Affichage des articles dont le libellé est Conquête. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est Conquête. Afficher tous les articles

jeudi 20 mars 2014

LA SINISTRE BESOGNE DES BOUFFONS SOLIDAIRES




Il écrit superbement bien. Marc-André Cyr (que je ne connais pas du tout) est un écrivain. Blogueur, journaliste, écrivain. Il ne résiste donc pas, comme tout écrivain, à l’envie de tordre (de gauchir) la réalité (et l’analyse) pour rechercher l’effet littéraire. C’est réussi, c’est incontestable, mais c’est un danger. C’est un piège, par exemple, qui guette les historiens qui sont aussi, parfois, de grands écrivains, et qui peuvent avoir l’attrait de la formule, du raccourci peu exigeant, mais qui enflamme le lecteur qui croit tout, parce que c’est de la science. Lucien Febvre, que j’admire tant, luttait mal contre la tentation de faire des phrases. Il est évidemment passionnant à lire. Henri Guillemin est le plus parfait exemple d’une écriture passionnée, qui s’embarrasse peu des faits têtus, contrariants, quitte, même, à les triturer, à les maquiller habilement, pour les faire mentir avec aplomb, avec talent. Sous la plume de M. Guillemin, tout devient théâtre — amour, haine, comédie, caricature, et ça fait de l’effet, littéraire, bien entendu.

Marc-André Cyr est passionnant à lire. Ses principes, sa morale, c’est de la polémologie sociale bouleversante, quasi shakespearienne.

J’aime lire Marc-André Cyr, mais je vais quand même voter pour le Parti québécois, le lundi 7 avril qui vient, et je voterai OUI à un possible référendum sur la souveraineté du Québec. Et pourtant, je suis largement d’accord avec Cyr, et je connais, douloureusement, ce qui le fait rager. Il décrit passionnément une réalité parfaitement insupportable, celle de la pauvreté qui indiffère, celle de ce peuple, pourtant pays réel, de plus en plus «rachitique» à force d’exploitation néolibérale. C’est précisément sur cette base, essentielle, que lui croit que Québec-Province ou Québec-Pays ne changeraient théoriquement rien à rien, rien à l’exploitation, rien à cette étrangeté scandaleuse qui fait tolérer non pas tant la pauvreté, que l’occurrence même des pauvres. Mais voilà, Fernand Ouellet, l’historien de l’économie québécoise, fédéraliste, ami et inspirateur de Trudeau, et très à droite, serait lui aussi (et c'est gênant !) d’accord avec Cyr: la Conquête, a-t-il écrit dans une thèse restée fameuse, et qui a fait des petits, n’a rien changé pour le Canayen, rien sauf la langue de la bourgeoisie qui l’a désormais exploité, lui et du reste l’Indien qui l’accompagnait dans l’Ouest, quand ils partaient, tous deux, chercher ce qui, à l’époque, faisait la fortune de ceux qui l’avaient déjà.

Je suis largement d’accord avec Cyr, sauf sur la Conquête, justement. Je me sépare de Ouellet. Je crois à l’asservissement national des Canayens, et des Indiens, que le nouveau pouvoir anglais confondait sans souci, et non sans raison. Je crois que la prolétarisation des Canayens est très marquée, à long terme, par le fait même de la Conquête et de l’asservissement national. Je crois que la pauvreté systémique (en fait, le mal développement) des Québécois, et leur aliénation (sans que ce mot ne soit en rien, ici, péjoratif, bien au contraire) sont le produit même de cette Conquête. Et je crois, enfin, que la libération nationale des Québécois, tout comme celle des Indiens d’Amérique, est absolument nécessaire pour rouvrir l’avenir. Le séparatisme québécois, c’est le potentiel permanent de rupture de cette société. Voilà précisément pourquoi l’indépendance est si difficile à se gagner, quand il s’agit de renverser l’abdication de soi-même, alors que la liberté ne devrait que se prendre, sans jamais en demander la permission; voilà pourquoi l’indépendance est souhaitable en elle-même, quand il s’agit de décolonisation, d’éducation à la liberté et à la justice sociale. Voilà pourquoi l’indépendance n’est pas qu’État-nation, mais bien libération d’une classe-nation – j’entends déjà le tollé des spécialistes qui ont toujours protesté de l’existence d’une bourgeoisie franco-québécoise, la meilleure preuve, et accablante, à leurs yeux, de la vanité du projet souverainiste et de ce peuple faussement exploité dans un rapport qui serait, à tort, colonial. Voilà pourquoi la gauche, et singulièrement Québec Solidaire, (avec ses valses hésitation sur l’indépendance, tergiversations qui sont à ras de terre, éminemment électoralistes), a tort de bouffer du PQ, de s’associer au mépris raciste que Fernand Ouellet and Co retournent contre nous-mêmes, et de mépriser la bourgeoisie nationale: elle peut être utile, même contre elle-même. Je ne suis pas marxiste, mais je suis sûr que Marx ne me contredirait pas là-dessus. Et certainement pas Maurice Séguin non plus.


P.S. L’article puissant, percutant de Marc-André Cyr, auquel je faire référence dans ce billet, peut se lire ici : http://voir.ca/marc-andre-cyr/2014/03/19/les-bouffons-dun-temps-nouveau/





vendredi 10 février 2012

10 FÉVRIER 1763: LE DÉSASTRE NATIONAL


Source: http://www.septentrion.qc.ca/banque-images/fiche-image.asp?id=4720



Il y a exactement 249 ans aujourd’hui, 10 février ( sans rire, il faudra voir si Québec, ou Paris, ou Londres, ou les trois conjointement, souligneront le 250e anniversaire de l’événement l’an prochain, mais on peut raisonnablement en douter… ),  les diplomates de France et de la Grande-Bretagne signaient le traité de Paris, la pire des défaites militaires de la France ( exception faite, peut-être, de la campagne de Russie, en 1812, où Napoléon perdit, dans le froid polaire hâtif de cette année-là, plus de 500,000 hommes. )

La France se retirait irréversiblement de l’Amérique continentale. La perte était colossale, tellement vaste qu’elle en était immesurable, sauf regard atterré sur une carte d’époque, à l’échelle exacte. L’enjeu de la guerre avait été crucial, la possession même de l’Amérique du Nord, celle qui comptait vraiment à l’époque, la partie centrale du continent, à l’est du Mississippi. Bougainville, présent à la bataille de Québec de l’été 1759, le comprenait parfaitement bien, comme le comprenait tout aussi bien l’Angleterre, qui avait saisi, depuis longtemps, l’ampleur et l’importance d’une victoire totale en Amérique du Nord. En 1763, à la signature du traité de Paris, l’Angleterre parvenait à une culmination de puissance qu’elle allait conserver jusqu’à la Première Guerre mondiale. 

C’était la désolation, en Canada, et dans les populations indiennes de l’ancienne Nouvelle-France. « Les Anglais sont nos maîtres », désormais ; l’expression de l’évêque catholique de Québec, déjà aliéné par les nouveaux caciques locaux, est restée longtemps fameuse. Les Anglais étaient désormais nos maîtres… ; terrifiés, les Canadiens ( français ) s’inquiétèrent, au jour le jour, de ce qu’ils allaient devenir. Ils se soumirent, bien sûr, parce que la Proclamation royale qui suivit, à l’automne 1763, première véritable constitution de l’histoire du Québec ( octroyée, comme elles le seront toutes, par la suite, jusqu’au dernier produit anglais, le Canada Bill de 1982, ) ignorait leur langue nationale, leur droit civil, leur régime de propriété. C’était la grande peur, ( et la grande dérobade des Canadiens, le premier repli, celui-là de droit civil ), restée longtemps dans les mémoires, jusqu’au vers emblématique du Ô Canada de Routhier, qui la rappelait encore en 1880 : « … protégera nos foyers et nos droits ».  Dans l’Ouest, précisément dans la région encore sauvage des Grands Lacs, où les Canadiens et les Français avaient leurs réseaux d’affaires, depuis longtemps, le grand chef Pontiac, qui lui aussi, comprit parfaitement bien le sens exact du traité de Paris, souleva les populations indiennes contre le nouvel occupant, qui régla le problème, l’affaire est célèbre, à coup de fusils et de couvertures contaminées : c’était là la manière Amherst de régler un imprévu très inquiétant, si par malheur les Français avaient voulu profiter de l’occasion et s’étaient à nouveau montrés dans la vallée du Saint-Laurent. Attente inutile : Pontiac resta seul à résister ; c’en était fait, de la Grande Paix de Montréal, signée entre les Français et les Indiens en 1703, et qui les reconnaissait comme « peuples » ayant droit à leurs « terres » ancestrales. Cette paix était un fait unique dans l’histoire coloniale des Amériques. Canadiens comme Indiens, du reste souvent confondus par le conquérant, perdaient gros avec le traité de Paris : les premiers devinrent un peuple conquis, les seconds des peuples soumis, et bientôt mis sous tutelle. Cynisme ultime de cette histoire, l’alliance intime entre les Canadiens ( français ) et les Indiens, faite d’authentiques connaissances culturelles, partagées, métissées, fut à jamais brisée ; et les deux alliés de naguère devinrent d’abord des inconnus, puis d’irréductibles adversaires. La division fut tout aussi triste qu’inutile, sauf de renforcer, bien sûr, le système en place, au profit de ceux qui l’avaient voulu tel qu’il était. On allait voir, longtemps, les Canadiens ( français ) et les Indiens, conquis, soumis, apprendre à quémander, à supplier, à bomber le torse dans des crâneries nationalistes piteusement chimériques.

La France avait donc disparu d’Amérique. Elle participa, c’est vrai, au succès des Américains révoltés contre la Grande-Bretagne, mais lors du second traité de Paris, en 1783, la France, pourtant victorieuse,  ne réclama rien, absolument rien, du côté de la vallée du Saint-Laurent. C’est quand la chose fut connue que la désillusion des Canadiens ( français ) fut la plus douloureuse, la plus amère, jamais oubliée. Les Anglais allaient rester nos maîtres, pour longtemps. L’histoire du Québec naissait vraiment de cette date terrible, 1763, confirmée en 1783. Guy Frégault, en conclusion de la Guerre de la Conquête, écrivait là-dessus en 1955: « Si (…) l’histoire est une hypothèse permettant d’expliquer les situations actuelles par celles qui les ont précédées, un examen attentif de la façon systématique et décisive dont le peuple canadien fut brisé doit nous mettre à même de voir sous son vrai jour la crise, d’ailleurs évidente, de la société canadienne-française et de constater qu’il (… ) s’agit (… ) d’une crise de structure démolie et à jamais convenablement relevée ». Encore en 2012, l’analyse de Frégault reste pour l’essentiel incontestable. Elle l’est plus encore, plus tragiquement encore, pour les peuples indiens d’Amérique, aliénés, davantage entretenus que les Québécois eux-mêmes, les anciens Canadiens, eux qui ont eu la chance, en 1867, de conserver un tronçon d’État sur un territoire à peu près national.

Reste donc à voir si, l’année prochaine, on aura le bon goût d’organiser quelque grandiose soirée, sur les Plaines, à Québec, pour commémorer l’immortel événement du 10 février 1763. Il y a déjà eu John, Paul, Céline, Ginette ; il y aura bientôt Madonna. L’an prochain, je verrais bien Madame Windsor, flanquée de l’ineffable et coûteuse Lise Thibault, souligner comme il se doit un si grand, et si bienheureux événement, dont on n’aura pas la grossièreté de l’appeler publiquement comme il se doit, la Conquête.