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mercredi 16 octobre 2013

MARIE-ANTOINETTE, OU QUAND ON PERD LA TÊTE...


Croquis de David, 1793



Il y a 220 ans, aujourd’hui même, Marie-Antoinette, ci-devant reine de France, veuve Capet depuis l’exécution de Louis XVI, son époux, avec qui elle était mariée selon le rite catholique le plus strict, se dirigeait (un peu forcée) vers l’échafaud, pour apprécier à sa juste mesure l’efficacité du grand «rasoir national»... Le peintre Louis David s’était placé sur son chemin, et s’était rendu ensuite (en courant ?) Place de la Révolution (devenue depuis Place de la Concorde) pour voir, de ses yeux vus, la lame trancher le cou royal. (Comme tout mécréant, David était de ceux qui ne croyaient que ce qu’ils touchaient, ou presque...) D’où, les deux dessins qu’il a rapidement tracés, hyper célèbres, mais qui, selon certains, ne sont pas vraiment de beaux dessins...

La reine était devenue presque aveugle: elle n’y voyait plus rien, ce qui explique, peut-être, qu’elle écrasa le pied du bourreau, par inadvertance, et qu’elle s’en excusa, pleine de politesse et de sainte componction. Elle avait 38 ans. Elle en avait l’air du double, tant elle avait vieilli prématurément, mais on lui interdisait de porter quelque maquillage dissimulant ou crème qui masque... Elle n’avait plus le cheveu blond, mais blanc, et ne pouvait plus se faire coiffer à sa guise, chaque matin, comme toute femme libre de son corps pourrait le faire, une misère - bien que le matin de son exécution, on lui ait fait une petite coupe rafraichissante, que sa servante, tant bien que mal, avait cachée d’un simple bonnet sans ostentation... Les dessins de David sont là-dessus sans pitié. Ce sont les seules «photographies» de l’événement dont nous disposons. On peut leur supposer la bonne foi...

Durant son procès, la reine avait été odieusement calomniée, citée hors contexte, traînée dans la fange et dans la boue, accusée (sans preuve aucune) de félonie péquiste, toutes choses qui, de nos jours, seraient absolument impensables - particulièrement de journalistes intègres et chevronnés, s’exprimant sur les réseaux sociaux (le peuple hurlant et braillant des insultes, c’était, en ces temps de barbarie vulgaire, évidemment autre chose...) On avait privé la reine, dans son cachot sombre et froid, de tout signe religieux ostentatoire: l’époque était à l’incroyance militante, et l’esprit fort que je suis (athée, en plus) est embarrassé d’avoir à révéler pareille confiscation ignominieuse, avec ce qui n’était, après tout, que manière de bouts de tissus insignifiants, de morceaux de bois, rien de bien dangereux, qui auraient pu consoler le coeur de la malheureuse... Le fait est que la reine, rendue à sa dernière heure, refusa net de se confesser, malgré le prêtre qui la suppliait de le faire, encore dans la charrette brinquebalante qui la menait à sa triste fin: « allons, madame, lui disait-il, le siècle qui vient sera religieux ou ne sera pas, les croyants espèrent de vous, faites le pari de Dieu, sauvons la France et le monde du péril de la laïcité civique. » La reine, privée trop longtemps de signes ostentatoires, en avait perdu la tête, avant même que de la perdre plus concrètement encore, tout au fond d’un panier outrageusement laïque et républicain...

Marie-Antoinette a été sacrifiée. Elle eut, sur le fait, un petit sourire de béatitude, le dessin de David témoigne clairement de la chose. Jamais preuve de la réalité du Paradis n’a été aussi éclatante, du moins c’est ce que prétendent, encore de nos jours, les zélotes du Sabre et de la Croix, des Soucoupes volantes et des Textiles en tout genre... La reine n’est jamais «revenue», pas d’apparition ni rien, et n’a pu témoigner du Ciel, comme certains d’entre nous pourraient, encore de nos jours, l’espérer contre toute science et tout bon sens. Restent Lourdes et Sainte-Anne, dans l’attente...

Paix à la reine. Il y a 220 ans.


PS Si ce récit offre quelque ressemblance avec ce qui se passe au Québec, ce ne serait là que le fruit d’un hasard inspiré. N’y voyez (probablement) rien d’autre que la main de Dieu.






jeudi 10 octobre 2013

LE DROIT À LA RELIGION: «L’ÂME D’UN MONDE SANS COEUR» (Marx)


Soleil inca. Musée de la Nation, Lima (Pérou)



Étonnante, cette fascination pour la représentation symbolique de l’Autorité contraignante, autrefois parée de lourds signes religieux ostentatoires, mais qui deviendrait reconnaissable, désormais, du simple fait qu’elle, et elle seule, se verrait interdite de s’en affubler... 

Il y a, dans les deux cas, le profil d’un totalitarisme inquiétant: une sorte de fascination morbide pour la Contrainte, parée d’un mystère impénétrable, naguère celui d’un Dieu tout-puissant, désormais celui d’une Coercition «neutre», et d’autant plus terrifiante qu’elle se situe au-dessus de toutes les divinités, et plus transcendante parce que plus abstraite encore que chacune d’entre elles.

Cette sobriété ciblée, c’est puissamment religieux; c’est Jésus, fabuleusement séduisant parce qu’il n’est en rien, jamais, ostentatoire, pas même quand il se montre presque nu, lui, un fils de dieu, horriblement crucifié. Mais c’est lui, pourtant, qu’on adore, dont on couvre d’or la «maison», et pour lequel, prodige ultime, on se ferait tuer avec joie - avec folie. L’Église savait bien ce qu’elle faisait quand elle fit de sa Croix le plus puissant des symboles, l’essence même d’un surmoi religieux écrasant. C’est que ça fonctionne; c’est que ça «rend».

Aux Grands, donc, ceux qui mangent et qui boivent, ceux qui peuvent soumettre et contraindre, la sobriété temporelle, la sagesse du dépouillement, et pas même la Crucifix, dont on pense maintenant qu’il désertera le Salon bleu de l’Assemblée nationale. Aux autres, à tous les autres, les signes religieux ostentatoires en abondance, et surtout à ces «petits» (ce bon peuple de travailleurs, soumis à l’exploitation et au pouvoir parfaitement irréligieux de l’Argent, encadré par des fonctionnaires publics qui doivent partager avec la multitude ses croyances vulgaires pour mieux lui en faire accroire et la contrôler), à cette masse anonyme, donc, les attributs religieux ostentatoires, dont on espère qu’ils seront encore et toujours, pour cette foule de profanes serviles, comme un opium consolant sous tous rapports. On s’en amuse, bien sûr, dans les milieux éclairés, qui sont depuis toujours bien au fait de la vanité de ces symboles et de l’usage concret qu’on en fait pour aliéner et soumettre le plus grand nombre (en pourcentage: 99 % !) de la population. 

Parce qu’il faut bien comprendre que la laïcité limitée qu’aux pouvoirs de contrainte, c’est une manoeuvre essentiellement religieuse, c’est le parachèvement du culte solaire dépouillé de tous les ornements animistes qu’il a traînés longtemps avec lui. Louis XIV, s’il était encore vivant, le comprendrait parfaitement, et la jouerait modeste, avec son ostentation quotidienne désormais sans dentelle, dans un palais tout ce qu’il y aurait de plus «neutre», au service du nouvel État-Dieu - mais sans providence. Et il aurait compris, parfaitement compris, pourquoi le pouvoir Inca se réservait pour lui seul l’austérité grandiose du culte solaire, alors que les peuples soumis de l’empire avaient la liberté (contrainte) de croire à tout, de se parer de tout, y compris des symboles de ce misérable culte lunaire, cette «lune» incapable d’apprendre à compter correctement, ni le temps ni l’or, une farce sinistre destinée qu’à la seule stratification sociale et à sa pérennité.

Et dire, dire que cette laïcité des seuls pouvoirs de «contrainte», c’est Bouchard-Taylor qui la proposent; dire que Monsieur Parizeau leur emboîte le pas, donne son accord, prestigieux; et dire que Madame Françoise David fait sienne cette nouvelle religiosité, cette moderne aliénation du petit peuple à qui on dit que sa religion, toutes ses religions en fait, c’est un droit absolu, de toute éternité. C'est là berner la foule immense des «contraints», dont on se moque bien de la crédulité (même en prétendant le contraire.) C’est fondamentalement incroyable qu'on en soit là. C’est à en être désillusionné, dépité.










samedi 3 novembre 2012

LA GUERRE, LA PAIX ET L'ÉLÉGANCE DE COEUR


Photo: Jacques Boissinot, Presse canadienne



Je viens tout juste d'écouter les nouvelles du jour, à 23 heures, au Réseau de l'information en continu... De vieux soldats canadiens s'offusquent — spontanément ? On peut au moins en douter. « Elle a insulté les vétérans ! » Elle, c'est Mme Pauline Marois, première ministre du Québec, indépendantiste; elle a osé porter le coquelicot, l'emblème du Souvenir, rattaché à sa veste par une épingle en forme de fleur de lys.  Une fleur de lys ! L'emblème du Québec ! Et tout de même une image très apparentée à la France éternelle, avec laquelle nous nous sommes battus, non, en 14, en 40 ?... Elle, elle donne pourtant une explication toute simple à son geste; et pour apaiser l'absurde tempête dans un verre d'eau, si proche de s'exciter, dans cette maison de fous*, toujours, quand la chicane vire au sordide, et si dangereusement susceptible d'alimenter tous les fanatismes, elle s'est empressée de faire savoir qu'elle porterait le coquelicot comme le veut la coutume et le règlement de l'insigne. Honte à tous ceux et celles qui ont fait un plat de l'affaire, caricaturant Mme Marois aux extrêmes.  Honte en particulier à Gérard Deltell, le pire de tous, l'imbécile de première, qui en a remis une couche épaisse, faisant de Mme Marois une provocatrice volontariste, particulièrement perverse. Et pourtant, Mme Marois a essayé de calmer le jeu, parce que faire autrement n'en valait pas la peine, sauf d'être porteur de hauts risques ultras. Pourrait-on, si possible, se souvenir qu'il y a à peine deux mois, cette femme a été victime d'une tentative d'assassinat fomenté par la haine ?

* L'expression est de M. René Lévesque, telle quelle, dans Option Québec.







jeudi 11 octobre 2012

À PROPOS DU MATRICULE 728



(Youtube: images de Radio-Canada )



Les quelques lecteurs que j'ai, en francophonie, ne comprendront rien à la richesse des dialogues contenus dans cette vidéo, s'ils leur prenaient l'envie de la regarder. (Elle vaut le coup, c'est le cas de le dire !) Mais ils en saisiront sûrement tout le précieux sens, à simplement jeter un œil sur le déroulement, parfaitement sidérant, de l'action. L'assaut, cette fois-ci, n'est pas au Métropolis, comme au 4 septembre dernier — j'ai parlé de cet incident tragique, ici, sur ce blogue. Non, pour cette fois, les hostilités se déroulent rue Papineau, à Montréal, dans un emplacement où on ne fait que de la musique, entre gars, rien de terriblement délinquant. Pas de révolte générale en vue. Mais une (seule !) bouteille de bière trop visible de la rue, une policière qui a sauté une coche, et le spectacle a eu lieu, sans autre musique de fond que des cris terrifiés et des insultes grossières.  

Voyez-vous, au contraire de l'ancien ministre des Finances du Québec, M. Raymond Bachand, ça ne me dérange pas que le nouveau gouvernement du Québec «divise» la société par ses politiques de centre-gauche, parce qu'elle l'est fatalement, « divisée », la société, dès qu'il y a inégalité économique; elle l'est fatalement, dès qu'il y a enrichissement de quelques-uns par le moyen du travail, des impôts et de l'exploitation salariale du plus grand nombre. La société est inégale, elle est partagée. C'est la richesse qui ne l'est pas. L'inégalité «est». C'est comme ça. 

J'aime nettement moins, cependant, la haine que les tensions sociales génèrent, et que, de toute évidence, on attise dans certains milieux. La haine n'est jamais noble, la haine n'est jamais justifiée. La violence de l'agente 728 est haineuse et n'est pas, en aucun cas, un fait isolé, une dérive particulière. La policière hait les artistes, les carrés rouges, « toute cette marde-là » — entendons les étudiants, les agitateurs de casseroles, les manifestants, les contestataires et quant à faire, Mme Marois, actuelle Première ministre, Mme David, chef du parti de gauche Québec-Solidaire, les profs de cégep, les profs de l'UQAM, les centaines de milliers de personnes qui ont pris la rue le printemps dernier... Il faudrait être extraordinairement naïf pour penser que cette haine qui tourmente la gardienne de la paix, on ne le lui ait pas inculquée, quoi qu'il en soit de la personnalité fiévreuse de Stéphanie Trudeau. On la lui a apprise, et c'est affreusement troublant de le penser, parce que ça justifie les accusations souvent répétées, durant la crise sociale du printemps 2012, de politisation des forces policières. La violence de l'agente Trudeau est « politique » et sociale. Elle trouve une oreille attentive quand elle raconte son intervention, et profère ses insultes. Et elle sait parfaitement bien qui est l'ennemi. (On aurait presque envie de dire: l'ennemi de classe.) On le lui a décrit, nommé, ciblé, c'est évident.

En ces temps où un gouvernement de « gauche » nouvellement élu a échoué à faire adopter des mesures fiscales progressistes, parce que l'opposition (néo-libérale) s'est déchaînée, sans retenir la haine de ses attaques, la violence policière, bras armé des notables et des puissants (j'entends: des détenteurs de capitaux), devient très réellement inquiétante. Le ministre de la Sécurité publique devrait peut-être y regarder d'un peu plus près.




lundi 3 septembre 2012

WEEK-END À QUÉBEC-LA-MAGNIFIQUE




Week-end à Québec-la-magnifique. Ciel peint bleu (comme disait l'autre) sur une ville d'une exceptionnelle beauté. Il y avait foule, samedi soir, pour Madonna: on s'est approché de la scène, et on a entendu, de loin, la diva... Le même soir, nous nous sommes plutôt, de préférence, rendus au Moulin à images, création de Robert Lepage, spectacle en trois dimensions diffusé sur les silos à grain du Vieux-Port: c'était à ce point étonnant, superbe, inspiré, que je m'imaginais, rien de moins, serrer dans mes bras le créateur lui-même, et le convaincre de son talent ! Il y avait, à Québec, des grappes de touristes émerveillés: à ce point photographiée, la ville pourrait en venir à perdre son âme, éparpillée aux quatre coins de la planète. Mais non: elle reste ce qu'elle est, l'autre Amérique, l'authentiquement française, avec le goût et le savoir-vivre de la vieille France. (Dommage qu'elle ne sache pas encore comment voter!) C'est le mystère de Québec, ce qu'elle a de moins charmant, cette ville restée française, mais pourtant plus colonisée que le reste du Québec tout entier: un jour, peut-être, cela changera. En attendant, la ville s'illusionne, se dit sans gêne Capitale nationale, et pour elle l'affaire est faite; elle se couvre de monuments d'illustres personnages, ou réputés comme tels. Les guides touristiques en remettent, disent n'importe quoi aux étrangers qui ne retiendront rien, de toute façon, de la leçon d'histoire absolument nulle qu'ils subissent sourire ébahi... (Rien d'aussi grave, quand même, que ce guide français qui prétendait naguère, à Fontainebleau, que saint Louis y était mort !) Quant à la Fête Arc-En-Ciel qui avait lieu ce we, la Gay Pride de Québec, elle a encore à se payer d'un peu d'audace pour avoir vraiment l'air d'être fière valant peine...

Merveilleuse ville ! Elle est ce qu'on a de plus beau, très probablement, dans ce pays du Québec qui se rêve à n'en plus finir, et qui ne peut pourtant pas compter sur Québec pour se réveiller et aboutir, une fois pour toutes, et qu'on n'en parle plus...








jeudi 29 mars 2012

L'ART QUÉBÉCOIS DE LA GUERRE


Extrait du Journal des débats de l'Assemblée nationale du Québec, le 10 mai 2007



Je vais commencer mon billet par un aveu, désolant de médiocrité, et presque lâche : je suis fatigué, écoeuré, parfois même dégoûté de plaider pour la survie de la langue, au Québec, de me battre pour un français normalement langue commune, de discuter langue nationale, officielle, régionale, minoritaire, de soutenir une langue menacée, qu’on croit médiocre, populaire, aliénée, de me défendre d’intolérance linguistique, de racisme culturel, de grand renfermement ethnocentrique, de débattre de fédéralisme polyglotte, de provincialisme borné, de honte langagière, de servilité linguistique. J’en ai assez de participer à cette guerre qui n’en finit jamais, parce que les buts de la guerre sont toujours travestis, parce que les armes mêmes des combattants — des mots qui font mal, des intentions verbalisées, affichées avec une moustache hitlérienne, qui blessent et discréditent — sont des armes normalement interdites d’usage tant elles peuvent susciter la haine, et les crimes verbeux contre l’humanité. J’en ai assez de cette guerre québécoise des langues, et de l’art que nous y mettons à la pratiquer sans danger de vaincre, jamais, mais perdants d’avance, chroniquement coupables, toujours, de reprendre le combat, de penser qu’il en vaut la peine, de penser que la langue a le droit, et qu’elle vaut une, deux ou trois lois de suite. J’en ai assez. Je capitule. J’ai honte d’avoir été si arriéré, si étroit d’esprit, quand les autres, pourtant désintéressés, s’ouvrent si largement à ma réalité : c’est Don Macpherson, par exemple, qui m’apprenait récemment, ce que j’ignorais, qu’il « was surprised by the number of signs in English and French [ he ] saw in Toronto. That kind of thing is frowned upon in Montreal. » ( Twitter, 25 mars 2012. )

Je suis de la génération qui a longtemps vibré aux mots de Michèle Lalonde, dans Speak White, et … comment parlez-vous dans vos salons huppés, et… vous souvenez-vous du vacarme des usines and of the voice des contremaîtres, et cette langue, le français, qui est … la langue du silence et de l'impuissance. J’ai pleuré quand Camille Laurin a parlé, au moment de l’adoption finale de la Charte de la langue française, de lendemains qui allaient nécessairement chanter, de catharsis et de libération… C’était en 1968, c’était en 1977. 
Mais depuis, tout s’est réinventé, à partir d’arguments aussi vieux que la Conquête elle-même, mais dans des formes très modernes, inspirées d’un humanisme d’une haute moralité, et bien enracinées dans un continentalisme qui n’en a qu’une, de langue. M. Trudeau avait évoqué, dès 1977, le risque, très possible, au Québec, d’un crime contre l’humanité, les mots étaient dits, enfin, à nouveau, une première fois depuis cette horrible Loi 101 qui bafouait honteusement les droits humains les plus fondamentaux. C’était devant le Congrès américain, qui l’a ovationné. Le même M. Trudeau a, en 1982, donné à ce pays les moyens politiques, et juridiques, de contrer le crime appréhendé. On connait la suite : les jugements de la Cour suprême, la résistance tenace de The Gazette, l’aberration du concept même de société distincte, les mots tristement signifiants de M. Parizeau, l’abandon parfaitement indiqué de la clause dérogatoire, Céline à Las Vegas, et cette pauvre Mme Marois dont l’immense compétence supposée s’est fracassée sur quelques mots péniblement bafouillés en langue anglaise… I speak faster than you : ça restera toujours vrai. Dans les salons chics, on parle désormais français – de temps à autre, mais il faut que ça se sache, quand même. Et quand on est branché, ouvert aux autres, et qu’on ne raterait pour rien au monde une soirée des Grammy Awards, on se doit de parler parfaitement la langue de la culture contemporaine. De toute façon, la France elle-même passe à l'anglais, et nous abandonne, encore une fois.

C’est en lisant les articles de presse, portant sur le projet de Loi 101, amendé, et déposé à l’Assemblée nationale par M. Curzi, soutenu par messieurs Aussant et Khadir, que je me suis mis à penser à tout ça, à cette guerre fratricide, aussi québécoise que le gros jambon et le parler gras, et que je me suis dit que j’en avais assez. Quelle pitié ! Prétendre bafouer la liberté de choix, et la « maturité » des étudiants de cégep ! Elle a bien raison, Mme la ministre St-Pierre, elle a mille fois raison de se moquer du député, et de dénoncer sa « fermeture ». J'ai été, j’avoue, terriblement borné moi-même, je m’en excuse, et m’en repens, parce que j’ai causé des torts. Je me remets à l’étude de l’anglais. Je ne veux plus d’accent. Je ne veux plus être gêné dans les magasins du centre-ville de Montréal. Je pourrai, enfin, voyager partout, de par le vaste monde, et m’ouvrir, surtout, m’ouvrir. J’ai compris, allez ! 

Il y a quelque chose de triste, quand même, à avoir honte de sa langue commune. Elle dit tant d’histoire, tant d’identité, tant de reconnaissance, tant d’inconscient collectif; elle dit tant et si bien du « nous », et du fait qu’il n’y a nulle part au monde, nulle part, où je puisse me sentir aussi bien, aussi chez moi qu’ici, au Québec. Mais j’ai honte, et nous avons honte, de cette langue imparfaite, minoritaire, et pauvre, dans tous les sens qu’on puisse donner à ce mot.

Je lisais, récemment, un excellent roman, L’Art français de la guerre, d’Alexi Jenni, qui m’a ouvert les yeux, et fait comprendre. Des pages fabuleuses sur les trois dernières guerres françaises, et le sang, et la race, et l'histoire, et l'inconscient, et la langue, la langue, surtout, le français de la France contemporaine, souvent des paroles vides de sens, pour fuir, nier, éviter ce qui a blessé, fait mal ou suscité la honte, mais, pourtant, des signes verbaux reconnus de tous, qui font l’identité « nationale », faute d’un mot meilleur, et moins perverti.

« … nous avons bu au même lait de la langue. Nous sommes frères de langue, et ce qui se dit en cette langue nous l’avons entendu ensemble ; ce qui se murmure en cette langue nous l’avons compris, tous, avant même de l’entendre. Même dans l’invective, nous nous comprenons. Elle est merveilleuse cette expression qui dit : nous nous comprenons. Elle décrit un entrelacement intime où chacun est une partie de l’autre, figure impossible à représenter mais qui est évidente du point de vue du langage : nous sommes entrelacés par la compréhension intime de la langue. Même l’affrontement ne détruit pas ce lien. Essayez de vous engueuler avec un étranger : ce n’est jamais plus que de se heurter à une pierre. Ce n’est qu’avec l’un des siens que l’on peut vraiment se battre, et s’entre-tuer ; entre soi. »

Et plus loin : Le malheur, c’est de ne pas maîtriser la « langue en quoi se dit la pensée, le pouvoir et la force. Quand [ par exemple, les Québécois francophones, mais en France, les étrangers, ] la maîtrisent, car ils veulent à toute force partager la langue de la puissance, on les félicite. Et on traque la moindre inflexion, le moindre idiotisme, la moindre impropriété. On trouvera, on trouve la faute quand on la cherche, dût-elle être une légère modulation inhabituelle. On sourit. On les félicite de cette maîtrise, mais ils ne partageront pas. Ils n’en sont pas, c’est bien visible. On multipliera les contrôles ; on trouvera une trace. Sur leur corps, sur leur âme, sur leur visage, dans le grain de leur voix. On les remerciera de cette maîtrise de la langue, mais ils n’auront toujours pas le droit complet à la parole. C’est sans fin. Il nous faudrait quelque chose que l’on soit fiers d’avoir fait ensemble… »

Quelque chose que l’on soit fiers d’avoir fait ensemble… 

Qu’avons-vous fait, ici, au Québec, sinon d'avoir mené des combats d’arrière-garde, pour une langue abâtardie, réalité un temps masqué, mais un temps seulement, par le génie de Michel Tremblay ?

Il y a quelque chose de triste, c’est exact, à avoir honte de sa langue commune. Aussi bien l’abandonner à son libre sort, et à l’évolution qui sera la sienne, respectueuse des temps modernes, des droits et libertés de tous, des exigences de l’économie libérale, de l’appartenance continentale, et de tout ce qui sonne liberté. J'en ai assez d'être un étranger en Amérique. Ce sera la fin de la guerre linguistique. Nous maitriserons l’anglais, la pensée, le pouvoir, la force. On nous félicitera. On ne nous reconnaitra plus. Nous serons blancs. Ça sera bien autre chose que notre art, pénible et petit, de la guerre linguistique à la québécoise. Nous serons puissants, et nous n’aurons de cesse de gagner des trophées.


Post-Scriptum:



La Presse ( Cyberpresse ), premier avril 2012. Et ce n'était pas une blague de mauvais goût. Cet article fait simplement état de la réalité, telle qu'elle est. Quand on est moderne, on ne s'en formalise pas.



Second post-scriptum ( 4 avril 2012 )


Une entrevue dense, percutante, pour la liberté ( et la survie ) de toutes les langues:



Troisième ( et dernier ! ) post-scriptum ( 5 avril 2012)

M. Simon Jodoin, blogueur pour le journal Voir, a publié le 3 avril dernier un article sarcastique, où il affirme se réjouir d'être en nomination pour un prix ( Autruche, la tête ou le cul dans le sable ! ) qui prétendrait récompenser le zèle qu'il met à lutter contre l'exclusion des Anglos de tout ce qui est national québécois, et le même zèle qu'il met à pourfendre les nationalistes bornés, qui ne se font de mal qu'à eux-mêmes et qu'à la cause, petite, qu'ils pensent soutenir. ( Disons que j'y mets un peu de caricature..., mais non sans que la vérité de ses propos en pâtisse. )

À preuve ? Ce commentaire, publié en suite de l'article du blogue, ce 5 avril 2012, hier quoi. On ne peut pas dire mieux que ce monsieur ED. Je reproduis, tel quel, le texte qu'il a — très bien, presque sans faute — écrit. Il a raison. La langue, c'est une affaire horizontale, sans épaisseur; c'est une affaire de droits individuels, c'est une affaire d'ouverture aux autres et de liberté. ( Quel con, quand même, ce monsieur Claude Hagège ! )






lundi 26 septembre 2011

ALICE NKOM: LE COMBAT POUR LA JUSTICE, L'ÉGALITÉ ET LE DROIT

Alice Nkom, Steve Bastien et le blogueur, samedi le 13 août 2001, à Montréal



L’homophobie est un crime contre l’humanité, frappant aussi injustement que l’apartheid. – Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix.

Je l’avais entendue quelques jours avant le week-end de la Fierté, en entrevue sur RDI. C’était à la mi-août 2011. Une entrevue magnifique, généreuse, et qui m’avait bouleversé. J’étais seul chez moi, j’aurais pu n’écouter que distraitement; mais c’était impossible ; il y avait là une dame, une avocate, éloquente, captivante, qui projetait loin ses convictions, ses émotions, qui brulait l’écran ; elle était là, vivante, bouleversante, omniprésente, d’une remarquable maîtrise d’elle-même et de ses arguments, d’une parfaite droiture, parlant, de Montréal, au monde entier, avec passion. L’entrevue n'a duré qu'une quinzaine de minutes, peut-être un peu moins. J’étais pourtant épuisé après l’avoir écoutée, tant elle était venue me «chercher».
«Cette femme est un prix Nobel, bon dieu, elle parle de moi et pour moi, et je ne sais même pas qui elle est !» Je découvrais, à la télé, dans une entrevue menée par Anne-Marie Dussault, l’avocate camerounaise Alice Nkom. Battante. Allumée. Convaincante. Jamais je n’avais entendu parler du combat qu’elle menait, un combat pour la justice contre la violence, un combat pour la dignité contre l’oppression, un combat pour la liberté contre l’obscurantisme, et surtout, un combat pour le Droit. Qu’elle obtienne un jour le prix Nobel de la paix, il serait autrement plus mérité que celui qu’on a imposé, pour mieux l’acheter, au président Obama ; cette avocate et militante est «membre» — sans l’être, bien sûr, — d’un tout petit groupe de personnes, peut-être une vingtaine, à la grandeur de la planète entière, et parmi les six milliards d’êtres humains que nous sommes, qui prennent une cause et qui la portent, du simple fait qu’ignorer cette cause dégrade l’espèce humaine au-delà du tolérable. Elle endosse tout ce que l’humanité, depuis des siècles, a pu concevoir pour doter les hommes et les femmes de droits fondamentaux inaliénables, l’essentialité même de la liberté et de la dignité.
Alice Nkom me rappelait Nelson Mandela, Chirine Ebadi, Liu Xiaobo, avec, en plus, la voix douloureuse, urgente, universelle, de Cesaria Evora. J’écoutais, fasciné, une dame portée par la force de son engagement, total, entier, capable d’un calme courage pour braver tous les dangers, et déterminée à refuser, radicalement, de se laisser intimider, quand on déchaine contre elle et ses clients les pires des préjugés, voulus, encouragés, légalisés, caricaturant ce qui semble, si évidemment, de premier abord, comme une étrangeté déroutante. Elle défend et protège, certes, des jeunes hommes aux allures parfois trop marquées pour le commun des mortels : c’est à la prison qu’ils s’exposent, malgré eux, au déni de leur identité, et surtout, surtout, à la violence contre leurs corps, le seul corps qu’ils n'auront jamais, le leur, le seul qui puisse leur faire vivre leur vie, une seule vie, qu’ils n’ont pas choisie, une vie différente et singulière, unique en son genre, qui leur fait pourtant risquer la prison et la mort. La mort ! «Le président de la République est le premier responsable de la situation actuelle, vous savez, parce qu’il ne fait rien, rien pour obliger au respect du droit international auquel le Cameroun souscrit, rien pour faire respecter sa propre déclaration officielle, de chef d’État, voulant que le Cameroun respecte la vie privée des gens et l’inviolabilité de leur intimité.» J’ai eu, en l’écoutant, un redressement vertébral vertigineux, un désir immense d’ennoblissement, et l’évidence, sous mes yeux, que l’humanisme, parfois, colle aux portes, et tout près, de ce qu’on appelait jadis l’Éternel, de ce que Alice Nkom appelle – de tous ses vœux - l’État de droit. Et puisqu’on l’avait invitée, à titre de présidente honoraire, aux cérémonies de la Fierté, à Montréal, j’ai voulu absolument la rencontrer, et lui parler, quelques mots rapides, que je me répétais déjà, intérieurement, tout juste après l’entrevue. Je souhaitais ce coup de chance, pour simplement, peut-être, m’en sentir plus confiant, et meilleure personne.
J’étais persuadé, je l’avais dit à mon copain, que Mme Nkom serait sur la rue Ste-Catherine, le samedi le 13 août, présente pour la journée communautaire. Elle y était, effectivement, dans un kiosque aménagé pour elle, souriante, très entourée, très photographiée, gentille et chaleureuse avec tout le monde, objet de fierté, réelle, pour plusieurs des jeunes hommes qui montaient, autour d’elle, une garde bien inutile, sur cette rue exceptionnellement bon-enfant, cette journée-là. J’ai dit à mon copain : « Je ne pourrai jamais m’en approcher et lui parler ». Oh, mais tiens donc, il y avait là un de mes anciens étudiants – suffisamment ancien pour qu’on puisse tous deux parler du bon vieux temps – et qui me reconnaît aussi. Steve est venu rapidement me parler, m’a pris dans ses bras, s’est souvenu, en blaguant, de mes jeans moulants, délavés, tenue constante du jeune prof que j’étais alors. Il a fait rire mon copain, il était charmant, séduisant, beaucoup plus beau qu’il ne l’était quand il était appliqué et tranquille, en classe, à écouter un cours d’histoire du Québec.
J’ai dit à Steve: « J’aurais tellement aimé parler à Mme Nkom, mais ça semble impossible… » Steve m’a pris par le bras, m’a mené jusqu’à elle, m’a présenté, m’a laissé me débrouiller ! J’ai bafouillé, me semble-t-il, mais avec tripes et cœur ; j’ai parlé de son passage à la télé que j’avais vu, de l’appel à la fierté et à la dignité que j’avais entendu… « Même ici à Montréal, et même à mon âge, je me suis senti, en vous écoutant, plus respectueux de moi-même et plus digne, et je me suis rappelé le chemin parcouru pour arriver jusque-là. Je me suis rappelé qu’il faut rester vigilant.  Vous m’avez rappelé la chance qu’ont les plus jeunes de vivre dans une ville, dans un pays, où on a appris la tolérance et le droit. » Elle m’a écouté, et m’a dit regretter qu’il n’y ait pas eu de micro pour répercuter ce que je venais de lui dire – je n’avais donc pas dit de sottises ! Elle m’a pris dans ses bras. On se faisait photographier, à profusion. Je lui ai dit : « On ne sait peut-être pas toujours qui vous êtes, mais les gens ne courent pas de risque, au cas où nous serions tous deux des célébrités ! » Elle a rigolé de bon cœur, m’a montré la rue Ste-Catherine en fête et m’a dit : «Voyez, les gens de mon pays ne savent pas ce qu’ils ratent, le plaisir et le bonheur dont ils se privent.» Je l’ai remerciée, saluée; j’ai rejoint mon copain, qui avait pris une multitude de photos, et même enregistré une courte vidéo de ma rencontre avec Alice Nkom. J’allais pouvoir conserver un souvenir de mon tête-à-tête avec un prix Nobel, la seule, très certainement, que j’aurai eue de toute ma vie !
Il n’y a pas si longtemps, l’Église catholique nous haïssait, le système nous méprisait, la société nous insultait, et nous, nous avions honte de nous. L’ancien maire Drapeau nous faisait cogner dessus par sa police, une police crasseusement ignorante, qui ne demandait pas mieux que d’être utile au maintien des bonnes moeurs, sans que ça n’émeuve jamais l’opinion – à l’exception, notable, un jour d’il y a 34 ans, de René Lévesque. Suite à un acte de sauvagerie particulièrement odieux, perpétré par la police de Montréal à l’encontre de la clientèle d’un bar gai du centre-ville, le premier ministre avait fait amender la Charte des droits et libertés pour y inclure l’orientation sexuelle comme motif antidiscriminatoire. Ça se passait en 1977. M. Lévesque aurait aimé Mme Nkom – et sans doute réciproquement. Lévesque était d’une intégrité exceptionnelle, meilleure garante, il en était convaincu, du lien très étroit, primordial, entre la liberté et la règle de droit. Mme Nkom mène en ce moment au Cameroun, et à la grandeur du monde, le même combat, avec la même ardeur, la même exigence humaniste. À certains de ses ministres qui craignaient que le gouvernement perde des appuis, en se commettant avec des « homosexuels », M. Lévesque avait répondu, crument, que «la valeur d’un homme se mesure à ce qu’il fait de sa vie, et non à ce qu’il fait avec ce qu’il y a dans ses culottes.»* Mme Nkom ne tiendrait probablement pas le même langage ; elle n’en dirait pas moins ; elle espère du président du Cameroun le même respect pour son pays et tous ses citoyens, que l’observance qu’il doit, précisément, aux textes internationaux qu’il a signés en leur nom. Alice Nkom n’a pas d’ambition pour elle-même ; elle ne convoite rien du tout, à ce que je sache. Seulement, elle souffre de ce que les gens peuvent souffrir, quand on les prive de ce qu’ils sont, qu’on les méprise, et qu’on les livre à la vindicte publique. La haine ne sert que trop bien à camoufler d’autres misères, plus affamées encore ; en bout de course, c’est de justice sociale dont rêve Alice Nkom.
J’ai eu l’honneur de rencontrer maître Alice Nkom. Ça a été, à n’en pas douter, ma Chose vue, lue, entendue… la plus marquante de l’été qui s’achève.
P.-S. Mme Nkom en appelle, en ce moment même, à la communauté internationale, pour que les personnes de bonne volonté, qui le veulent bien, signent une pétition adressée au président de la République du Cameroun. Paul Biya n’aimera peut-être pas ; mais il écoutera probablement. Le Cameroun est membre des Nations-Unies, signataire du Protocole facultatif concernant les droits civils et politiques. Le Président le sait. On ne peut plus opposer, perpétuellement, aux droits universels la prévalence de la culture locale. Ces droits servent, j’en conviens, trop souvent encore de paravent à l’impérialisme, et même à l’agression. Dick Cheney en est un exemple éminent, dégoûtant. Mais résister à l’impérialisme ne peut, ni ne doit plus jamais, justifier la répression des personnes pour ce qu’elles sont, dans leur incorruptibilité, ainsi que dans leur droit, absolu, à l’équité. Source : http://www.fugues.com/main.cfm?l=fr&p=100_article&article_ID=18972
* Je tiens le verbatim d’un ex-ministre du gouvernement Lévesque, qui avait assisté au débat, en conseil des ministres, et qui avait vu M. Lévesque ne pas se soucier, du tout, de ce que ça puisse nuire à la popularité du gouvernement, quand il s’agissait de droits humains, et du respect de toutes les personnes, sans exception. Le Québec avait alors un véritable gouvernement de gauche, aux larges vues.