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lundi 1 janvier 2018

LECTURE: JEAN-CHARLES PANNETON, LE GOUVERNEMENT LÉVESQUE, TOME 2




Je viens tout juste de terminer la lecture du tome 2 du Gouvernement de René Lévesque : Du temps des réformes au référendum de 1980, de l’historien (et collègue) Jean-Charles Panneton (Septentrion, 2017, 355 p.)

Je vais d’abord faire bref : excellent, et passionnant, même si l’auteur ne se départit jamais d’une écriture classique, caractéristique d’un essai qu’il veut rigoureux, et qu’il a abondamment documenté. N’empêche, malgré la tentation de l’objectivité, le lecteur sent bien que l’activité de sympathie a joué ici pleinement son rôle, et, loin de nuire à l’ouvrage, elle n’y en ajoute que davantage de crédibilité.

L’essai est spécialisé : nous ne lisons pas une histoire du Québec au temps de René Lévesque, mais bien une histoire de son gouvernement. C’est dire que la société réelle reste la grande absente de ce récit, à quelques exceptions près, entre autres sur le taux de chômage étonnamment élevé, endémique durant toute la période. Ainsi en est-il de l’affaire des Yvettes (mai 1980), parfaitement racontée, mais qui fait silence sur la force du conservatisme social qui n’avait pas trouvé, depuis 1960, de voies d’expression, et qui va là surgir, grâce à cette « gaffe » de Mme Lise Payette, avec une force, un rugissement incroyable : une véritable constellation d’oppositions diverses va se constituer, qui s’est braquée contre la souveraineté pour mieux bloquer, sinon rejeter, en vrac, l’avortement, l’égalité des sexes, la déchristianisation du système scolaire, la laïcité de la chose publique, la révolution sexuelle, la contre-culture elle-même dont les odeurs suspectes flottaient toujours dans les assemblées de masse du PQ d’alors !

Du reste, sur cette fameuse affaire des Yvettes, faut-il rappeler que Mme Payette s’inspirait d’une entrevue durant laquelle M. Claude Ryan, devenu chef du PLQ en 1978, déclarait avoir voulu se marier, à 33 ans, pour ne pas passer « pour une maudite tapette », fixant son choix sur une bonne chrétienne qui lui ferait des enfants — le même Claude Ryan qui, pour discréditer M. René Lévesque par le biais de sa vie privée, disait ne vouloir que des candidats libéraux disposant d’une adresse fixe !

Histoire, donc, du gouvernement de René Lévesque, dont l’originalité la plus marquée reste dans l’utilisation constante qu’a faite l’auteur des procès-verbaux du Conseil des ministres. Ainsi lit-on, surpris, captivé, les échanges, et parfois les déchirements d’une équipe ministérielle qui était loin d’être toujours au diapason. Passionnant, je vous dis.

Je parierais fort que l’ouvrage de Panneton restera comme une référence incontournable, et qu’on verra longtemps des professeurs d’histoire ou de politique, à qui des étudiants demanderont des suggestions de lecture sur l’époque référendaire, leur répondre: « allez donc lire Panneton, c’est l’ouvrage de base. »

Ce livre sera couronné, et il le méritera. 





dimanche 30 mars 2014

PARTI QUÉBÉCOIS EN DEUX TEMPS, DEUX MOUVEMENTS 1980-2014




2014
Je n’ai jamais vu (depuis longtemps, probablement depuis le référendum de 1995) une assemblée aussi enthousiaste, fébrile et passionnée, que celle qu’a tenue le Parti québécois au Théâtre Télus, rue Saint-Denis, ce samedi soir 29 mars 2014.

Des milliers de personnes, de tous âges — contrairement à ce que prétend Mme Françoise David, qui dit du P.Q. qu’il est devenu exclusivement un parti de vieux, Mme David, bien sûr, ayant l’âge pour affirmer ce genre de choses, — tellement de personnes, en fait, que des centaines d’entre elles ont dû rebrousser chemin, après s’être vus refuser une entrée dans une salle déjà trop bondée. J’imagine qu’au Parti québécois, on ne rigole plus du tout avec les questions de sécurité, et de fait, on entrait au Télus comme on entre en zone internationale, dans un aéroport. Séquelle d’une tentative d’assassinat, il n’y a pas si longtemps.

C’était sympa, c’était amoureux, et c’était croyant, encore et toujours, dans ce possible pays du Québec, évoqué parfois brillamment, comme l’a fait Mme Lorraine Pintal, dans un magnifique plaidoyer pour la culture, essence même de toute vie nationale. J’ai vu des yeux allumés, souvent, partout où j’ai pu regarder, dans cette salle trop petite pour celles et ceux qui voulaient rêver de l’élection d’un gouvernement péquiste majoritaire, capable du plus bel idéal qui soit, celui de la neutralité de l’État et de l’égalité absolue de tous, et pour tous.

J’ai eu, moi, aussi, souvent, les yeux mouillés. La foule qui aime et qui vibre, quand la première ministre rappelle ce qu’a été l’humiliation sociale et linguistique des ouvriers canadiens-français dans les usines de la «province», il n’y a pas si longtemps; la foule qui aime et qui applaudit frénétiquement les leaders étudiants, qui poursuivent, et le disent clairement, les mêmes objectifs sociaux qu’en 2012, par des moyens désormais différents; la foule qui veut se faire aimer et sécuriser, par Guylaine Tremblay, par Jean-Pierre Ferland, par Janette Bertrand, qui tous ensemble les rassurent: bien sûr que non, militants souverainistes anciens comme nouveaux, vous n’êtes ni débiles, ni fascistes, mais simplement de bonnes et justes personnes, progressistes, qui ont beaucoup appris du Parti québécois; elles le savent et font, en conséquence, une ovation monstre à Véronique Hivon qui, tout comme Bernard Drainville, avouent ressentir la crainte que la dignité ne meure avec le résultat de ces élections générales... J’ai souvent, oui, les yeux mouillés quand la foule aime, vibre, espère, applaudit celles et ceux qui la soutiennent et prennent sa défense, celles et ceux «qui sont du bord des miens» — Geneviève Bujold.

Décidément, c’était une belle réussite, que cette assemblée populaire du Parti québécois du samedi 29 mars 2014.

Le Parti québécois a été un formidable professeur d’éducation populaire, vers une société réellement plus juste et plus tolérante, et la foule bon enfant de ce samedi soir, au Théâtre Télus, savait qu’elle avait beaucoup appris de ce remarquable pédagogue, qui a retenu la manière de René Lévesque de dire les problèmes, et de convaincre des solutions les plus urgentes.




1980

Nous sommes au printemps 1980, au début de ma vingtaine. C’est le référendum. J’aime passionnément M. René Lévesque. Je rêve passionnément d’un pays libre. Je m’engage, fais du porte-à-porte, et, là, je découvre l’horreur: les portes qui claquent, les vulgarités lancées à pleins poumons, les insultes gratuites. Tout ça dans le Plateau, dans le circonscription électorale, Mercier, de M. Gérald Godin. (Quand je fais des visites avec M. Godin, seulement chez ceux qui ont été ciblés comme indécis, là les portes s’ouvrent, il y a du café, de la bière, des demandes...: M. Godin est d’une politesse parfaite, il prend des notes, écoute des histoires familiales parfois terribles, dit franchement s’il peut aider ou pas... Bref, un vrai militant.)

Un jour, sonnant chez une dame pour vérifier, avec elle, la liste électorale, elle m’assène un catégorique: «Mon nom est Canadienne, mon prénom est Québécoise !» Je fais semblant d'attester de son inscription, et je lui dis: «Mme Canadienne, vous n’êtes pas inscrite sur ma liste !» La porte, l’immeuble, la rue, le quartier de cette dame en tremblent encore, j’en suis sûr, tellement elle a vociféré, que c’en était étonnant pour une fumeuse. C’est qu’ils étaient coriaces, dans ce temps-là, les fédéralistes !

Quelques jours plus tard, on devait passer une lettre du premier ministre Lévesque aux personnes âgées, pour les tranquilliser, leur assurer qu’il n’y avait aucun danger quant à une victoire du OUI à la souveraineté. Je sonne (encore). Une vieille dame respectable d’allure me répond: «Qu’est-ce que c’est ?»; «Une lettre du Premier ministre pour vous, madame». (C’est ce qu’on devait dire, mot pour mot.) «Ah ben le tab..., y peut ben se torcher avec !» Jamais plus je n’ai eu cette confiance naïve dans les chevelures bleutées qui font normalement le charme de la vie.

Vers la toute fin de mon bénévolat national, je sonne chez un jeune mec de mon âge, rue Mont-Royal. Je ne savais rien de qui habitait là, bien sûr. Il me voit, me fait entrer, m’amène immédiatement dans sa chambre ! « On sera mieux pour jaser, me dit-il, j’ai un coloc. » J’ai vécu là un tourment existentiel douloureux, parce que le mec se questionnait sur son OUI, et qu’il était un absolu pétard ! Mais la Cause avant tout: et j’ai résisté à lui donner des arguments plus personnels.

Monsieur Lévesque a perdu. Au soir du 20 mai 1980, les pancartes du NON, posées sur les balcons, ont disparu à toute vitesse, comme s’il y avait une honte affreuse à s’être affiché pour ce camp. Et je crois, en effet, qu’il y avait, ce soir-là, une honte affreuse à vivre cette soirée dite «historique», où M. Trudeau, premier ministre canadien, nous a dit, à nous Québécois, de «remballer nos rêves»
pour longtemps.