dimanche 20 avril 2014

PIERRE LAPORTE: ENTRE LA FADEUR ET LE DRAME




Du livre que mon ami et collègue Jean-Charles Panneton a publié en 2012,  biographie politique de l’ancien ministre libéral Pierre Laporte, la première chose qui étonne, chez cet historien encore jeune, c’est pourquoi, mais pourquoi donc avoir choisi comme objet d’études Pierre Laporte ? Qui s’en rapporte encore maintenant à une quelconque doctrine de Pierre Laporte, à une vision qu’il aurait eue du Québec contemporain, et de son avenir ? À tout prendre, n’eût été sa mort tragique, Laporte ne serait vraisemblablement reconnu que pour sa carrière de journaliste de combat, et son opposition systématique au premier ministre Duplessis, au Duplessis catholique d’imitation, au Duplessis socialement rétrograde des années 1950.

Mais hélas pour Pierre Laporte, politicien de carrière et de talent, remarquable parlementaire, et qui adorait ce métier, c’est la Crise d’octobre 1970, et c’est son assassinat par le Front de libération du Québec qui l’auront rendu célèbre à jamais.

Et ce sont effectivement les pages du dernier chapitre du bouquin, très fouillé, de Panneton, portant sur la mort tragique de Laporte, qui sont les plus émouvantes. Le style de Panneton devient sobre, les phrases courtes, masquant à peine l’émotion de l’auteur. Le drame du meurtre politique,  presque sacrificiel, est avivé par quelques documents restés célèbres, les lettres du ministre envoyées à Robert Bourassa, qui aurait pu le sauver, et à sa femme, isolée dans un hôtel chic de Montréal, les témoignages post-mortem des proches de Laporte, qui n’ont peut-être jamais pardonné l’abandon auquel a été contraint leur père au nom de la raison d’État... Ce dernier chapitre de Jean-Charles Panneton règle leur compte, une fois pour toutes, on l’espère, aux théories conspirationnistes qui survivent encore et encore, au grand découragement d’anciens felquistes eux-mêmes, «qui étaient là», protestent-ils, et qui désespèrent qu’on invente n’importe quoi à leur propos, à leur exacte participation aux faits, à leur responsabilité première dans ces événements terribles. Panneton fait la part belle aux enquêtes publiques qui ont aussi vidé de tout contenu un tant soit peu crédible les théories présumant d’un complot d’État dans l’affaire d’Octobre 1970.

Quant au corps du livre, à la biographie de Pierre Laporte, que je connaissais peu, j’ai adoré le lire. Le problème n’est ni dans la documentation, abondante, rigoureusement traitée, ni dans la reconstitution d’une vie que Panneton a effectuée avec talent. Il est dans la médiocrité intellectuelle d’un personnage qui a grondé, tonné, s'est souvent passionné, puis qui s’est rangé, s’est contredit, et qui n’a eu de fait ni système ni conviction stable; c'était ou bien Laporte le «nationaliste», voire même le «néonationaliste», dit Panneton, qui a flirté avec le projet constitutionnel d’un statut d’État particulier pour le Québec, ou bien le Laporte qui a pourfendu les choix politiques souverainistes de son «ami» René Lévesque.

Passé en politique active, Laporte est devenu un partisan, souvent au gré du vent et des humeurs des électeurs, en tant que tel un homme rusé, et rien de bien plus que ça. Sans sa mort tragique, que Panneton raconte clairement, brièvement, sans voyeurisme ni sans fausse pudeur, Pierre Laporte serait oublié aujourd’hui, sauf de quelques spécialistes, comme sont oubliés Bona Arsenault ou Claude Wagner, vedettes politiques de l’époque, aux côtés de Pierre Laporte.

Jean-Charles Panneton a fait du beau et du bon travail, qui m’épate. Son livre devient un indispensable pour qui veut mieux connaître la grande noirceur duplessiste, et la Révolution tranquille qui a suivi. C’est Laporte lui-même, l’homme politique, qui est, à mon humble avis, pâle et décevant.





12 commentaires:

Anne-Sophie a dit…

Le survol de l'histoire québécoise à travers mes études en éducation et en littérature a engendré beaucoup de questions restées sans réponse. Je l'ajoute au sommet de ma pile de livres pour cet été. Merci, Richard.

Richard Patry a dit…

Bonne lecture, Anne-Sophie ! (Et grand merci pour le commentaire.)

Jocelyne Richard a dit…

Merci Richard pour cette analyse juste assez titillante pour me faire courir chez Renaud-Bray.

J'ai hâte de lire un 300 pages de Richard Patry sans interruption.😉

Richard Patry a dit…

L'auteur a pris sept ans pour écrire son livre. Je ne suis pas trop certain d'avoir cette ténacité :-)

Alcib a dit…

Qu'est-ce que c'est, sept ans, dans la vie d'un historien pour le moins compétent, d'un auteur doué, surtout quand, en principe, selon les règles naturelles, il reste à vivre plusieurs tranches de sept ans ?
Ce ne sont pas les sept ans consacrée à l'écriture qui me feraient peur, mais les heures employées à lire la biographie d'un homme qui, comme tu le dis d'une certaine façon, ne suscite pas en lui-même beaucoup d'intérêt. Et c'est dommage pour l'auteur de cette biographie que tu dis de bonne qualité.

Richard Patry a dit…

Moi pas davantage je n'ai d'intérêt particulier pour Pierre Laporte. C'est le contexte dans lequel Laporte a évolué (duplessisme, Révolution tranquille, Crise d'octobre 1970) qui rend la lecture de ce livre intéressante.

Merci, Alcib, pour le commentaire : -)

Alcib a dit…

Richard, je n'ai peut-être pas été assez clair : l'« historien pour le moins compétent » et l'« auteur doué », ce n'est nul autre que toi, du moins dans ce commentaire.
Il semble qu'en n'écrivant qu'une seule page par jour, au bout d'un an, on a un livre d'écrit ; il reste six ans pour se documenter... et choisir ce qu'on va écrire. En étant occupé à faire ce que l'on aime, sept ans, ça passe très vite. :o)

Richard Patry a dit…

Oh ! Alcib, je vois.

Bien, je vais te faire un aveu tout ce qu'il y a de plus privé: je suis dans un projet d'écriture. On verra pour la suite... ;-)

Merci !

Alcib a dit…

Merci de l'« aveu », même si je ne vois rien de coupable dans une une telle activité, si secrète soit-elle. Tous les plaisirs solitaires ne sont pas condamnables.
Et, confidence pour aveu, je dois dire que si l'on est un peu attentif à ce que tu exprimes sur ce blogue, même à ce que tu ne dis pas, ton aveu n'est pas vraiment une surprise... Il flotte au-dessus de ces pages comme dans ses lignes aussi bien qu'entre elles une espèce de sérénité (ce n'est peut-être pas le mot juste) qui émanerait de la conscience de l'auteur que son essentiel est ailleurs et que ces pages sont, en quelque sorte, des concessions à la société et à son actualité, des hors-d'oeuvres, en attendant le plat principal.

Richard Patry a dit…

Ton commentaire est magistralement bien écrit, et parfaitement pertinent. Ceci étant, j’ai beaucoup de plaisir à me défouler sur Choses vues… Mais l’essentiel est ailleurs. Et c’est un travail difficile. Je ne sais trop, si ce n’est que ça me remue, parfois intensément. Écrire est un acte de grande vérité, même (et peut-être surtout) quand on essaie de la maquiller de fiction.

Je ne sais trop si c’est Alexandre qui t’inspire de la sorte. Mais tu es… inspiré, Alcib.

Merci, encore une fois.

Alcib a dit…

Je crois en effet que, tout en étant absorbé, concentré sur un grand projet,il faut savoir s'accorder des moments d'évasion, moments qui ne sont pas forcément moins créatifs et enrichissants que l'activité principale, et qui permettent d'aérer son esprit avant de se remettre à la tâche... Vingt fois sur le métier...
Je crois aussi que la fiction inspirée invente une forme différente mais que l'émotion de départ, la source de l'inspiration, ne renonce pas à sa charge émotive en passant dans la fiction.
Trouver la forme qui soit la mieux adaptée au contenu que l'on veut exprimer - ou que l'on ne peut s'empêcher de le faire - est une activité plutôt intellectuelle et esthétique, alors que l'inspiration, qu'elle soit joyeuse ou douloureuse, reste chargée de l'émotion qui en est la source.
Au petit renard, « la couleur des blés » rappellera toujours le Petit Prince et son absence et, selon les jours, il appréciera sa rencontre ou il regrettera son départ mais, au bout du compte, les blés dorés, où qu'ils soient, auront toujours une valeur inestimable.
De même, selon les jours, je saurai, bien ou moins bien, interpréter et exprimer ce qui m'inspire mais, toujours, jusqu'à mon dernier souffle (même si mes neurones ne fonctionnaient plus), mon inspiration s'appellera Alexander.

Bon courage ! Ne te laisse pas distraire (à moins qu'il ne s'agisse d'une pause régénératrice) ; tu ne dois rien à personne, sauf à toi-même.

Richard Patry a dit…

Je te parle d’écrire, et tu me réponds par un exemple d’acte littéraire en lui-même ! Bon dieu que tu écris bien, Alcib.
Je te suis reconnaissant de me faire confiance. Venant de toi, c’est inestimable.
Une «fiction inspirée»: l’expression est parfaitement juste; si je peux réussir un pareil défi, je serai assez content de moi. Au risque de me répéter, c’est douloureux. Je crois t’avoir déjà dit que je n’ai pas l’écriture facile, loin de là.
Si Alexander pouvait passer par chez moi une ou deux minutes par jour, et m’inspirer, ça m’aiderait sûrement. Il était, j’en suis sûr, du genre à aimer les amis de son ami. ;- )

Bonne journée !