lundi 26 septembre 2011

ALICE NKOM: LE COMBAT POUR LA JUSTICE, L'ÉGALITÉ ET LE DROIT

Alice Nkom, Steve Bastien et le blogueur, samedi le 13 août 2001, à Montréal



L’homophobie est un crime contre l’humanité, frappant aussi injustement que l’apartheid. – Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix.

Je l’avais entendue quelques jours avant le week-end de la Fierté, en entrevue sur RDI. C’était à la mi-août 2011. Une entrevue magnifique, généreuse, et qui m’avait bouleversé. J’étais seul chez moi, j’aurais pu n’écouter que distraitement; mais c’était impossible ; il y avait là une dame, une avocate, éloquente, captivante, qui projetait loin ses convictions, ses émotions, qui brulait l’écran ; elle était là, vivante, bouleversante, omniprésente, d’une remarquable maîtrise d’elle-même et de ses arguments, d’une parfaite droiture, parlant, de Montréal, au monde entier, avec passion. L’entrevue n'a duré qu'une quinzaine de minutes, peut-être un peu moins. J’étais pourtant épuisé après l’avoir écoutée, tant elle était venue me «chercher».
«Cette femme est un prix Nobel, bon dieu, elle parle de moi et pour moi, et je ne sais même pas qui elle est !» Je découvrais, à la télé, dans une entrevue menée par Anne-Marie Dussault, l’avocate camerounaise Alice Nkom. Battante. Allumée. Convaincante. Jamais je n’avais entendu parler du combat qu’elle menait, un combat pour la justice contre la violence, un combat pour la dignité contre l’oppression, un combat pour la liberté contre l’obscurantisme, et surtout, un combat pour le Droit. Qu’elle obtienne un jour le prix Nobel de la paix, il serait autrement plus mérité que celui qu’on a imposé, pour mieux l’acheter, au président Obama ; cette avocate et militante est «membre» — sans l’être, bien sûr, — d’un tout petit groupe de personnes, peut-être une vingtaine, à la grandeur de la planète entière, et parmi les six milliards d’êtres humains que nous sommes, qui prennent une cause et qui la portent, du simple fait qu’ignorer cette cause dégrade l’espèce humaine au-delà du tolérable. Elle endosse tout ce que l’humanité, depuis des siècles, a pu concevoir pour doter les hommes et les femmes de droits fondamentaux inaliénables, l’essentialité même de la liberté et de la dignité.
Alice Nkom me rappelait Nelson Mandela, Chirine Ebadi, Liu Xiaobo, avec, en plus, la voix douloureuse, urgente, universelle, de Cesaria Evora. J’écoutais, fasciné, une dame portée par la force de son engagement, total, entier, capable d’un calme courage pour braver tous les dangers, et déterminée à refuser, radicalement, de se laisser intimider, quand on déchaine contre elle et ses clients les pires des préjugés, voulus, encouragés, légalisés, caricaturant ce qui semble, si évidemment, de premier abord, comme une étrangeté déroutante. Elle défend et protège, certes, des jeunes hommes aux allures parfois trop marquées pour le commun des mortels : c’est à la prison qu’ils s’exposent, malgré eux, au déni de leur identité, et surtout, surtout, à la violence contre leurs corps, le seul corps qu’ils n'auront jamais, le leur, le seul qui puisse leur faire vivre leur vie, une seule vie, qu’ils n’ont pas choisie, une vie différente et singulière, unique en son genre, qui leur fait pourtant risquer la prison et la mort. La mort ! «Le président de la République est le premier responsable de la situation actuelle, vous savez, parce qu’il ne fait rien, rien pour obliger au respect du droit international auquel le Cameroun souscrit, rien pour faire respecter sa propre déclaration officielle, de chef d’État, voulant que le Cameroun respecte la vie privée des gens et l’inviolabilité de leur intimité.» J’ai eu, en l’écoutant, un redressement vertébral vertigineux, un désir immense d’ennoblissement, et l’évidence, sous mes yeux, que l’humanisme, parfois, colle aux portes, et tout près, de ce qu’on appelait jadis l’Éternel, de ce que Alice Nkom appelle – de tous ses vœux - l’État de droit. Et puisqu’on l’avait invitée, à titre de présidente honoraire, aux cérémonies de la Fierté, à Montréal, j’ai voulu absolument la rencontrer, et lui parler, quelques mots rapides, que je me répétais déjà, intérieurement, tout juste après l’entrevue. Je souhaitais ce coup de chance, pour simplement, peut-être, m’en sentir plus confiant, et meilleure personne.
J’étais persuadé, je l’avais dit à mon copain, que Mme Nkom serait sur la rue Ste-Catherine, le samedi le 13 août, présente pour la journée communautaire. Elle y était, effectivement, dans un kiosque aménagé pour elle, souriante, très entourée, très photographiée, gentille et chaleureuse avec tout le monde, objet de fierté, réelle, pour plusieurs des jeunes hommes qui montaient, autour d’elle, une garde bien inutile, sur cette rue exceptionnellement bon-enfant, cette journée-là. J’ai dit à mon copain : « Je ne pourrai jamais m’en approcher et lui parler ». Oh, mais tiens donc, il y avait là un de mes anciens étudiants – suffisamment ancien pour qu’on puisse tous deux parler du bon vieux temps – et qui me reconnaît aussi. Steve est venu rapidement me parler, m’a pris dans ses bras, s’est souvenu, en blaguant, de mes jeans moulants, délavés, tenue constante du jeune prof que j’étais alors. Il a fait rire mon copain, il était charmant, séduisant, beaucoup plus beau qu’il ne l’était quand il était appliqué et tranquille, en classe, à écouter un cours d’histoire du Québec.
J’ai dit à Steve: « J’aurais tellement aimé parler à Mme Nkom, mais ça semble impossible… » Steve m’a pris par le bras, m’a mené jusqu’à elle, m’a présenté, m’a laissé me débrouiller ! J’ai bafouillé, me semble-t-il, mais avec tripes et cœur ; j’ai parlé de son passage à la télé que j’avais vu, de l’appel à la fierté et à la dignité que j’avais entendu… « Même ici à Montréal, et même à mon âge, je me suis senti, en vous écoutant, plus respectueux de moi-même et plus digne, et je me suis rappelé le chemin parcouru pour arriver jusque-là. Je me suis rappelé qu’il faut rester vigilant.  Vous m’avez rappelé la chance qu’ont les plus jeunes de vivre dans une ville, dans un pays, où on a appris la tolérance et le droit. » Elle m’a écouté, et m’a dit regretter qu’il n’y ait pas eu de micro pour répercuter ce que je venais de lui dire – je n’avais donc pas dit de sottises ! Elle m’a pris dans ses bras. On se faisait photographier, à profusion. Je lui ai dit : « On ne sait peut-être pas toujours qui vous êtes, mais les gens ne courent pas de risque, au cas où nous serions tous deux des célébrités ! » Elle a rigolé de bon cœur, m’a montré la rue Ste-Catherine en fête et m’a dit : «Voyez, les gens de mon pays ne savent pas ce qu’ils ratent, le plaisir et le bonheur dont ils se privent.» Je l’ai remerciée, saluée; j’ai rejoint mon copain, qui avait pris une multitude de photos, et même enregistré une courte vidéo de ma rencontre avec Alice Nkom. J’allais pouvoir conserver un souvenir de mon tête-à-tête avec un prix Nobel, la seule, très certainement, que j’aurai eue de toute ma vie !
Il n’y a pas si longtemps, l’Église catholique nous haïssait, le système nous méprisait, la société nous insultait, et nous, nous avions honte de nous. L’ancien maire Drapeau nous faisait cogner dessus par sa police, une police crasseusement ignorante, qui ne demandait pas mieux que d’être utile au maintien des bonnes moeurs, sans que ça n’émeuve jamais l’opinion – à l’exception, notable, un jour d’il y a 34 ans, de René Lévesque. Suite à un acte de sauvagerie particulièrement odieux, perpétré par la police de Montréal à l’encontre de la clientèle d’un bar gai du centre-ville, le premier ministre avait fait amender la Charte des droits et libertés pour y inclure l’orientation sexuelle comme motif antidiscriminatoire. Ça se passait en 1977. M. Lévesque aurait aimé Mme Nkom – et sans doute réciproquement. Lévesque était d’une intégrité exceptionnelle, meilleure garante, il en était convaincu, du lien très étroit, primordial, entre la liberté et la règle de droit. Mme Nkom mène en ce moment au Cameroun, et à la grandeur du monde, le même combat, avec la même ardeur, la même exigence humaniste. À certains de ses ministres qui craignaient que le gouvernement perde des appuis, en se commettant avec des « homosexuels », M. Lévesque avait répondu, crument, que «la valeur d’un homme se mesure à ce qu’il fait de sa vie, et non à ce qu’il fait avec ce qu’il y a dans ses culottes.»* Mme Nkom ne tiendrait probablement pas le même langage ; elle n’en dirait pas moins ; elle espère du président du Cameroun le même respect pour son pays et tous ses citoyens, que l’observance qu’il doit, précisément, aux textes internationaux qu’il a signés en leur nom. Alice Nkom n’a pas d’ambition pour elle-même ; elle ne convoite rien du tout, à ce que je sache. Seulement, elle souffre de ce que les gens peuvent souffrir, quand on les prive de ce qu’ils sont, qu’on les méprise, et qu’on les livre à la vindicte publique. La haine ne sert que trop bien à camoufler d’autres misères, plus affamées encore ; en bout de course, c’est de justice sociale dont rêve Alice Nkom.
J’ai eu l’honneur de rencontrer maître Alice Nkom. Ça a été, à n’en pas douter, ma Chose vue, lue, entendue… la plus marquante de l’été qui s’achève.
P.-S. Mme Nkom en appelle, en ce moment même, à la communauté internationale, pour que les personnes de bonne volonté, qui le veulent bien, signent une pétition adressée au président de la République du Cameroun. Paul Biya n’aimera peut-être pas ; mais il écoutera probablement. Le Cameroun est membre des Nations-Unies, signataire du Protocole facultatif concernant les droits civils et politiques. Le Président le sait. On ne peut plus opposer, perpétuellement, aux droits universels la prévalence de la culture locale. Ces droits servent, j’en conviens, trop souvent encore de paravent à l’impérialisme, et même à l’agression. Dick Cheney en est un exemple éminent, dégoûtant. Mais résister à l’impérialisme ne peut, ni ne doit plus jamais, justifier la répression des personnes pour ce qu’elles sont, dans leur incorruptibilité, ainsi que dans leur droit, absolu, à l’équité. Source : http://www.fugues.com/main.cfm?l=fr&p=100_article&article_ID=18972
* Je tiens le verbatim d’un ex-ministre du gouvernement Lévesque, qui avait assisté au débat, en conseil des ministres, et qui avait vu M. Lévesque ne pas se soucier, du tout, de ce que ça puisse nuire à la popularité du gouvernement, quand il s’agissait de droits humains, et du respect de toutes les personnes, sans exception. Le Québec avait alors un véritable gouvernement de gauche, aux larges vues.



6 commentaires:

Anonyme a dit…

J'ai aussi eu le très grand privilège de rencontrer cette dame.
Je m'en souviendrai toute ma vie.
M.

Richard Patry a dit…

Montréal, et la Fierté, ont été honorées cette journée-là...

L. a dit…

Très beau témoignage que celui-là! bravo pour l'intensité des mots prononcés !

Richard Patry a dit…

Rencontrer Alice Nkom, et surtout, me faire accueillir comme elle a su le faire...: très, très beau moment de vie. Heureusement que JM a eu la présence d'esprit de tout photographier ! Je ne m'en étais même pas aperçu. :-)

Jocelyne Richard a dit…

Très beau témoignage humaniste. Il n'y aura jamais assez d'Alice Nkom sur cette terre je vais signer.

Richard Patry a dit…

Merci, Jocelyne !