jeudi 15 septembre 2011

POST-SCRIPTUM DOULOUREUX, À LA MÉMOIRE DE NELLY ARCAN







On a publié ces jours-ci une nouvelle posthume de Nelly Arcan, un texte d'une trentaine de pages, et qui secoue fort le petit monde artistique, littéraire et journalistique québécois. Arcan raconte, si on s'en tient qu’à une lecture mondaine, rattachée qu’au premier degré de l’écrit, le désarroi extrême d'une jeune femme au vu de son corps, et à ce qu’elle croit être le su des autres le regardant, accusateurs et sarcastiques. Cette jeune femme, c’est Nelly Arcan elle-même. Son récit, qu’elle a voulu, semble-t-il, publier, est à peine une autofiction. Il tient plutôt de la note laissée par humanisme aux survivants, pour expliquer, quand même, une mort terriblement prématurée. Le corps de Nelly Arcan est magnifique, mais lui fait mal, l'écriture de la nouvelle est superbe, mais effroyablement désespérée. L’histoire s'intitule La honte, et quiconque aurait envie de la lire peut la trouver, facilement et gratuitement, sur Internet. 

Tous les commentateurs que j'ai pu lire, depuis deux jours, dénoncent les prescriptions morbides que la « société » impose au corps des femmes, et d’elles seules; ces messieurs/dames font de l'obligation de la jeunesse et de la beauté immortelles la première, sinon la seule responsable de la mort violente de l'écrivaine en révolte, jusqu’au délire. ( Elle s'est suicidée. ) J'ai lu le texte de Nelly Arcan. J'ai été à la fois séduit et bouleversé, ramené au paradoxe extrême dont souffrait visiblement l’auteure, étrangère à ce beau corps qu'elle a pourtant voulu, dont elle a dessiné la reconstruction, et qu’elle a certainement beaucoup contemplé. J'écrirai, ailleurs, le second degré, évident me semble-t-il, de cette nouvelle. Mais pour m'en tenir, ici, au sens premier du texte de Nelly Arcan, je ne peux que me répéter, et revenir avec plus d'insistance encore, sur l’intention première, quand même modeste, d’un post d’avril dernier, Jouvence.

Il n'est plus vrai que l'obligation de jeunesse et de beauté ne pèse que sur les jeunes femmes. Les jeunes hommes en pâtissent tout autant. L'Occident ne s'est jamais, de toute son histoire, autant contemplé dans le rétroviseur, que maintenant. Il rejette la maladie, le vieillissement, la bonne moyenne, la paix du corps le temps de sa vie. Le risque, le risque énorme, est qu'on retrouve, toujours de plus en plus, de ces obsédés du corps parfait, épatant, séducteur, excellent vendeur, qui seul peut oser se montrer, et s’admirer par la suite à la télé ou sur grand écran.  Passé 30 ans, t'es à risque de rejet. Passé 40, t'es foutu. Il arrivera qu'on ne veuille plus voir nos vieux ; savoir leur existence suscitera de l'angoisse ; on les parquera tant et si bien qu'on ne pourra plus voir du tout ce qui guette tous les vivants, le monstre autiste et inentamable ( Arcan ) de l'âge, des rides, du ventre, de la calvitie,  de tout ce qui tremble et qui tombe, qui traverse la vie et ruine la beauté, pire destin que la mort elle-même. À ne plus voir ni les vieux, ni les morts ( et tant qu’à faire, ni les laids, ni les difformes, ni les obèses, ni les cagneux, ) peut-être, en effet, éviterons-nous quelques suicides tragiques, de jeunes hommes tout autant que de jeunes femmes, beaux pourtant, épilés, tatoués, athlétiques, mais complètement paniqués à l'idée, insupportable, d'être un jour des hommes vieux et moches, des femmes avachies et barbouillées. Il n'y en a que pour les jeunes, que pour les beaux. L'Occident se fracasse le visage dans son miroir, il se dévisage, mais il y aura toujours des entreprises qui se proposeront, bistouri en mains, pour tout refaire, en mieux, et maintenir, un temps, l'illusion de la toute-puissance éternelle - grâce à la sublime beauté.

Et le pire, c’est qu’on n’y peut rien.



3 commentaires:

RAnnieB a dit…

Après avoir lu moult commentaires sur cette nouvelle de Nelly Arcand je suis allé survoler son texte. Mon réflexe a été le même que celui de Nathalie Pétrowski qui a écrit un article à ce sujet dans La Presse d'hier.

Je ne crois pas qu'il y ait de premier ou deuxième degré, rattaché à son vécu, dans son texte. Il y a, comme dans les oeuvres d'autres génies littéraires, une licence artistique.

De la même façon qu'elle l'a fait dans ses autres écrits, Nelly Arcand s'est servi de parcelles de sa réalité afin d'alimenter son oeuvre.

Ces parcelles elles les collent où bon lui semble, sans aucun ordre précis, et elle brode un nouveau contexte autour.

Les réactions comme celles de Guy A. Lepage sont, à mon avis, ridicules. Cette nouvelle ne démontre d'aucune façon que Nelly Arcand s'était sentie victimisée par son passage à TLMP. En fait, il ne démontre rien d'autre que son génie.

Richard Patry a dit…

Je ne partage pas ton point de vue, ni celui de NP. Je pense tout au contraire que Nelly Arcan a écrit ce texte, sans aucune distanciation - ce qui ne veut pas dire sans talent, ni sans liberté littéraire. Elle était bouleversée, troublée. C'était pour elle la seule catharsis possible, d'autant plus qu'elle savait ( elle l'écrit en toutes lettres ) qu'elle n'était forte que par l'écrit.

Son éditeur a déclaré qu'elle voulait que ce texte soit publié. C'est là-dessus que j'ai des doutes.

Quoi qu'il en soit, Nelly Arcan a le mérite, le grand mérite, d'avoir écrit un texte terrible, parfaitement éclairant, sur ce que sont la honte et l'humiliation. C'est là dessus que je veux revenir, et développer, sur un autre blogue.

Nelly Arcan étant morte, on ne saura jamais tout, tout, tout. Mais au moins, on peut lire sa nouvelle, magnifiquement écrite, et entendre le message pour ce qu'il était.

Richard Patry a dit…
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