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mardi 21 juin 2011

QUAND LA JUSTICE PORTE À DROITE

Cyberpresse, extraits, lundi 20 juin 2011.





La Cour suprême des États-Unis a utilisé les mêmes arguments, à l’encontre de la plainte de milliers de femmes accusant l’entreprise multinationale Walmart de discrimination salariale, exactement la même logique juridique, appuyée par le même type d’arguments constitutionnels, que ceux qui l’avaient amenée, il y a 11 ans de cela, à accorder la Présidence à George W. Bush.
En décembre 2000, la Cour n’avait pas contesté, en soi, la victoire démocratique de Al Gore à la présidentielle; ce détail était secondaire; elle avait jugé que de recompter les votes dans les seuls districts où les résultats étaient contestés, dans le sud-est de la Floride, allait établir une inégalité de fait entre tous les électeurs américains, d’où qu’ils viennent, ce que la Cour jugeait contraire à la Constitution des États-Unis et au Bill of Rights. Ou bien, disait-elle, on recomptait tous les votes, de tous les électeurs, dans le pays tout entier, ou bien on n’en recomptait aucun. Au restant, précisait la Cour, c’est à l’État de Floride de juger de sa mécanique électorale. 
On connait la suite des choses. On en subit encore les conséquences désastreuses: la concentration de la richesse n’a jamais été aussi scandaleuse, l’écart entre les riches et les pauvres s’est creusé, la classe moyenne s’est dangereusement effritée, la guerre ( et la haine ) est devenue un instrument privilégié de politique étrangère.
La Cour suprême des États-Unis en a-t-elle tiré quelque leçon, un ou deux pincements au coeur ? Pas du tout. Dans le jugement qu’elle a rendu public ce lundi 20 juin 2011, dans l’affaire Women vs Walmart ( j’invente !), la Cour reste fidèle à la logique néolibérale que les conservateurs américains attendent d’elle, pour y avoir nommé la plupart des juges qui s’y retrouvent. La Cour ne conteste pas la discrimination salariale; ce détail est secondaire; elle juge le recours collectif irrecevable, que parce que la discrimination ne peut pas avoir été exactement la même, partout, dans le pays tout entier ! Il n’y a pas de redressement de tort possible si le correctif établit l’inégalité entre les citoyennes. Tant pis s’il y a tort, mais l’égalité passe avant tout.
Voilà qui s’appelle gouverner. Ce qu’ils sont bien, quand même, ces juges, à protéger les puissants de ce monde contre la démagogie démocrate !
Il ne faut pas croire qu’au Canada, «notre» Cour suprême fasse preuve d’un peu plus de générosité sociale. Elle est aussi colonisée que le reste de la société canadienne, aussi aliénée au justificatif américain que ceux qui ont nommé les honorables juges actuellement assis sur le banc. Rappelons-nous le jugement Chaoulli (2005): la Cour suprême du Canada a complètement, et radicalement changé le sens du droit collectif garantissant l’égalité d’accès aux services sociaux, tel que prévu dans la loi, pour privilégier une interprétation parfaitement aberrante, en fait typiquement néolibérale: ainsi la Cour a-t-elle réussi à faire croire que ce droit, de justice sociale, appelé parfois droit de seconde génération, garantissait en fait le droit d’un citoyen, quel qu’il soit, et riche de préférence, à payer pour des services privés si l’État n’était pas assez rapide pour assurer un véritable droit d’accès, non plus pour tous, mais pour chacun des citoyens considéré isolément, et la nuance est capitale ! Comprenons bien, ici, et très exactement, ce que cela veut dire: cela signifie que le droit collectif destiné à protéger les plus démunis est devenu un droit collectif perverti, destiné à protéger le droit d’accès ( rapide ! ) des plus riches au système de santé, qui peut se privatiser pour y pourvoir ! Ce qu’on doit à M. Trudeau et consorts est incommensurable, et dit-on, fait le Canada. Il fait tout au moins des riches heureux, c’est toujours ça de pris.
Voilà ce qui s’appelle répondre aux vrais besoins: entendons les besoins des riches cousus d’or, toujours de plus en plus riches, ici comme aux États-Unis, et qui n’entendent plus partager avec les pauvres, toujours de plus en plus pauvres, l’égalité d’accès aux programmes collectifs, et gratuits, de santé.
Ce n’est pas de la démagogie que de dire que les plus hauts tribunaux, américain comme canadien, savent parfaitement bien servir de marionnette juridique aux puissants de ce monde, quand l’urgence de les soigner avec célérité devient d’une navrante gravité. Quant aux autres, la multitude, le petit peuple bêlant, hé bien, qu’ils attendent, et à la limite, qu’ils crèvent gratuitement. Ça ne sera jamais autant scandaleux que l’élection de Bush, ou le jugement Walmart, incroyable rappel d’une justice dont on ne croyait plus qu’elle pouvait, aussi aveuglément, servir sans état d’âme le capitalisme sauvage. 




mercredi 9 mars 2011

Aperçu critique d’une des pires présidences de l’histoire états-unienne



Paul Wolfowitz au Bureau Ovale: un proche collaborateur du Président



Note: L. m'a demandé un petit résumé de ce qu'ont été les Années Bush. Je me suis amusé à reprendre mes notes de cours, à les résumer, à les proposer ici en lecture - après tout, je suis historien de formation. Ces années 2001-2009 rappellent de bien mauvais souvenirs. Mais j'espère que la lecture de ce billet, pour ceux et celles que le sujet intéresse, présentera quand même quelque intérêt ! J'ai eu, moi, du plaisir à le remettre en forme, à l'écrire.




Candidat du parti républicain, G. W. Bush est « élu » en novembre 2000 par une minorité de voix. Il obtient 50 459 211 votes (47,9 %) contre 51 003 894 pour Al Gore, le candidat démocrate et vice-président sortant (48,4 %).
La Cour suprême des États-Unis valide son élection, en infirmant un jugement de la Cour suprême de l’État de Floride qui avait déclaré que le vote était « paramount », ordonnant en conséquence le décompte des votes, mais que dans les districts électoraux où le résultat était contesté. Il s’agissait de districts à majorité noire, et donc à très probable majorité démocrate. C’est là, précisément, ce que la Cour suprême des États-Unis juge comme une erreur en droit, et voilà pourquoi elle considère la mesure comme une violation de l’égalité, garantie dans le Bill of Rights, de tous les citoyens américains. Au regard de la Cour suprême, il faut recompter le vote de tous les électeurs américains, ou n’en recompter aucun. Plus encore, elle ordonne de respecter la juridiction de l’État de Floride dans le processus électoral de son choix : or le propre frère de Bush est gouverneur de Floride, et le parlement de l’État est à majorité républicaine… Sitôt le jugement du plus haut tribunal du pays connu, la Floride s’empresse de stopper le décompte des votes, et d’accorder ses Grands Électeurs au candidat Bush. C’est ainsi que Bush gagne la majorité au collège électoral, et donc la Présidence. L’affaire a toutes les allures d’un véritable coup d’État constitutionnel. Il faut cependant rappeler qu’il y a des précédents, pas toujours honorables : on pense par exemple aux ignobles tractations qui avaient mené à l’élection de Hayes, un autre républicain, en 1877, désignation qui avait facilité l’organisation de la ségrégation raciale dans les États du sud américain.
George Bush est cependant réélu le 2 novembre 2004, par plus de 62 millions d’électeurs, obtenant une courte majorité absolue de 50,7 % du corps électoral. Il fait un gain de 12 millions de votes depuis 2000.
Cette réélection, finalement assez facile, était pourtant imprévisible quelques mois auparavant. Comment dès lors l’expliquer ? On parle d’effets combinés,  de la guerre en Irak, de la politique fiscale adoptée par l’administration républicaine, et de l’impact de débats sociaux majeurs à l’époque: sur le mariage, sur la laïcité, sur l’avortement, sur la peine de mort, sur les armes à feu… Le candidat démocrate s’enferre sur toutes ces questions. Bush a l’avantage de n’avoir jamais à nuancer ses positions : elles ont le mérite d’être claires.
En politique intérieure, l’Administration Bush ne dévie jamais d’orientations à la fois néolibérales — sur le plan économique —, mais néo-conservatrices, pour tout ce qui concerne les droits et libertés de la personne et la moralité publique.
Ainsi, l’avortement ne peut et ne doit plus être un droit constitutionnel garanti aux femmes américaines. Cela découle de convictions religieuses, bien sûr, mais aussi de l’instrumentalisation politique de la religion et des Églises, y compris catholique, ce qui a beaucoup fait pour le renforcement continu du parti républicain.

L’Administration est défavorable au mariage entre personnes de même sexe, et envisage même une modification constitutionnelle pour bloquer, à jamais, cette hypothèse.

Cependant la présidence Bush défend-elle le statu quo constitutionnel quant aux armes à feu, et encore là, reçoit l’appui des segments les plus conservateurs de la population états-unienne, souvent au sud de ladite Bible Belt.

Après les tragiques attentats du 11 septembre 2001, Bush décide que les terroristes ne relèvent plus du droit international ou des Cours fédérales américaines, mais du seul Code militaire américain et du Military Order du 13 novembre 2001. Il faut attendre jusqu’au 8 novembre 2004 pour qu’un tribunal de NY juge illégales les procédures contre les prisonniers de Guantanamo, jugement confirmé par la Cour suprême des É-U, la même qui, en août 2006, a jugé certaines mesures du Patriot Act, dont l’écoute électronique, comme anticonstitutionnelles. Bush a aussi autorisé la CIA à créer des prisons secrètes et à pratiquer certaines formes de torture, même déguisées. Il fait adopter, par un Congrès docile, le Foreign Intelligence Surveillance Act, qui accorde l’immunité aux entreprises de télécommunications qui ont participé aux écoutes électroniques sans mandat judiciaire...

Néolibérale, l’Administration Bush s’illustre notamment par des diminutions d’impôts, dont 60 % des baisses profitent à ceux qui gagnent plus de 100 000 dollars. Bush rejette le Protocole de Kyoto, et réactive les productions massives d’énergie à partir de pétrole, de charbon et de centrales nucléaires. Les milieux d’affaires, en particulier dans le secteur de l’énergie, acclament le Président.

Mais c’est en politique étrangère que Bush fait sa marque la plus profonde, les critiques diront même la plus sinistre. Depuis 2001, les États-Unis augmentent considérablement leurs dépenses militaires. En atteignant plus de 400 milliards de dollars, dès 2002, ces dépenses sont désormais plus importantes que celles, additionnées, de tous les États du monde, réunis. Or, cette militarisation n’est pas le fait des Événements du 11 septembre, qui ne servent ici que d’accélérateur. Dès le milieu des années 1990 se prépare une reformulation de la politique extérieure américaine et de ses objectifs; au cœur de cette redéfinition s’illustre l’universitaire Paul Wolfowitz, théoricien, depuis 1969, du bouclier antimissile, du rejet des contrôles en armements, et de la théorie de la « construction de la menace », dans le but – avoué ! — d’agir selon le bon vouloir américain dans le monde et de bloquer l’émergence de compétiteurs potentiels. (Chine, Japon, Allemagne.)

Dès 2001, Bush amène Wolfowitz à la Maison-Blanche, en tant que sous-secrétaire d’État à la Défense. La communauté internationale, stupéfaite, doit désormais compter avec une superpuissance qui entend mener une politique de cas par cas, identifiant des États Voyous, l’expression est célèbre, avec repli en regard des organisations internationales contraignantes : la Maison Blanche ne souhaite désormais que des « alliances conjoncturelles ». Après le Onze septembre, Bush trouve les mots pour traduire explicitement la politique étrangère de son pays : « ou bien vous êtes avec nous, ou bien vous êtes contre nous ». Cet unilatéralisme radical provoque rapidement la fragmentation du monde relativement à la « guerre contre le terrorisme », parce que cette guerre prend trop évidemment en obligation les avantages objectifs des États-Unis, entre autres ce que Bush appelait le « vent du pétrole ».
La guerre contre l’Irak se prépare, exemple cynique, illégal et crapuleux d’une « construction de la menace » typique de la thèse de Wolfowitz. La planification du conflit exige de Bush de le relier à la problématique du Proche-Orient. Bush adopte la thèse du premier ministre israélien Ariel Sharon, qui prétend mener la guerre contre le terrorisme dans les territoires palestiniens occupés. L’incroyable ignorance des enjeux locaux amène même Bush à songer à une solution extrême au conflit israélo-palestinien : ainsi propose-t-il de donner la nationalité américaine à tous les réfugiés palestiniens qui espèrent une solution à leur situation désespérée depuis 1949 !

En mars 2003, la guerre contre l’Irak éclate, l’Irak accusé de tous les dangers, mais possédant 10 % des réserves pétrolières du monde, au moment où la Chine émerge et a d’énormes besoins énergétiques…

Quelques mois auparavant, en décembre 2002, l’Administration Bush relance officiellement le programme de « bouclier antimissile », déjà projeté sous Reagan : le bouclier exige l’abandon du traité ABM, signé en 1972 avec l’ancienne URSS ; il a pour but de protéger l’entièreté du continent nord-américain par un système multicouche, combinaison de radars, de missiles intercepteurs, au sol, en mer, du ciel, et même de l’espace… (D’où la colère américaine quand le Canada, en 2004, refuse de participer au projet, pour cause de militarisation de l’espace, militarisation interdite par le droit international.)

Conséquence inévitable de cette politique internationale: l’illégalité des opérations de guerre, et l’effondrement du système de sécurité collective mis en place depuis 1945. Très révélateur est là-dessus le refus de l’administration Bush de reconnaître la Cour pénale internationale, créée en 1998 pour juger des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité. En 2002, le Congrès adopte, tout au contraire, une loi autorisant le Président à prendre tous les moyens, y compris militaires, pour libérer quelque Américain qui pourrait être traduit, hypothétiquement, devant la Cour…