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mercredi 9 novembre 2016

RÉINVENTER LA DÉMOCRATIE





Il y a, au Vermont, un mouvement séparatiste qui ne souhaite réussir (en fantasme) que pour faire imploser les États-Unis. On souhaiterait, aujourd’hui, que la Virginie, le New York, la Californie et l’Oregon se joignent au mouvement. Une bonne partie de la planète espère, du reste, cette implosion. Elle en a assez bavé de la superpuissance en déclin, et de ses nabots, ravageurs, assassins, distribués ici et là à la grandeur du monde. 

Coup de chance, voilà que les États-Unis se donnent un président qui a réussi à faire croire à ses compatriotes que c’étaient eux, les victimes essentielles de la voracité mondiale et de l’immigration affamée, avec la complicité des establishments nationaux. Oubliée, la politique militariste et agressive destinée à sauver l’empire ! Les États-Unis veulent se replier sur eux-mêmes ? — ce qui n’est pas totalement nouveau… Profitons-en ! Je me prends à souhaiter, ardemment, que cette élection de Donald Trump amène la communauté internationale à tourner le dos à ce pays-sangsue; qu’on ignore, désormais, puisque c’est là le désir du président désigné, tout ce qui vient de Washington en forme de diktat. Profitons-en pour que l’humanité puisse se réinventer librement, avec l’appui enthousiaste des progressistes américains, puisqu’il y en a certes encore éparpillés, sans doute un peu sonnés, mais toujours bien vivants. Profitons-en pour réinventer la démocratie, trop souvent conservatrice depuis un siècle et demi, et pour lui redonner la fonction sociale qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’avoir, celle d’être au service de la multitude, sans dieux, ni quelque autre opium du peuple qui terrifie et aliène l’homme pourtant né bon. C’est bien le sens de ce que veut dire la res publica, la chose du plus grand nombre, la chose publique. Il faut réapprendre à lier étroitement les luttes nationales et la « lutte des classes » au processus électoral, à rendre indissociables les idéaux d’égalité et de liberté. 

En attendant qu’on révolutionne, chez nous et ailleurs, partout, le sens même de ce que devrait être la démocratie, j’espère qu’un bon nombre d’Américains feront de cette présidence un véritable cauchemar qui accélèrera ce qui est déjà commencé, l’irréversible déclin de cette bulle d’agioteurs que sont devenus les États-Unis d’Amérique, réalité que leur nouveau président incarne parfaitement.  





mercredi 22 octobre 2014

CAS D’EXCEPTION: À PROPOS DES ÉVÉNEMENTS D’OTTAWA


Photo Reuters



(Billet d’abord publié sur Facebook. Mais les événements d’Ottawa, en ce 22 octobre 2014, étant exceptionnellement graves, cela excuse, certainement, que je reproduise ici mon texte, sans autre prétention que de garder intactes sa tête et ses idées.)

… « J’ai une irrésistible envie d’écrire quelques mots pacifiant — hasard inconséquent un peu plate, quelques jours à peine après avoir fermé mon blogue Choses vues. Quelques mots pacifiant, et pacifiques. Allons-y, risquons-nous, sans haine, autant que possible, y compris dans les commentaires que je pourrais, peut-être, recevoir comme gratifications désagréables…

J’espère que les événements d’Ottawa (et de Saint-Jean-sur-Richelieu) ne dériveront pas d’abord en une agression réactionnelle contre la pensée, l’analyse, la réflexion, le savoir et le souvenir. Qu’on ne répondra pas au fanatisme par le dogmatisme, qui n’aurait ni de sens ni de raison, faute de quoi la recherche et l’éducation deviendraient radicalement inutiles, sinon dans des cercles intellectuels tragiquement fermés sur eux-mêmes.

J’espère aussi qu’ils ne seront pas prétexte à une agression contre les libertés les plus fondamentales, les plus essentielles, même s’il faut, par delà tout, assurer, bien sûr, la sécurité de tous, ici au Canada, mais aussi ailleurs, de par le vaste monde, complexe, trop souvent saigné à blanc par ceux qu’on a appelés, très justement, les «bourgeois conquérants», détail sanglant qu’on oublie trop souvent, sous le coup de l’émotion scandalisée, quand l’horreur frappe non pas au loin, mais juste à la porte d’à-côté…

J’espère encore que ces événements d’Ottawa n’éteindront pas, pendant un temps toujours trop long à espérer, l’avenir d’un monde qui doit absolument, s’il veut être en paix, être d’abord mieux compris, plus juste, plus équitable, plus respecté et plus libre. (En 2008, souvenons-nous, le candidat Obama se disait prêt à parler à tous les ennemis des États-Unis, et de l’Occident, pour chercher à comprendre et à désamorcer la haine… Où en sommes-nous, Monsieur le Président, du dialogue que vous aviez heureusement proposé ?)

Ces événements sont évidemment témoins de notre époque, et notre époque est le produit de l’Histoire, au moins de celle du dernier siècle, et des erreurs graves, par exemple, qui ont ponctué la Première Guerre mondiale au Moyen-Orient: je pense à la trahison des Anglais (et des Français) face au monde arabe de l’époque, — c’était en 1919, au moment et en suite du traité de Versailles — et au colonialisme qui s’est rapidement déployé dans un espace politique et culturel qui aurait dû être libre, constitué, et capable d’assumer son destin propre…

C’est en prof d’Histoire que j’écris ces quelques lignes, pas nécessairement en homme de la gauche québécoise. C’est pourquoi j’espère enfin qu’il y a encore place pour l’esprit des Lumières dans ce terrible XXIe siècle. Très franchement, je n’en doute pas: il y aura toujours à faire usage de responsabilité critique pour que survivent le bon sens et la lucidité, généralement (et heureusement) proches de l’incroyance, une fois passés le choc, la terreur, l’incompréhension de l’indicible et de la barbarie, et le deuil douloureux des nôtres… »

 

vendredi 29 novembre 2013

LE PLAIDOYER DE JOHN IRVING POUR LA LIBERTÉ DES GENRES




Je ne participe plus jamais au débat virulent qui porte sur la Charte québécoise des valeurs de la laïcité. J’ai dit ce que j’avais à dire, en fait je l’ai écrit, ici sur ce blogue, ailleurs aussi. Je trouve simplement que les incroyants (agnostiques ou athées) sont étonnamment absents de ce débat, comme s’il y avait encore, à l’ère de Hubble, de la génétique et de la physique des hautes énergies, un scrupule à affirmer sa non-croyance, à rejeter du revers de la main (et de l’intelligence) l’incroyable bêtise de pratiques religieuses héritées de l’Histoire, de temps anciens dont les craintes et les questionnements nous sont devenus totalement étrangers.

Pour le «reste», qui peut savoir ce qui nous est radicalement inconnu ?

J’ai terminé, il y a quelques jours, la lecture du plus récent roman de John Irving, À moi seul bien des personnages, véritable plaidoyer - passionné, attendrissant, humaniste avec ferveur, amoureux du genre humain au-delà des genres - plaidoyer en faveur des diversités sexuelles, et du besoin  irrépressible qu’elles ont de leur liberté pleine et entière, à l’encontre de tous les obscurantismes, de toutes les religions, de tous les endoctrinements, qui n’hésitent pas, s’il le faut, à recourir à la punition violente, à l’humiliation irréparable. Je suis gay; il me semble que je me suis ouvert, depuis longtemps, à toute espèce de genre humain. Et pourtant, le roman de John Irving pousse si loin le récit de l’incontrôlable variété des personnes et des sexualités qu’il a bousculé, souvent, mes préjugés encore tenaces. Irving a mieux compris, et plus profondément que bien des auteurs gays, ce que veulent dire la liberté d’être, et le courage  qu’il faut pour y parvenir. J’ai été conditionné, moi aussi, bien sûr, et il m’a fallu toute une vie pour me donner le droit de me dire et de me montrer tel quel, spécifique et marginal. Alors je reste froid, très froid, vous comprenez, à toute idée, toute possibilité d’intoxication mystique ou de bourrage de crâne par de supposés maîtres penseurs.

Il y a, à Montevideo, Uruguay, où je m’en vais en décembre qui vient, un monument élevé à la diversité sexuelle. Il nous faudrait débattre d’un pareil monument, à Montréal: ça nous changerait des débats antédiluviens qui sont, hélas, trop souvent les nôtres, par le temps qui court… 





dimanche 8 septembre 2013

ET POURTANT ELLE TOURNE: une réponse aux «cent intellectuels contre l'exclusion»




Cent intellectuels, journalistes, écrivains, économistes, professeurs, (même de cégep !), ont publié une lettre ouverte annonçant et dénonçant, tout en même temps, la perfidie du projet gouvernemental de charte dite des «valeurs» — en fait, pour ce qu’on en sait, un projet de loi garantissant la neutralité religieuse de l’État, de ses lois et de ses services, espaçant une administration publique sans religion d’un citoyen, qui lui, peut bien croire à ce qu’il veut, dans les lieux qu’il choisit, librement.

Cent intellectuels qui dénoncent, ça impressionne, et c’est le but recherché, bien sûr, une « impression ». En fait, le texte des Cent, c’est l’expression même d’une neutralité planifiée.

Je ne suis pas un intellectuel. Je ne suis qu’un simple (et ancien) professeur d’histoire – de cégep, c’est dire à quel point je suis anémique, côté doctrine ! Je ne suis pas connu, je n’ai pas de plan de carrière, je n’appartiens à aucun réseau ; je n’ai pas d’intention politique partisane en écrivant ce texte. Je ne suis qu’un citoyen, unique et solitaire, que le système supplie pourtant de voter, ce qui implique que j’aie une pensée qui se tienne, et que j’aie en horreur qu’on tente de me manipuler la cervelle. (C’est paradoxalement une des raisons pour lesquelles je ne vote plus, mais c’est là une autre histoire.)

Disons l’évidence tout de suite : cette « charte », étant donné l’Assemblée nationale du Québec telle qu’elle est composée en ce moment, n’a aucune espèce de possibilité d’être adoptée. Et je doute fort que le gouvernement engage sa responsabilité ministérielle sur ce projet de loi, et qu’il risque des élections là-dessus. C’est donc de principes et de convictions dont on discute. Et il y a, dans la lettre ouverte des Cent, des éléments de croyance avec lesquels je suis d’accord, sans «croire». Commençons donc par les compliments.

Bien évidemment que je les rejoins quand les Cent reprochent l’obstination que le gouvernement du Québec met à figer, pour l’éternité, le crucifix, le plus important des objets du culte chrétien, au-dessus du «trône» du Président de l’Assemblée nationale, en considération du patrimoine national à préserver. Cet entêtement est d’autant plus ridicule que c’est Duplessis qui l’y a placé là, et que plus personne n’y croit, tel quel, à ce sacrifice divin, pas plus qu’il nous viendrait à l’idée de croire aux charmantes procédures de meurtres sacrificiels qu’on a pratiqués, de-ci de-là, ailleurs sur cette planète. Comment penser que la première ministre Marois, la même qui veut l’indépendance, qui sait la forte turbulence que cette révolution provoquera si elle advient, mais qui la veut quand même et qui en assume le risque calculé, comment penser que la même Mme Marois puisse redouter les sursauts de l’opinion, et reculer devant la turbulence passagère (appréhendée) que provoquerait le décrochage d'un crucifix dans l’espace politique ? Qui donc s’est soucié, sérieusement, il y a 50 ans, du leader créditiste Camil Samson qui déplorait qu’on sorte le crucifix des écoles ? Si, avec raison, on ne s’illusionne jamais du silence apparent d’un signe, on ferait erreur de considérer le crucifix que pour un simple objet, sans autre signification qu’une nostalgie culturelle. Il faudrait que cette charte, qu’écrit le gouvernement, soit l’Édit de Nantes, et non sa révocation.

Ailleurs dans leur lettre, les Cent disent croire au « principe de neutralité religieuse [qui vient] protéger la liberté de conscience et de pensée ». On salue, ici, une sélection de mots prudemment choisis, et d’ailleurs parfaitement justes. Mais la modernité fait depuis au moins trois siècles la différence essentielle et radicale entre la liberté de pensée et de conscience, et la complaisance pour les « superstitions ». C’est ce qui a permis à la pensée scientifique de prendre son envol. C’est ce qui a permis aux institutions politiques d’évoluer, jusqu’à renverser la monarchie de droit divin, et à inventer une loi qui soit autre chose qu’une révélation. C’est ce qui a donné une crédibilité au « droit naturel », à ces « vérités qui sont [si] évidentes par elles-mêmes » qu’on ne s’éternise pas à les expliquer. Ce n’est pas rien, comme acquis. Et ce n’est surtout pas, surtout pas religieux.

Moi, l’humble citoyen que je suis, avant que d’expliquer en quoi je me sépare de la lettre ouverte des Cent, j’affirme croire à l’audace des petits espaces de liberté dans le monde, comme la France l’a été, un temps, au temps de la Révolution. Et je crois que les petites nations peuvent être le cadre d’expériences de neutralité étatique, légale et juridique bien réelles, qui marquent profondément de leur empreinte le « concert des nations », nations qui n’ont de cesse de s’écouter les unes les autres, quoi qu’il en semble, parfois.

Mais, venons-en au fond des choses, et à ce qui fait que si j’étais quelqu’un qui compte, je n’aurais pas signé cette lettre ouverte à tous.

À les lire attentivement, et à les en croire, les Cent se seraient opposés, autrefois, aux principes mêmes de la Révolution française, parce qu’ils y auraient vu de l’occidentalocentrisme, et qu’ils auraient regardé la déchristianisation comme une menace aux droits universels de l’homme quant à l'exercice des religions. En fait, tout leur raisonnement part de cette apriorité, s’appuie sur cette conviction de base, qu’il y a la possibilité de Dieu. Or s’il y a Dieu, il y a une vérité révélée, et fatalement, une Loi au-dessus de toutes les lois humaines. Ça ne peut pas être autrement. Accepter Dieu, c’est reconnaître sa « suprématie », comme le dit expressément la Constitution canadienne, en parfaite logique, d’ailleurs.  Les Cent célèbrent donc le fait même d’une société «pluri-religieuse», enrichies de « traditions » religieuses « venues d’ailleurs », qui cohabitent « dans le respect de la spiritualité et de la liberté de conscience de chacun » : tout est là, en effet, dans cette alliance surprenante (quand même), mais nouvelle et éternelle entre la faucille et le goupillon. Déjà, bon dieu, qu’on n’est même pas débarrassés, complètement, des trônes et des évêques, et de cette illusion criminelle qu’il y a une vie après la mort, avec une morale conditionnelle et effroyablement répressive pour y accéder, voilà que se profile l’alliance entre la prière et l’action révolutionnaire !

Et l’ennemi, quel est-il ? C’est cette « communion nationale défensive et hargneuse », ce « fantasme [laïc, neutre,] d’une définition non conflictuelle de la collectivité québécoise » qui se trouve pourtant « des proies faciles » avec ce « projet répressif et diviseur ». Diviseur ! On croirait lire Trudeau, le Trudeau du début des années 60, lorsqu’il était encore du NPD (et que le NPD était encore le NPD.)  Et on note, bien sûr, la contradiction, immatérielle, entre la négation consternante des conflits, mais l’avivement tout aussi pénible de conflits, tout cela du fait d’un seul et même gouvernement, dissimulateur, qui se lève tôt le matin pour y arriver. Au demeurant, de quels « conflits » parle-t-on au juste ? Et de quelle « négation » ? De la lutte des classes ? Elle a toujours été, elle sera toujours, elle est depuis longtemps noble et souvent admirable, et ce n’est pas une loi sur la laïcité qui va la nier. Mais en quoi, je me le demande, en quoi la promotion insidieuse de la croyance en Dieu, en quoi ce fantasme spirituel auquel souscrivent les Cent, est-il préférable pour assurer à la fois la paix sociale et la juste révolution des opprimés ? Quelle religion, au Québec, fait-elle sienne, en ce moment même, des principes de la théologie de la libération ?

Quand les Cent écrivent, sans sourciller, que « le PQ [pour le gouvernement] se donne des airs de souveraineté en se trouvant des proies faciles », il profère une accusation grave, démagogique, et dangereuse, parce que les signataires savent parfaitement bien que c’est faux, et qu’aux extrêmes, il peut s’en trouver pour conférer une valeur mystique à l’argument. La lettre ouverte des Cent nourrit un incroyable (incroyable, c’est le mot!) fantasme inspiré, qui promeut la justice révolutionnaire par le biais d’un dieu et de ses disciples. Jamais je n’ai eu sous les yeux un texte qui prend aussi rigoureusement au pied de la lettre le remplacement purement cosmétique du marxisme par la religion, quelle qu’elle soit. C’est du délire. C’est de l’intimidation. C’est du mensonge éhonté.

Quelles preuves les Cent détiennent-ils quand ils écrivent, indifférents à l’énormité de l’imputation, que « l’exclusion des signes évocateurs des croyances est la porte ouverte à l’exclusion des êtres eux-mêmes » ? Et si, tout au contraire, et parce que dieu n’existe pas, c’était l’exclusion de signes et de symboles qui ne signifient rien, qui ne représentent rien, qui facilitait l’inclusion, l’égalité, la justice, le juste partage et l’affection ? Et si c’était l’exclusion de signes et de symboles dangereux parce que porteurs de morales d’autant plus répressives qu’on les croit dictées par dieu, qui pouvait, enfin, apaiser la haine contre les femmes, les gays, les incroyants, les anarchistes, les libertaires, les scientifiques ? Elle tourne, la terre, vous savez, et pourtant elle tourne ! De sorte que c’est d’un charlatanisme incroyable, quand la lettre ouverte des Cent s’achève sur ces mots, à faire pleurer de bêtise: « Les femmes, qui sont déjà plus souvent qu’autrement [sic] défavorisées par les rapports de pouvoir et de production dans lesquelles elles s’insèrent, seront d’ailleurs les principales victimes de ces mesures législatives. » Ça n’existe plus, « les femmes », pas plus que dieu n’existe ; il y a maintenant des femmes de pouvoir ; elles n’ont rien révolutionné du tout ; elles participent à la reproduction des classes sociales, comme les hommes, elles s’enrichissent, elles bouffent de ce qu’elles prennent aux autres, et elles savent utiliser une matraque. Il y a des femmes, c’est vrai, peu scolarisées, et refoulées, toujours et encore, vers des emplois traditionnellement réservés aux femmes. Qu’est-ce qui prouve, mais qu’est-ce donc qui prouve, hors de tout doute, que la disparition de signes religieux des lieux de l’administration publique va chasser certaines femmes de minorités religieuses d’emplois traditionnellement réservées aux femmes ? Croire cela, c’est croire en un argument démagogique, particulièrement fallacieux.

Les Cent redoutent que «cette laïcité [d’État] consiste (…) à forcer un processus de sécularisation», que « cette réactivation programmée des passions tristes et mesquines [ne soit] pas à la hauteur des valeurs largement partagées ici comme ailleurs » : un programme, bien sûr, un programme forcé, un complot, tiens, déjà qu’il a fallu du temps pour se défaire de l’autre complot, avec lequel certains leaders de notre gauche bien d’ici ont longtemps flirté ! Décidément, Malraux avait raison : le XXIe siècle allait être religieux, et croire aux forces occultes !


Cette lettre des Cent attise, excuse, et pardonne à priori, par ses préjugés, ses lieux communs, ses raccourcis idéologiques commodes, la haine des uns contre les autres, pour mieux lutter contre un nationalisme québécois depuis belle lurette associé au mal en soi, au repli sur soi, au racisme et à l’exclusion. En fait, cette lettre attise la haine des autres pour les «Québécois», ramenés qu’aux seuls francophones de souche, elle divise parce qu’elle isole des autres la population d’accueil, elle libère contre cette population une parole violente et méprisante, et se propose comme moderne, alors qu’elle refuse la modernité culturelle qui n’a plus de religion. Cette lettre refuse la modernité de ce que sont les Québécois, et leur ouverture aux autres, pour les maintenir dans le mépris qui, depuis 1760, n’a jamais manqué de relais.

En 1977, au moment où l’Assemblée nationale adoptait la Charte de la langue française, un député libéral s’exclamait, scandalisé, éperdu: « c’est la Conquête que vous niez avec cette loi ! » À lire la lettre des Cent, on croirait les entendre crier: « mais c’est la grandeur de dieu et de ses commandements que vous niez avec cette loi ! » 

PS (en guise de conclusion)
Ça n’existe pas, dieu, ça n’existe pas les commandements de dieu, ça n’existe pas les interdits de dieu, ça n’existe pas les froncements de regard de dieu, ça n’existe pas les exigences de dieu, ça n’existe pas les punitions de dieu, ça n’existe pas les prescriptions de dieu, ça n’existe pas, rien de ça, pour une raison bien simple, ça n’existe pas, dieu. Peut-être qu’on pourrait se rappeler cette vérité de base, de temps à autre, et contempler les photos fabuleuses, mais parfaitement athées, de Hubble, et s’étonner de cette photo extraordinaire de l’univers, 300,000 ans après le Big Bang... Non ? Peut-être qu’on pourrait lutter contre l’exclusion et le racisme par l’incroyance et l’athéisme, non ? Peut-être que l’humanisme athée a encore un sens, non ?

Quand on connaîtra la charte, il se peut que je m’y oppose (sans que ça n’aille aucune importance, d’ailleurs) si la neutralité est trop timide, trop hésitante, trop peureuse devant dieu. J’espère que le gouvernement ira jusqu’au bout, sans entendre les Tartuffes de gauche, qui, l’œil au ciel, en extase humanitaire, prônent le maintien de toutes les superstitions.

PS2
Je refuse, et je refuserai toujours d’être récupéré par la droite haineuse et sectaire. Mais j’admire, et j’admirerai toujours, les personnes qui, par foi, font le bon, le juste et le bien.

Note : La lettre ouverte des Cent se trouve ici : http://fr.scribd.com/doc/166137142/nos-valeurs-excluent-l-exclusion-05-09-pdf


PS3 (en date du 10 septembre 2013)

Je ne vais pas reprendre tout ce que j’ai développé comme argumentaire dans ce long article de blogue. 

Mais ce soir, alors que le projet de Charte des «valeurs» a été présenté aujourd’hui, le 10 septembre, par le gouvernement du Québec à l’ensemble de la population, j’ai envie d’écrire, pour m’en attrister, que, nous, les athées, n’avons guère de place dans ce projet de Charte, que j’aurais espéré très progressiste dans son refus, radical et essentiel, toutes religions confondues, du fait religieux lui-même et de son «ostentation».

La Charte, pour le simple citoyen que je suis, est trop modérée. Quand le ministre Drainville dit que l’héritage patrimonial ne se réduit quand même pas à une page blanche, et qu’il y a des éléments de catholicisme ultramontain (par exemple, le crucifix à l’Assemblée nationale), qui doivent être préservés, je me sépare de cette politique frileuse. Ce que j’aurais espéré, personnellement, c’est précisément une page blanche, c’est précisément une «tabula rasa», quelque chose comme une petite révolution de la modernité. C’en est presque une... mais c’est raté. Quand le philosophe Charles Taylor dit que, puisque les croyances religieuses, pour certains, sont redevenues bien réelles, on ne peut comparer le fait présent des signes religieux, porteurs de messages, au fait passé des religieuses catholiques qui se sont précisément débarrassées, en masse, de cesdits signes religieux, je me sépare radicalement de ce genre de propos déistes, qui me font redouter le pire.

Et voilà qu’on tombe dans un débat délirant et sans fin, avec des contresens essentiels, du genre « Moi je suis croyant, mais c’est sans importance », alors que ça ne peut être que fondamental, ou du genre « L’État doit être laïque, mais il faut que ça s’en tienne qu’à une déclaration de principes », alors que ce qui fait l’État, ce ne sont que les personnes qui l’incarnent.

L’hésitation, la confusion (les clauses dérogatoires pour cinq ans, par exemple, qui sont prévues dans la loi, pour un très grand nombre d’institutions publiques) ne font que laisser la porte ouverte à tous ceux qui voudront envahir l’espace public, et agiter parmi les pires des pires épouvantails. Ce soir, le Dr Laurin me manque.

Et pendant tout le temps que durera le débat, on va devoir digérer, à nouveau, comme en 1976, en 1977, en 1980, en 1995, un déluge torrentiel d’injures extrémistes, associées à l’âme, presque à la «race» canadienne-française elle-même. C’est déjà commencé: «PQ taps into dark part of Quebec psyche ». (Montreal Gazette.)

Y’a pas à dire, la Charte constitutionnelle de 1982, cadeau post-référendaire de M. Pierre-Eliott Trudeau, aura marqué au fer rouge, et bloqué pour longtemps cette société. 

PS4 (En date du 14 septembre 2013)


Des intellectuels, et autres penseurs ont enfin rédigé et signé un texte commun qui prend fait et cause pour la laïcité d’État. Je donne avec plaisir le lien ici, tout en signalant que je me sépare de ce texte qui considère l’athéisme comme un phénomène d’essence religieuse, alors que, pour moi, l’athéisme n’est que l’évidence (et le progrès) à l’ère moderne. Je me suis assez expliqué pour ne pas reprendre toute mon argumentation, encore une fois ! Voici le lien vers ce texte important:









vendredi 3 août 2012

NE PAS VOTER DU TOUT


20 mai 1980: c'en était fait.



Le 2 mai 2011, les électeurs québécois ont rejeté une équipe parlementaire qui n'avait pas démérité, et qui avait au cœur même de son existence de faciliter, un jour, l'accès du Québec à son indépendance, quand en viendrait le temps - comme le temps de la République était finalement arrivé pour les Irlandais, divisés, hésitants à n’en plus finir, longtemps dominés, aliénés, et presque assimilés. Désirant clairement le choix qu'il faisait, le peuple québécois a dans les faits rejeté son indépendance, et a mis fin, définitivement, au rêve difficile et douloureux, souvent refoulé, de son émancipation collective, de sa maturité enfin assumée, avec risques et périls, avec gauche et droite, avec connaissance et présence dans le monde, comme pour tout autre peuple libre de son destin.

Claude Ryan avait dit un jour la nécessité historique, inévitable, qu'une des deux options, fédéraliste ou souverainiste, disparaisse complètement. Au lendemain du 2 mai, c’était chose faite, désormais. Le Bloc québécois anéanti, le choc a été énorme. La tourmente a failli emporter le Parti québécois, hébété, déchiré entre ceux qui ont voulu sauver l'option à tout prix, et ceux qui ont voulu coûte que coûte sauver le parti de gouvernement, qui a rendu de grands services, ceux mêmes qui croyaient, encore, que le pouvoir provincial exercé par des souverainistes augmentait la confiance en nous des Québécois. Des souverainistes, proches d'Option Québec, publié en 1968, ont critiqué l'origine même de l'impasse, voire de l'impuissance nationale, dans cette démarche référendaire destinée à toujours échouer, victime de modifications démographiques de plus en plus rapides, ce pendant que le vote des jeunes désertait la cause, s'abstenait de plus en plus massivement. Des souverainistes restés attachés au parti, fidèles à l'idée lévesquiste qu'un bon gouvernement, nationaliste, social-démocrate, pouvait préparer l’indépendance par la gouvernance souverainiste, en attendant un possible référendum gagnant, sont restés fidèles à l'idée d'une élection provinciale victorieuse, malgré l'effroyable déroute du Bloc québécois au 2 mai 2011. Et pourtant l'option est bien morte, aussi irréversiblement que M. Lévesque l'avait cru « irréversible », dans son fameux discours, excellent, essentiel, inutile, et qu’il a regretté, tenu à l’Economic Club de New York, en janvier 1977. L’option est morte depuis longtemps. Elle survivait comme un fantasme masquant l’humiliation à renoncer; le 2 mai, elle a été une fois pour toutes liquidée, enterrée.

J’en ai mal au cœur, encore, parce que j’ai toujours cru l’indépendance du Québec impérative, urgente et nécessaire. Fragmenté, centré sur la langue, le drapeau, les grands mythes historiques, les statues de présumés grands personnages de notre histoire, le nationalisme québécois me touche peu, m’embarrasse souvent, comme me désarçonnait déjà la gêne de M. Lévesque de faire adopter la Loi 101. Nos compatriotes anglo-québécois ne s’embarrassent pourtant pas d’être unanimes, à peu d’électeurs près, quand il s’agit de rejeter le Québec pays, le Québec français, le Québec national ; ils n’ont aucune réserve à s’appuyer sur les instruments législatifs, et constitutionnels, qu’ils se sont donnés, depuis 1867, plus encore depuis 1982, pour assurer l’épanouissement de leur collectivité. Ils exigent qu’on leur parle dans leur langue. Ils exigent qu’on leur donne leurs villes, leurs institutions scolaires, la libre disposition de leurs revenus communautaires, le libre usage de la Charte fédérale des droits et libertés. Ils exigent une identité séparée, et menacent même, si jamais l’indépendance devait se réaliser, de partitionner le Québec, comme l’Irlande a dû se laisser déchirer, un séparatisme payé très cher. Ils sont sans gêne et conscients, ce qui nous manque, à nous francophones, souverainement. J’ai cru à la nécessité, oui, de l’indépendance du Québec, comme à un acte de libération essentielle, qui donnerait, par exemple, aux étudiants la capacité de surmonter l’envie du décrochage scolaire, ce désir qu’ils ont, puissant, aujourd’hui irrationnel, de la fuite dans un misérabilisme toujours vivace parce qu’il a un sens, parce qu’il masque une autre liberté, désirée, passionnante, celle du pauvre, du squatter, de l’errant, du modeste, qui se croit libre parce qu’il a l’espace pour lui, et peu de besoins à combler. Tout cela n’est pas du gauchisme, pas même un penchant pour l’anarchisme, c’est de la dérobade. C’est notre communautarisme à nous, une aliénation terrible, une peur tenace que ça change, et que la liberté dont parlait M. Lévesque, mieux encore M. Parizeau, ne soit plus la liberté de faire ce que l’on veut, sans qu’on nous bâdre avec le souci des autres, avec l’effort, avec la culture, avec la connaissance, avec le changement. Un livre magnifique, paru il y a quelques années, Québec, quatre siècles d’une capitale, l’œuvre entre autres de l’historien Gilles Gallichan, faisait en réalité l’histoire d’une capitale en perte de continuité, constamment ravagée et refaite, sans souvenirs persistants, le lieu d’une singerie caricaturale du pouvoir des Anglais d’Angleterre, arrivés ici à force d’armées conquérantes, capitale incurablement provinciale qui se donne, sans rire du tout, un titre, un trône, des costumes brillants, des habitudes bien élevées, une sagesse de colonisés parfaitement affligeante… Qu’importe aux Québécois cette parade ridicule, pourvu qu’on les laisse en paix. Le vernis du colonisé est solide et brillant ; mais sous la couche épaisse et résistante de la petite bourgeoisie, il y a un peuple qui a tout encaissé, mépris, exploitation, tromperie, et qui ne sent de survie que dans sa liberté d’être, immédiate, protégée par l’ignorance des défis inévitables, soulagée par le rire gras, rêvant qu’un jour il y aura pour lui aussi commerces prospères et beaux quartiers. Le pays, dans ce contexte, est pour le moins lointain, et nébuleux…

L’indépendance n’est pas une fin en soi ; mais elle est, j’y ai cru, un bien en soi. Je trouve ça triste, et désolant, qu’on y ait renoncé, mais c’est un fait. Le déni là-dessus est tellement puissant que lorsque je suppose la fin du rêve, preuves à l’appui, j’en perds des amis. Et pourtant, j’en ai assez de m’illusionner. Ça m’épate de voir Léo Bureau-Blouin s’engager, et Jean-François Lisée, et Maka Kotto, et Jean-Martin Aussant, lui autrement, d’un sans-gêne à priori emballant, et même Françoise David, sans qu’elle semble vraiment y croire, au pays, comme d’une nécessité absolue, de toute première importance. Je les admire, je le jure, et combien d’autres. Mais je refuse qu’ils m’emportent désormais dans la calamité, et la consternation, à répétition. Comment raconterons-nous donc notre histoire nationale, dans cinquante ans, dans cent ans, déjà que ce n’est pas simple d’expliquer à des étudiants à qui il faut faire aimer l’Histoire, imaginez, que nous provenons d’une colonisation ratée, d’une conquête, d’une révolte échouée en plein hiver, d’un asservissement, et d’un long, d’un très long mépris.

Je ne voterai donc plus, plus jamais, à l’exception d’une élection référendaire, ou d’un référendum sur la souveraineté ; alors, là, oui, j’irai voter. Mais il n’y aura ni de ce jour improbable, ni d’une victoire impossible, et je ne voterai donc plus. La polarisation nouvelle entre la droite et la gauche montre bien que l’autre projet a été trop long à se réaliser, qu’il ne se réalisera jamais : l’illusion du pays s'incarne en ce moment avant l’indépendance réelle, et c’est de projet de société dont on parle désormais. Ce nouveau clivage est la plus belle preuve que la question de la souveraineté est tranchée. M. Legault, tout comme Mme David, qui tous deux en ont gros contre le Parti québécois, sont les naufrageurs ultimes de la souveraineté, au bénéfice d’une gauche ou d’une droite provinciale, de parenté évidente avec des partis fédéraux, le NPD ou le parti conservateur. Au reste, Québec Solidaire se dit souverainiste parce que l'écrasante majorité des personnes de gauche le sont. Cela changerait ( et cela changera, ) que QS changera d'option constitutionnelle, je parie fort là-dessus. 

Ce printemps, le mouvement étudiant a été remarquable, l’argumentaire, impeccable. La Révolution tranquille n’a pas été complètement inutile ! Mais le mouvement étudiant n’était pas toute la jeunesse, et certainement pas les décrocheurs, ni ceux, excusez l’expression, qui s’en crissent ; il n’incarnait pas non plus le peuple québécois dans toute l’épaisseur de son existence historique, bien loin de là. Il aurait pu cependant nous faire croire que la société québécoise avait réellement changé, et qu’elle avait désormais de nouveaux idéaux démocratiques. À ceux et celles qui pourraient l’espérer, allez lire ce qui s’écrit dans les médias sociaux, allez  suivre sur Twitter la campagne électorale en cours : rien n’a changé, la partisanerie reste aveugle, agressive, et de mauvaise foi ; la gauche pratique la vieille politique du discrédit des personnes comme une pro de droite radoteuse et sénile. Voter, dit-on souvent, est un devoir ; il m’arrive de penser, c’en est même une conviction profonde, qu’il faudrait un code de déontologie de l’électeur, une éthique de l’électeur, une exigence démocratique de l’électeur, avant de pouvoir même voter. Pour devenir citoyens, on vérifie que le candidat a quelques connaissances de base sur le pays qui l’accueille. Ça me fait fantasmer, pour tout dire, qu’on exige la même chose de chaque électeur, avant même de réformer les mœurs électorales, ou le système lui-même. La démocratie ne s’en porterait que mieux. En attendant, c’est le suffrage universel lui-même qui me laisse froid.

À défaut d’indépendance, peut-être faut-il, comme on dit, commencer par le commencement, et nous mériter notre propre démocratie. Une véritable démocratie, qui sorte du parlement, même réformé, et qui s’impose dans tous les lieux de travail, où l’autoritarisme reste encore la norme, telle qu’elle l’était au 19e siècle, exception faite des balbutiements du syndicalisme  – de toute façon écrasé dans le sang. C’est fou ce qu’un cadre peut se croire seigneur féodal, au milieu de ses vassaux, ce qu’un patron d’entreprise peut se croire monarque absolu, gérant selon son bon plaisir. Mais pour ce faire, éliminons le système actuel, la corruption actuelle, la mesquinerie actuelle, en refusant d’aller voter, en masse. Il faudrait être en si grand nombre que le poids écrasant des abstentionnistes discrédite le système lui-même, et ses électeurs fanatiques, gavés d’images, heureux d’être si grossièrement désinformés. Et peut-être, peut-être arriverons-nous à passer d’une liberté à l’autre, de l’inconscience indocile et sarcastique à la liberté publique, collective et juste, parce que corrigeant ce que l’Histoire aura fait de nous.

J’aime les Québécois. J’aime le Québec. Mais le 4 septembre prochain, je n’irai pas voter. 








mercredi 9 mai 2012

APPEL CONTRE LA PEUR


Paul-Émile Borduas, Cimetière glorieux, 1948



Le règne de la peur multiforme est terminé.

Dans le fol espoir d'en effacer le souvenir, je les énumère:

peur des préjugés - peur de l'opinion publique - des persécutions - de la réprobation générale

peur d'être seul sans Dieu et la société qui isole très infailliblement

peur de soi - de son frère - de la pauvreté

peur de l'ordre établi - de la ridicule justice

peur des relations neuves

peur du surrationnel

peur des nécessités

peur des écluses grandes ouvertes sur la foi en l'homme - en la société future

peur de toutes les formes susceptibles de déclencher un amour transformant

peur bleue - peur rouge - peur blanche: maillon de notre chaîne

Paul-Émile Borduas, Refus global, 1948 ( extrait )

*

Le printemps québécois hésite. L'année 2012 est immobile, figée dans des certitudes contraires, paralysée par le poids terrible d'hypocrisies dogmatiques qui, pour se protéger, excitent la réprobation générale. Peut-être vaut-il la peine de relire Borduas, et se souvenir du long hiver qui fut le sien, en exil, sacrifice qu'il a fait de sa liberté pour la liberté. Borduas est mort le 22 février 1960.  Il n'a rien vu de la Révolution tranquille, et de la fabuleuse jeunesse des années 60. La jeunesse actuelle est tout aussi fameuse. Elle n'a peur de rien. Elle transforme. Elle m'apprend. Elle est bel et bien la petite-fille de Borduas; lui en aurait été content.




dimanche 29 mai 2011

LA HAINE, AUSSI, EST ÉTERNELLE





Ce court reportage illustre exactement, mais alors là très exactement le contraire de ce qu'inspire le post précédent sur ce blogue. Il y a encore du chemin à faire, mes ami(es), pour aimer librement, et pouvoir être soi-même, sans peur, autrement que dans des fonds de ruelles, la nuit. Il y a encore des marches nécessaires. Mais les choses finiront par changer, à Moscou, comme elles ont changé à Montréal. Souvenez-vous, il n'y a pas si longtemps de cela, l'ancien maire Drapeau n'aurait pas hésité un instant à lâcher sa police et à faire cogner sur ce qu'il considérait comme des sous-hommes, coupables d'outrage aux bonnes moeurs. Même l'Église catholique du Québec tentait encore, au tournant des années 80, ( et avec succès ! ) de faire interdire une pièce féministe au Théâtre du Nouveau Monde, Les fées ont soif.

Et maintenant, hommes, femmes, nous respirons mieux; et plusieurs d'entre nous sommes plus heureux. 

Il y a toujours eu des courageux pour recevoir les premiers coups, passage obligé, semble-t-il, vers la liberté. Je n'ai jamais été de ceux-là, exception faite, peut-être, de quelques manifestations politiques risquées... J'ai largement bénéficié d'une tolérance, et d'une liberté, longtemps invraisemblables, acquises grâce au gouvernement de René Lévesque, qui, en 1977, amendait la Charte des droits pour y inclure l'orientation sexuelle comme motif antidiscriminatoire. (Je rappelle à mes amis lecteurs que le gouvernement Trudeau a refusé, obstinément, d'aller aussi loin, lors de l'adoption de la Charte canadienne des droits, en 1982, et que c'est aux tribunaux que nous devons, même contre Jean Chrétien, la liberté qui est la nôtre, désormais.)

Les Moscovites apprendront. Auront-ils de toute façon le choix de rester aussi violemment bornés ? Le chemin est long encore, à Moscou, et en bien d'autres endroits du monde. Mais le vent de la liberté, pour les personnes comme pour les peuples, est, je crois, irréversible.




vendredi 6 mai 2011

AUTODESTRUCTION


Achille soignant Patrocle pendant la guerre de Troie: coupe à figures rouges sur fond noir, vers 500 avant JC.

Étonnante, déconcertante, cette manie, fréquente par les temps qui courent, de procéder allègrement à un cérémonial d’autodestruction collective sensationnel et flamboyant. Déjà qu’il y a les baleines qui s’échouent, parfois, en masse, spectaculaires cadavres cachant tout d’un drame dont on méconnait, peut-être, le sens sacrificiel ; ou ces sectateurs  dont la transe, jouissive parce que criminelle, est poussée jusqu’à l’ultime plaisir de vivre la pulsion de mort


Plus j’y pense, et plus je me dis que c’est que ce qui frappe de plus en plus le peuple québécois, dont on a évoqué souvent le masochisme viscéral. Nous souffrons. Et nous n’y prenons garde. Nous rageons. Et nous nous échouons avec volupté, comme des rorquals hallucinés, sans que personne ne comprenne les cadavres que l’on laisse ici et là le long du fleuve  – politiques, par exemple, mais parfois aussi économiques, pédagogiques, artistiques. Des autoroutes qui s’appellent Jean-Lesage, Félix-Leclerc… M. Lévesque pouvait si bien le faire, lui, souffrir, rager, s’autodétruire, tout en même temps : un modèle illustre. Notre peuple aime le risque du suicide, c’est la seule liberté qui lui reste. Mais avant de mourir, il goûte cette indépendance du nain devenu fou, qui bousille les règles du jeu, donne des petits coups de pieds dans les tibias du gens du monde, et envoie tout promener, à l’hilarité générale, et au bon plaisir du Roi…

Il n’y a pas que les peuples blessés qui se dopent de comportements erratiques et d’humoristes morbides. Les institutions, même les plus vénérables, ont elles aussi l’envie de mort, quand toute chance de durer dans l’éternité semble à jamais perdue. Sans humour aucun, sinon pathologique, le bruit court que le cardinal Ouellet serait papable ! Le cardinal Ouellet, bon dieu, vous imaginez ? Un Marc II ( il n’y a eu qu’un seul pape Marc, un an de règne, au IVème siècle, mais il a laissé le souvenir d’une petite bandelette en laine de mouton, ornement papal qui se porte encore, avec des jolies petites croix noires tissées dessus, un délice de la mode antique, ) un Marc II, dis-je, prototype même du « Avancez en arrière, s’il vous plaît, avancez en arrière ! » Un Marc II qui concrétisera cette prophétie, restée fameuse, de Malraux: « Le XXIème siècle sera religieux, ou il ne sera pas ». Avec un pape pareil, il y a de bonnes chances, oui, une fois l’éclat de rire enfantin passé, et le petit torse bombé du nain fou braque dégonflé, que le XXIème siècle ne se rende pas jusqu’au bout !


Je ne sais pourquoi cette pulsion de mort, en ce début du XXIème siècle, est partout. Peut-être qu’à se faire dire que la planète se meurt inexorablement et que l’Homme en est l’unique coupable ; que tous les cataclysmes qui lui tombent dessus sont de sa faute, de son unique responsabilité ; que les combats pour l’égalité et la justice sont criminels dans leur essence même et qu’ils mènent tout droit aux pires intolérances ; que les rêves de liberté sont coupables du fait même de déplaire aux Pères-Tout-Puissants tout en privant les autres de leur liberté de téter aux amuse-gueules de leurs choix ; peut-être, en effet, ne reste-il que le plaisir, exaltant, d’anticiper sa propre mort.

Je ne sais trop. Mozart, mourant, a composé son propre Requiem.

Reste que pour mon peuple, blessé, et ridiculisé ces jours-ci, je souhaite qu’un héros vienne au plus vite prendre soin de lui, lui redonner goût à la vie, à l’estime de soi, à l’espoir, et à l’envie de durer.

Quant à l’Église, peut-être finira-t-elle, tout comme l’Islam, du reste, par rencontrer le monde moderne, et qu’elle prendra conscience, à l’exemple de Galilée, que la Terre, pourtant, malgré le sexe, malgré l’égalité des sexes et des genres, que cette bonne vieille Terre tourne toujours, et qu’elle prend plaisir à le faire.

Cyberpresse, 5 mai 2011.