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lundi 4 décembre 2017

LE DÉCLIN IRRÉVERSIBLE DU PARTI QUÉBÉCOIS





Le Parti québécois se meurt, le Parti québécois est mort.

Les sondages ne trompent plus personne ; ils confirment des tendances lourdes, constantes, irréversibles, plus irréversibles encore que ne l’était l’irréversible indépendance dont parlait M. Lévesque, à New York, en janvier 1977. Le fait est que, sauf les sursauts de 1994 (44,8 %) et de 2008 (35,2 %), l’électorat du Parti québécois s’érode irrémédiablement depuis 1981. 

Il s’érode parce que nos concitoyens n’ont de cesse de se détacher, malgré le cas d’exception de 1995, de l’option souverainiste. Ils délaissent « l’option » parce que la défaite référendaire de 1980 a radicalement cassé le puissant courant, généré par la Révolution tranquille, et qui voulait que la modernisation rapide et profonde de la société québécoise aboutisse nécessairement à la pleine souveraineté de son État. M. René Lévesque lui-même, après avoir été le plus important leader indépendantiste de l’histoire moderne du Québec, a parfaitement incarné cette cassure après 1981, imprimant à son gouvernement un virage à droite, antisyndical, souvent hargneux, particulièrement à l’encontre des employés de l’État, de celles et de ceux qui servaient avec enthousiasme les politiques publiques du Québec — et qui votaient pour le Parti québécois. 

Plus personne, maintenant, ne s’inquiète de l’État du Québec, sauf pour accuser ses politiques déjà rétrogrades de ne pas être suffisamment réactionnaires – ou de les fantasmer, ces politiques d’État, à gauche toute, rêve d’un grand soir de libération qui ne serait qu’essentiellement économique et sociale, mais que très modestement « nationale », timidement, baissant les yeux, embarrassé par ce mot même de « nation ».  C’est partie belle pour M. Trudeau deuxième génération, créé et statufié par la Charte constitutionnelle de 1982. C’est tout autant partie belle pour M. Legault, qui peut rêver désormais d’un gouvernement qui soit franchement, irréductiblement, le gouvernement de la droite anti-Révolution tranquille, dont certains ont rêvé depuis si longtemps, créditistes naguère, adéquistes ensuite, et maintenant caquistes. Ceux-là se disent l’avenir, gonflés à bloc, le vent dans les voiles, idéalisant travail, famille, et la patrie de l’ancien temps. Il y aura du défi à relever pour Québec solidaire à s’accaparer le vote caquiste, autrement plus coriace que ne le fut et ne l’est l’électorat du Parti québécois.

Le vote péquiste s’érode parce que le mouvement indépendantiste a rompu, toujours plus profondément, avec la conviction que l’indépendance était nécessaire à la libération nationale du peuple canadien-français, « classe-nation », formée de « colonisés dont les trois repas par jour dépendent trop souvent de l’initiative et du bon vouloir de patrons étrangers. » (René Lévesque, Option Québec, pp. 23-24) Camille Laurin disait, lui, de ce peuple dominé, exploité, appauvri, qu’il « devait souffrir beaucoup et depuis longtemps pour que l’évocation de sa liberté lui arrache une telle clameur. » (Camille Laurin, Ma traversée du Québec, 1970, p. 96) Or la clameur ne se fait plus guère entendre, peut-être parce que le Québec français s’est tout simplement embourgeoisé, succès suicidaire d’un objectif sociopolitique majeur des gouvernements péquistes. C’est à cette bourgeoisie francophone que s’en prend, désormais, Québec solidaire. Mais dans l’opération, c’est la libération nationale elle-même qui est sacrifiée, abandonnée. Classe et nation sont devenues des notions antithétiques. Voilà pourquoi Québec solidaire ne fera jamais l’indépendance, du moins pas celle qui a soulevé l’espoir de masses canadiennes-françaises il y a, déjà, bien longtemps.

Le vote péquiste s’érode encore parce que, parti de gouvernement, le Parti québécois s’est fait des adversaires, bien évidemment, qui le grugent désormais sur sa droite (la CAQ) et sur sa gauche (QS). Entamé au cœur, quant à sa raison d’être principale, discrédité — démonisé — pour son nationalisme sans enracinement économique et social (sans colère, sans révolte, sans cette rage « nationale » qui habitait si puissamment M. Lévesque), éclaté au bénéfice d’adversaires qui ne demandent pas mieux que de se nourrir de ses dépouilles électorales, le Parti québécois ne peut que décliner, et il décline, en effet, n’en finissant plus de dépérir, triste « champ de ruines », alors qu’y militent encore tant de gens talentueux.

Et pourtant, nous sommes toujours, comme peuple, et tout comme les peuples indiens, profondément aliénés. Maurice Séguin disait que nous étions certes une colonie, mais la colonie la mieux entretenue au monde, avec sa pléthore de petits potentats grassement nourris au provincialisme satisfait, et parfaitement bilingues, comme de juste. C’est notre malheur, comme c’est celui des nations autochtones, avec lesquelles nous partageons, depuis la Grande Paix de Montréal, si étroitement la même histoire et le même destin.






mercredi 22 mars 2017

L'IMPOSSIBLE CONVERGENCE INDÉPENDANTISTE





En 1980, l’Union soviétique (qui survivait encore) avait prescrit aux travailleurs québécois de voter Non lors du référendum québécois sur la souveraineté-association. La chose peut sembler surprenante, puisque le grand capital soutenait, avec une belle unanimité, le maintien de l’unité canadienne: elle ne l’est pourtant pas. Il est vrai que l’URSS, qui redoutait l’explosion, protégeait par là sa propre intégrité territoriale, multinationale, essentielle à l’illusion d’un « internationalisme prolétarien » en phase de matérialisation. Mais fondamentalement, cette recommandation de voter Non avait des bases idéologiques autrement plus importantes, qui dataient des principaux théoriciens que furent Marx et Lénine eux-mêmes. 

Aux yeux du marxisme, quelque compromis, de quelque nature qu’il soit, avec le réformisme est pire que tout. Le réformisme dupe les exploités, en leur faisant croire qu’il y a moyen d’améliorer leur sort autrement que par la révolution. Le pire ennemi de tout travailleur, au premier chef de tout travailleur qui a développé une conscience de classe aiguë, est le réformisme. Un travailleur qui vote pour le Parti québécois, parti qui souhaite « civiliser le capitalisme », et qui veut aliéner ce travailleur par l’exaltation de son nationalisme indépendantiste, se trahit lui-même et trahit l’internationalisme prolétarien. Il n’y a donc aucun compromis possible avec un parti politique réformiste. Il faut lui refuser tout appui, pas même tactique, de court terme. Le réformisme est, en situation de crise, le support essentiel au capitalisme en phase de développement et de consolidation. Le réformisme ne propose qu’une modification des moyens d’exploitation que possède la classe dirigeante, qui concentre de plus en plus toute la richesse disponible. Déjà, au moment de la Révolution russe, les bolcheviques avaient refusé tout appui aux réformistes sociaux-démocrates et aux socialistes qui avaient pris le pouvoir en mars 1917. C’était là du marxisme pur et dur. En novembre 1917, les réformistes avaient de fait été éliminés, lors de ce qu’on appellera la Révolution d’octobre.

Le Parti québécois doit se rendre à l’évidence que jamais, jamais les élites politiques de Québec Solidaire ne se compromettront dans un programme réformiste avec lui. Jamais. QS a encore en mémoire, j’imagine, l’irréversible déclin du parti communiste français qui s’était compromis avec le parti socialiste du président Mitterrand entre 1981 et 1984. L’affaire lui avait valu d’être bouffé tout rond, et de disparaître. QS ne se laissera jamais bouffer, alors que c’est lui qui est en appétit. Et QS continuera d’attaquer prioritairement le Parti québécois, parce qu’à ses yeux, même réformiste, le PQ reste l’allié essentiel du système, celui du dernier recours quand le capitalisme est en crise et qu’il cherche à sauver sa peau.   






vendredi 10 mars 2017

GABRIEL NADEAU-DUBOIS POLITICIEN




On ne sait plus pourquoi. 

On ne sait plus pour quelle raison projeter la souveraineté du Québec. Faire l’indépendance est devenue, avec le temps, une proposition thaumaturge, qui garantit que celui (ou celle) qui en fait la promotion peut se dire docteur ès gauche, praticien qui peut tout guérir des maux sociaux avalisés par les autres, celles et ceux qui se partagent, avec une parfaite immoralité (dit-il, depuis 30 ans), l’assiette au beurre du petit pouvoir provincial. C’était manifeste dans la déclaration de candidature de Gabriel Nadeau-Dubois, ce jeudi 9 mars, engagement loin, archi loin de ce qui pouvait, par exemple, motiver MM Lévesque ou Parizeau. 

Être de gauche, nous a déclaré GND, « c’est s’opposer à la stigmatisation de la religion » ; être de gauche, « c’est être du côté des gens ordinaires, des mal pris, des oubliés. » Être indépendantiste, c’est « pour que le Québec puisse devenir un lieu où tout le monde vit bien »; c’est pour « revoir nos accords commerciaux et sortir du pétrole ». 

Je veux bien de tout ça — encore que je reste attaché à la laïcité de l’État, qui ne devrait stigmatiser rien ni personne, sauf l’obscurantisme et les idéaux déshumanisants, véritable opium du peuple.

Je veux bien de tout ça, mais pourquoi ce programme ambitieux, emballant, devrait-il nécessiter l’indépendance du Québec ? En quoi le RestOfCanada est-il à ce point borné qu’il lui soit impossible de partager les idéaux économiques et sociaux des progressistes québécois ? En quoi le système fédéral, dans sa structure même, et tout en considérant qu’il est l’État fort, empêche-t-il qu’on puisse s’assurer de la paix religieuse, se préoccuper des gens ordinaires et des mal pris, revoir nos (mauvais) accords commerciaux et désavouer notre économie trop polluante ?

On sent bien, à simplement poser ces questions, que le projet indépendantiste se situe ailleurs que dans ces objectifs que s’est fixés GND, aussi nobles soient-ils.

Pourquoi, alors, faire la souveraineté ? Là-dessus, sur cette problématique essentielle, cruciale, qui transcende la gauche contemporaine, je suis de ceux qui, comme Pierre Vadeboncoeur, parlent certes pour l’instant de « résistance », mais qui parlent aussi, avec l’indépendance, de pouvoirs à venir, « et c’est ici que l’histoire du Québec s’inverse complètement. » (1) C’est ce formidable retournement historique, c’est ce renversement, cette révolution, qui sont impensables sans l’indépendance. Et c’est précisément cette inversion de l’histoire du Québec qui, personnellement, me fonde à rester indépendantiste.

(1) Pierre Vadeboncoeur, La dernière heure et la première, 1970, p. 74.







samedi 10 septembre 2016

DE L'ÉGALITÉ HÉTÉROCLITE DES SEXES


Photo: Ariel Schalit Associated Press



Au premier coup d’œil, jeté, pourtant avec attention, sur l’article de Mme Zazaa: décourageant. Une invite à un effroyable retour en arrière, maquillée en « libre disposition de son corps », et donc en un féminisme de cape et d’épée... Mais comme je suis un homme, j’imagine que je ne comprends rien à rien, et que même gay, je participe au désir des hommes d’imposer un comportement aux femmes, alors qu’elles veulent tellement pouvoir choisir librement ce qu’elles sont et ce qu’elles portent, tout comme elles veulent tant et tant réclamer haut et fort cette liberté fondamentale à l’encontre de ce féminisme rétrograde des années 1970 — qui parlait d’égalité plutôt que de complémentarité…

Parce que, bien sûr, elles sont libres, ces femmes qui réclament, dans le cas présent, un vêtement de plage particulièrement couvrant. Ce sont les Louise Mailloux, les Djemila Benhabib, les Waleed Al -husseini de ce monde (et les hommes bornés dans mon genre, qui les admirent), qui se trompent et qui sont aliénés.

Moi, j’ai toujours cru que, la religion, c’était l’opium du peuple, et que les Églises stratifiaient les rapports de pouvoir. J’ai toujours cru que la laïcité d’État était une désintoxication essentielle, et donc un progrès considérable, parce qu’elle assurait très réellement l’intégration, l’égalité, la paix, la protection des acquis — j’entends par exemple les mariages mixtes ou neutres, le divorce, la liberté sexuelle, l’acceptation des diversités de genre, l’égalité dans l’emploi et les salaires, la liberté des consciences et de la vie privée…

Il faut « croire » que je me trompais… La laïcité publique constitue bel et bien une sécularisation forcée qui viole l’égalité en droit et de choix. Je n’ai donc pas à être découragé. « La différence de l’autre est une richesse », nous rappelle, à moi et aux autres incorrigibles laïcs, Mme Zaazaa: les jeunes femmes, maintenant, « dépoussièrent les visions archaïques » et « décolonisent le féminisme ».

Décolonisation ! Le grand mot est lâché ! Je veux bien, moi, que le féminisme soit décolonisé. Mais comment je fais pour décoloniser mes convictions les plus profondes quand je pense, par contre, et sans vouloir dépoussiérer cette conviction, que c’est précisément le colonialisme qui a provoqué, et qui provoque encore l’exploitation, la pauvreté, la guerre, le raidissement des cultures et la sauvegarde illusoire des hommes et des femmes dans les valeurs passéistes ? 

Je suppose que je dois me taire, et voter, désormais, aveuglément, pour Québec Solidaire.


Références (et pour se faire une meilleure idée du débat):


L’article d’Amel Zaazaa, qui s’en prend vigoureusement à celui de Mme Louise Mailloux: http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/479451/la-replique-burkini-une-lecture-feministe-arrogante-et-cavaliere

… Mais, prenez le temps de lire aussi celui de Mme Louise Mailloux: http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/479194/le-burkini-version-aquatique-du-hidjab







jeudi 20 mars 2014

LA SINISTRE BESOGNE DES BOUFFONS SOLIDAIRES




Il écrit superbement bien. Marc-André Cyr (que je ne connais pas du tout) est un écrivain. Blogueur, journaliste, écrivain. Il ne résiste donc pas, comme tout écrivain, à l’envie de tordre (de gauchir) la réalité (et l’analyse) pour rechercher l’effet littéraire. C’est réussi, c’est incontestable, mais c’est un danger. C’est un piège, par exemple, qui guette les historiens qui sont aussi, parfois, de grands écrivains, et qui peuvent avoir l’attrait de la formule, du raccourci peu exigeant, mais qui enflamme le lecteur qui croit tout, parce que c’est de la science. Lucien Febvre, que j’admire tant, luttait mal contre la tentation de faire des phrases. Il est évidemment passionnant à lire. Henri Guillemin est le plus parfait exemple d’une écriture passionnée, qui s’embarrasse peu des faits têtus, contrariants, quitte, même, à les triturer, à les maquiller habilement, pour les faire mentir avec aplomb, avec talent. Sous la plume de M. Guillemin, tout devient théâtre — amour, haine, comédie, caricature, et ça fait de l’effet, littéraire, bien entendu.

Marc-André Cyr est passionnant à lire. Ses principes, sa morale, c’est de la polémologie sociale bouleversante, quasi shakespearienne.

J’aime lire Marc-André Cyr, mais je vais quand même voter pour le Parti québécois, le lundi 7 avril qui vient, et je voterai OUI à un possible référendum sur la souveraineté du Québec. Et pourtant, je suis largement d’accord avec Cyr, et je connais, douloureusement, ce qui le fait rager. Il décrit passionnément une réalité parfaitement insupportable, celle de la pauvreté qui indiffère, celle de ce peuple, pourtant pays réel, de plus en plus «rachitique» à force d’exploitation néolibérale. C’est précisément sur cette base, essentielle, que lui croit que Québec-Province ou Québec-Pays ne changeraient théoriquement rien à rien, rien à l’exploitation, rien à cette étrangeté scandaleuse qui fait tolérer non pas tant la pauvreté, que l’occurrence même des pauvres. Mais voilà, Fernand Ouellet, l’historien de l’économie québécoise, fédéraliste, ami et inspirateur de Trudeau, et très à droite, serait lui aussi (et c'est gênant !) d’accord avec Cyr: la Conquête, a-t-il écrit dans une thèse restée fameuse, et qui a fait des petits, n’a rien changé pour le Canayen, rien sauf la langue de la bourgeoisie qui l’a désormais exploité, lui et du reste l’Indien qui l’accompagnait dans l’Ouest, quand ils partaient, tous deux, chercher ce qui, à l’époque, faisait la fortune de ceux qui l’avaient déjà.

Je suis largement d’accord avec Cyr, sauf sur la Conquête, justement. Je me sépare de Ouellet. Je crois à l’asservissement national des Canayens, et des Indiens, que le nouveau pouvoir anglais confondait sans souci, et non sans raison. Je crois que la prolétarisation des Canayens est très marquée, à long terme, par le fait même de la Conquête et de l’asservissement national. Je crois que la pauvreté systémique (en fait, le mal développement) des Québécois, et leur aliénation (sans que ce mot ne soit en rien, ici, péjoratif, bien au contraire) sont le produit même de cette Conquête. Et je crois, enfin, que la libération nationale des Québécois, tout comme celle des Indiens d’Amérique, est absolument nécessaire pour rouvrir l’avenir. Le séparatisme québécois, c’est le potentiel permanent de rupture de cette société. Voilà précisément pourquoi l’indépendance est si difficile à se gagner, quand il s’agit de renverser l’abdication de soi-même, alors que la liberté ne devrait que se prendre, sans jamais en demander la permission; voilà pourquoi l’indépendance est souhaitable en elle-même, quand il s’agit de décolonisation, d’éducation à la liberté et à la justice sociale. Voilà pourquoi l’indépendance n’est pas qu’État-nation, mais bien libération d’une classe-nation – j’entends déjà le tollé des spécialistes qui ont toujours protesté de l’existence d’une bourgeoisie franco-québécoise, la meilleure preuve, et accablante, à leurs yeux, de la vanité du projet souverainiste et de ce peuple faussement exploité dans un rapport qui serait, à tort, colonial. Voilà pourquoi la gauche, et singulièrement Québec Solidaire, (avec ses valses hésitation sur l’indépendance, tergiversations qui sont à ras de terre, éminemment électoralistes), a tort de bouffer du PQ, de s’associer au mépris raciste que Fernand Ouellet and Co retournent contre nous-mêmes, et de mépriser la bourgeoisie nationale: elle peut être utile, même contre elle-même. Je ne suis pas marxiste, mais je suis sûr que Marx ne me contredirait pas là-dessus. Et certainement pas Maurice Séguin non plus.


P.S. L’article puissant, percutant de Marc-André Cyr, auquel je faire référence dans ce billet, peut se lire ici : http://voir.ca/marc-andre-cyr/2014/03/19/les-bouffons-dun-temps-nouveau/





lundi 10 mars 2014

MAIS QUI EST DONC CE «MONSIEUR LÉVESQUE» DONT PARLE SI SOUVENT MME DAVID ?

 MM. Paul Desmarais (Power Corp.), M. Louis Laberge (Fédération des travailleurs du Québec) et M. René Lévesque, premier ministre du Québec.



Comme d’habitude, quand elle parle du Parti québécois et de René Lévesque, Mme Françoise David, députée de Gouin, co-porte-parole de Québec Solidaire, dit n’importe quoi, avec une malhonnêteté (et un aplomb) probablement délibérée.

Mme David prétend donc que M. Lévesque se serait scandalisé d’une candidature aussi attentatoire au «progrès» que celle de M. Pierre-Karl Péladeau; enrôlant pareil personnage, roi du capitalisme sauvage et du lock-out, Mme Pauline Marois, première ministre et actuelle présidente du Parti québécois, trahirait l’héritage du grand homme, héraut réinventé par la gauche et remodelé au goût du jour, une gauche qui se prétend, du fait de Mme David, être la seule bénéficiaire de l’héritage inoubliable, éternel, laissé par M. Lévesque. Tout cela, sans même baisser les yeux. Sans même montrer un peu de gêne, quand même, devant une manœuvre partisane aussi grossière.

Le fait est que M. Lévesque aurait donné n’importe quoi, sa chemise et des promesses d’emploi, pour avoir une candidature patronale de prestige dans ses rangs — ça n’arrivera qu’une fois, au Parti québécois, avec M. Richard le Hir, que M. Jacques Parizeau recrute en 1994. Le fait est que M. Lévesque s’est toujours montré froid, critique et distancié face à l’étiquette sociale-démocrate qu’on accolait au Parti québécois, durant les années 1970, les années de la forte croissance du parti. Le fait est que M. Lévesque s’est reconnu des affinités constantes avec l’aile droite de son parti, avec M. Pierre-Marc Johnson notamment (un avocat-médecin, pensez donc: ça l’épatait !), M. Johnson qui voulait, dès le premier mandat du gouvernement Lévesque, limiter considérablement la portée de la formule Rand (l’obligation faite à tous les travailleurs syndiqués de cotiser à leurs syndicats, mesure nécessaire de paix et de justice sociale, inévitable, mais dont MM. Lévesque et Johnson se seraient bien passés, n’eut été des protestations de «gauche» qui se sont immédiatement fait entendre), M. Johnson qui souhaitait, durant le second mandat du même gouvernement, établir un ticket modérateur dans le système de santé, et même privatiser la Société des Alcools.

Le fait est que le gouvernement de M. Lévesque a été au moins aussi rigide (et pénible) que M. Péladeau en matière de relations de travail, coupant de 20%, pendant trois mois, les salaires des employés de l’État, bloquant, plus grave encore, pendant une année entière, la progression prévue dans les échelles salariales conventionnées (réduction qui, du coup, allaient se répercuter jusqu’à nos jours), généralisant les mises à pied et les mises en disponibilité, adoptant l’atroce loi 111 qui forçait, sous la menace de représailles salariales et judiciaires, le retour au travail de tous les grévistes du secteur public. M. Lévesque leur faisait avaler du coup et de force une politique qui se comparait précisément à celle que Reagan menait au même moment aux États-Unis, avec les contrôleurs aériens, par exemple. S’en trouvent-ils pour s’en souvenir ? MM. Lévesque et Reagan avaient pourtant, et de toute évidence, lu les mêmes ouvrages d’économie politique. (MM. Trudeau et Mulroney les liront aussi, bien entendu. Avec sa Charte des droits constitutionnalisée, M. Trudeau deviendra même le champion toute catégorie de ce qu'on allait appeler le néolibéralisme, c'est à dire le chacun pour soi.)

Mme David sait tout cela, et s’y est très certainement opposée, à l’époque: c’était en 1982-1983. Ça me tue quand elle (ou M. Couillard, chef du Parti libéral) cite René Lévesque pour l’opposer au Parti québécois de Mme Marois. Elle sait parfaitement bien qu’elle commet là un mensonge indécent, éhonté. Elle sait parfaitement bien que Mme Marois réussit là où M. Lévesque a échoué. (Ça se poursuivra peut-être, du reste, dans le projet même de l’indépendance du Québec: Mme Marois est étonnamment solide, résiliente, déterminée.)

Je connais les méthodes de gestion de M. Péladeau. Je connais tout autant les méthodes de gestion qu’on pratique dans le secteur public, qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau, ou deux abcès purulents, c’est comme on voudra. Là où j’ai longtemps travaillé, l’employeur refuse depuis des années, presque 10 ans maintenant, d’appliquer deux jugements de Cour portant sur un conflit de travail et ordonnant le versement de salaires que cet employeur doit toujours, la Cour lui intimant pourtant de respecter le droit de grève, et de payer les salaires injustement refusés quand le travail a dû être repris gracieusement… (Cette affaire est majeure, soit dit en passant, pour l’avenir même des relations de travail dans le secteur public.) M. Péladeau n’est pas l’unique patron à fantasmer sur ses droits de gérance, même appliqués de façon sauvage. Ça fantasme aussi, et d’exacte manière, dans les bureaux huppés de l’État québécois, et même quand les patrons sont des patronnes. C’est idéologique;  c’est là les conséquences des privatisations presque massives, tout juste initiées sous M. Lévesque, poursuivies avec célérité sous M. Bourassa (pensez donc: le Manoir Richelieu, vendu un dollar, un dollar à Malenfant, qui en a cassé, lui aussi, du syndicat, la CSN est là pour en témoigner avec, toujours, le vibrato nerveux dans la voix…); c’est là la conséquence de la «réingénierie» de l’État, patente chère à M. Charest; c’est là surtout la conséquence d’un État post-Révolution tranquille, qui a réappris, avec enthousiasme, et peu de morale, à être patron, tapis sous les pieds, le mépris aux lèvres, pincées.

Quand sera faite cette petite révolution qu’est la transformation de l’État en une institution publique qui soit effectivement neutre, laïque et sans religion aucune, j’espère beaucoup qu’un jour, avant ou après l’indépendance du Québec, viendra la révolution démocratique participative que prône l’ASSÉ, à laquelle je crois profondément: et on pourrait commencer là aussi, pour l’appliquer, par transformer les pratiques démocratiques de l’État québécois dans ses relations de travail. À l’époque du gouvernement de M. Lévesque, un pareil projet, j’en suis sûr, aurait enthousiasmé un ministre de «gauche» comme M. Camille Laurin. Nous sommes loin, très loin de ça présentement. La gestion publique est néolibérale: les petits patrons du secteur public s’en réjouissent fort, d’ailleurs, et n’ont là-dessus aucun problème de conscience. J’imagine que Mme Hélène David, la sœur de l’autre, pourrait sur ça nous en raconter longtemps: on comprend qu'elle ait abouti au Parti libéral.

Je ne sais trop comment les ministres progressistes du gouvernement Marois se ressentiront à côtoyer quelqu’un d’aussi patronal, et propriétaire, que M. Péladeau. Reste que M. Péladeau se rallie à un gouvernement qui a aussi un projet souverainiste, qu’il peut fortement contribuer au succès éventuel de sa réalisation. Il y avait des purs et durs, dans les colonies anglaises révoltées, en 1776: certains élus du nord-est, radicalement antiesclavagistes, ont pourtant accueilli avec joie le ralliement de George Washington à la cause indépendantiste, parce qu’il amenait avec lui les colonies du Sud, récalcitrantes, craignant pour leurs «avoirs» humains. Une indépendance est, de par sa nature même, «nationale»: elle ne peut être autre chose qu’une coalition, vaste, hétéroclite. Le pays à construire se fait après coup: en 1787, les Américains ont choisi de le faire plutôt à droite. À nous, quand le moment viendra, d’y voir de près, de faire les choix sociaux qui nous conviennent, et qui seront de nos «valeurs». En attendant, c’est M. Péladeau qui est utile, à n’en pas douter.

Quand Mme Lise Payette s’est ralliée au Parti québécois, elle raconte avoir dit à M. Lévesque qu’elle entrait au PQ par la porte de gauche: M. Lévesque, en riant, lui aurait répondu que le parti en avait trois, des portes, à gauche, au centre et à droite, et qu’elle avait donc le choix ! Mme Marois pratique exactement la même politique; elle est en droite ligne la continuatrice de M. Lévesque, bien davantage que ne le sera jamais l’indépendantiste sans conviction et sans âme qu’est Mme David.

(En espérant, tout de même, puisqu’elle était déjà ministre en 1982-1983, et qu’elle n’a pas démissionné durant la crise ni celle du «beau risque» qui a suivi de peu, que Mme Marois se souviendra, pour ne pas les répéter, des erreurs affreusement antisyndicales et antisociales que M. Lévesque a fait commettre à son gouvernement en cette terrible année 1983.)

Mme Françoise David dit donc, et elle le sait, n’importe quoi de M. Lévesque. Ce qu’elle oublie de cet immense personnage, de ce «personnage historique», comme le disait déjà Pierre Bourgault au début des années 1970, c’est que M. Lévesque était de ceux, nombreux, qui souhaitaient la formation d’une bourgeoisie nationale, et de créer les instruments publics pour y arriver; c'est qu’il ne supportait pas la tutelle depuis longtemps imposée au Québec, et qu’il en souffrait jusqu’au tréfonds de lui-même; c’est qu’il dénonçait ces «tuteurs traditionnels de notre peuple» qui le jugeaient incapable, sauf à servir, mimes, bouffons, aliénés, surexploités; humilié, souffrant du mépris rhodésien des dominants, souvent possédants, il arrivait à M. Lévesque de crier haut et fort: «Québec français !»; M. Lévesque n’avait pas de religion, et s’en moquait bien, lui qui comprenait tout aussi bien la nécessité de la liberté politique que d’un anticonformisme rayonnant, dans lequel les nôtres se reconnaissaient si bien. Mais de cette manière d’envisager les choses et la vie, Mme David y aurait vu, elle, à l’époque du gouvernement de M. Lévesque, et encore maintenant, du racisme, de l’intolérance, de l’atteinte aux droits fondamentaux, de l’immoralité. 





jeudi 10 octobre 2013

LE DROIT À LA RELIGION: «L’ÂME D’UN MONDE SANS COEUR» (Marx)


Soleil inca. Musée de la Nation, Lima (Pérou)



Étonnante, cette fascination pour la représentation symbolique de l’Autorité contraignante, autrefois parée de lourds signes religieux ostentatoires, mais qui deviendrait reconnaissable, désormais, du simple fait qu’elle, et elle seule, se verrait interdite de s’en affubler... 

Il y a, dans les deux cas, le profil d’un totalitarisme inquiétant: une sorte de fascination morbide pour la Contrainte, parée d’un mystère impénétrable, naguère celui d’un Dieu tout-puissant, désormais celui d’une Coercition «neutre», et d’autant plus terrifiante qu’elle se situe au-dessus de toutes les divinités, et plus transcendante parce que plus abstraite encore que chacune d’entre elles.

Cette sobriété ciblée, c’est puissamment religieux; c’est Jésus, fabuleusement séduisant parce qu’il n’est en rien, jamais, ostentatoire, pas même quand il se montre presque nu, lui, un fils de dieu, horriblement crucifié. Mais c’est lui, pourtant, qu’on adore, dont on couvre d’or la «maison», et pour lequel, prodige ultime, on se ferait tuer avec joie - avec folie. L’Église savait bien ce qu’elle faisait quand elle fit de sa Croix le plus puissant des symboles, l’essence même d’un surmoi religieux écrasant. C’est que ça fonctionne; c’est que ça «rend».

Aux Grands, donc, ceux qui mangent et qui boivent, ceux qui peuvent soumettre et contraindre, la sobriété temporelle, la sagesse du dépouillement, et pas même la Crucifix, dont on pense maintenant qu’il désertera le Salon bleu de l’Assemblée nationale. Aux autres, à tous les autres, les signes religieux ostentatoires en abondance, et surtout à ces «petits» (ce bon peuple de travailleurs, soumis à l’exploitation et au pouvoir parfaitement irréligieux de l’Argent, encadré par des fonctionnaires publics qui doivent partager avec la multitude ses croyances vulgaires pour mieux lui en faire accroire et la contrôler), à cette masse anonyme, donc, les attributs religieux ostentatoires, dont on espère qu’ils seront encore et toujours, pour cette foule de profanes serviles, comme un opium consolant sous tous rapports. On s’en amuse, bien sûr, dans les milieux éclairés, qui sont depuis toujours bien au fait de la vanité de ces symboles et de l’usage concret qu’on en fait pour aliéner et soumettre le plus grand nombre (en pourcentage: 99 % !) de la population. 

Parce qu’il faut bien comprendre que la laïcité limitée qu’aux pouvoirs de contrainte, c’est une manoeuvre essentiellement religieuse, c’est le parachèvement du culte solaire dépouillé de tous les ornements animistes qu’il a traînés longtemps avec lui. Louis XIV, s’il était encore vivant, le comprendrait parfaitement, et la jouerait modeste, avec son ostentation quotidienne désormais sans dentelle, dans un palais tout ce qu’il y aurait de plus «neutre», au service du nouvel État-Dieu - mais sans providence. Et il aurait compris, parfaitement compris, pourquoi le pouvoir Inca se réservait pour lui seul l’austérité grandiose du culte solaire, alors que les peuples soumis de l’empire avaient la liberté (contrainte) de croire à tout, de se parer de tout, y compris des symboles de ce misérable culte lunaire, cette «lune» incapable d’apprendre à compter correctement, ni le temps ni l’or, une farce sinistre destinée qu’à la seule stratification sociale et à sa pérennité.

Et dire, dire que cette laïcité des seuls pouvoirs de «contrainte», c’est Bouchard-Taylor qui la proposent; dire que Monsieur Parizeau leur emboîte le pas, donne son accord, prestigieux; et dire que Madame Françoise David fait sienne cette nouvelle religiosité, cette moderne aliénation du petit peuple à qui on dit que sa religion, toutes ses religions en fait, c’est un droit absolu, de toute éternité. C'est là berner la foule immense des «contraints», dont on se moque bien de la crédulité (même en prétendant le contraire.) C’est fondamentalement incroyable qu'on en soit là. C’est à en être désillusionné, dépité.










vendredi 3 août 2012

NE PAS VOTER DU TOUT


20 mai 1980: c'en était fait.



Le 2 mai 2011, les électeurs québécois ont rejeté une équipe parlementaire qui n'avait pas démérité, et qui avait au cœur même de son existence de faciliter, un jour, l'accès du Québec à son indépendance, quand en viendrait le temps - comme le temps de la République était finalement arrivé pour les Irlandais, divisés, hésitants à n’en plus finir, longtemps dominés, aliénés, et presque assimilés. Désirant clairement le choix qu'il faisait, le peuple québécois a dans les faits rejeté son indépendance, et a mis fin, définitivement, au rêve difficile et douloureux, souvent refoulé, de son émancipation collective, de sa maturité enfin assumée, avec risques et périls, avec gauche et droite, avec connaissance et présence dans le monde, comme pour tout autre peuple libre de son destin.

Claude Ryan avait dit un jour la nécessité historique, inévitable, qu'une des deux options, fédéraliste ou souverainiste, disparaisse complètement. Au lendemain du 2 mai, c’était chose faite, désormais. Le Bloc québécois anéanti, le choc a été énorme. La tourmente a failli emporter le Parti québécois, hébété, déchiré entre ceux qui ont voulu sauver l'option à tout prix, et ceux qui ont voulu coûte que coûte sauver le parti de gouvernement, qui a rendu de grands services, ceux mêmes qui croyaient, encore, que le pouvoir provincial exercé par des souverainistes augmentait la confiance en nous des Québécois. Des souverainistes, proches d'Option Québec, publié en 1968, ont critiqué l'origine même de l'impasse, voire de l'impuissance nationale, dans cette démarche référendaire destinée à toujours échouer, victime de modifications démographiques de plus en plus rapides, ce pendant que le vote des jeunes désertait la cause, s'abstenait de plus en plus massivement. Des souverainistes restés attachés au parti, fidèles à l'idée lévesquiste qu'un bon gouvernement, nationaliste, social-démocrate, pouvait préparer l’indépendance par la gouvernance souverainiste, en attendant un possible référendum gagnant, sont restés fidèles à l'idée d'une élection provinciale victorieuse, malgré l'effroyable déroute du Bloc québécois au 2 mai 2011. Et pourtant l'option est bien morte, aussi irréversiblement que M. Lévesque l'avait cru « irréversible », dans son fameux discours, excellent, essentiel, inutile, et qu’il a regretté, tenu à l’Economic Club de New York, en janvier 1977. L’option est morte depuis longtemps. Elle survivait comme un fantasme masquant l’humiliation à renoncer; le 2 mai, elle a été une fois pour toutes liquidée, enterrée.

J’en ai mal au cœur, encore, parce que j’ai toujours cru l’indépendance du Québec impérative, urgente et nécessaire. Fragmenté, centré sur la langue, le drapeau, les grands mythes historiques, les statues de présumés grands personnages de notre histoire, le nationalisme québécois me touche peu, m’embarrasse souvent, comme me désarçonnait déjà la gêne de M. Lévesque de faire adopter la Loi 101. Nos compatriotes anglo-québécois ne s’embarrassent pourtant pas d’être unanimes, à peu d’électeurs près, quand il s’agit de rejeter le Québec pays, le Québec français, le Québec national ; ils n’ont aucune réserve à s’appuyer sur les instruments législatifs, et constitutionnels, qu’ils se sont donnés, depuis 1867, plus encore depuis 1982, pour assurer l’épanouissement de leur collectivité. Ils exigent qu’on leur parle dans leur langue. Ils exigent qu’on leur donne leurs villes, leurs institutions scolaires, la libre disposition de leurs revenus communautaires, le libre usage de la Charte fédérale des droits et libertés. Ils exigent une identité séparée, et menacent même, si jamais l’indépendance devait se réaliser, de partitionner le Québec, comme l’Irlande a dû se laisser déchirer, un séparatisme payé très cher. Ils sont sans gêne et conscients, ce qui nous manque, à nous francophones, souverainement. J’ai cru à la nécessité, oui, de l’indépendance du Québec, comme à un acte de libération essentielle, qui donnerait, par exemple, aux étudiants la capacité de surmonter l’envie du décrochage scolaire, ce désir qu’ils ont, puissant, aujourd’hui irrationnel, de la fuite dans un misérabilisme toujours vivace parce qu’il a un sens, parce qu’il masque une autre liberté, désirée, passionnante, celle du pauvre, du squatter, de l’errant, du modeste, qui se croit libre parce qu’il a l’espace pour lui, et peu de besoins à combler. Tout cela n’est pas du gauchisme, pas même un penchant pour l’anarchisme, c’est de la dérobade. C’est notre communautarisme à nous, une aliénation terrible, une peur tenace que ça change, et que la liberté dont parlait M. Lévesque, mieux encore M. Parizeau, ne soit plus la liberté de faire ce que l’on veut, sans qu’on nous bâdre avec le souci des autres, avec l’effort, avec la culture, avec la connaissance, avec le changement. Un livre magnifique, paru il y a quelques années, Québec, quatre siècles d’une capitale, l’œuvre entre autres de l’historien Gilles Gallichan, faisait en réalité l’histoire d’une capitale en perte de continuité, constamment ravagée et refaite, sans souvenirs persistants, le lieu d’une singerie caricaturale du pouvoir des Anglais d’Angleterre, arrivés ici à force d’armées conquérantes, capitale incurablement provinciale qui se donne, sans rire du tout, un titre, un trône, des costumes brillants, des habitudes bien élevées, une sagesse de colonisés parfaitement affligeante… Qu’importe aux Québécois cette parade ridicule, pourvu qu’on les laisse en paix. Le vernis du colonisé est solide et brillant ; mais sous la couche épaisse et résistante de la petite bourgeoisie, il y a un peuple qui a tout encaissé, mépris, exploitation, tromperie, et qui ne sent de survie que dans sa liberté d’être, immédiate, protégée par l’ignorance des défis inévitables, soulagée par le rire gras, rêvant qu’un jour il y aura pour lui aussi commerces prospères et beaux quartiers. Le pays, dans ce contexte, est pour le moins lointain, et nébuleux…

L’indépendance n’est pas une fin en soi ; mais elle est, j’y ai cru, un bien en soi. Je trouve ça triste, et désolant, qu’on y ait renoncé, mais c’est un fait. Le déni là-dessus est tellement puissant que lorsque je suppose la fin du rêve, preuves à l’appui, j’en perds des amis. Et pourtant, j’en ai assez de m’illusionner. Ça m’épate de voir Léo Bureau-Blouin s’engager, et Jean-François Lisée, et Maka Kotto, et Jean-Martin Aussant, lui autrement, d’un sans-gêne à priori emballant, et même Françoise David, sans qu’elle semble vraiment y croire, au pays, comme d’une nécessité absolue, de toute première importance. Je les admire, je le jure, et combien d’autres. Mais je refuse qu’ils m’emportent désormais dans la calamité, et la consternation, à répétition. Comment raconterons-nous donc notre histoire nationale, dans cinquante ans, dans cent ans, déjà que ce n’est pas simple d’expliquer à des étudiants à qui il faut faire aimer l’Histoire, imaginez, que nous provenons d’une colonisation ratée, d’une conquête, d’une révolte échouée en plein hiver, d’un asservissement, et d’un long, d’un très long mépris.

Je ne voterai donc plus, plus jamais, à l’exception d’une élection référendaire, ou d’un référendum sur la souveraineté ; alors, là, oui, j’irai voter. Mais il n’y aura ni de ce jour improbable, ni d’une victoire impossible, et je ne voterai donc plus. La polarisation nouvelle entre la droite et la gauche montre bien que l’autre projet a été trop long à se réaliser, qu’il ne se réalisera jamais : l’illusion du pays s'incarne en ce moment avant l’indépendance réelle, et c’est de projet de société dont on parle désormais. Ce nouveau clivage est la plus belle preuve que la question de la souveraineté est tranchée. M. Legault, tout comme Mme David, qui tous deux en ont gros contre le Parti québécois, sont les naufrageurs ultimes de la souveraineté, au bénéfice d’une gauche ou d’une droite provinciale, de parenté évidente avec des partis fédéraux, le NPD ou le parti conservateur. Au reste, Québec Solidaire se dit souverainiste parce que l'écrasante majorité des personnes de gauche le sont. Cela changerait ( et cela changera, ) que QS changera d'option constitutionnelle, je parie fort là-dessus. 

Ce printemps, le mouvement étudiant a été remarquable, l’argumentaire, impeccable. La Révolution tranquille n’a pas été complètement inutile ! Mais le mouvement étudiant n’était pas toute la jeunesse, et certainement pas les décrocheurs, ni ceux, excusez l’expression, qui s’en crissent ; il n’incarnait pas non plus le peuple québécois dans toute l’épaisseur de son existence historique, bien loin de là. Il aurait pu cependant nous faire croire que la société québécoise avait réellement changé, et qu’elle avait désormais de nouveaux idéaux démocratiques. À ceux et celles qui pourraient l’espérer, allez lire ce qui s’écrit dans les médias sociaux, allez  suivre sur Twitter la campagne électorale en cours : rien n’a changé, la partisanerie reste aveugle, agressive, et de mauvaise foi ; la gauche pratique la vieille politique du discrédit des personnes comme une pro de droite radoteuse et sénile. Voter, dit-on souvent, est un devoir ; il m’arrive de penser, c’en est même une conviction profonde, qu’il faudrait un code de déontologie de l’électeur, une éthique de l’électeur, une exigence démocratique de l’électeur, avant de pouvoir même voter. Pour devenir citoyens, on vérifie que le candidat a quelques connaissances de base sur le pays qui l’accueille. Ça me fait fantasmer, pour tout dire, qu’on exige la même chose de chaque électeur, avant même de réformer les mœurs électorales, ou le système lui-même. La démocratie ne s’en porterait que mieux. En attendant, c’est le suffrage universel lui-même qui me laisse froid.

À défaut d’indépendance, peut-être faut-il, comme on dit, commencer par le commencement, et nous mériter notre propre démocratie. Une véritable démocratie, qui sorte du parlement, même réformé, et qui s’impose dans tous les lieux de travail, où l’autoritarisme reste encore la norme, telle qu’elle l’était au 19e siècle, exception faite des balbutiements du syndicalisme  – de toute façon écrasé dans le sang. C’est fou ce qu’un cadre peut se croire seigneur féodal, au milieu de ses vassaux, ce qu’un patron d’entreprise peut se croire monarque absolu, gérant selon son bon plaisir. Mais pour ce faire, éliminons le système actuel, la corruption actuelle, la mesquinerie actuelle, en refusant d’aller voter, en masse. Il faudrait être en si grand nombre que le poids écrasant des abstentionnistes discrédite le système lui-même, et ses électeurs fanatiques, gavés d’images, heureux d’être si grossièrement désinformés. Et peut-être, peut-être arriverons-nous à passer d’une liberté à l’autre, de l’inconscience indocile et sarcastique à la liberté publique, collective et juste, parce que corrigeant ce que l’Histoire aura fait de nous.

J’aime les Québécois. J’aime le Québec. Mais le 4 septembre prochain, je n’irai pas voter.