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mardi 8 avril 2014

RECUL






Les puissances d’argent du statu quo — le fric, les cabinets d’avocats et les cabinets comptables, les CA des banques et des grandes entreprises, qui se scandaliseraient si peu d’un petit compte bancaire à la dérobée, pour le nouveau premier ministre, quel qu’il soit, pourvu qu’il ne soit pas péquiste, ont eu ce soir le résultat qu’ils espéraient.


Et la plupart des tuteurs traditionnels de notre peuple — les entreprises de presse, et plus encore, ces nouveaux prêtres que sont les journalistes, qui discourent et moralisent, qui veillent à la rectitude de l’État, à la platitude de ses politiques, à la honte du soi collectif si savamment entretenue par une certaine gauche qui dicte la pensée convenable, tout en se drapant d’un supposé dieu de la révolution, soutenu avec les arguments mêmes du néolibéralisme, — ces curateurs de notre peuple ont eu ce soir le résultat qu’ils espéraient.


Bien sûr, les médiocres, à la pensée courte, qui se vautrent depuis toujours dans la vulgarité, l’insulte et le mépris, ceux-là réclameront la victoire libérale et la belle performance de la CAQ comme étant les leurs: ce sont eux, les premiers, qui ont hurlé de rire et de condescendance parce que la première ministre Marois, — Pauline, Popo, la reine Marois, — parlait mal l’anglais, alors que pour cette fange, la valeur première, bien sûr, est de parler la langue du dominant sans accent.

Tous ces notables de droite et de gauche, populistes, installés, dédaigneux de ce petit peuple facilement raciste si on le laisse s’égarer, tous ces gens qui «savent», ont obtenu la réaction qu’ils espéraient, le recul vers le PLQ, plutôt qu’un changement vers la modernité et vers l’audace, pour lequel Mme Marois et son équipe ont travaillé comme jamais, pour ce progressisme réaliste, et surtout, pour cette Charte de la laïcité, qui allait ouvrir un espace de liberté et d’égalité totalement inédit dans notre société.

Cette défaite n’a aucunement l’air d’une victoire, pas même morale; c’est une invitation à rester chez soi; c’est avoir peur des meilleurs d’entre nous, peur sciemment entretenue, qui a profondément colonisé notre culture collective depuis très, très longtemps; mais c’est aussi une incitation à jouir de la vie, à n’espérer la richesse que pour soi. Ce qui a gagné ce soir, c’est le Canada, et c’est la «suprématie de Dieu». Ce ne sont ni mon pays ni mes convictions. C’est l’impuissance, et c’est le ridicule qui humilie et qui tue. 




P.-S. (1) Je me suis inspiré, pour la colère et pour le rythme, des tout premiers mots de la déclaration de René Lévesque, en avril 1970, après la lourde défaite électorale de son parti. Ces mots avaient été repris dans le manifeste du Front de libération du Québec, en octobre 1970.

P.-S. (2) Pour mes lecteurs français, il faut savoir qu’aux élections générales du 7 avril 2014, le gouvernement souverainiste du Parti québécois, de centre-gauche, a subi une lourde défaite, y compris pour la première ministre elle-même, battue dans sa propre circonscription électorale. Cette défaite était prévisible, non pas tant de par les erreurs du gouvernement, que par la volonté délibérée (voulue, souhaitée, et qui sera célébrée) de défaire ce gouvernement aux urnes, et de se débarrasser des éléments de modernité et de solidarité de son programme. Autrement dit, le Québec vient d’être traversé par une vague de droite que la France, je crois, connait bien.


N.B:
Ce texte, vibrant, bouleversant, vaut la lecture:
http://exilinterieur.blogspot.ca/2014/04/merci-madame-marois.html 





lundi 24 septembre 2012

L'IMPÔT ? C'EST DU VOL !


( Source: Cyberpresse. 23 septembre 2012 )



La hausse d'impôts du PQ (pas du gouvernement, non, du PQ) condamnée: c'est le titre d'un article de la Presse, signé Philippe Teisceira-Lessard. Un jeune homme. La relève intellectuelle de la droite. Un chantre, parmi d'autres, d'un profil social à la Mitt Romney, où la richesse sert la multitude et la fait travailler. 

Et elle est condamnée par qui, cette spoliation fiscale ? Une incommensurable foule en colère ? Une gigantesque manifestation de casseroles agitées ? Une prise révolutionnaire du Black Watch par une multitude vociférant: « Aux armes, citoyens ! » ? Non: la hausse d'impôts est condamnée par la Coalition Avenir Québec et le Conseil du patronat. Oh ! Oh... Voilà donc la source unanime de la révolte de masse contre l'horrible PQ. Respect. Ce qu'on lira dans l'article, c'est la science économique en action, c'est le souci économique de ceux qui savent, et qui, comme de juste, n'ont pas d'intérêts particuliers. 

Ce qu'il faut savoir, c'est que cette hausse des impôts, qui affectera celles et ceux qui touchent plus de 130,000 dollars par année, est d'un tel « manque de respect » qu'elle en est « inacceptable », surtout quand on sait que les Québécois sont les plus taxés en Amérique du Nord: un scandale, Madame, oui, un scandale qui empêche les plus fortunés de « planifier leur budget » (de planifier leur budget ! c'est écrit tel quel ! la blague — inconsciente ? cynique ? — est bonne ! ) Et attention, que l'article nous dit, si nous ne sommes pas gentils avec les gens qui gagnent, quoi, 300,000, 400,000 dollars par année, ils pourraient bien s’envoler, aller là où ils pourraient bénéficier d'une fiscalité tellement plus compréhensive avec la fortune: quelque chose comme le syndrome belge qui frappe la France ces jours-ci, et qu'on importe allègrement, c'est gratuit. Mme Lise Payette disait des gens d'affaires qu'ils n'ont pas d'âme, pas de patrie. On se prend à nouveau à la croire: elle dénonçait pourtant la chose il y a déjà plus de 30 ans.

C'est là (je n'ai rien soustrait à l'article) tout l'essentiel de la condamnation généralisée dont la Presse se délecte les babines, et pense en alerter l'opinion. On a eu le printemps érable. On aura l'automne rouge feu: des masses humaines hurlant leur colère, dirigée contre la première ministre Marois. Paul Desmarais marchera en tête, arborant la feuille d'érable érubescente comme une cocarde ! Ce qu'ils rigoleront, quand même, quand ils se rappelleront la blague, le 25 décembre prochain au soir, nostalgiques des Noëls anciens où les pauvres étaient de vrais pauvres, éléments magiques — et comme tels cruciaux  — de la Nuit où le privilégié se rachetait l'humanité à si bon compte...

PS ( en date du 7 octobre 2012 ):
«Behind the pretenses to egalitarianism that dress up confiscatory Quebec tax laws and repressive language laws, the real driving ambition has been to push the non-French out of Quebec, buy up the real assets they cannot physically take with them, especially their mansions and office buildings in Montreal, and eliminate up to half the emphatically federalist votes in the province.» Conrad Black, The National Posthttp://www.nationalpost.com/m/wp/full-comment/blog.html?b=fullcomment.nationalpost.com%2F2012%2F10%2F06%2Fconrad-black-as-quebec-decays-toronto-seizes-greatness





jeudi 26 avril 2012

IMPOSSIBLE RÉVOLUTION



Source: Photo - Le Devoir, Jacques Nadeau





Au point où en sont les choses politiques et sociales, au Québec ( crise majeure, je le spécifie pour mes amis lecteurs de l'étranger, provoquée par une très forte hausse des droits de scolarité, décidée et décrétée par le gouvernement du Québec, ) peut-être faudrait-il collectivement se rappeler quelques évidences incontournables.

1. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de révolution au Québec. La jeunesse a beau être nombreuse dans les rues, et aller à la casse avec un entrain qui laisse le téléspectateur sidéré, cette jeunesse que j'aime, à qui j'ai enseigné ( génération après génération ) toute ma vie, est isolée sur la grande question, la question essentielle qu'est le partage équitable de la richesse, quel que soit le processus pour y arriver, par exemple au moyen d'une justice fiscale rigoureuse. La jeunesse est isolée: elle n'a pas d'alliés sociaux qui l'appuient dans ce qui pourrait devenir une authentique poussée révolutionnaire. Les travailleurs cols bleus ou cols blancs, la classe moyenne inférieure, les retraités appauvris, année après année, par des rentes qui deviennent  fragiles, ont souvent une empathie active sur Twitter pour la cause étudiante, mais certainement pas au point de provoquer une constellation de colères sociales, préalable à une authentique poussée révolutionnaire. La jeunesse elle-même est divisée sur la question du sens social à donner à son mouvement de contestation. La société québécoise n'est pas encore prête de changer là-dessus, tant s'en faut, et tranquille qu’elle est. Le patronat est solidaire, de tout temps, en toutes circonstances, sur ce sujet de l'ordre social, comme sur tous sujets d'ailleurs, avec le parti libéral du Québec, qui lui écarte la CLASSE parce que précisément, cette association étudiante prétend développer un projet social plus large que la cible unique de droits de scolarité accessibles au plus grand nombre. Quant à la police, elle fait son travail, « neutre », dit-elle, c'est-à-dire au service de l'État, qui lui est « bourgeois ». Ce ne sont pas là des considérations anciennes: c'est encore comme ça que les choses sont. 

Il faut dire ces évidences, même désagréables à entendre, parce que le mouvement étudiant se dirige tout droit vers un cul-de-sac. Ça me désole. La cause est juste. J'y crois. Mais privilégiant la voie radicale, de l'affrontement dans les rues, du discours ultra à la télé ( que j'admire, bon dieu, Gabriel Nadeau-Dubois est à proprement parler admirable, ) et n'entendant rien, du moins en apparence, des gens de bien, qui cherchent une solution, une médiation, un report de la hausse, une alternative de négociation multipartite qui puisse remplacer le choix décrété par l'État, le mouvement étudiant laisse se préparer une répression, brutale, sans appel, qui lui tombera dessus, lui fera tout perdre, capital de sympathie, et validité de la cause, alors qu'il tient bon, après dix semaines, ce qui est proprement stupéfiant. Étudiants, ne parlez plus au gouvernement, ignorez-le; parlez aux autres, à celles et ceux, nombreux, encore influents, qui ont de la sympathie bien réelle pour les principes que vous défendez. Il faut imposer votre point de vue au gouvernement par le biais d'intermédiaires qui seuls, peuvent sauvegarder l'essentiel de votre combat. Sinon, cela risque fort d'être une grève perdue. Et tout cela sera long, très long à reprendre, et à réparer. 

2. Il n'y a pas à douter que l'État, et le parti politique qui en dispose cherchent une voie de sortie, qui ne soit bénéfique que pour eux seuls. L’État ne peut songer, désormais, qu'à des moyens extrêmes pour mettre fin à la crise. Il y a des précédents, et ce serait là une erreur prodigieusement naïve que de penser que l'État ne considère pas ses pouvoirs de législateur. Je ne sais trop à quelle loi spéciale le gouvernement pourrait recourir, puisque la grève étudiante ne relève pas du Code du travail. Je ne sais pas davantage à quelle suspension de libertés civiles le parti libéral pourrait se laisser tenter. Mais si Monsieur René Lévesque lui-même a fini par approuver et cautionner la terrible Loi 111, en février 1983 ( loi condamnée d'abord par le Bureau international du travail, et par la suite par la Cour suprême du Canada, bien que dans ce dernier cas, la Cour ne se soit pas arrêtée au scandale social majeur qu'était la loi, mais plutôt à une formalité constitutionnelle, ) comment penser que Monsieur Charest aurait des scrupules, s'il estimait, lui, qu'il y avait urgence d’agir pour protéger les biens et la propriété ? Je ne suis rien, moi, ni vedette ni personne qui compte ( pas même sur Twitter ! ), je ne suis qu'un obscur professeur de cégep, comme on me l’a déjà dit, sourire en coin; et pourtant je supplie le gouvernement actuel de ne jamais, jamais franchir la ligne de l'interdit, de ne se laisser tenter par aucune mesure qui restreigne ou suspende les libertés civiles, et de laisser les mesures normales de justice suivre leurs cours — c'est le cas de le dire. Il faudrait, là-dessus, être nombreux, très nombreux à en appeler au gouvernement du Québec: il n'y a qu'un moyen, qu'un seul, pour l'amener à être raisonnable, et à discuter, y compris de ses ( mauvais ) choix politiques, et c'est de l'amener, d'avance, à renoncer à tout moyen législatif d'exception. J'appelle ( très humblement ! ) Monsieur Charest à faire une déclaration publique en ce sens. Il doit engager son gouvernement à l'encontre de ce risque, parce qu'en réaction à la violence de la rue, toutes les tentations sont possibles pour un gouvernement, et un parti, en désespoir de cause et de crédibilité.

Voilà.

Bonne chance aux étudiants, et à leurs leaders, qui ont ces jours-ci le dos large, mais les jambes solides. Ils sont beaux; ils sont admirables.







lundi 26 septembre 2011

ALICE NKOM: LE COMBAT POUR LA JUSTICE, L'ÉGALITÉ ET LE DROIT

Alice Nkom, Steve Bastien et le blogueur, samedi le 13 août 2001, à Montréal



L’homophobie est un crime contre l’humanité, frappant aussi injustement que l’apartheid. – Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix.

Je l’avais entendue quelques jours avant le week-end de la Fierté, en entrevue sur RDI. C’était à la mi-août 2011. Une entrevue magnifique, généreuse, et qui m’avait bouleversé. J’étais seul chez moi, j’aurais pu n’écouter que distraitement; mais c’était impossible ; il y avait là une dame, une avocate, éloquente, captivante, qui projetait loin ses convictions, ses émotions, qui brulait l’écran ; elle était là, vivante, bouleversante, omniprésente, d’une remarquable maîtrise d’elle-même et de ses arguments, d’une parfaite droiture, parlant, de Montréal, au monde entier, avec passion. L’entrevue n'a duré qu'une quinzaine de minutes, peut-être un peu moins. J’étais pourtant épuisé après l’avoir écoutée, tant elle était venue me «chercher».
«Cette femme est un prix Nobel, bon dieu, elle parle de moi et pour moi, et je ne sais même pas qui elle est !» Je découvrais, à la télé, dans une entrevue menée par Anne-Marie Dussault, l’avocate camerounaise Alice Nkom. Battante. Allumée. Convaincante. Jamais je n’avais entendu parler du combat qu’elle menait, un combat pour la justice contre la violence, un combat pour la dignité contre l’oppression, un combat pour la liberté contre l’obscurantisme, et surtout, un combat pour le Droit. Qu’elle obtienne un jour le prix Nobel de la paix, il serait autrement plus mérité que celui qu’on a imposé, pour mieux l’acheter, au président Obama ; cette avocate et militante est «membre» — sans l’être, bien sûr, — d’un tout petit groupe de personnes, peut-être une vingtaine, à la grandeur de la planète entière, et parmi les six milliards d’êtres humains que nous sommes, qui prennent une cause et qui la portent, du simple fait qu’ignorer cette cause dégrade l’espèce humaine au-delà du tolérable. Elle endosse tout ce que l’humanité, depuis des siècles, a pu concevoir pour doter les hommes et les femmes de droits fondamentaux inaliénables, l’essentialité même de la liberté et de la dignité.
Alice Nkom me rappelait Nelson Mandela, Chirine Ebadi, Liu Xiaobo, avec, en plus, la voix douloureuse, urgente, universelle, de Cesaria Evora. J’écoutais, fasciné, une dame portée par la force de son engagement, total, entier, capable d’un calme courage pour braver tous les dangers, et déterminée à refuser, radicalement, de se laisser intimider, quand on déchaine contre elle et ses clients les pires des préjugés, voulus, encouragés, légalisés, caricaturant ce qui semble, si évidemment, de premier abord, comme une étrangeté déroutante. Elle défend et protège, certes, des jeunes hommes aux allures parfois trop marquées pour le commun des mortels : c’est à la prison qu’ils s’exposent, malgré eux, au déni de leur identité, et surtout, surtout, à la violence contre leurs corps, le seul corps qu’ils n'auront jamais, le leur, le seul qui puisse leur faire vivre leur vie, une seule vie, qu’ils n’ont pas choisie, une vie différente et singulière, unique en son genre, qui leur fait pourtant risquer la prison et la mort. La mort ! «Le président de la République est le premier responsable de la situation actuelle, vous savez, parce qu’il ne fait rien, rien pour obliger au respect du droit international auquel le Cameroun souscrit, rien pour faire respecter sa propre déclaration officielle, de chef d’État, voulant que le Cameroun respecte la vie privée des gens et l’inviolabilité de leur intimité.» J’ai eu, en l’écoutant, un redressement vertébral vertigineux, un désir immense d’ennoblissement, et l’évidence, sous mes yeux, que l’humanisme, parfois, colle aux portes, et tout près, de ce qu’on appelait jadis l’Éternel, de ce que Alice Nkom appelle – de tous ses vœux - l’État de droit. Et puisqu’on l’avait invitée, à titre de présidente honoraire, aux cérémonies de la Fierté, à Montréal, j’ai voulu absolument la rencontrer, et lui parler, quelques mots rapides, que je me répétais déjà, intérieurement, tout juste après l’entrevue. Je souhaitais ce coup de chance, pour simplement, peut-être, m’en sentir plus confiant, et meilleure personne.
J’étais persuadé, je l’avais dit à mon copain, que Mme Nkom serait sur la rue Ste-Catherine, le samedi le 13 août, présente pour la journée communautaire. Elle y était, effectivement, dans un kiosque aménagé pour elle, souriante, très entourée, très photographiée, gentille et chaleureuse avec tout le monde, objet de fierté, réelle, pour plusieurs des jeunes hommes qui montaient, autour d’elle, une garde bien inutile, sur cette rue exceptionnellement bon-enfant, cette journée-là. J’ai dit à mon copain : « Je ne pourrai jamais m’en approcher et lui parler ». Oh, mais tiens donc, il y avait là un de mes anciens étudiants – suffisamment ancien pour qu’on puisse tous deux parler du bon vieux temps – et qui me reconnaît aussi. Steve est venu rapidement me parler, m’a pris dans ses bras, s’est souvenu, en blaguant, de mes jeans moulants, délavés, tenue constante du jeune prof que j’étais alors. Il a fait rire mon copain, il était charmant, séduisant, beaucoup plus beau qu’il ne l’était quand il était appliqué et tranquille, en classe, à écouter un cours d’histoire du Québec.
J’ai dit à Steve: « J’aurais tellement aimé parler à Mme Nkom, mais ça semble impossible… » Steve m’a pris par le bras, m’a mené jusqu’à elle, m’a présenté, m’a laissé me débrouiller ! J’ai bafouillé, me semble-t-il, mais avec tripes et cœur ; j’ai parlé de son passage à la télé que j’avais vu, de l’appel à la fierté et à la dignité que j’avais entendu… « Même ici à Montréal, et même à mon âge, je me suis senti, en vous écoutant, plus respectueux de moi-même et plus digne, et je me suis rappelé le chemin parcouru pour arriver jusque-là. Je me suis rappelé qu’il faut rester vigilant.  Vous m’avez rappelé la chance qu’ont les plus jeunes de vivre dans une ville, dans un pays, où on a appris la tolérance et le droit. » Elle m’a écouté, et m’a dit regretter qu’il n’y ait pas eu de micro pour répercuter ce que je venais de lui dire – je n’avais donc pas dit de sottises ! Elle m’a pris dans ses bras. On se faisait photographier, à profusion. Je lui ai dit : « On ne sait peut-être pas toujours qui vous êtes, mais les gens ne courent pas de risque, au cas où nous serions tous deux des célébrités ! » Elle a rigolé de bon cœur, m’a montré la rue Ste-Catherine en fête et m’a dit : «Voyez, les gens de mon pays ne savent pas ce qu’ils ratent, le plaisir et le bonheur dont ils se privent.» Je l’ai remerciée, saluée; j’ai rejoint mon copain, qui avait pris une multitude de photos, et même enregistré une courte vidéo de ma rencontre avec Alice Nkom. J’allais pouvoir conserver un souvenir de mon tête-à-tête avec un prix Nobel, la seule, très certainement, que j’aurai eue de toute ma vie !
Il n’y a pas si longtemps, l’Église catholique nous haïssait, le système nous méprisait, la société nous insultait, et nous, nous avions honte de nous. L’ancien maire Drapeau nous faisait cogner dessus par sa police, une police crasseusement ignorante, qui ne demandait pas mieux que d’être utile au maintien des bonnes moeurs, sans que ça n’émeuve jamais l’opinion – à l’exception, notable, un jour d’il y a 34 ans, de René Lévesque. Suite à un acte de sauvagerie particulièrement odieux, perpétré par la police de Montréal à l’encontre de la clientèle d’un bar gai du centre-ville, le premier ministre avait fait amender la Charte des droits et libertés pour y inclure l’orientation sexuelle comme motif antidiscriminatoire. Ça se passait en 1977. M. Lévesque aurait aimé Mme Nkom – et sans doute réciproquement. Lévesque était d’une intégrité exceptionnelle, meilleure garante, il en était convaincu, du lien très étroit, primordial, entre la liberté et la règle de droit. Mme Nkom mène en ce moment au Cameroun, et à la grandeur du monde, le même combat, avec la même ardeur, la même exigence humaniste. À certains de ses ministres qui craignaient que le gouvernement perde des appuis, en se commettant avec des « homosexuels », M. Lévesque avait répondu, crument, que «la valeur d’un homme se mesure à ce qu’il fait de sa vie, et non à ce qu’il fait avec ce qu’il y a dans ses culottes.»* Mme Nkom ne tiendrait probablement pas le même langage ; elle n’en dirait pas moins ; elle espère du président du Cameroun le même respect pour son pays et tous ses citoyens, que l’observance qu’il doit, précisément, aux textes internationaux qu’il a signés en leur nom. Alice Nkom n’a pas d’ambition pour elle-même ; elle ne convoite rien du tout, à ce que je sache. Seulement, elle souffre de ce que les gens peuvent souffrir, quand on les prive de ce qu’ils sont, qu’on les méprise, et qu’on les livre à la vindicte publique. La haine ne sert que trop bien à camoufler d’autres misères, plus affamées encore ; en bout de course, c’est de justice sociale dont rêve Alice Nkom.
J’ai eu l’honneur de rencontrer maître Alice Nkom. Ça a été, à n’en pas douter, ma Chose vue, lue, entendue… la plus marquante de l’été qui s’achève.
P.-S. Mme Nkom en appelle, en ce moment même, à la communauté internationale, pour que les personnes de bonne volonté, qui le veulent bien, signent une pétition adressée au président de la République du Cameroun. Paul Biya n’aimera peut-être pas ; mais il écoutera probablement. Le Cameroun est membre des Nations-Unies, signataire du Protocole facultatif concernant les droits civils et politiques. Le Président le sait. On ne peut plus opposer, perpétuellement, aux droits universels la prévalence de la culture locale. Ces droits servent, j’en conviens, trop souvent encore de paravent à l’impérialisme, et même à l’agression. Dick Cheney en est un exemple éminent, dégoûtant. Mais résister à l’impérialisme ne peut, ni ne doit plus jamais, justifier la répression des personnes pour ce qu’elles sont, dans leur incorruptibilité, ainsi que dans leur droit, absolu, à l’équité. Source : http://www.fugues.com/main.cfm?l=fr&p=100_article&article_ID=18972
* Je tiens le verbatim d’un ex-ministre du gouvernement Lévesque, qui avait assisté au débat, en conseil des ministres, et qui avait vu M. Lévesque ne pas se soucier, du tout, de ce que ça puisse nuire à la popularité du gouvernement, quand il s’agissait de droits humains, et du respect de toutes les personnes, sans exception. Le Québec avait alors un véritable gouvernement de gauche, aux larges vues.