, surtout quand il s’agit d’une liberté qui prône les valeurs parfaitement immorales du néolibéralisme. Mais l’égalité, au pays de l’école républicaine comme au Québec, c’est d’abord dans l’accès à l’éducation laïque, gratuite et universelle qu’elle trouve son principe essentiel.

On a longtemps dit, et cru que la Révolution française avait peu marqué le Québec, nourri bien au contraire de contre-révolution. À considérer les jours actuels, et ce qui marque depuis toujours la culture populaire québécoise, à qui on reproche de « ne pas aimer les riches », on peut douter de cette certitude, répétée mille fois, que le Québec ne doit rien à la Révolution ; il faudrait refaire nos leçons d’Histoire ; il faudrait se rappeler que nous descendons de Français qui déjà, avant même 1789, se soulevaient contre les impôts, les privilèges, et le mépris des bien nés. « La liberté ne va pas sans la justice », disait Desmoulins. Cette assertion a traversé l’Atlantique ; elle est, je crois, au cœur des convictions primordiales du peuple québécois.
Bonne fête nationale à la France, à qui on doit tant.





Sagard
Source: http://socioeconomie.wordpress.com/2012/05/30/charest-et-sarkozy-desmarais-le-plus-riche-des-milliardaires-quebecois/









dimanche 27 mai 2012

LA MÉMOIRE TRAHIE DE TYLER CLEMENTI


Pont George-Washington, NY. Source: http://www.journeyetc.com/travel-ideas/best-bridges-on-the-pages-of-the-record-books/



J’étais en vacances, au loin, pendant qu’un tribunal américain mettait fin, par le prononcé de la sentence, au procès de Dharun Ravi, accusé d’actes d’intimidation exercés à l’encontre de Tyler Clementi, 18 ans. Le jeune homme avait trouvé le piège, l’humiliation, la rigolade cynique délibérément planifiée contre sa personne, le viol de son intégrité et, surtout, le mépris de son orientation sexuelle, tellement insupportables qu’il s’est suicidé en se jetant, de honte, du pont George-Washington, à New York. L’horreur absolue. Tyler Clementi a laissé une lettre, s’est expliqué, a dénoncé ; il a fait le sacrifice de lui-même, qu’il a spectaculairement théâtralisé, pour que le message porte, loin, longtemps. Sa souffrance était intolérable.

Et quelle est la punition infligée à Dharum Ravi, qui ne s’est jamais, jamais excusé, qui n’a jamais, jamais dit regretter ? Trente jours de prison, quelques centaines d’heures de travaux communautaires. Et pourquoi une peine si dérisoire ? Parce que le tribunal ne jugeait que de l’intimidation, et non de la conséquence tragique qu’elle a entraînée. Le suicide de Tyler Clementi, je vous le rappelle, est indissociable de son homosexualité, de sorte que son orientation sexuelle est évidemment au cœur de l’affaire, aggravée par le viol de son intimité, filmée, dévoilée à un jeune public qui en a cruellement redemandé. Et pourtant, Ravi n’aura que trente jours de placard, pour crime d’intimidation, pas même pour crime haineux. Le président Obama a pourtant vu l’affaire comme un exemple parfaitement évident — affreusement édifiant — de haine homophobe. J’écoutais la télé, sur CNN, un reportage où on parlait de la sentence, et j’étais renversé, humilié, très en colère au vu et au su de la sanction, qu’une commentatrice évaporée trouvait très bien. Mon copain m’a entendu prononcer quelques gros mots, à l’encontre d’une justice absurde, qui s’aveugle consciemment, volontairement, malgré le sermon apparemment dur et tranchant du juge, prononcé que pour épater la galerie.

Faut-il, si un automobiliste ivre tue un jeune homme gay ( ou n’importe qui d’autre, un Noir, ou un itinérant, ou un malade mental, enfin, vous voyez, une personne d’une de ces minorités pour lesquelles on a le respect collectif si vacillant, ) distinguer l’ivresse au volant de sa conséquence ? Faut-il encore considérer les hommes ( et les femmes ) gays comme des sous-humains, au point de ne juger leur suicide que comme anecdotiques, conséquence malheureuse, mais marginale, du réel problème, du vrai crime celui-là, celui de l’intimidation, perpétrée par un jeune imbécile, Dharum Ravi, qui n’avait rien d’autre à faire que de perdre son temps à s’amuser aux dépens d’une tapette ? Et tiens, à propos, combien de temps, au juste, imposait-on aux Blancs qui intimidaient, jusqu’à les tuer, les Noirs américains dans les années 50, dans cette admirable démocratie morale et chrétienne que sont les États-Unis d’Amérique ?

Violé, méprisé, révélé malgré lui, Tyler Clementi s’est suicidé. Il est mort. Mort. Mais la parodie de justice qui a réglé le sort de son tortionnaire a trahi sa mémoire. Nous serons nombreux, je l’espère, à ne jamais l’oublier.



Post-Scriptum : Le 19 juin 2012, Dharum Ravi a été libéré de prison, après y avoir purgé seulement 20 jours de sa peine... de 30 jours. Il s'est bien conduit, il a travaillé, bref, on lui a donné son congé. Voilà ce qu'il en coûte de violer, de VIOLER l'intimité d'un jeune homme homosexuel, et de l'avoir poussé à la mort. J'ai honte. À l'instant présent où j'écris ces lignes, je déteste l'humanité tout entière, le mépris dans lequel elle nous tient, et sa prétendue normalité.
Source: http://www.huffingtonpost.com/2012/06/19/dharun-ravis-release-jail-served-20-days_n_1608329.html