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jeudi 26 avril 2012

IMPOSSIBLE RÉVOLUTION



Source: Photo - Le Devoir, Jacques Nadeau





Au point où en sont les choses politiques et sociales, au Québec ( crise majeure, je le spécifie pour mes amis lecteurs de l'étranger, provoquée par une très forte hausse des droits de scolarité, décidée et décrétée par le gouvernement du Québec, ) peut-être faudrait-il collectivement se rappeler quelques évidences incontournables.

1. Il n'y a pas, il ne peut pas y avoir de révolution au Québec. La jeunesse a beau être nombreuse dans les rues, et aller à la casse avec un entrain qui laisse le téléspectateur sidéré, cette jeunesse que j'aime, à qui j'ai enseigné ( génération après génération ) toute ma vie, est isolée sur la grande question, la question essentielle qu'est le partage équitable de la richesse, quel que soit le processus pour y arriver, par exemple au moyen d'une justice fiscale rigoureuse. La jeunesse est isolée: elle n'a pas d'alliés sociaux qui l'appuient dans ce qui pourrait devenir une authentique poussée révolutionnaire. Les travailleurs cols bleus ou cols blancs, la classe moyenne inférieure, les retraités appauvris, année après année, par des rentes qui deviennent  fragiles, ont souvent une empathie active sur Twitter pour la cause étudiante, mais certainement pas au point de provoquer une constellation de colères sociales, préalable à une authentique poussée révolutionnaire. La jeunesse elle-même est divisée sur la question du sens social à donner à son mouvement de contestation. La société québécoise n'est pas encore prête de changer là-dessus, tant s'en faut, et tranquille qu’elle est. Le patronat est solidaire, de tout temps, en toutes circonstances, sur ce sujet de l'ordre social, comme sur tous sujets d'ailleurs, avec le parti libéral du Québec, qui lui écarte la CLASSE parce que précisément, cette association étudiante prétend développer un projet social plus large que la cible unique de droits de scolarité accessibles au plus grand nombre. Quant à la police, elle fait son travail, « neutre », dit-elle, c'est-à-dire au service de l'État, qui lui est « bourgeois ». Ce ne sont pas là des considérations anciennes: c'est encore comme ça que les choses sont. 

Il faut dire ces évidences, même désagréables à entendre, parce que le mouvement étudiant se dirige tout droit vers un cul-de-sac. Ça me désole. La cause est juste. J'y crois. Mais privilégiant la voie radicale, de l'affrontement dans les rues, du discours ultra à la télé ( que j'admire, bon dieu, Gabriel Nadeau-Dubois est à proprement parler admirable, ) et n'entendant rien, du moins en apparence, des gens de bien, qui cherchent une solution, une médiation, un report de la hausse, une alternative de négociation multipartite qui puisse remplacer le choix décrété par l'État, le mouvement étudiant laisse se préparer une répression, brutale, sans appel, qui lui tombera dessus, lui fera tout perdre, capital de sympathie, et validité de la cause, alors qu'il tient bon, après dix semaines, ce qui est proprement stupéfiant. Étudiants, ne parlez plus au gouvernement, ignorez-le; parlez aux autres, à celles et ceux, nombreux, encore influents, qui ont de la sympathie bien réelle pour les principes que vous défendez. Il faut imposer votre point de vue au gouvernement par le biais d'intermédiaires qui seuls, peuvent sauvegarder l'essentiel de votre combat. Sinon, cela risque fort d'être une grève perdue. Et tout cela sera long, très long à reprendre, et à réparer. 

2. Il n'y a pas à douter que l'État, et le parti politique qui en dispose cherchent une voie de sortie, qui ne soit bénéfique que pour eux seuls. L’État ne peut songer, désormais, qu'à des moyens extrêmes pour mettre fin à la crise. Il y a des précédents, et ce serait là une erreur prodigieusement naïve que de penser que l'État ne considère pas ses pouvoirs de législateur. Je ne sais trop à quelle loi spéciale le gouvernement pourrait recourir, puisque la grève étudiante ne relève pas du Code du travail. Je ne sais pas davantage à quelle suspension de libertés civiles le parti libéral pourrait se laisser tenter. Mais si Monsieur René Lévesque lui-même a fini par approuver et cautionner la terrible Loi 111, en février 1983 ( loi condamnée d'abord par le Bureau international du travail, et par la suite par la Cour suprême du Canada, bien que dans ce dernier cas, la Cour ne se soit pas arrêtée au scandale social majeur qu'était la loi, mais plutôt à une formalité constitutionnelle, ) comment penser que Monsieur Charest aurait des scrupules, s'il estimait, lui, qu'il y avait urgence d’agir pour protéger les biens et la propriété ? Je ne suis rien, moi, ni vedette ni personne qui compte ( pas même sur Twitter ! ), je ne suis qu'un obscur professeur de cégep, comme on me l’a déjà dit, sourire en coin; et pourtant je supplie le gouvernement actuel de ne jamais, jamais franchir la ligne de l'interdit, de ne se laisser tenter par aucune mesure qui restreigne ou suspende les libertés civiles, et de laisser les mesures normales de justice suivre leurs cours — c'est le cas de le dire. Il faudrait, là-dessus, être nombreux, très nombreux à en appeler au gouvernement du Québec: il n'y a qu'un moyen, qu'un seul, pour l'amener à être raisonnable, et à discuter, y compris de ses ( mauvais ) choix politiques, et c'est de l'amener, d'avance, à renoncer à tout moyen législatif d'exception. J'appelle ( très humblement ! ) Monsieur Charest à faire une déclaration publique en ce sens. Il doit engager son gouvernement à l'encontre de ce risque, parce qu'en réaction à la violence de la rue, toutes les tentations sont possibles pour un gouvernement, et un parti, en désespoir de cause et de crédibilité.

Voilà.

Bonne chance aux étudiants, et à leurs leaders, qui ont ces jours-ci le dos large, mais les jambes solides. Ils sont beaux; ils sont admirables.







vendredi 23 mars 2012

DU DROIT À L'ÉDUCATION GRATUITE ET AU JUSTE PARTAGE


Vingt-cinq secondes de la manif, immortalisées par le blogueur !



J’ai participé, cet après-midi, à la manifestation nationale des étudiants et des étudiantes du Québec, en lutte contre l’augmentation des droits de scolarité universitaires. Responsabilité de prof que d’être là. Devoir social de s’y retrouver, en masse. Nous étions plus de 200,000 personnes, essentiellement des étudiants, plusieurs enseignants, quelques parents, une poussette ou deux ;  un flot humain joyeux, pacifique, convaincu, surtout décidé à opposer une résistance, juste je crois, étonnamment acharnée, à ce qui pourrait, sérieusement, limiter le droit social incessible qu’est l’accessibilité aux études avancées pour tous. C’est un droit social, qui ne s’achève pas à la fin du niveau secondaire de formation. C’est un droit. 

À l’époque de la Révolution tranquille, on visait à garantir ce droit par la gratuité complète du système scolaire. Nous n’y sommes jamais parvenus, mais nous avons quand même construit un système suffisamment démocratique, de par sa régionalisation, et son financement public, pour accomplir une formidable récupération. En 1960, les Québécois francophones étaient incroyablement sous-scolarisés, plus en retard d’instruction commune que les Noirs états-uniens, qui subissaient à l’époque une ségrégation scolaire institutionnelle ! C’est dire ce que les Québécois francophones ont longtemps subi comme entraves, jusqu’à la Grande Noirceur; c’est dire les forces qui leur refusaient le droit à l’instruction. Papineau savait bien, j’imagine, que l’écrasement des patriotes, en 1837, tenait en partie des écoles ( publiques, laïques, )   que l’Assemblée avait instituées. Mercier se doutait bien qu’on le détestait, en certains milieux, parce qu’il avait voulu créer des écoles du soir, pour les ouvriers canadiens-français, analphabètes, de ce fait aliénés.

Après six ans de Révolution tranquille, en 1966, et ce trois ans seulement après la création d’un ministère de l’Éducation, la cohorte d’élèves qui s’inscrivait à l’école primaire allait être la première à se scolariser davantage que la moyenne canadienne. Autrement dit, si nous avons réussi quelque chose, depuis le dernier demi-siècle, qui dure, et peut-être transforme le Québec en profondeur, c’est bien la réforme scolaire. C’est, avec les grands instruments économiques d’État, le moyen déterminant de notre épanouissement collectif, et de notre liberté, nécessaire, assumée. 

Remarquez bien, c’est sans illusion que j’écris ces quelques lignes. Je sais bien que le système, très bon, a quelques ratés – au sens très exact du terme. Je sais que les programmes ont été écorchés, souvent ratatinés, capitalisme oblige. Je sais bien que, même dans les collèges publics, la réussite scolaire des étudiants tient beaucoup, déjà, avant même tout renchérissement des coûts de la scolarisation, au milieu privilégié – à la classe sociale — auquel les parents, la famille, la maison appartiennent, et au fric qui leur assure de bien meilleures chances que pour la multitude des autres. Je sais que plusieurs des nôtres, désormais capables de penser, de créer, de gérer, ont pris le virage de la réussite strictement personnelle. Je sais aussi que, depuis 50 ans, notre peuple s’est souvent recoquillé, qu’il a hésité, a voté à droite, a voté Non, s’est cru incapable malgré ses tout nouveaux diplômes, s’est laissé facilement culpabiliser, perdant parfois tout sens critique, la compétence première qu’on acquiert pourtant avec toute bonne éducation. Je sais bien que les Québécois ont parfois honte d’être instruits. On ne se débarrasse pas si facilement de vieux préjugés, surtout de ceux qu’on entretient sur soi-même. L’historien que je suis sait bien que de tout ce qui prend énormément de temps à changer, le mental collectif est ce qui est le plus rebelle, le plus buté. Mais depuis un demi-siècle, nous nous sommes quand même développés, enrichis, rendus suffisamment connaisseurs pour prendre, largement, le contrôle du Québec, tel qu’il est présentement – pas nécessairement tel qu’il pourrait être. L’éducation publique, à faibles coûts, a permis une mobilité sociale qui a fracturé l’étanchéité des classes sociales, et des groupes linguistiques. Nous n’avons pas encore osé jeter par terre ce scandale social permanent qu’est l’éducation privée, pour les fils et filles de quelques familles qui tiennent là, mordicus, aux subventions publiques payées par ce bon peuple avec lequel il est hors de question de se métisser. Je suis surpris que le mouvement étudiant ne s’en prenne pas à cet anachronisme, illustration même de ce que veut dire une éducation qui coûte cher, rogne la démocratie et le droit à une éducation d’égale qualité pour tous.

Pour être clair, j’étais à la manifestation, non pas pour le gel des droits de scolarité, mais plutôt pour leur modulation, et mieux encore, pour la gratuité complète de tout le réseau d’éducation, pour un projet de démocratie sociale qui s’assure, en éducation comme en santé, d’un accès large et équitable, pour tous, à la richesse collective. Monsieur Parizeau disait, en 1977,  que « les voies de l’indépendance passent par des finances publiques saines » ; saines et justes, faut-il ajouter. Une fiscalité impartiale permet, certainement, un financement collectif entier du système national d’éducation. J’imagine que M. Parizeau pourrait être d’accord avec ceci : les chemins de l’indépendance passent par des finances justes, et une éducation gratuite, généralisée, jusqu’au plus haut niveau de formation. 

Pour tout dire, enfin j’espérais revoir, dans le courant de la manifestation,  d’anciens étudiants, d’anciens collègues enseignants. Pas évident de reconnaître qui que ce soit dans un torrent humain. Je n’ai rencontré personne de connu ! De ça j’étais franchement désolé : j’en aurais bien serré une couple dans mes bras !


L'été en mars: les conditions idéales  pour une manif réussie !





Il semble que les chevaux impressionnent les casseurs... Heureusement, pas un seul incident, pas une seule arrestation: la manif du 22 mars 2012 restera comme un modèle !