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mercredi 2 avril 2014

L'INTOUCHABLE VERTU DE LA PRESSE



Source: http://fansdedisney.centerblog.net/rub-Pinocchio.html?ii=1

J’ai encore une fois eu honte, mais, vraiment, honte, de la manière dont la télévision de Radio-Canada traite de ce qu’elle met en ondes durant cette campagne électorale québécoise de 2014. C’était il y a peu, ce soir, au Téléjournal de Mme Céline Galipeau, celui de 22 heures.

À quelques jours du scrutin, l’entrevue avec la première ministre Marois était corsée, mais c’est de bonne guerre, si Mme Galipeau, la journaliste, a recours à la même agressivité avec les autres chefs de parti. Et de toute façon, Mme Marois est une admirable battante, qui répond avec aplomb.

Non, c’est le traitement de la toute première nouvelle qui m’a scandalisé. Mme Galipeau a commencé par qualifier de «révélations», ré-vé-la-tions, ce que contenait cette lettre anonyme assermentée dont la Société Radio-Canada avait fait grand bruit la veille. (Demandez à un croyant le sens précis du mot «révélation»: pas de doute, c’est ce que «vérité révélée» par Radio-Canada veut dire.)

Dès que la nouvelle de ce soir s’est un peu étoffée, voilà que Mme Galipeau a opéré un retrait stratégique (il y a des poursuites possibles, voyez-vous, à l’encontre de la révélation sensationnelle de la veille), et qu’elle est passée au conditionnel: «aurait», a-t-elle prononcé, les lèvres pincées, deux fois plutôt qu’une, «au-rait». Comme dans: le financement du Parti québécois aurait, peut-être, pu être ce que nous en avons dit, mais bon, c’est conditionnel à ce que soit vrai ce que nous avons dit...

Par la suite, on entend Mme Marois, en conférence de presse, poser des fameuses de bonnes questions: n’y aurait-il pas vengeance contre elle et son parti, pour avoir réclamé cette commission d’enquête sur le crime dans l’industrie de la construction, qui secoue tant et tant le petit monde interlope des complets vestons, y compris dans les cabinets de génie-conseil ? C’est une question pertinente, d’autant plus que Mme Marois dit ignorer complètement qui est derrière l’accusation qui l’atteint, elle, par le biais de son époux. Mais ça n’intéresse pas du tout Mme Galipeau. Détail secondaire. Billevesées insignifiantes. La SRC n’aurait quand même pas pu être manipulée par des vengeurs masqués, non ?  Alain Gravel, manœuvré par un anonyme, lui si bouffi de sa propre suffisance ? Allons donc, c’est d’un ridicule. Embarrassant. 

Révélation, au conditionnel, devient donc «information», et encore, nouveau glissement: M. Sébastien Bovet, autre journaliste chevronné qui se joint à Mme Galipeau pour parler de ces choses de la vie, spécifie que si tous les partis dénoncent le «crime» du PQ (et même Mme Françoise David, qui a la vertu de Robespierre, et qui fait de grands signes que, oui, elle dénonce), il n’en reste pas moins qu’ils restent prudents sur ces «allégations». A-l-l-é-g-a-t-i-o-n-s, prononce Bovet, prudemment, sciemment. Enfin.

Mme Galipeau s’accroche, c’est le moment, un regard attristé au visage: n’est-ce pas une campagne exceptionnellement sale, demande-t-elle ? Oui, répond Bovet, mais glisse-t-il, comme si un bout de vérité avait enfin le droit d’exister, «la télévision, avec ses clips de 15 secondes, adore ces attaques» vicieuses, et en remet. Nous voilà finalement au fait. La récupération a été magistrale - ou presque. Radio-Canada a dit, et s’est dédite. L’important, c’est que le message reste. Un juge, lui, saura bien comprendre les vraies affaires.

N’empêche, honte à Mme Céline Galipeau. Honte à l’équipe du TJ de Radio-Canada. 


(Et c’est vraiment la dernière fois que j’écris quelque chose sur toutes ces saloperies journalistiques, d’ici les élections. On en a marre d’être odieusement manipulés par des gens qui savent parce qu’ils lisent n'importe quoi, et parce qu’ils appartiennent au monde des importants, ceux qui se donnent des missions.)





dimanche 30 mars 2014

PARTI QUÉBÉCOIS EN DEUX TEMPS, DEUX MOUVEMENTS 1980-2014




2014
Je n’ai jamais vu (depuis longtemps, probablement depuis le référendum de 1995) une assemblée aussi enthousiaste, fébrile et passionnée, que celle qu’a tenue le Parti québécois au Théâtre Télus, rue Saint-Denis, ce samedi soir 29 mars 2014.

Des milliers de personnes, de tous âges — contrairement à ce que prétend Mme Françoise David, qui dit du P.Q. qu’il est devenu exclusivement un parti de vieux, Mme David, bien sûr, ayant l’âge pour affirmer ce genre de choses, — tellement de personnes, en fait, que des centaines d’entre elles ont dû rebrousser chemin, après s’être vus refuser une entrée dans une salle déjà trop bondée. J’imagine qu’au Parti québécois, on ne rigole plus du tout avec les questions de sécurité, et de fait, on entrait au Télus comme on entre en zone internationale, dans un aéroport. Séquelle d’une tentative d’assassinat, il n’y a pas si longtemps.

C’était sympa, c’était amoureux, et c’était croyant, encore et toujours, dans ce possible pays du Québec, évoqué parfois brillamment, comme l’a fait Mme Lorraine Pintal, dans un magnifique plaidoyer pour la culture, essence même de toute vie nationale. J’ai vu des yeux allumés, souvent, partout où j’ai pu regarder, dans cette salle trop petite pour celles et ceux qui voulaient rêver de l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire, capable du plus bel idéal qui soit, celui de la neutralité de l’État et de l’égalité absolue de tous, et pour tous.

J’ai eu, moi, aussi, souvent, les yeux mouillés. La foule qui aime et qui vibre, quand la première ministre rappelle ce qu’a été l’humiliation sociale et linguistique des ouvriers canadiens-français dans les usines de la «province», il n’y a pas si longtemps; la foule qui aime et qui applaudit frénétiquement les leaders étudiants, qui poursuivent, et le disent clairement, les mêmes objectifs sociaux qu’en 2012, par des moyens désormais différents; la foule qui veut se faire aimer et sécuriser, par Guylaine Tremblay, par Jean-Pierre Ferland, par Janette Bertrand, qui tous ensemble les rassurent: bien sûr que non, militants souverainistes anciens comme nouveaux, vous n’êtes ni débiles, ni fascistes, mais simplement de bonnes et justes personnes, progressistes, qui ont beaucoup appris du Parti québécois; elles le savent et font, en conséquence, une ovation monstre à Véronique Hivon qui, tout comme Bernard Drainville, avouent ressentir la crainte que la dignité ne meure avec le résultat de ces élections générales... J’ai souvent, oui, les yeux mouillés quand la foule aime, vibre, espère, applaudit celles et ceux qui la soutiennent et prennent sa défense, celles et ceux «qui sont du bord des miens» — Geneviève Bujold.

Décidément, c’était une belle réussite, que cette assemblée populaire du Parti québécois du samedi 29 mars 2014.

Le Parti québécois a été un formidable professeur d’éducation populaire, vers une société réellement plus juste et plus tolérante, et la foule bon enfant de ce samedi soir, au Théâtre Télus, savait qu’elle avait beaucoup appris de ce remarquable pédagogue, qui a retenu la manière de René Lévesque de dire les problèmes, et de convaincre des solutions les plus urgentes.




1980

Nous sommes au printemps 1980, au début de ma vingtaine. C’est le référendum. J’aime passionnément M. René Lévesque. Je rêve passionnément d’un pays libre. Je m’engage, fais du porte-à-porte, et, là, je découvre l’horreur: les portes qui claquent, les vulgarités lancées à pleins poumons, les insultes gratuites. Tout ça dans le Plateau, dans le circonscription électorale, Mercier, de M. Gérald Godin. (Quand je fais des visites avec M. Godin, seulement chez ceux qui ont été ciblés comme indécis, là les portes s’ouvrent, il y a du café, de la bière, des demandes...: M. Godin est d’une politesse parfaite, il prend des notes, écoute des histoires familiales parfois terribles, dit franchement s’il peut aider ou pas... Bref, un vrai militant.)

Un jour, sonnant chez une dame pour vérifier, avec elle, la liste électorale, elle m’assène un catégorique: «Mon nom est Canadienne, mon prénom est Québécoise !» Je fais semblant d'attester de son inscription, et je lui dis: «Mme Canadienne, vous n’êtes pas inscrite sur ma liste !» La porte, l’immeuble, la rue, le quartier de cette dame en tremblent encore, j’en suis sûr, tellement elle a vociféré, que c’en était étonnant pour une fumeuse. C’est qu’ils étaient coriaces, dans ce temps-là, les fédéralistes !

Quelques jours plus tard, on devait passer une lettre du premier ministre Lévesque aux personnes âgées, pour les tranquilliser, leur assurer qu’il n’y avait aucun danger quant à une victoire du OUI à la souveraineté. Je sonne (encore). Une vieille dame respectable d’allure me répond: «Qu’est-ce que c’est ?»; «Une lettre du Premier ministre pour vous, madame». (C’est ce qu’on devait dire, mot pour mot.) «Ah ben le tab..., y peut ben se torcher avec !» Jamais plus je n’ai eu cette confiance naïve dans les chevelures bleutées qui font normalement le charme de la vie.

Vers la toute fin de mon bénévolat national, je sonne chez un jeune mec de mon âge, rue Mont-Royal. Je ne savais rien de qui habitait là, bien sûr. Il me voit, me fait entrer, m’amène immédiatement dans sa chambre ! « On sera mieux pour jaser, me dit-il, j’ai un coloc. » J’ai vécu là un tourment existentiel douloureux, parce que le mec se questionnait sur son OUI, et qu’il était un absolu pétard ! Mais la Cause avant tout: et j’ai résisté à lui donner des arguments plus personnels.

Monsieur Lévesque a perdu. Au soir du 20 mai 1980, les pancartes du NON, posées sur les balcons, ont disparu à toute vitesse, comme s’il y avait une honte affreuse à s’être affiché pour ce camp. Et je crois, en effet, qu’il y avait, ce soir-là, une honte affreuse à vivre cette soirée dite «historique», où M. Trudeau, premier ministre canadien, nous a dit, à nous Québécois, de «remballer nos rêves»
pour longtemps.








jeudi 16 août 2012

LA GRANDE IMBÉCILLITÉ


Cyberpresse, 16 août 2012. 



Cyberpresse, 21 heures : 43 % des personnes qui se sont exprimées, par le biais d'une question sondage frisant le racisme, et réveillant les pires préjugés qui soient, se sont dites d’accord avec les propos du maire de Saguenay, Jean Tremblay. Je suis stupéfait, honteux : 7402 de mes compatriotes pensent que les personnes nées hors Québec, mais devenues citoyennes de ce pays, amoureuses de ce pays, tout aussi bien et tout autant que tous les autres citoyens du Québec, au restant parfaitement intégrées, au point d’adhérer au parti politique qui prône l’indépendance nationale, le français comme langue commune et la laïcité pleine et entière de l’État, que cesdites personnes n’ont pas le droit d’exprimer une opinion quant à un projet de société qui n’est pas traditionnel, et qu’elles devraient s’exclure d’elles-mêmes du débat public.

7402 de mes compatriotes pensent, comme le maire Tremblay, que, «nous les mous, les Canadiens français, on va se faire dicter comment se comporter, comment respecter notre culture par une personne qui arrive d'Algérie… On n'est même pas capable de prononcer son nom… Je n'aime pas que ces gens-là (les immigrants) arrivent ici puis établissent leurs règles… Ils vont faire disparaître la religion et notre culture de partout.» Le maire a déliré ; il a pris la défense du catholicisme par un appel à peine déguisé à la haine et à l’exclusion, et c’est ce qui reste, dans l’espace public, l’exclusion, la haine, sans ouverture à l’autre et à l’échange de vues. N’importe quel peuple sur Terre, et le nôtre aussi, bien entendu, peut s’expliquer avec ses nouveaux arrivants, insister sur les valeurs fondamentales qui sont les siennes. C’est ce que propose de faire la Charte de la laïcité. Mais rendons-nous bien compte que nombre des 7402 électeurs québécois qui, aujourd’hui, ce soir, appuient les inepties du maire Tremblay ne veulent pas promouvoir des principes essentiels; ils dénoncent qu’une candidate issue de l’immigration ait des principes essentiels, ils martèlent un racisme enfin libéré, un rejet de l’immigration en tant que telle, contents de pouvoir enfin soulager la peur de l’autre qui peut tous nous habiter, et qui fait d’affreux ravages quand on n’y prend pas garde. Ce qu’a dit le maire, c’est petit, c’est médiocre, c’est en fait scandaleux. Quant au sondage de la Cyberpresse, il n’a bien sûr rien de scientifique. Mais j'aimerais quand même, ce soir, habiter Trois-Rivières, et pouvoir contribuer, par mon vote, à donner à la candidate péquiste d’origine algérienne une victoire telle que les connards sectaires, crédules, intolérants, s’écrasent à tout jamais. Je rêve, mais j'espère quand même.

Ce n’est pas d’hier que dès qu'on «touche» au crucifix, au Québec, on mobilise une droite réactionnaire qui, souvent, ne pratique plus aucune religion, mais qui, hurlant et criant au sacrilège, préserve l’orthodoxie sociale et  trouve par là un moyen parfaitement cynique de canaliser les sentiments populaciers les plus immondes, à ras de terre. C'est la même droite qui applaudissait Camil Samson, lui qui déplorait qu'on sorte le crucifix des écoles. C'est la même droite qui a manifesté contre les Fées ont soif, devant le TNM, en 1979, et qui s'est prolongée dans le mouvement des Yvettes, lors du référendum de 1980. C’est le même conservatisme social, braqué depuis longtemps contre la révolution sexuelle et la révolution féministe, qui persuadait la même droite de refuser (criminellement) les pubs de santé publique exhortant de toute urgence à utiliser des condoms lors de rapports sexuels, à l'époque où Mme Thérèse Lavoie-Roux, ancienne commissaire d’école catholique, était ministre de la Santé. Ce sont les tenants de la même droite qui animent les radios poubelle, qui cultivent le maire et les gens qui pensent comme lui.

Il y a aussi, dans cette affaire du crucifix, et c’est ce qui gêne le plus, de la xénophobie, et du racisme, qui s'enracinent parfois dans la simple ignorance des autres (c'est très certainement le cas du maire Tremblay, qui, ne sachant prononcer le nom de Mme Benhabib, avoue du même coup qu'il ne l'a jamais lue). Voilà que ce soir, un ministre libéral du coin, je veux dire du Saguenay, soutient le maire, applaudit, c’est lui qui le dit, à des positions courageuses. Il y a certainement (à n'en pas douter) de la partisanerie politique dans les réponses au sondage de la Cyberpresse, qui saute sur l'occasion pour déstabiliser le Parti québécois et promouvoir d'autres partis semblant mieux «sauver» le Québec traditionnel contre les «immigrés». L'ADQ avait joué cette carte, à fond, aux élections partielles et générales de 2008. On peut imaginer que bien des personnes qui ont cliqué leur accord avec le maire Tremblay ont fait le geste pour nuire au Parti québécois, tout simplement - mais sans conscience.

S’il n’y avait pas, en triste supplément, les défenseurs du patrimoine pour tout confondre, pour amalgamer la laïcité de l'État avec la destruction des églises ! Faut le faire ! J'ai des amis, intelligents, athées, qui sont favorables au maintien du crucifix à l'Assemblée nationale, que pour cette raison, le patrimoine – raison à mon avis aberrante, puisqu'un crucifix, ça se déplace, ça se range, ça se conserve dans un musée. Quand, en 1977, le gouvernement péquiste de René Lévesque a décidé d'abolir la prière à l'Assemblée nationale, ça a crié, du côté des banquettes libérales, et c'était, à les entendre, un vrai scandale, l’œuvre d’un mécréant; plus personne, depuis, ne conteste le « moment de recueillement », parfaitement neutre. J'en ai assez, vraiment assez, de ces histoires à n'en plus finir pour ce qui n'existe même pas, ni comme un vieux Monsieur à barbe, ni comme une Chose flottant dans les Cieux, ni comme une Entité créatrice, qui nous surveillerait du Très-Haut, qui dicterait ses désirs et ses ordres, qui froncerait du sourcil quand les Benhabib de ce monde osent parler de laïcité, un Dieu qui prônerait une morale écrasante, sexuelle, vestimentaire, une parade graduée comme une échelle, allant du meilleur jusqu'au pire, avec l'enfer au bout du compte, divinement calculé. Contre l'offensive catholique intégriste de Mgr Ouellet, sur laquelle s'aligne le maire Tremblay, il y a la science, la NASA, la modernité, l'évidence. On s'en sortira, de cette hypocrisie, quand les athées, les non-pratiquants, cesseront de faire baptiser leurs enfants, et de magnifier leurs morts à l'église. On s'en sortira quand les athées, et les non-croyants cesseront de se demander, torturés et parfaitement ridicules, si on doit, après les écoles, sortir le crucifix de l'Assemblée nationale. Qu'on le sorte, bon dieu, et qu'on le mette au musée du Québec, souvenir malheureux de la Grande Noirceur qui se prolonge, encore, jusqu'à maintenant, dans la Grande Imbécillité.

Du bien, dans toute cette sale affaire ? Oui. Un pas de plus vers la laïcité complète de l'État, à l'encontre de ce que prescrit pourtant, terriblement arriérée, la constitution canadienne, qui reconnaît, sans blague aucune, la « suprématie de Dieu ». Et, peut-être, une sensibilité nouvelle, de nos compatriotes des communautés culturelles, vers le Parti québécois, qui n'a jamais été, tant s'en faut, leur persécuteur ou leur ennemi.






vendredi 3 août 2012

NE PAS VOTER DU TOUT


20 mai 1980: c'en était fait.



Le 2 mai 2011, les électeurs québécois ont rejeté une équipe parlementaire qui n'avait pas démérité, et qui avait au cœur même de son existence de faciliter, un jour, l'accès du Québec à son indépendance, quand en viendrait le temps - comme le temps de la République était finalement arrivé pour les Irlandais, divisés, hésitants à n’en plus finir, longtemps dominés, aliénés, et presque assimilés. Désirant clairement le choix qu'il faisait, le peuple québécois a dans les faits rejeté son indépendance, et a mis fin, définitivement, au rêve difficile et douloureux, souvent refoulé, de son émancipation collective, de sa maturité enfin assumée, avec risques et périls, avec gauche et droite, avec connaissance et présence dans le monde, comme pour tout autre peuple libre de son destin.

Claude Ryan avait dit un jour la nécessité historique, inévitable, qu'une des deux options, fédéraliste ou souverainiste, disparaisse complètement. Au lendemain du 2 mai, c’était chose faite, désormais. Le Bloc québécois anéanti, le choc a été énorme. La tourmente a failli emporter le Parti québécois, hébété, déchiré entre ceux qui ont voulu sauver l'option à tout prix, et ceux qui ont voulu coûte que coûte sauver le parti de gouvernement, qui a rendu de grands services, ceux mêmes qui croyaient, encore, que le pouvoir provincial exercé par des souverainistes augmentait la confiance en nous des Québécois. Des souverainistes, proches d'Option Québec, publié en 1968, ont critiqué l'origine même de l'impasse, voire de l'impuissance nationale, dans cette démarche référendaire destinée à toujours échouer, victime de modifications démographiques de plus en plus rapides, ce pendant que le vote des jeunes désertait la cause, s'abstenait de plus en plus massivement. Des souverainistes restés attachés au parti, fidèles à l'idée lévesquiste qu'un bon gouvernement, nationaliste, social-démocrate, pouvait préparer l’indépendance par la gouvernance souverainiste, en attendant un possible référendum gagnant, sont restés fidèles à l'idée d'une élection provinciale victorieuse, malgré l'effroyable déroute du Bloc québécois au 2 mai 2011. Et pourtant l'option est bien morte, aussi irréversiblement que M. Lévesque l'avait cru « irréversible », dans son fameux discours, excellent, essentiel, inutile, et qu’il a regretté, tenu à l’Economic Club de New York, en janvier 1977. L’option est morte depuis longtemps. Elle survivait comme un fantasme masquant l’humiliation à renoncer; le 2 mai, elle a été une fois pour toutes liquidée, enterrée.

J’en ai mal au cœur, encore, parce que j’ai toujours cru l’indépendance du Québec impérative, urgente et nécessaire. Fragmenté, centré sur la langue, le drapeau, les grands mythes historiques, les statues de présumés grands personnages de notre histoire, le nationalisme québécois me touche peu, m’embarrasse souvent, comme me désarçonnait déjà la gêne de M. Lévesque de faire adopter la Loi 101. Nos compatriotes anglo-québécois ne s’embarrassent pourtant pas d’être unanimes, à peu d’électeurs près, quand il s’agit de rejeter le Québec pays, le Québec français, le Québec national ; ils n’ont aucune réserve à s’appuyer sur les instruments législatifs, et constitutionnels, qu’ils se sont donnés, depuis 1867, plus encore depuis 1982, pour assurer l’épanouissement de leur collectivité. Ils exigent qu’on leur parle dans leur langue. Ils exigent qu’on leur donne leurs villes, leurs institutions scolaires, la libre disposition de leurs revenus communautaires, le libre usage de la Charte fédérale des droits et libertés. Ils exigent une identité séparée, et menacent même, si jamais l’indépendance devait se réaliser, de partitionner le Québec, comme l’Irlande a dû se laisser déchirer, un séparatisme payé très cher. Ils sont sans gêne et conscients, ce qui nous manque, à nous francophones, souverainement. J’ai cru à la nécessité, oui, de l’indépendance du Québec, comme à un acte de libération essentielle, qui donnerait, par exemple, aux étudiants la capacité de surmonter l’envie du décrochage scolaire, ce désir qu’ils ont, puissant, aujourd’hui irrationnel, de la fuite dans un misérabilisme toujours vivace parce qu’il a un sens, parce qu’il masque une autre liberté, désirée, passionnante, celle du pauvre, du squatter, de l’errant, du modeste, qui se croit libre parce qu’il a l’espace pour lui, et peu de besoins à combler. Tout cela n’est pas du gauchisme, pas même un penchant pour l’anarchisme, c’est de la dérobade. C’est notre communautarisme à nous, une aliénation terrible, une peur tenace que ça change, et que la liberté dont parlait M. Lévesque, mieux encore M. Parizeau, ne soit plus la liberté de faire ce que l’on veut, sans qu’on nous bâdre avec le souci des autres, avec l’effort, avec la culture, avec la connaissance, avec le changement. Un livre magnifique, paru il y a quelques années, Québec, quatre siècles d’une capitale, l’œuvre entre autres de l’historien Gilles Gallichan, faisait en réalité l’histoire d’une capitale en perte de continuité, constamment ravagée et refaite, sans souvenirs persistants, le lieu d’une singerie caricaturale du pouvoir des Anglais d’Angleterre, arrivés ici à force d’armées conquérantes, capitale incurablement provinciale qui se donne, sans rire du tout, un titre, un trône, des costumes brillants, des habitudes bien élevées, une sagesse de colonisés parfaitement affligeante… Qu’importe aux Québécois cette parade ridicule, pourvu qu’on les laisse en paix. Le vernis du colonisé est solide et brillant ; mais sous la couche épaisse et résistante de la petite bourgeoisie, il y a un peuple qui a tout encaissé, mépris, exploitation, tromperie, et qui ne sent de survie que dans sa liberté d’être, immédiate, protégée par l’ignorance des défis inévitables, soulagée par le rire gras, rêvant qu’un jour il y aura pour lui aussi commerces prospères et beaux quartiers. Le pays, dans ce contexte, est pour le moins lointain, et nébuleux…

L’indépendance n’est pas une fin en soi ; mais elle est, j’y ai cru, un bien en soi. Je trouve ça triste, et désolant, qu’on y ait renoncé, mais c’est un fait. Le déni là-dessus est tellement puissant que lorsque je suppose la fin du rêve, preuves à l’appui, j’en perds des amis. Et pourtant, j’en ai assez de m’illusionner. Ça m’épate de voir Léo Bureau-Blouin s’engager, et Jean-François Lisée, et Maka Kotto, et Jean-Martin Aussant, lui autrement, d’un sans-gêne à priori emballant, et même Françoise David, sans qu’elle semble vraiment y croire, au pays, comme d’une nécessité absolue, de toute première importance. Je les admire, je le jure, et combien d’autres. Mais je refuse qu’ils m’emportent désormais dans la calamité, et la consternation, à répétition. Comment raconterons-nous donc notre histoire nationale, dans cinquante ans, dans cent ans, déjà que ce n’est pas simple d’expliquer à des étudiants à qui il faut faire aimer l’Histoire, imaginez, que nous provenons d’une colonisation ratée, d’une conquête, d’une révolte échouée en plein hiver, d’un asservissement, et d’un long, d’un très long mépris.

Je ne voterai donc plus, plus jamais, à l’exception d’une élection référendaire, ou d’un référendum sur la souveraineté ; alors, là, oui, j’irai voter. Mais il n’y aura ni de ce jour improbable, ni d’une victoire impossible, et je ne voterai donc plus. La polarisation nouvelle entre la droite et la gauche montre bien que l’autre projet a été trop long à se réaliser, qu’il ne se réalisera jamais : l’illusion du pays s'incarne en ce moment avant l’indépendance réelle, et c’est de projet de société dont on parle désormais. Ce nouveau clivage est la plus belle preuve que la question de la souveraineté est tranchée. M. Legault, tout comme Mme David, qui tous deux en ont gros contre le Parti québécois, sont les naufrageurs ultimes de la souveraineté, au bénéfice d’une gauche ou d’une droite provinciale, de parenté évidente avec des partis fédéraux, le NPD ou le parti conservateur. Au reste, Québec Solidaire se dit souverainiste parce que l'écrasante majorité des personnes de gauche le sont. Cela changerait ( et cela changera, ) que QS changera d'option constitutionnelle, je parie fort là-dessus. 

Ce printemps, le mouvement étudiant a été remarquable, l’argumentaire, impeccable. La Révolution tranquille n’a pas été complètement inutile ! Mais le mouvement étudiant n’était pas toute la jeunesse, et certainement pas les décrocheurs, ni ceux, excusez l’expression, qui s’en crissent ; il n’incarnait pas non plus le peuple québécois dans toute l’épaisseur de son existence historique, bien loin de là. Il aurait pu cependant nous faire croire que la société québécoise avait réellement changé, et qu’elle avait désormais de nouveaux idéaux démocratiques. À ceux et celles qui pourraient l’espérer, allez lire ce qui s’écrit dans les médias sociaux, allez  suivre sur Twitter la campagne électorale en cours : rien n’a changé, la partisanerie reste aveugle, agressive, et de mauvaise foi ; la gauche pratique la vieille politique du discrédit des personnes comme une pro de droite radoteuse et sénile. Voter, dit-on souvent, est un devoir ; il m’arrive de penser, c’en est même une conviction profonde, qu’il faudrait un code de déontologie de l’électeur, une éthique de l’électeur, une exigence démocratique de l’électeur, avant de pouvoir même voter. Pour devenir citoyens, on vérifie que le candidat a quelques connaissances de base sur le pays qui l’accueille. Ça me fait fantasmer, pour tout dire, qu’on exige la même chose de chaque électeur, avant même de réformer les mœurs électorales, ou le système lui-même. La démocratie ne s’en porterait que mieux. En attendant, c’est le suffrage universel lui-même qui me laisse froid.

À défaut d’indépendance, peut-être faut-il, comme on dit, commencer par le commencement, et nous mériter notre propre démocratie. Une véritable démocratie, qui sorte du parlement, même réformé, et qui s’impose dans tous les lieux de travail, où l’autoritarisme reste encore la norme, telle qu’elle l’était au 19e siècle, exception faite des balbutiements du syndicalisme  – de toute façon écrasé dans le sang. C’est fou ce qu’un cadre peut se croire seigneur féodal, au milieu de ses vassaux, ce qu’un patron d’entreprise peut se croire monarque absolu, gérant selon son bon plaisir. Mais pour ce faire, éliminons le système actuel, la corruption actuelle, la mesquinerie actuelle, en refusant d’aller voter, en masse. Il faudrait être en si grand nombre que le poids écrasant des abstentionnistes discrédite le système lui-même, et ses électeurs fanatiques, gavés d’images, heureux d’être si grossièrement désinformés. Et peut-être, peut-être arriverons-nous à passer d’une liberté à l’autre, de l’inconscience indocile et sarcastique à la liberté publique, collective et juste, parce que corrigeant ce que l’Histoire aura fait de nous.

J’aime les Québécois. J’aime le Québec. Mais le 4 septembre prochain, je n’irai pas voter.