dimanche 25 décembre 2011

NOËL 2011



Lendemain de veille, l’œil poqué…: on s’en tient au jus de fruit ( quasiment coupé d’eau ! ) et aux promenades en plein air, entre autres au Parc Lafontaine, magnifique sous cette première neige de l’hiver. Je me sens poète à 15 sous. J’aime tout le monde – et je le dis, je l’écris, des tas de courriels, à un peu tout le monde, justement. Je me déclare. J’ai peu de réponses, j’imagine que j’embarrasse un peu… ( Qu’est-ce qui lui prend, lui, avec ses épanchements ?

J’ai normalement tant de difficulté avec « l’esprit des  Fêtes » que je ne gâche pas mon plaisir quand tout d’un coup, je trouve tout beau et tout bon, et que je ressens quelque espoir en une vie meilleure, plus juste et plus heureuse, pour moi, pour tous.

Joyeux Noël ! 




vendredi 16 décembre 2011

JUSTIN TRUDEAU: L'HÉRITAGE

 
Justin Trudeau: caricature de Serge Chapleau, dans La Presse


La caricature est trop bonne ( trop exacte et trop vraie ) pour ne pas la publier à nouveau ici ! J'espère que M. Chapleau n'y verra pas d'inconvénient...

Il y a un destin qui pèse sur Justin Trudeau, sa vie, ses convictions, la richesse cavitaire de sa pensée. Il est l'héritier de l'Autre* ( qui savait, parfois, se révéler tel qu'il était, comme une véritable merde en complet-veston,** ) jusqu'à la caricature... caricature à peine chargée qu'on faisait de lui il y a ( déjà ! ) 40 ans: « T'as fait caca, Justin Trudeau ? »... Les Cyniques, à l'époque, ne croyaient pas, en prêtant ces propos à l'illustre papa, prévoir si bien les références culturelles fondamentales du fiston, devenu jeune homme, et ce qu'il allait libérer par la suite, à fréquence régulière, sa vie durant... ( Je me rappelle, tiens, d'un «tweet»/gazouillis - où Justin Trudeau réfléchissait, en 140 caractères, ( tout juste l'espace nécessaire, quoi ! ) sur les désagréments comparés des petits cabinets de train et d'avion... Bref, on ne change pas si facilement sa nature profonde ! L'homme, de par l'héritage de son père, est fait pour les cabinets, pas de doute là-dessus ! )

S'il y a une chose qui me console du résultat des dernières élections fédérales, c'est que le Parti libéral du Canada soit passé au rang de tiers parti, et que les chances que Justin Trudeau devienne un jour Premier ministre du Canada sont désormais microscopiques, bactériennes pour être précis...

Son père disait: « Just watch me ! », c'est resté ( sinistrement ) célèbre. On « watche » Justin, et on est ( disons-le ) très franchement soulagé qu'il ne veuille que « change the world » qu'un « little bit », chaque jour, en déposant en sol canadien les précieuses matières premières de sa pensée. Il y a là, par la fertilisation qu'il fait, en train ou en avion, de nos vastes contrées, un don gratuit de sa personne qui épate le badaud ( horriblement nationaliste ) que je suis...

* Pierre-Elliot Trudeau, Premier ministre libéral du Canada de 1968 à 1984, sauf un très court passage, en 1979, qu'il a fait sur les banquettes de l'opposition...

** L'image est empruntée et adaptée; mais elle est, en fait, de Napoléon, qui avait ainsi dessiné, d'un trait saisissant de justesse, le prince de Talleyrand...








lundi 7 novembre 2011

HENRI GUILLEMIN, ENTRE LA TERREUR DES MOTS ET LA VERTU DES CROYANCES


Couverture de l'édition québécoise de Napoléon tel quel, par Henri Guillemin



En 2003, je participais souvent, en utilisant le pseudo « François », à deux forums historiques, initiés depuis l’Europe francophone. Plusieurs personnes de talent, souvent passionnées, parfois évidemment cultivées, discutaient sereinement de la sexualité médiévale ou de la disparition de la baignoire à la fin de la Renaissance… Il n’y avait en fait que Napoléon, le personnage, pour exciter des débats interminables, et soulever la polémique, braquant les uns contre les autres, adulateurs et malveillants.

Ces derniers s’abreuvaient ( sans toujours l’admettre, loin de là ) de ce classique de la légende noire napoléonienne des temps modernes, Napoléon tel quel, écrit par Henri Guillemin en 1969. ( Dans son petit bouquin d’à peine plus de cent pages, l’auteur et célèbre conférencier commençait par ces mots : « Il est parfaitement vrai que je n’aime pas Napoléon Bonaparte », admettant qu’il publiait là un pamphlet, mais définissant le genre comme celui d’une « vérité qui déplait ». ) Plusieurs des participants au forum, parmi ceux qui étaient franchement hostiles à Napoléon, puisaient systématiquement leur inspiration chez Guillemin, tout en le niant, comme de juste, parce que Guillemin opposait Napoléon ( la guerre ) à Robespierre ( la guillotine ), un Robespierre « mystique » et désintéressé, socialiste avant l’heure, archétype d’un Staline de même mouture, sans le sexe et l’alcool, cela va de soi. J’ai, deux fois, écrit des messages ironiques sur M. Guillemin, le 13 mai, puis le 9 décembre 2003. Je voulais taquiner les thuriféraires de l’historien, par l’humour et le sarcasme, à la manière ( et dans les propres mots ) de M. Guillemin lui-même. 

Pourquoi publier à nouveau, ici, ces messages qui se retrouvent encore ailleurs, sur la toile ? D’abord, pour  me les  réapproprier, j’y tiens ! Mais par ailleurs, pour tenter de montrer à quel point l’histoire est un savoir construit, dans lequel l’auteur du récit, quel qu’il soit, se projette lui-même massivement. Henri Guillemin ne s’en cachait du reste pas, bien au contraire. Loin, très loin de l’École des Annales, qui proposait une approche globale, véritablement scientifique en Histoire, Guillemin disait construire ses histoires de vie à partir de trois critères décisifs : le sexe, l’argent, et la métaphysique – et le rapport du personnage étudié avec chacun de ces trois indices. L’approche est éminemment morale, et je la trouverais assez juste, si Guillemin ne faisait pas  de la perversité des méchants une tare spécifique qu’à la seule bourgeoisie capitaliste, génératrice sans égale de tous les scélérats, de tous les vauriens, de tous les voyous qui ont souillé cette Terre. On serait tenté d’y croire. La caricature, hélas, est extrême, et se discrédite d’elle-même. Et Robespierre ( ou Staline ), n’est qu’à grand-peine l’archétype du bras vengeur au nom de la Justice sociale ou du Bien  monastique absolu.

Voici donc le premier billet, celui du 13 mai 2003. Ce message colle de très près, presque mot pour mot, au texte d’Henri Guillemin :

« … Déjà Jean Tulard a écrit un petit livre faisant l’histoire de la légende noire. Mais plus récemment, une historienne dûment patentée (je veux dire formée au dur métier de la critique des sources et de l’histoire globale,) a publié un excellent ouvrage historiographique faisant, entre autres, le bilan de la fabrication mythologique monstrueuse accablant Napoléon. [Nathalie Petiteau : Napoléon: de la mythologie à l'histoire. ]

Mais tout de même, comme ça, et rapidement, prenons le cas d’Henri Guillemin, qui, dans Napoléon tel quel, a écrit probablement le chef-d'œuvre de la littérature haineuse sur Napoléon. Signalons qu’il ne s’en cache pas, et ce dès les premières pages de son bouquin. L’analyse de Guillemin se ramène à peu près à ceci. La Révolution a propulsé la bourgeoisie capitaliste au pouvoir. Robespierre a bien tenté de remettre en question l’exploitation de l’homme par l’homme, mais on sait comment ça s’est terminé.  Le coup d’État du 18 Brumaire ne s’explique que dans la continuation du renversement des Montagnards, et de la prise du pouvoir par la bourgeoisie. Bonaparte est l’homme de l’argent, du fric, du capital. Du reste, il se fait tout petit devant les hommes d’argent, qui, pour leur part, attendent de lui qu’il réprime violemment la populace et, mieux encore, la travestisse en soldats pillards. Un tel personnage ne peut être, quand il s’agit de se compromettre avec la bourgeoisie et d’être son homme, qu’un pur salaud. Et il l’est effectivement. C’est un étranger, un apatride, une pieuvre, un caïd, un gangster, une merde tout autant que Talleyrand à qui il ressemble comme deux gouttes de pus; sa femme est une prostituée et elle sent mauvais; lui même est rustre, goujat et sexuellement ambivalent; il parle mal le français, est piètre cavalier, lâche au combat comme dans la tourmente, menteur et hypocrite; c’est un obèse qui passe des heures dans son bain, et qui se réjouit de sa rotondité; il est incroyant, et donc immoral, et ne voit dans la vie que l’occasion de jouir à l’infini, d’où la fortune colossale qu’il amassera patiemment, et avec laquelle il corrompra tout son entourage; même mourant, il restera le salaud qu’il a toujours été, niant que l’amour existe, ne considérant les gens que sous l’angle du service qu’on lui doit, ne voyant ni soleil ni fleurs, âme qui dégage une odeur putride. Quant à son rôle historique, c'est-à-dire écraser les jacobins dont il dit que ce sont « gens à pisser dessus », il reçoit l’appui de tous les installés, en vrac Mme de Staël, les émigrés, les banquiers «suisses», les manufacturiers, les spéculateurs, les fournisseurs aux armées; tous sont d’accord sur la «fonction» sociale du personnage. Mais pour être ce personnage, il fallait être congénitalement pervers et monstrueux, et Napoléon l’était, en tout, tout le temps, et sans relâche. Au fond, qui dit bourgeoisie dit ordure. Napoléon en était l’illustration parfaite.

L’analyse est tellement caricaturale, tellement outrancière, et disons-le tellement ridicule, qu’elle se discrédite dès que l’on prend, un peu, quelque distance critique. L’idée même du cynisme social radical, tout autant que de la corruption morale et sexuelle des agents du développement de l’économie capitaliste, est une pochade grossière. Quant au portrait intime de Napoléon que dresse Henri Guillemin, il emprunte beaucoup à la légende noire, de droite comme de gauche. Et je crois toujours, et bien que ça semble paradoxal, que la légende noire fait tout autant pour le maintien du mythe que la légende dorée. Napoléon n’est pas plus crédible en monstre qu’il ne l’est en « dieu ». Reste qu’il est un mythe, qu’il l’a su, voulu et compris de son vivant, et que c’est par là qu’il ne cessera jamais de fasciner.

… L’admiration est irrationnelle. C’est un fait, et je l’admets pour moi sans peine. Mais son contraire l’est tout autant. »


Une deuxième fois, je me suis amusé, carrément, à analyser M. Guillemin lui-même, et à railler, en la caricaturant, la grille d’analyse de l’auteur. Un pastiche de la manière Guillemin, en quelque sorte.

« Imaginons une conclusion de thèse sur l’œuvre d’Henri Guillemin, dont un extrait pourrait se lire comme suit : 

L’œuvre de M. Guillemin est totalement manichéenne, et, en ce sens, s’inscrit profondément dans la psyché de l’écrivain, qui parle essentiellement de lui, de ses conflits psychiques et de ses clivages, par le biais des personnages qu’il étudie. La chose est déjà manifeste dans ses études littéraires, mais devient plus évidente encore dans ses essais historiques, telles ses études de Jeanne d’Arc et de Napoléon. La première est une fabrication psychique réconfortante, sublimant à l’extrême la pureté de la «vierge», entendons une femme intouchable, mais toute puissante, qu’on peut aimer, mais certes non désirer, et qui soumet les hommes, même le Roi, à la puissance de son action. Qu’il y ait là, chez Henri Guillemin, l’expression de sa peur de la castration par la mère est évidente. On en trouvera d’ailleurs la preuve complémentaire dans l’analyse qu’il propose de Napoléon : la haine que développe notre auteur à l’encontre de cette image du Père est absolue, et libère chez Guillemin tant d’angoisse qu’il n’y a plus de limites à l’expression de sa culpabilité, générée par ses désirs enfouis, pourtant bien ordinaires chez tout homme normalement dégagé de sa mère. Chose étonnante, Guillemin ne censure pas les produits fantasmatiques de son angoisse: Napoléon est le mal absolu, conquérant «pieuvre» et «vampire», pouvoir par le «sabre» et par «l’épée», immoral, fils insoumis de Notre Sainte Mère l’Église, sexuellement ambivalent, autrement dit d’une puissance phallique incommensurable, ce qui [pour Guillemin] est carrément insupportable. Cette puissance, Napoléon ne peut l’avoir conquise qu’en ayant eu, au préalable, une mère dégénérée, qui a couché avec un symbole de pouvoir intolérable, le gouverneur français lui-même. Et puisque le futur Empereur est sans surmoi maternel castrant, Guillemin ne peut voir en lui que la représentation de tous ses dangers psychiques internes : sexe, argent, domination sur les hommes, société à forte prévalence masculine, appétit vorace, vulgarité extrême, odeurs suspectes. Il est évident ici, que Guillemin parle, inconsciemment, de sa propre peur de l’homosexualité, sous-jacente à son angoisse de castration, et que lorsqu’il dénonce la bourgeoisie, qui devient pour lui un être personnalisé, une représentation très nette de ce qu’il abhorre, il parle inconsciemment de son propre blocage oedipien. À cet égard, sa crainte morbide de réussir s’exprime tout crûment par le refus du titre impérial qu’il s’obstine à dénier à Napoléon, ne l’appelant jamais autrement que l’«empereur», un empereur ridicule, qui ne sait même pas monter correctement à cheval. Faut-il insister longuement pour expliquer ici la symbolique de la chose? En fait, Henri Guillemin cherche à tuer symboliquement son Père. Voilà la tâche qu’il se donne en rédigeant son ouvrage sur Napoléon. Il est difficile de dire si l’auteur en a retiré quelque bien-être intime; cependant, avons-nous besoin de signaler que l’étude, sur le plan de la science historique, n’a que peu de valeur? De toute façon, elle ne sert visiblement pas à ça. Henri Guillemin règle, au fond, ses comptes avec lui-même. C’est en ce sens-là seulement que l’étude qu’il propose est passionnante, et Freud lui-même n’y serait pas resté indifférent… » 


Henri Guillemin écrivait superbement bien. Et s’il demeure vrai que je ne partage toujours pas l’analyse qu’il a faite de Napoléon, je n’en demeure pas moins admiratif de l’écrivain ( de l’authentique écrivain qu'il était, quoi qu’il en ait dit de lui-même, simple « commentateur », ) de sa pensée, de son engagement, et de son mépris des Installés – nous dirions, aujourd’hui, des cadres supérieurs avec boni ! En 1977, lui-même résumait ainsi son oeuvre: « Derrière tous mes livres et tous mes exposés, il y a une préoccupation métaphysique qui est évidente. Je n'ai pas cessé de croire, et je croirai de plus en plus— maintenant que je suis vieux— qu'aucune modification structurelle de la Cité n'est suffisante. Cette modification est indispensable; mais on aura beau établir une Cité humaine où l'exploitation sera sinon effacée du moins considérablement diminuée, on aura beau établir un régime fiscal plus juste, on aura beau resserrer la hiérarchie des salaires, on n'obtiendra rien s'il n'y a pas une modification profonde du regard jeté par les hommes sur le monde et sur la vie. Le malheur restera au fond de l'individu humain si cet individu n'a pas une vue du monde qui lui permette de dépasser le désespoir. » (Source: http://membres.lycos.fr/histoirespadoise/guillemin.html)

Henri Guillemin est décédé en 1992. Il sait maintenant s’il a eu raison de croire et d’espérer. J’imagine cependant qu’il l’ignore, puisqu’il n’est plus, autrement que par son œuvre, qu’on lira encore longtemps.

Note: J'ai publié ce post, d'abord, sur un tout autre blogue. Il n'était pas pertinent. Il l'est davantage ici. Je l'ai relu, revu, et augmenté. Par ailleurs, l'oeuvre de Henri Guillemin est immense. On se demande comment un seul homme a pu produire autant, le temps d'une vie. Ses meilleurs bouquins portent sur Victor Hugo, sur Chateaubriand, sur la guerre de 1870. L'essai qu'il a fait sur Mme de Staël est désopilant, et a dû, comme celui sur Napoléon, beaucoup déplaire.






dimanche 6 novembre 2011

DOUCE FRANCE II


12 secondes d'un petit film médiocre, mais dont le sujet était d'une beauté telle que je ne résiste pas à l'envie de le diffuser sur ce blogue. C'était une Chose vue éclatante, vue du reste au dernier soir où LeChum et moi étions à Paris. C'est lui qui avait insisté pour qu'on se rende au Champ-de-Mars regarder de près la belle dame. Elle valait le déplacement, mille fois plus séduisante que les traditionnelles danseuses à paillettes qui ont fait jadis la réputation du Paris-by-night, et dont, peut-être, la Tour s'inspire quand il lui prend de scintiller. Au premier coup d'oeil, en sortant du métro, cette immense ossature, brillamment éclairée dans la nuit, me rappelait la fusée lunaire, dans Objectif Lune ! Et de fait, c'était absolument féérique. L'illumination de la tour Eiffel a renouvellé le défi qu'elle avait dû, déjà, relever à l'époque de sa conception et de sa construction. Une splendeur !




J'ai pensé longtemps que la Côte d'Azur était sans intérêt. Préjugé ( amer ) de celui qui n'a jamais été du jet-set. C'est en fait magnifique ! ( J'entends déjà Vincent me dire - m'écrire: t'es bien comme tous les Québécois, t'aime tout de la France, que tu trouves toujours, tout le temps, raffinée ! Eh bien, ... oui. )  On arrivait, au petit matin du premier jour, je regardais par les fenêtres du bus largement ouvertes sur l'air frais de la Méditerranée, et j'ai dit au Chum: « J'adore ça ! » Et puis: « C'est la Floride, mais avec goût ! » Pas vraiment Monaco, mais partout ailleurs, et singulièrement à Nice où toutes les petites photos ci-dessus ont été prises. La place Masséna est une merveille, de jour comme de nuit.





C'est Lyon qui me réservait la vraie surprise de mes quelques semaines en France. Étonnant, mais je ne connaissais pas du tout la ville. S'y trouver, dans le Vieux-Lyon, comme en Italie, mélange de Venise et de Rome au temps de la Renaissance, ( ce qui, historiquement, s'explique, ) c'est singulier, et c'est fortement addictif. Par ailleurs, le napoléonien que je suis n'a pu s'empêcher de raconter au Chum, qui n'en demandait pas tant, que Lyon avait été la plus bonapartiste des villes de France. En 1815, au retour de l'ile d'Elbe, Napoléon avait reçu, du petit peuple ouvrier de la ville, un accueil frénétique qui avait stupéfié tous ceux qui avaient vu l'événement. En quittant la ville pour Paris, Napoléon avait lancé une proclamation qui se terminait par: « Lyonnais, je vous aime ». Je l'ai compris !




À chaque fois que j'ai mis les pieds à Paris, que j'ai vu et revu intensément cette ville, je me suis invariablement répété que c'était la plus belle ville du monde. Je l'ai à nouveau pensé - sans que je puisse prétendre pouvoir faire une comparaison vraiment éclairée... Je suis sûr, pourtant, que c'est la plus belle ville du monde. Je suis sûr qu'Étienne ( un « ex » ! ) me disait vrai quand il m'affirmait, il y a quelques années de ça, qu'il y avait à Paris une unité psychiatrique qui soignait le « choc de la beauté ». J'ai ressenti le choc de la beauté - sans nécessité d'internement, j'ai tant marché cette ville que l'exercice et le plein air parisien m'ont gardé sain d'esprit ! ( C'est à Montréal que ça s'est mal présenté quand je suis revenu ! ) Comment, malheureusement, montrer des photos qui ne fassent pas cliché ? Voir le Louvre, ou la cour des Invalides, y prendre et perdre son temps, tenter bien en vain de fixer sur photo l'émotion que l'on éprouve à braquer les yeux sur tant de magnificence ( vraiment ), et par après, montrer ces photos désolantes parce qu'universellement connues en tant que photos...: c'est risqué, c'est souvent décevant, c'est toujours en dessous de ce qu'est le Paris à voir, à fouiller, à redécouvrir mille fois dans sa vie.



Et puis, et puis, il y a quand même une grande sagesse à Paris !
( graffiti rue Mouffetard )


P.-S. Il y aura un Douce France III: dans une toute autre perspective. J'ai pris des notes !





mercredi 2 novembre 2011

LE MYTHE TRUDEAU




Je viens, tout en mangeant, d’écouter le Club des ex, qui dénonçait ( disons ) le virage monarchique, guerrier et unilingue du gouvernement Harper. Par comparaison, le même club magnifiait ( comme de juste ) l’héritage Trudeau, ce bilinguisme prétendument rigoureux, qu’aurait respecté par la suite le gouvernent Mulroney.

La blague est bonne. Parce que le gouvernement Trudeau n’a jamais appliqué un bilinguisme intégral, jamais. Souvenez-vous de la crise des gens de l’air, ces pilotes qui voulaient pouvoir travailler en français chez le transporteur national: Trudeau avait reculé face à Air Canada, comme il a reculé devant la fronde des fonctionnaires fédéraux unilingues. En fait, les services bilingues, assurés par l’État fédéral, sont rigoureusement... limités.  Souvenez-vous, surtout, de cette clause légale et constitutionnelle, parfaitement odieuse, dite du «là où le nombre le justifie», qui s’applique à toutes les provinces, sauf au Québec, ce qui leur permet de restreindre considérablement l’obligation qui leur est faite d’assurer le bilinguisme scolaire. Seul le Québec a l’obligation de fournir des services scolaires en anglais, partout sur son territoire, sans égard à la clause du «nombre qui le justifie». Le scandale reste énorme, l’injustice, criante.

( Par ailleurs, l’idée même d’un Canada davantage pacifiste durant l’ère Trudeau fait franchement sourire. Il y avait les mots, c’est vrai. Il y avait le « Viva Cuba, Viva Castro », c’est vrai. Mais qui, mais qui donc, pourtant, a autorisé, sur le territoire canadien même, l’essai des missiles Cruise, puissamment souhaité par l’administration Reagan ? L’Alberta en entend encore les sifflements ! Et ce n'est là qu'un exemple. )

Mulroney, c’est exact ( et Chantal Hébert l’a quelques fois rappelé, ) a tenté, avec l’Entente du Lac Meech, de traduire la réalité québécoise dans la constitution, juste contrepoids à la clause du « là où le nombre le justifie. » On sait tous comment nos compatriotes du Canada anglais ont pulvérisé l’Entente, guidé en cela par M. Trudeau lui-même. Cependant, M. Mulroney était parfaitement capable, lui aussi, de prendre ses libertés face à la loi sur les langues officielles, et face aux obligations découlant de la constitution canadienne elle-même. Il a nommé, par exemple, un gouverneur général, Ray Hnatyshyn, qui ne disait pas un mot de français. Aux journalistes qui s’étonnaient, M. Mulroney avait répondu que « c’était la valeur de l’homme qui comptait. » Et voilà pour le sacro-saint principe !

On a vraiment la mémoire courte. On aime entretenir des mythes. Celui de l’héritage intangible de M. Trudeau en est un, joyeusement mensonger. Mais quand on est bien élevé, ( et un peu aliéné, ) ce sont des choses qu’il est préférable de ne pas dire — ou même d’écrire.





jeudi 27 octobre 2011

TEMPS D'ALIÉNATION

 Source: Archives publiques du Canada

De loin ( de Paris, accroché à un temps de printemps qui persiste ), je ne lis que très épisodiquement les nouvelles en provenance du Québec.

Mais il y a deux choses qui m'étonnent quand j'y jette un œil, parce qu'elles sont récurrentes, toujours, ce qui ne veut pas dire résiliantes, tant s'en faut. Ça me semble plutôt malsain, pour tout dire.

M. Charest n'apparait plus du tout capable de décision, non pas juste et équitable - ce qui est toujours complexe - mais plus simplement évidente et consensuelle. Il n'a plus le sens politique. Tout se passe comme s'il ne comprenait plus rien, qu'il perdait ses repères, qu'il était carrément confus. La chose est franchement inquiétante. C'est le premier ministre.

Mme Marois s'accroche, se bat et se débat, dans un combat dont l'issue n'intéresse plus personne, tant le knock-out semble inévitable. Pourquoi ne part-elle pas ? Sa résistance n'a plus rien d'héroïque, même si elle semble s'appuyer sur la loyauté et l'honneur d'un dernier carré de fidèles; cette volonté de durer à tout prix devient franchement avilissante, pour elle, pour ses proches, pour la cause à laquelle elle croit. Et pourtant, ce n'est quand même pas de sa faute si les Québécois ont, le 2 mai dernier, tourné la page, et renoncé, une fois pour toutes, à leur propre liberté collective. 

L'effondrement du mouvement souverainiste trouve son explication dans des strates historiques bien plus significatives que la personnalité de Mme Marois elle-même. La loi 101 a beaucoup fait pour casser la dynamique indépendantiste. La Charte fédérale de 1982, et le renversement consécutif de la perception, comme du sens historique même, de l'existence de la minorité anglaise de Montréal, a fait beaucoup plus encore pour affaiblir et discréditer le mouvement de libération nationale. On s'est mis à le soupçonner d'être oppresseur, fascisant. Les Anglo-Montréalais, très combattifs, et jamais gênés de l'être, ont eu la partie belle là-dessus, drapés dans les droits et libertés de la personne, magnifiés par la Charte - on aurait presque envie de dire: la grande charte. 

L'image de Mme Marois est bien peu de choses, en regard de ces tendances lourdes, qui sont du reste plus que des tendances, mais bien des institutions. Elle n'y peut rien, ni elle, ni son successeur, ni M. Duceppe, ni Mme David, ni M. Khadir, ni même le trop brillant M. Aussant.

C'est l'Histoire qui est coupable, l'histoire qui a vu perdre M. Lévesque et gagner M. Trudeau, perdre M. Parizeau et gagner M. Chrétien. Ce n'est pas vrai que l'histoire soit juste. L'impopularité de la Cause n'est pas une indignité. Mais nier l'évidence jusqu'à l'extrême, mettant son nom propre - Pauline Marois - sur la fosse commune qui se creuse, et qui ne tient pas à elle, relève, cependant, de l'indignité la plus injuste, et la plus désolante qui soit. Partez, Mme Marois. Il n'y a pas de honte à y avoir.







POST-SCRIPTUM (  ... fait d’extraits d’interventions que j’ai écrites, ce dimanche 30 octobre, sur Google +, parlant politique avec d’autres passionnés, pas nécessairement d’accord avec mes propos. Mes arguments ne prétendent en rien - ou presque ! - à l’objectivité. Mais c’est ce que je crois, et je les reproduis ici, parce qu’ils étoffent ce que j’ai déjà écrit, dans ce billet sur ces Temps d’aliénation, il y a quelques jours. ) :

- Quant au sondage qui donne M. Duceppe gagnant contre tous ses adversaires possibles, y compris M. Legault, s’il devenait chef du Parti québécois:

« Intéressant... Mais j'y crois peu. Ce tangage de l’opinion est aussi superficiel et éphémère que le vote du 2 mai dernier. Non pas que M. Duceppe ne soit pas un politicien intègre, engagé à gauche, et fermement indépendantiste. Mais passer de Legault à Duceppe, comme ça, sur un trip, je n'y crois pas, pas plus que de passer, sur un trip, de Duceppe à Layton. C'est pas sérieux, même si les conséquences du vote du 2 mai dernier seront, elles, sérieuses. Cela aura un effet dévastateur sur les projets de société propres au Québec, entre autres et surtout sur la question nationale. Le 2 mai dernier, nos compatriotes ont congédié une des meilleures équipes parlementaires de l'histoire de la Chambre des communes. Sans raison. Sans reproche spécifique. Il y a eu l'effet « trip », bien entendu. L'effet moustache sympathique. Mais il y a eu plus profond que ça aussi. Il se peut, oui c’est possible, que Gilles Duceppe soit le prochain Premier ministre. Mais lui aussi sera prisonnier du dilemme d'être souverainiste face à une population qui a fait un choix ultime, le 2 mai dernier. Et les déchirements continueront. »

- Quant à l’avenir, pour moi douteux, du mouvement indépendantiste québécois:

... « Ouais, c'est moi qui ai parlé d'ordures et de méchants, parce que pour moi, il faut l'être pour tromper et manipuler l’électorat, entre autres avec le fric. Le comportement de l'État fédéral, en 1980 tout autant qu'en 1995, a été parfaitement odieux, illégal et immoral. Le plus grave de tout, c’est que l’État fédéral ne s’est pas gêné pour jouer avec le droit de vote lui-même, en violant sa propre loi sur la citoyenneté, et ce, à quelques jours du référendum du 30 octobre 1995.

Je pense, c’est exact, que les électeurs reconnaissent, parfois, qui leur dit vrai et porte en lui ( ou en elle ) leurs espoirs et leurs blessures. C'était certainement le cas de René Lévesque. Félix Leclerc disait qu’il avait, accusé dans les traits de son visage, toute la souffrance d'un peuple. Mais malgré tout, en ce qui concerne l'avenir du mouvement souverainiste, je n’y crois plus depuis le 2 mai dernier. ( J'en ai assez d'avoir de la peine et d'être humilié, faut dire ! ) C’est vrai que les choses ne s'évaluent correctement qu’à long terme. Le prof d'histoire que je suis ne va certainement pas nier ça. Il faudrait donc refaire l'histoire des 50 dernières années, et y déceler une constante possible, et en croissance. Mais... ( je vais me faire détester, c'est sûr, ) je n'y crois pas, je n'y crois plus. Les causes sont complexes. La Charte de 1982 a joué un rôle considérable, a donné des moyens légaux et moraux au Canada anglais, a transfiguré le rôle historique de la minorité anglo-montréalaise de façon radicale, essentielle. Et puis, je crois que les Québécois sont plus Canadiens qu'on ne le croit. Il y a de l'attachement bien réel pour ce pays qu’est le Canada. Et il y a surtout, cependant ( et ce, à mon humble, très humble avis, ) une aliénation profonde, aliénation au sens sociologique du terme, dont les causes sont multiples, et remontent à la Conquête elle-même.

Quand j'ai vu des citoyens de Louiseville, après le 2 mai, trouver leur nouvelle députée fédérale « cute » et « charmante », et qu'elle allait certainement « bien les représenter », tout cela sous l'oeil goguenard de l'ex d'Alliance-Québec Thomas Mulcair, je me suis déconnecté de mon rêve, irréversiblement, définitivement. Cette niaiserie collective, cette absence d'engagement réel, qui persiste et dure, ce n'est pas la faute de Mme Marois si ça se réalise finalement comme ça, en 2011. Mme David elle-même n'y pourrait rien. La faute, s’il en est une, elle est le fait de nos compatriotes qui ne veulent plus de leur libération nationale. Nous ne sommes vraiment pas les Irlandais, ni même les Américains de 1776.

Et pourtant, nous aurions tant à gagner de notre libération collective, ne serait-ce qu'au niveau du décrochage scolaire des garçons, par exemple.

Nous préférons Céline, Las Vegas, le fric, les torrents de paires de souliers. Ce n'est pas simplement de la manipulation. C'est aussi notre choix, notre identité. »


- Quant au suffrage universel, et ce qu’on en fait, au Québec, allègrement:

« Bien sûr que les électeurs peuvent se tromper. Bien sûr que les électeurs peuvent avoir tort. Affirmer que les électeurs ne se trompent, par essence, jamais, est une grossière illusion narcissique. Rappelons-nous ( je prends un exemple extrême ) janvier 1933. Il y a de nombreuses études historiques, bien faites, qui montrent à quel point le suffrage universel a été dénaturé et perverti, et cela, dès le 19ème siècle. Quand Madison, dans les Federalist Papers, disait à ses contemporains de ne pas redouter le suffrage universel, parce qu'il masquerait, grâce à l’aveuglement partisan, les intérêts bien réels qui se jouent et se révèlent au cours d’une élection, je crois qu'il avait parfaitement raison, et les cousus d’or de l’époque l’ont parfaitement compris. Il ne faut pas voter avec son coeur. Encore moins avec son instinct. Il faut voter pour ses intérêts ( de classe, de catégories d'âge, de régions, de sous-groupes, de nation, et que sais-je... ). Mais les électeurs, partout en Occident, et sauf de rares exceptions, ont rapidement cessé de voter en fonction de leurs intérêts. Ils votent, conditionnés par des machines bien huilées qui parviennent à leur faire considérer comme « ennemis » leurs propres compatriotes, de nation, ou de classe. C'est triste, mais c'est comme ça, et c’est voulu comme ça. Madison avait bien vu.

Le droit de vote va avec des obligations, non seulement de voter comme tel, mais de se renseigner, au-delà des images et des impressions. Il y a un devoir d'électeur. Si l'électeur vote sur un trip, pour « essayer autre chose », parce qu'il ou elle est sympa, parce qu'il ou elle a une face à claque, alors ça ne vaut pas la peine de voter. Et bien sûr, les puissants, les établis, les vrais détenteurs de pouvoir rigolent de ce bon peuple qui vote sans sens ni raison. ( J'ai eu de l'espoir, il y a quelques semaines, du côté des Indignés. Mais de toute évidence, ici comme ailleurs, ça ne va nulle part. Dommage. Comme l'expliquait récemment M. Parizeau, le scandale du comportement des banques est pourtant colossal. Ça justifie la colère. Et c'est autrement plus important que la tenue vestimentaire de Mme Marois. Mais ça ne mène nulle part. Pas davantage pour l’indépendance que pour la remise en question d’un système devenu scandaleux, crapuleux. »








mercredi 12 octobre 2011

DEUX FAÇONS DE « VOIR » LE FUTUR


Nébuleuse de la Bulle ( NASA )

À propos de l'Univers, et de la télé, perçus comme deux « espaces » en expansion accélérée...

J'ai publié quelques fois des photos éditées par la NASA, provenant la plupart du temps de pures visions célestes captées par Hubble. La NASA colore « scientifiquement » - dit-elle - ces photos, comme celle-ci, de la Nébuleuse dite de la Bulle: c'est un peu dommage que la coloration ait une intelligence scientifique, une probabilité matérielle; on voudrait que la NASA possède le talent d'un Chagall. ( Mon prochain billet, il portera sur Nice, tant qu'à faire. C'est à Nice que se trouve le musée Marc Chagall. Heureux hasard, j'y serai ! )

Si le grand historien américain Daniel Boorstin devait réécrire son chef-d'oeuvre, Les Découvreurs, un des plus grands livres d'histoire jamais écrits, Hubble y trouverait maintenant sa place, fabuleuse, poétique, pour un temps pacifique, poursuivant l'exploration amorcée et agrandie par Christophe Colomb, ou Sigmund Freud. Il y a de l'Amérique et de l'inconscient dans ces images révélées par Hubble; on s'étonne que des artistes aient pu les « voir », bien avant que Hubble en prouve l'indéniable existence, et en montre l'extraordinaire beauté. ( Encore que cette « beauté » s'ignore complètement, détail qu'on ne peut quand même pas négliger...  )

Qu'est-ce que la science apprend réellement des données qu'envoie docilement Hubble vers la Terre ? J'imagine que les découvreurs en apprennent beaucoup, et qu'ils théorisent sans cesse, passionnés, pour en arriver, par exemple, à cette découverte radicalement différente de tout ce de nous avions tenu pour acquis depuis un siècle: l'Univers s'agite sous l'action d'une énergie sombre, noire, inconnue jusqu'à présent, pas même supposée, et que son éclatement va toujours s'accélérant... L'hypothèse, devenue certitude et prix Nobel, est folle, parait-il. Elle est probablement, aussi, riche d'avenir. Reste à voir, comme on dit: mais peu probable qu'on « voit » à l'échelle d'une vie humaine.

De la même manière, il était sûrement fou de prévoir tout ce qui allait découler de cette nouvelle technologie, majeure dans l'histoire du XXè siècle, et qui allait changer nos vies, au moins autant que les découvertes beaucoup plus récentes de M. Steve Jobs : en 1947, la télévision commençait à peine à diffuser des images, et à ce que je sache, que dans la région immédiate de la capitale des États-Unis. Et pourtant, un cinéaste français intuitif, ou bien informé, en tout cas talentueux, a imaginé, dans un court film d'à peine quatre minutes, ce que pourraient être les retombées de la boite à images dans la vie quotidienne des gens. Ce petit film, je vous l'assure, vaut le coup d'oeil. On rigole, stupéfié. Mais quel est donc le génie qui a pu si bien prévoir.. ? Et on se rappelle que, contrairement à l'homme dont l'intelligence n'est que chaos, la science, elle, est largement prévisible, et qu'elle est, parfois, admirablement bien servie par le talent de qui la devine. 






mercredi 5 octobre 2011

LES INEPTIES DE MONSIEUR FRANÇOIS LEGAULT







J'ai publié ce texte sur Twitter en début d'après-midi. J'en ai fait une saisie d'écran. Un moment de colère qui s'est apaisé depuis... Mais je crois que mon petit texte vaut quand même une lecture rapide... et un moment de réflexion. Lecteurs, commentez si ça vous chante: le sujet n'est surtout pas banal.




dimanche 2 octobre 2011

DOUCE FRANCE





Encore quelques jours, et nous y serons !
En attendant, on en parle, on en rêve, on en discute, on en explore à l’avance les infinies beautés, on s’informe l’un l’autre de nos trouvailles - à ne pas rater, comme de juste... Il faudrait y mettre des mois, à ce voyage ! On aura quelques semaines.  Mais comment ne pas être heureux de planifier un séjour dans ce pays qui a vu «entrer» au monde tant de personnes exceptionnelles - pour agir et transformer, et puis créer, illustrer, écrire, composer, jouer, - tant d’artistes à leur manière, tant de talent cherchant secours en France, tant d’ampleur aussi, que la France, parfois, a confondu avec la grandeur. La France, disait de Gaulle, c’est aussi « une certaine idée de la France », essentiellement séduisante. L’idée qu’on se fait de la France est charismatique. Le monde entier en bave, et l’Amérique tout particulièrement, qui sait que la France reste la première référence culturelle d’importance... Il y a ( vraiment ) quelque chose de doux, en France, un certain plaisir d’y vivre. Ça tient un peu au climat, probablement; il est pourtant instable, plein de sautes d’humeur: j’ai déjà vu neiger, grêler à Paris, au mois de mai, pendant un froid quasi polaire. Ça tient certainement à un sens du beau qui traverse deux millénaires et qui façonne chaque centimètre carré de l’espace et de l’habitat. Pour un Nord-Américain, cet aménagement serré du territoire tient de l’inconcevable. Le premier coup d’oeil est fasciné, inévitablement. Ça tient, dans ce pays d’énervés, à la multiplicité des terrasses, et au désir d’être dehors, dans la rue, à profiter du temps, des gens, des monuments, d’un idéal de vie facile et égal.

On disait jadis: « Tout homme a deux pays: le sien, et la France. » Ça reste encore vrai. La tour Eiffel, élégante, raffinée, reste un bien patrimonial universel.

P.-S. : La France étant aussi le pays, par excellence, des « conflits de travail » dans « une certaine catégorie de personnel », on se souhaite, quand même, de ne pas avoir à trop mesurer notre solidarité de classe !





lundi 26 septembre 2011

ALICE NKOM: LE COMBAT POUR LA JUSTICE, L'ÉGALITÉ ET LE DROIT

Alice Nkom, Steve Bastien et le blogueur, samedi le 13 août 2001, à Montréal



L’homophobie est un crime contre l’humanité, frappant aussi injustement que l’apartheid. – Desmond Tutu, Prix Nobel de la paix.

Je l’avais entendue quelques jours avant le week-end de la Fierté, en entrevue sur RDI. C’était à la mi-août 2011. Une entrevue magnifique, généreuse, et qui m’avait bouleversé. J’étais seul chez moi, j’aurais pu n’écouter que distraitement; mais c’était impossible ; il y avait là une dame, une avocate, éloquente, captivante, qui projetait loin ses convictions, ses émotions, qui brulait l’écran ; elle était là, vivante, bouleversante, omniprésente, d’une remarquable maîtrise d’elle-même et de ses arguments, d’une parfaite droiture, parlant, de Montréal, au monde entier, avec passion. L’entrevue n'a duré qu'une quinzaine de minutes, peut-être un peu moins. J’étais pourtant épuisé après l’avoir écoutée, tant elle était venue me «chercher».
«Cette femme est un prix Nobel, bon dieu, elle parle de moi et pour moi, et je ne sais même pas qui elle est !» Je découvrais, à la télé, dans une entrevue menée par Anne-Marie Dussault, l’avocate camerounaise Alice Nkom. Battante. Allumée. Convaincante. Jamais je n’avais entendu parler du combat qu’elle menait, un combat pour la justice contre la violence, un combat pour la dignité contre l’oppression, un combat pour la liberté contre l’obscurantisme, et surtout, un combat pour le Droit. Qu’elle obtienne un jour le prix Nobel de la paix, il serait autrement plus mérité que celui qu’on a imposé, pour mieux l’acheter, au président Obama ; cette avocate et militante est «membre» — sans l’être, bien sûr, — d’un tout petit groupe de personnes, peut-être une vingtaine, à la grandeur de la planète entière, et parmi les six milliards d’êtres humains que nous sommes, qui prennent une cause et qui la portent, du simple fait qu’ignorer cette cause dégrade l’espèce humaine au-delà du tolérable. Elle endosse tout ce que l’humanité, depuis des siècles, a pu concevoir pour doter les hommes et les femmes de droits fondamentaux inaliénables, l’essentialité même de la liberté et de la dignité.
Alice Nkom me rappelait Nelson Mandela, Chirine Ebadi, Liu Xiaobo, avec, en plus, la voix douloureuse, urgente, universelle, de Cesaria Evora. J’écoutais, fasciné, une dame portée par la force de son engagement, total, entier, capable d’un calme courage pour braver tous les dangers, et déterminée à refuser, radicalement, de se laisser intimider, quand on déchaine contre elle et ses clients les pires des préjugés, voulus, encouragés, légalisés, caricaturant ce qui semble, si évidemment, de premier abord, comme une étrangeté déroutante. Elle défend et protège, certes, des jeunes hommes aux allures parfois trop marquées pour le commun des mortels : c’est à la prison qu’ils s’exposent, malgré eux, au déni de leur identité, et surtout, surtout, à la violence contre leurs corps, le seul corps qu’ils n'auront jamais, le leur, le seul qui puisse leur faire vivre leur vie, une seule vie, qu’ils n’ont pas choisie, une vie différente et singulière, unique en son genre, qui leur fait pourtant risquer la prison et la mort. La mort ! «Le président de la République est le premier responsable de la situation actuelle, vous savez, parce qu’il ne fait rien, rien pour obliger au respect du droit international auquel le Cameroun souscrit, rien pour faire respecter sa propre déclaration officielle, de chef d’État, voulant que le Cameroun respecte la vie privée des gens et l’inviolabilité de leur intimité.» J’ai eu, en l’écoutant, un redressement vertébral vertigineux, un désir immense d’ennoblissement, et l’évidence, sous mes yeux, que l’humanisme, parfois, colle aux portes, et tout près, de ce qu’on appelait jadis l’Éternel, de ce que Alice Nkom appelle – de tous ses vœux - l’État de droit. Et puisqu’on l’avait invitée, à titre de présidente honoraire, aux cérémonies de la Fierté, à Montréal, j’ai voulu absolument la rencontrer, et lui parler, quelques mots rapides, que je me répétais déjà, intérieurement, tout juste après l’entrevue. Je souhaitais ce coup de chance, pour simplement, peut-être, m’en sentir plus confiant, et meilleure personne.
J’étais persuadé, je l’avais dit à mon copain, que Mme Nkom serait sur la rue Ste-Catherine, le samedi le 13 août, présente pour la journée communautaire. Elle y était, effectivement, dans un kiosque aménagé pour elle, souriante, très entourée, très photographiée, gentille et chaleureuse avec tout le monde, objet de fierté, réelle, pour plusieurs des jeunes hommes qui montaient, autour d’elle, une garde bien inutile, sur cette rue exceptionnellement bon-enfant, cette journée-là. J’ai dit à mon copain : « Je ne pourrai jamais m’en approcher et lui parler ». Oh, mais tiens donc, il y avait là un de mes anciens étudiants – suffisamment ancien pour qu’on puisse tous deux parler du bon vieux temps – et qui me reconnaît aussi. Steve est venu rapidement me parler, m’a pris dans ses bras, s’est souvenu, en blaguant, de mes jeans moulants, délavés, tenue constante du jeune prof que j’étais alors. Il a fait rire mon copain, il était charmant, séduisant, beaucoup plus beau qu’il ne l’était quand il était appliqué et tranquille, en classe, à écouter un cours d’histoire du Québec.
J’ai dit à Steve: « J’aurais tellement aimé parler à Mme Nkom, mais ça semble impossible… » Steve m’a pris par le bras, m’a mené jusqu’à elle, m’a présenté, m’a laissé me débrouiller ! J’ai bafouillé, me semble-t-il, mais avec tripes et cœur ; j’ai parlé de son passage à la télé que j’avais vu, de l’appel à la fierté et à la dignité que j’avais entendu… « Même ici à Montréal, et même à mon âge, je me suis senti, en vous écoutant, plus respectueux de moi-même et plus digne, et je me suis rappelé le chemin parcouru pour arriver jusque-là. Je me suis rappelé qu’il faut rester vigilant.  Vous m’avez rappelé la chance qu’ont les plus jeunes de vivre dans une ville, dans un pays, où on a appris la tolérance et le droit. » Elle m’a écouté, et m’a dit regretter qu’il n’y ait pas eu de micro pour répercuter ce que je venais de lui dire – je n’avais donc pas dit de sottises ! Elle m’a pris dans ses bras. On se faisait photographier, à profusion. Je lui ai dit : « On ne sait peut-être pas toujours qui vous êtes, mais les gens ne courent pas de risque, au cas où nous serions tous deux des célébrités ! » Elle a rigolé de bon cœur, m’a montré la rue Ste-Catherine en fête et m’a dit : «Voyez, les gens de mon pays ne savent pas ce qu’ils ratent, le plaisir et le bonheur dont ils se privent.» Je l’ai remerciée, saluée; j’ai rejoint mon copain, qui avait pris une multitude de photos, et même enregistré une courte vidéo de ma rencontre avec Alice Nkom. J’allais pouvoir conserver un souvenir de mon tête-à-tête avec un prix Nobel, la seule, très certainement, que j’aurai eue de toute ma vie !
Il n’y a pas si longtemps, l’Église catholique nous haïssait, le système nous méprisait, la société nous insultait, et nous, nous avions honte de nous. L’ancien maire Drapeau nous faisait cogner dessus par sa police, une police crasseusement ignorante, qui ne demandait pas mieux que d’être utile au maintien des bonnes moeurs, sans que ça n’émeuve jamais l’opinion – à l’exception, notable, un jour d’il y a 34 ans, de René Lévesque. Suite à un acte de sauvagerie particulièrement odieux, perpétré par la police de Montréal à l’encontre de la clientèle d’un bar gai du centre-ville, le premier ministre avait fait amender la Charte des droits et libertés pour y inclure l’orientation sexuelle comme motif antidiscriminatoire. Ça se passait en 1977. M. Lévesque aurait aimé Mme Nkom – et sans doute réciproquement. Lévesque était d’une intégrité exceptionnelle, meilleure garante, il en était convaincu, du lien très étroit, primordial, entre la liberté et la règle de droit. Mme Nkom mène en ce moment au Cameroun, et à la grandeur du monde, le même combat, avec la même ardeur, la même exigence humaniste. À certains de ses ministres qui craignaient que le gouvernement perde des appuis, en se commettant avec des « homosexuels », M. Lévesque avait répondu, crument, que «la valeur d’un homme se mesure à ce qu’il fait de sa vie, et non à ce qu’il fait avec ce qu’il y a dans ses culottes.»* Mme Nkom ne tiendrait probablement pas le même langage ; elle n’en dirait pas moins ; elle espère du président du Cameroun le même respect pour son pays et tous ses citoyens, que l’observance qu’il doit, précisément, aux textes internationaux qu’il a signés en leur nom. Alice Nkom n’a pas d’ambition pour elle-même ; elle ne convoite rien du tout, à ce que je sache. Seulement, elle souffre de ce que les gens peuvent souffrir, quand on les prive de ce qu’ils sont, qu’on les méprise, et qu’on les livre à la vindicte publique. La haine ne sert que trop bien à camoufler d’autres misères, plus affamées encore ; en bout de course, c’est de justice sociale dont rêve Alice Nkom.
J’ai eu l’honneur de rencontrer maître Alice Nkom. Ça a été, à n’en pas douter, ma Chose vue, lue, entendue… la plus marquante de l’été qui s’achève.
P.-S. Mme Nkom en appelle, en ce moment même, à la communauté internationale, pour que les personnes de bonne volonté, qui le veulent bien, signent une pétition adressée au président de la République du Cameroun. Paul Biya n’aimera peut-être pas ; mais il écoutera probablement. Le Cameroun est membre des Nations-Unies, signataire du Protocole facultatif concernant les droits civils et politiques. Le Président le sait. On ne peut plus opposer, perpétuellement, aux droits universels la prévalence de la culture locale. Ces droits servent, j’en conviens, trop souvent encore de paravent à l’impérialisme, et même à l’agression. Dick Cheney en est un exemple éminent, dégoûtant. Mais résister à l’impérialisme ne peut, ni ne doit plus jamais, justifier la répression des personnes pour ce qu’elles sont, dans leur incorruptibilité, ainsi que dans leur droit, absolu, à l’équité. Source : http://www.fugues.com/main.cfm?l=fr&p=100_article&article_ID=18972
* Je tiens le verbatim d’un ex-ministre du gouvernement Lévesque, qui avait assisté au débat, en conseil des ministres, et qui avait vu M. Lévesque ne pas se soucier, du tout, de ce que ça puisse nuire à la popularité du gouvernement, quand il s’agissait de droits humains, et du respect de toutes les personnes, sans exception. Le Québec avait alors un véritable gouvernement de gauche, aux larges vues.



jeudi 22 septembre 2011

LA PUISSANCE DE LA MORT ( Ou: À propos de Troy Davis, et de la Palestine )



Les deux photos d'actualité proviennent de la Cyberpresse. Le dessin représentant la Mort provient d'un blogue, à l'adresse suivante: http://plumedemesange.blogspot.com/2010_11_01_archive.html




ll y a plusieurs façons, pour les États-Unis d'Amérique, d'être des assassins. L’exécution de Troy Davis en est une. Ce soir, et ce n'est pas la première fois de leur histoire, pas même sous la présidence de ce fantoche, de ce désossé, de cet électoraliste méprisable qui a pour nom Barack Obama ( et qui, tel qu’il est, hein, est certainement né aux États-Unis, pas de doute là-dessus, ) ce pays ressemble comme deux goûtes de pus à d’autres régimes assassins, à l'Iran par exemple. D’où sa détestation, d’ailleurs, de ce qui, chez Ahmadinejad, s’apparente de façon troublante à l’idéologie totalitaire, létale, et ravageuse quand il s’agit de masses humaines, de George W. Bush. Mauvais souvenir, ce bandit, mais à peine adouci par la présence de l’autre, le nouveau, incapable d’idéologie un peu constante, et qui tient mordicus à ce qu’on sache qu’il est un bon patriote, tout autant que Rick Perry and Co, c’est tout dire.

Que peuvent bien penser, ce soir, les Afro-Américains de leur tout premier président noir ? Et que pourront-ils espérer de lui quand un crime raciste, retentissant, douloureux, secouera à nouveau ce pays, et qu’ils auront besoin, comme jamais, de la fraternité agissante de leur président ?

Troy Davis est mort, exécuté; crime d’État. Et ce, malgré la rétractation de la plupart de ses accusateurs. Et ce, malgré un concert de protestations internationales, parmi lesquelles le pape soi-même, ( une mauvaise habitude n’étant pas coutume, ) qui s’est joint à la chorale, pour une fois un vrai chant de Dieu.

Mais ce pays, depuis longtemps, n’écoute plus personne, et surtout pas le Jésus de l’Évangile. Cette République gouverne par la grâce d’un Dieu,  un dieu protestant, et pire encore, un dieu calviniste - puritain, quaker, radicalement amoral, chasseur de sorcières, tueur par plaisir, partisan depuis bien longtemps du feu purificateur, jadis bûcher, désormais armes à feu portées par des missiles, parfois nucléaires, un vrai don de dieu. Oh bien sûr, dans les bureaux, peu visibles, mais très influents, il y a les salauds qui ne croient en rien; mais qui pensent, qui calculent, qui influencent, et qui se réjouissent de la puissance meurtrière de leur pays et de ce qu’elle lui permet. Peuple du monde, à genoux ! Espère ta délivrance, l’oeuvre bénie de l’Amérique!

Le jour même de la mort de Troy Davis, le président Obama, contre toute morale même minimaliste, et contre la logique d'espérance de son discours du Caire, de 2009, où il avait fait un brillant appel, un appel inspiré, à la réconciliation de l’Amérique avec l’Islam, le président Obama, dis-je, a dénié tout droit à la proclamation d’un État de Palestine par des méthodes parfaitement identiques, et ( rendons-nous en bien compte, ) par l’usage du même droit international, le même, qui avait justifié Israël à proclamer unilatéralement son indépendance, comme État national, en 1948. Comme en 1947, lorsque la décision, tragique, du partage du territoire palestinien avait été votée à l’ONU, l’Assemblée générale risque fort d’appuyer, cette fois-ci encore, à forte majorité, la création d’un nouvel ( et second ) État, mais celui-là palestinien, cette autre partie qui n’avait été qu’annoncée dans le partage de 1947. Cependant, contrairement à 1947, ce coup-ci, c’est la voix, puissante, explosive, des pays en voie de développement qui se fera entendre. Et qui reste-t-il, pour s’opposer, au crime de justice, mais qui donc ? Le veto des États-Unis, comme de juste, innocentant l’occupation israélienne dans les territoires palestiniens occupés, en violation de tout droit international, et ce, depuis 1967. Ne cherchez pas d’autres raisons au bouclier antimissiles, et autres merveilles dont les Américains ont le secret pour assurer leur pérennité. Il s’agit de faire taire les petits, les mouches à fumier, les rigolos à la Chavez, qui pourraient avoir l’idée de se regrouper, et d’agir sur les relations internationales, les cons ! Si besoin, on leur enverra quelques feux d’artifices à dommages collatéraux, c’est bien simple.

Honte. Honte ! Longue vie à la vie. Interminable espoir en la justice. Et que Dieu, enfin, pour une fois, veuille bien écraser les méchants.


P.S. ( 25 septembre 2011 ) On ne peut pas en tirer de conclusion définitive, d'une part, et on ne peut pas non plus préjuger du sens à donner à l'insatisfaction de l'électorat américain à l'endroit d'Obama, mais quand même, on peut prendre note que...











jeudi 15 septembre 2011

POST-SCRIPTUM DOULOUREUX, À LA MÉMOIRE DE NELLY ARCAN







On a publié ces jours-ci une nouvelle posthume de Nelly Arcan, un texte d'une trentaine de pages, et qui secoue fort le petit monde artistique, littéraire et journalistique québécois. Arcan raconte, si on s'en tient qu’à une lecture mondaine, rattachée qu’au premier degré de l’écrit, le désarroi extrême d'une jeune femme au vu de son corps, et à ce qu’elle croit être le su des autres le regardant, accusateurs et sarcastiques. Cette jeune femme, c’est Nelly Arcan elle-même. Son récit, qu’elle a voulu, semble-t-il, publier, est à peine une autofiction. Il tient plutôt de la note laissée par humanisme aux survivants, pour expliquer, quand même, une mort terriblement prématurée. Le corps de Nelly Arcan est magnifique, mais lui fait mal, l'écriture de la nouvelle est superbe, mais effroyablement désespérée. L’histoire s'intitule La honte, et quiconque aurait envie de la lire peut la trouver, facilement et gratuitement, sur Internet. 

Tous les commentateurs que j'ai pu lire, depuis deux jours, dénoncent les prescriptions morbides que la « société » impose au corps des femmes, et d’elles seules; ces messieurs/dames font de l'obligation de la jeunesse et de la beauté immortelles la première, sinon la seule responsable de la mort violente de l'écrivaine en révolte, jusqu’au délire. ( Elle s'est suicidée. ) J'ai lu le texte de Nelly Arcan. J'ai été à la fois séduit et bouleversé, ramené au paradoxe extrême dont souffrait visiblement l’auteure, étrangère à ce beau corps qu'elle a pourtant voulu, dont elle a dessiné la reconstruction, et qu’elle a certainement beaucoup contemplé. J'écrirai, ailleurs, le second degré, évident me semble-t-il, de cette nouvelle. Mais pour m'en tenir, ici, au sens premier du texte de Nelly Arcan, je ne peux que me répéter, et revenir avec plus d'insistance encore, sur l’intention première, quand même modeste, d’un post d’avril dernier, Jouvence.

Il n'est plus vrai que l'obligation de jeunesse et de beauté ne pèse que sur les jeunes femmes. Les jeunes hommes en pâtissent tout autant. L'Occident ne s'est jamais, de toute son histoire, autant contemplé dans le rétroviseur, que maintenant. Il rejette la maladie, le vieillissement, la bonne moyenne, la paix du corps le temps de sa vie. Le risque, le risque énorme, est qu'on retrouve, toujours de plus en plus, de ces obsédés du corps parfait, épatant, séducteur, excellent vendeur, qui seul peut oser se montrer, et s’admirer par la suite à la télé ou sur grand écran.  Passé 30 ans, t'es à risque de rejet. Passé 40, t'es foutu. Il arrivera qu'on ne veuille plus voir nos vieux ; savoir leur existence suscitera de l'angoisse ; on les parquera tant et si bien qu'on ne pourra plus voir du tout ce qui guette tous les vivants, le monstre autiste et inentamable ( Arcan ) de l'âge, des rides, du ventre, de la calvitie,  de tout ce qui tremble et qui tombe, qui traverse la vie et ruine la beauté, pire destin que la mort elle-même. À ne plus voir ni les vieux, ni les morts ( et tant qu’à faire, ni les laids, ni les difformes, ni les obèses, ni les cagneux, ) peut-être, en effet, éviterons-nous quelques suicides tragiques, de jeunes hommes tout autant que de jeunes femmes, beaux pourtant, épilés, tatoués, athlétiques, mais complètement paniqués à l'idée, insupportable, d'être un jour des hommes vieux et moches, des femmes avachies et barbouillées. Il n'y en a que pour les jeunes, que pour les beaux. L'Occident se fracasse le visage dans son miroir, il se dévisage, mais il y aura toujours des entreprises qui se proposeront, bistouri en mains, pour tout refaire, en mieux, et maintenir, un temps, l'illusion de la toute-puissance éternelle - grâce à la sublime beauté.

Et le pire, c’est qu’on n’y peut rien.