mardi 7 février 2017

LECTURE: LA RÉVOLUTION, PAR FRANÇOIS FURET




Quand j’étais étudiant, François Furet (1927-1997) était un des historiens français les plus brillants, les plus innovateurs de sa génération. Il bousculait tant et si bien les idées reçues, en particulier sur la Révolution française dont il critiquait l’interprétation marxiste classique, qu’il s’était fait d’irréductibles ennemis, surtout dans l’entourage d’Albert Soboul, qu’on tenait jusqu’alors pour l’Autorité suprême, quelque chose comme le pontife de la théologie révolutionnaire. J’étais passionné par Furet, par la richesse de ses problématiques, par la liberté avec laquelle il remettait en question les dogmes intangibles de ce qu’on était tenu de comprendre, à tout jamais, de la Révolution et de sa portée universelle. 

J’étais, et je suis resté un grand fervent de Furet. Et pourtant, je n’avais jamais lu la synthèse essentielle de tous ses travaux, sa vaste histoire de la Révolution française, intitulée La Révolution, publiée en deux tomes, couvrant une large période allant de 1770 à 1880, et parue en 1988. C’est maintenant fait.

Quel livre ! Dire d’abord que l’immense savoir de Furet se rend dans une langue magnifique. Ce livre est en soi un beau livre, qui donne du plaisir à lire, un livre d’écrivain. 

C’est par ailleurs un ouvrage de science : pas de récits anecdotiques ni de détails piquants, que de l’analyse, mais jamais, jamais rebutante, bien au contraire. Furet, en particulier dans le tome premier, ressuscite la Révolution, sa complexité, son essence — l’égalité, comme rejet violent de l’aristocratie, et puis, peu à peu, l’égalité comme critique de l’accaparement bourgeois, — et la multiplicité des questions fondamentales qu’elle soulève : « les jeunes contre les vieux, les ouvriers contre les bourgeois, les hommes de la lutte des classes contre ceux de la démocratie, les républicains d’insurrection et les républicains du suffrage universel »… Contradictions déchirantes du processus révolutionnaire, qui ont conduit à la Grande Terreur, aux règlements de compte violents, à Napoléon, et aux récidives, incessantes durant le 19e siècle français, de la mécanique révolutionnaire, jusqu’à sa stabilisation en république bourgeoise, vers 1880… Nous sommes bel et bien, du moins dans la zone atlantique de l’histoire contemporaine, les héritiers de la Révolution française et de son questionnement, bien qu’en ce moment, malgré le printemps étudiant 2012, une certaine forme de démocratie consensuelle, très antirévolutionnaire, obsédée par le problème religieux, semble l’emporter, du moins au Québec.

S’il arrivait que je donne l’envie de lire Furet, délectez-vous du premier tome, le plus instructif quant à la première Révolution française, la grande, celle qui inspirera toutes les autres qui suivront : les portraits que dresse Furet de Sieyès, de Mirabeau, de Robespierre et de Bonaparte (le futur Napoléon) valent à eux seuls la lecture de l’ouvrage. Une immense culture, une méthode rigoureuse, un esprit libre refusant les carcans idéologiques ou téléologiques : surprenante démarche pour cet ancien communiste qui a rédigé son ouvrage décisif au moment où l’URSS s’effondrait, et il n’y a peut-être là pas de hasard.