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mercredi 19 juin 2013

VERS UN RÉALIGNEMENT DES FORCES POLITIQUES AU QUÉBEC ?


Source: Google Images



Jean-Martin Aussant démissionne. Ça ne m'étonne pas. Des propos, de-ci de-là, laissaient prévoir cette démission depuis plusieurs mois. Ça ne m'étonne pas, par ailleurs, parce qu’Option Nationale était le parti d'un seul homme, souvent magnifié hors de toute proportion, parfois même déifié. J'imagine que, pour «JMA», le poids d'une pareille confiance, d'une pareille adulation, était franchement trop lourd à porter.

Option Nationale ne survivra pas à son chef, ça me semble évident. Je suis triste, et franchement désolé pour toutes celles et ceux qui y ont cru, et qui ont milité, ardemment, sincèrement, comme bénévoles pour ce parti, partout au Québec. Mais «JMA» était vraiment seul. L'appui de M. Jacques Parizeau n'était, en soi, à l’évidence, pas suffisant. Il était seul, et sans grande réalisation publique derrière lui, et c'est peut-être là que se trouve l'erreur de jugement la plus grande qu'il aura faite, celle de claquer la porte du Parti québécois. À certains de ses ministres qui parfois montraient un peu trop d'impatience à accéder au poste de chef du gouvernement, l'ancien premier ministre René Lévesque répondait (et conseillait) d'attacher d'abord leur nom à une grande réalisation publique, comme lui avait arrimé le sien à la nationalisation de l'électricité. C'est ce qui (à mon très humble avis) a manqué à M. Aussant: exceptionnellement talentueux, et brillant, il n'avait cependant pas de réalisations d'État sur lesquelles appuyer sa crédibilité. Ministre du Parti québécois, il aurait pu se donner cette crédibilité. Il aurait pu être un candidat enthousiasmant à la succession (éventuelle) de la première ministre Marois.

Pour l'immense majorité des Québécois, M. Aussant était un ancien député péquiste, régional, peu connu à l'échelle nationale. Ce que j'espère, désormais, de M. Aussant, dont personne ne peut mettre en doute l'irréprochable droiture, c'est qu'il jouera un rôle essentiel dans la convergence des forces indépendantistes. 





vendredi 3 août 2012

NE PAS VOTER DU TOUT


20 mai 1980: c'en était fait.



Le 2 mai 2011, les électeurs québécois ont rejeté une équipe parlementaire qui n'avait pas démérité, et qui avait au cœur même de son existence de faciliter, un jour, l'accès du Québec à son indépendance, quand en viendrait le temps - comme le temps de la République était finalement arrivé pour les Irlandais, divisés, hésitants à n’en plus finir, longtemps dominés, aliénés, et presque assimilés. Désirant clairement le choix qu'il faisait, le peuple québécois a dans les faits rejeté son indépendance, et a mis fin, définitivement, au rêve difficile et douloureux, souvent refoulé, de son émancipation collective, de sa maturité enfin assumée, avec risques et périls, avec gauche et droite, avec connaissance et présence dans le monde, comme pour tout autre peuple libre de son destin.

Claude Ryan avait dit un jour la nécessité historique, inévitable, qu'une des deux options, fédéraliste ou souverainiste, disparaisse complètement. Au lendemain du 2 mai, c’était chose faite, désormais. Le Bloc québécois anéanti, le choc a été énorme. La tourmente a failli emporter le Parti québécois, hébété, déchiré entre ceux qui ont voulu sauver l'option à tout prix, et ceux qui ont voulu coûte que coûte sauver le parti de gouvernement, qui a rendu de grands services, ceux mêmes qui croyaient, encore, que le pouvoir provincial exercé par des souverainistes augmentait la confiance en nous des Québécois. Des souverainistes, proches d'Option Québec, publié en 1968, ont critiqué l'origine même de l'impasse, voire de l'impuissance nationale, dans cette démarche référendaire destinée à toujours échouer, victime de modifications démographiques de plus en plus rapides, ce pendant que le vote des jeunes désertait la cause, s'abstenait de plus en plus massivement. Des souverainistes restés attachés au parti, fidèles à l'idée lévesquiste qu'un bon gouvernement, nationaliste, social-démocrate, pouvait préparer l’indépendance par la gouvernance souverainiste, en attendant un possible référendum gagnant, sont restés fidèles à l'idée d'une élection provinciale victorieuse, malgré l'effroyable déroute du Bloc québécois au 2 mai 2011. Et pourtant l'option est bien morte, aussi irréversiblement que M. Lévesque l'avait cru « irréversible », dans son fameux discours, excellent, essentiel, inutile, et qu’il a regretté, tenu à l’Economic Club de New York, en janvier 1977. L’option est morte depuis longtemps. Elle survivait comme un fantasme masquant l’humiliation à renoncer; le 2 mai, elle a été une fois pour toutes liquidée, enterrée.

J’en ai mal au cœur, encore, parce que j’ai toujours cru l’indépendance du Québec impérative, urgente et nécessaire. Fragmenté, centré sur la langue, le drapeau, les grands mythes historiques, les statues de présumés grands personnages de notre histoire, le nationalisme québécois me touche peu, m’embarrasse souvent, comme me désarçonnait déjà la gêne de M. Lévesque de faire adopter la Loi 101. Nos compatriotes anglo-québécois ne s’embarrassent pourtant pas d’être unanimes, à peu d’électeurs près, quand il s’agit de rejeter le Québec pays, le Québec français, le Québec national ; ils n’ont aucune réserve à s’appuyer sur les instruments législatifs, et constitutionnels, qu’ils se sont donnés, depuis 1867, plus encore depuis 1982, pour assurer l’épanouissement de leur collectivité. Ils exigent qu’on leur parle dans leur langue. Ils exigent qu’on leur donne leurs villes, leurs institutions scolaires, la libre disposition de leurs revenus communautaires, le libre usage de la Charte fédérale des droits et libertés. Ils exigent une identité séparée, et menacent même, si jamais l’indépendance devait se réaliser, de partitionner le Québec, comme l’Irlande a dû se laisser déchirer, un séparatisme payé très cher. Ils sont sans gêne et conscients, ce qui nous manque, à nous francophones, souverainement. J’ai cru à la nécessité, oui, de l’indépendance du Québec, comme à un acte de libération essentielle, qui donnerait, par exemple, aux étudiants la capacité de surmonter l’envie du décrochage scolaire, ce désir qu’ils ont, puissant, aujourd’hui irrationnel, de la fuite dans un misérabilisme toujours vivace parce qu’il a un sens, parce qu’il masque une autre liberté, désirée, passionnante, celle du pauvre, du squatter, de l’errant, du modeste, qui se croit libre parce qu’il a l’espace pour lui, et peu de besoins à combler. Tout cela n’est pas du gauchisme, pas même un penchant pour l’anarchisme, c’est de la dérobade. C’est notre communautarisme à nous, une aliénation terrible, une peur tenace que ça change, et que la liberté dont parlait M. Lévesque, mieux encore M. Parizeau, ne soit plus la liberté de faire ce que l’on veut, sans qu’on nous bâdre avec le souci des autres, avec l’effort, avec la culture, avec la connaissance, avec le changement. Un livre magnifique, paru il y a quelques années, Québec, quatre siècles d’une capitale, l’œuvre entre autres de l’historien Gilles Gallichan, faisait en réalité l’histoire d’une capitale en perte de continuité, constamment ravagée et refaite, sans souvenirs persistants, le lieu d’une singerie caricaturale du pouvoir des Anglais d’Angleterre, arrivés ici à force d’armées conquérantes, capitale incurablement provinciale qui se donne, sans rire du tout, un titre, un trône, des costumes brillants, des habitudes bien élevées, une sagesse de colonisés parfaitement affligeante… Qu’importe aux Québécois cette parade ridicule, pourvu qu’on les laisse en paix. Le vernis du colonisé est solide et brillant ; mais sous la couche épaisse et résistante de la petite bourgeoisie, il y a un peuple qui a tout encaissé, mépris, exploitation, tromperie, et qui ne sent de survie que dans sa liberté d’être, immédiate, protégée par l’ignorance des défis inévitables, soulagée par le rire gras, rêvant qu’un jour il y aura pour lui aussi commerces prospères et beaux quartiers. Le pays, dans ce contexte, est pour le moins lointain, et nébuleux…

L’indépendance n’est pas une fin en soi ; mais elle est, j’y ai cru, un bien en soi. Je trouve ça triste, et désolant, qu’on y ait renoncé, mais c’est un fait. Le déni là-dessus est tellement puissant que lorsque je suppose la fin du rêve, preuves à l’appui, j’en perds des amis. Et pourtant, j’en ai assez de m’illusionner. Ça m’épate de voir Léo Bureau-Blouin s’engager, et Jean-François Lisée, et Maka Kotto, et Jean-Martin Aussant, lui autrement, d’un sans-gêne à priori emballant, et même Françoise David, sans qu’elle semble vraiment y croire, au pays, comme d’une nécessité absolue, de toute première importance. Je les admire, je le jure, et combien d’autres. Mais je refuse qu’ils m’emportent désormais dans la calamité, et la consternation, à répétition. Comment raconterons-nous donc notre histoire nationale, dans cinquante ans, dans cent ans, déjà que ce n’est pas simple d’expliquer à des étudiants à qui il faut faire aimer l’Histoire, imaginez, que nous provenons d’une colonisation ratée, d’une conquête, d’une révolte échouée en plein hiver, d’un asservissement, et d’un long, d’un très long mépris.

Je ne voterai donc plus, plus jamais, à l’exception d’une élection référendaire, ou d’un référendum sur la souveraineté ; alors, là, oui, j’irai voter. Mais il n’y aura ni de ce jour improbable, ni d’une victoire impossible, et je ne voterai donc plus. La polarisation nouvelle entre la droite et la gauche montre bien que l’autre projet a été trop long à se réaliser, qu’il ne se réalisera jamais : l’illusion du pays s'incarne en ce moment avant l’indépendance réelle, et c’est de projet de société dont on parle désormais. Ce nouveau clivage est la plus belle preuve que la question de la souveraineté est tranchée. M. Legault, tout comme Mme David, qui tous deux en ont gros contre le Parti québécois, sont les naufrageurs ultimes de la souveraineté, au bénéfice d’une gauche ou d’une droite provinciale, de parenté évidente avec des partis fédéraux, le NPD ou le parti conservateur. Au reste, Québec Solidaire se dit souverainiste parce que l'écrasante majorité des personnes de gauche le sont. Cela changerait ( et cela changera, ) que QS changera d'option constitutionnelle, je parie fort là-dessus. 

Ce printemps, le mouvement étudiant a été remarquable, l’argumentaire, impeccable. La Révolution tranquille n’a pas été complètement inutile ! Mais le mouvement étudiant n’était pas toute la jeunesse, et certainement pas les décrocheurs, ni ceux, excusez l’expression, qui s’en crissent ; il n’incarnait pas non plus le peuple québécois dans toute l’épaisseur de son existence historique, bien loin de là. Il aurait pu cependant nous faire croire que la société québécoise avait réellement changé, et qu’elle avait désormais de nouveaux idéaux démocratiques. À ceux et celles qui pourraient l’espérer, allez lire ce qui s’écrit dans les médias sociaux, allez  suivre sur Twitter la campagne électorale en cours : rien n’a changé, la partisanerie reste aveugle, agressive, et de mauvaise foi ; la gauche pratique la vieille politique du discrédit des personnes comme une pro de droite radoteuse et sénile. Voter, dit-on souvent, est un devoir ; il m’arrive de penser, c’en est même une conviction profonde, qu’il faudrait un code de déontologie de l’électeur, une éthique de l’électeur, une exigence démocratique de l’électeur, avant de pouvoir même voter. Pour devenir citoyens, on vérifie que le candidat a quelques connaissances de base sur le pays qui l’accueille. Ça me fait fantasmer, pour tout dire, qu’on exige la même chose de chaque électeur, avant même de réformer les mœurs électorales, ou le système lui-même. La démocratie ne s’en porterait que mieux. En attendant, c’est le suffrage universel lui-même qui me laisse froid.

À défaut d’indépendance, peut-être faut-il, comme on dit, commencer par le commencement, et nous mériter notre propre démocratie. Une véritable démocratie, qui sorte du parlement, même réformé, et qui s’impose dans tous les lieux de travail, où l’autoritarisme reste encore la norme, telle qu’elle l’était au 19e siècle, exception faite des balbutiements du syndicalisme  – de toute façon écrasé dans le sang. C’est fou ce qu’un cadre peut se croire seigneur féodal, au milieu de ses vassaux, ce qu’un patron d’entreprise peut se croire monarque absolu, gérant selon son bon plaisir. Mais pour ce faire, éliminons le système actuel, la corruption actuelle, la mesquinerie actuelle, en refusant d’aller voter, en masse. Il faudrait être en si grand nombre que le poids écrasant des abstentionnistes discrédite le système lui-même, et ses électeurs fanatiques, gavés d’images, heureux d’être si grossièrement désinformés. Et peut-être, peut-être arriverons-nous à passer d’une liberté à l’autre, de l’inconscience indocile et sarcastique à la liberté publique, collective et juste, parce que corrigeant ce que l’Histoire aura fait de nous.

J’aime les Québécois. J’aime le Québec. Mais le 4 septembre prochain, je n’irai pas voter.