Affichage des articles dont le libellé est nazisme. Afficher tous les articles
Affichage des articles dont le libellé est nazisme. Afficher tous les articles

dimanche 19 novembre 2017

Lecture: L'ordre du jour, d'Éric Vuillard




J’ai lu, presque tout d’une traite, le roman (récit, écrit-il) d’Éric Vuillard, L’ordre du jour, qui lui a valu le prix Goncourt 2017. Roman d’à peine 150 pages — mais quelles pages ! Difficile, pour dire le vrai, de retenir quelque extrait percutant, tant tout ce texte, remarquable, fabuleux travail d’historien, est d’une écriture parfaite, imaginative, ciselée, sobre et somptueuse à la fois. C’est de cette écriture magnifique qu’on reste, humble lecteur, d’abord soufflé. 

Mais ce travail, qui renverse l’Histoire et la fait revivre, petit pas par petit pas, soumise à l’observation d’un microscope, drôle, rageuse et révoltée, a singulièrement interpellé le professeur d’Histoire que je suis. « Et l’Histoire est là, » écrit Vuillard, « déesse raisonnable, statue figée au milieu de la place des Fêtes, avec pour tribut, une fois l’an, des gerbes séchées de pivoines, et, en guise de pourboire, chaque jour, du pain pour les oiseaux. » La déesse s’incarne, sous la plume de Vuillard, la statue vibre, l’Histoire est : c’est probablement l’éloge le plus fort que je puisse faire de cet ouvrage. J’imagine que les membres du jury du Goncourt, devant un tel livre, ont tous été épatés, et souvent, sur le cul.

Vuillard raconte la montée du nazisme, œuvre d’un cartel d’hommes d’affaires qui se sont compromis, jusqu’à l’immonde, avec Adolf Hitler. Eux s’en sont tirés, bien sûr, de la guerre et des procès qui ont suivi. « Ne croyons pas que tout cela appartienne à un lointain passé. Ce ne sont pas des monstres antédiluviens, créatures piteusement disparues dans les années cinquante, sous la misère peinte par Rossellini, emportées dans les ruines de Berlin. Ces noms existent encore. Leurs fortunes sont immenses. Leurs sociétés ont parfois fusionné et forment des conglomérats tout-puissants. » Ils se perpétuent, désormais honorables Allemands, grandes familles européennes, décorées, remerciées, célébrées. « Si l’on soulève les haillons hideux de l’Histoire, on trouve cela : la hiérarchie contre l’égalité et l’ordre contre la liberté. » On trouve le fric assassin.

Si le nazisme s’est nourri de « mots si pauvres qu’on voit le jour au travers », ce n’est pas — je me répète — le cas du roman de Vuillard, dont l’écriture ne se relâche jamais. Une œuvre d’art, parfaite, en contre-jour de ce que l’humanité a vécu de plus glauque, le nazisme, la guerre, l’univers concentrationnaire, l’esclavage, le racisme le plus abject, qui a vu, « parmi la foule hurlante, les Juifs accroupis, à quatre pattes, forcés de nettoyer les trottoirs sous le regard amusé des passants. »






dimanche 3 février 2013

POURQUOI JE NE SUIS PAS MARXISTE: UN PETIT ESSAI





Deux cartes postales étonnantes, fascinantes, puisqu'elles montrent des bâtiments, superbes, et qui n'existent évidemment plus: les pavillons allemand et soviétique, construits pour l'Exposition universelle de Paris de 1937. Les deux pavillons se faisaient face, se regardaient avec hostilité, peut-être parce qu'ils se miraient l'un l'autre d'une manière un peu trop significative... Le pavillon allemand était une création d'Albert Speer. Le soviétique, de Boris Iofane. 

On a l'habitude, depuis l'effondrement de l'URSS, et surtout depuis la reconnaissance de la barbarie concentrationnaire soviétique, de renvoyer dos à dos les deux totalitarismes, le nazisme et le communisme. J'ai toujours eu des doutes «philosophiques» (ou théoriques) sur cette question. Faut-il, comme Robespierre, considérer la «terreur» comme acceptable, voire même nécessaire, si elle est guidée par la «vertu» - entendons, l'incorruptibilité des gens de pouvoir et leur dévouement, inflexible, pour l'égalité sociale ? Autrement dit, le goulag soviétique vaut-il moralement mieux que le camp de concentration hitlérien ? 

Il me semble encore que l'expérience nazie a été et reste l'horreur absolue, et presque le mal en soi, si l'on pouvait, en Histoire, se permettre d'énoncer ce type de jugement moral. C'est tout de même ce que pensait, du nazisme, le président Roosevelt, qui refusera sans cesse, et radicalement, de considérer l'avantage obscène qu'il aurait pu tirer d'une alliance circonstancielle avec l'Allemagne hitlérienne contre l'URSS. Ni Churchill ni de Gaulle n'ont raisonné différemment. Durant la Seconde Guerre mondiale, Staline s'est constamment méfié de ses alliés capitalistes, à tort. Il faut dire qu'il les a aussi trompés, joyeusement, cyniquement, sur ce qu'il faisait expérimenter, au loin, au froid, à ses opposants, souvent parfaitement imaginés. En fait, le projet révolutionnaire soviétique avait la cote, à l'époque, c'est pour le moins: depuis 1929, il était devenu difficile de défendre la liberté absolue du capital (et la «liberté du pauvre»), quand, à Washington même, le président Hoover faisait tirer sur d'anciens combattants de la Grande Guerre, installés en ville dans des campements de fortune, et qui réclamaient l'aide urgente du gouvernement fédéral: l'armée américaine avait fait feu sur ces indignés, en 1932. Roosevelt savait, se souvenait, tout comme il connaissait la virulence avec laquelle la grande bourgeoisie pouvait résister aux réformes sociales qu'il projetait pour «civiliser» le capitalisme. Au milieu des années 40, la critique des idéaux sociaux portés par le communisme était en conséquence plutôt molle. Ses méthodes de gouvernement, facilement excusées.

L'élite nazie était parfaitement au fait de ce que la défaite signifierait pour elle, et de ce qu'elle aurait à expliquer, du crime de guerre et du crime contre l'humanité qu'elle avait perpétrés et motivés.  Mais les goulags ? Mais les déportations de populations civiles ? Mais la construction du socialisme, financé par l'exploitation de masse des paysans, jusqu'à provoquer, à force de prélèvements, des famines atroces ? Robespierre aurait-il vu là des pratiques acceptables, («vertueuses»), contre les profiteurs d'un système capitaliste incontestablement violent, contre les corrupteurs d'une cause, le socialisme, à même d'excuser tous les sacrifices ? Je doute que les dirigeants soviétiques aient jamais imaginé pouvoir être traînés devant un tribunal international, malgré ce qu'a révélé le célèbre rapport du Premier secrétaire Khrouchtchev, au XXe Congrès du parti communiste, en 1956. Le rapport dénonçait les «crimes de Staline», et de lui seul, sans jamais mettre en cause l'idéologie marxiste elle-même. Rosa Luxembourg ne l'avait pas fait davantage, quand elle avait vertement critiqué, en 1918, le stratagème discutable, lourd de conséquences, avec lequel Lénine s'était emparé du pouvoir en Russie. C'était le coup d'État d'octobre 1917 qui était coupable, mais certainement pas le mobile social qui le justifiait. C'était, en toute logique, Staline seul qui allait par la suite être l'unique coupable de dérives déplorables... Il s'en trouve pour le croire encore. Pourquoi ? Comment expliquer ?

Je ne suis pas marxiste; je ne l'ai jamais été. Je ne peux pas croire en quelque finalité que ce soit, et pour moi, une finalité matérialiste reste une mystique, en tant que telle dangereuse, comme le sont toutes les religions. Le communisme intégral, l'homme pleinement responsable, c'est de l'opium particulièrement épuré. Mais parce qu'il se soucie de l'immense majorité des êtres humains et des plus exploités parmi eux, de leurs besoins indispensables, de leur épanouissement, et de leur bonheur, le marxisme, comme toute autre religion, a cette noblesse spirituelle (d'autres diront: morale) qui gênera, toujours, la critique impitoyable de l'expérience communiste, et empêchera l'amalgame avec le double terrible à qui il a montré la méthode, bien simple, pour gouverner avec une effroyable efficacité.




Paris, Trocadéro: les deux pavillons, face à face. Source: Google Images









lundi 16 avril 2012

L'HISTOIRE PAR L'IMAGE


Source: http://www.histoire-image.org/index.php



L'affiche est de l'Action française, ( où militaient Maurice Barrès, Charles Mauras, Jacques Bainville, ) contre un gouvernement de gauche, élu en 1936, dirigé par un Juif, Léon Blum. Au même moment, en Allemagne, Hitler préparait la guerre, activement, depuis 1936, au moyen du rétablissement, parfaitement illégal en droit international de l'époque, du service militaire obligatoire, et laissait se développer une entreprise démentielle contre la communauté juive, peu sioniste en ce temps-là, allemande de fait et de coeur, à l'exemple d'Einstein, qui avait repris sa nationalité allemande en 1919 pour protester contre l'ignoble traité de Versailles...

La France est déchirée. La guerre menace. Faut-il la faire encore une fois contre l'Allemagne, qui répète qu'elle ne veut pas de la guerre, que ce sont les Juifs qui la veulent, qu'ils préméditent d'en faire une entreprise à la rentabilité énorme, gigantesque, plus encore que tout ce qu'ils possèdent déjà ? La droite se déchaîne contre ce gouvernement Blum, riche et juif, qui pousse [ si peu, pourtant ! ] à la guerre, au profit des Juifs, qui ne sont pas même Français. La participation française à l'holocauste se prépare... En France, une partie importante de la droite, déjà en 1937, admire le projet hitlérien et souhaite s'en rapprocher. Louis-Ferdinand Céline publie, en 1938, Bagatelle pour un massacre, long, très long pamphlet antisémite complètement délirant. Hitler est son « pote ». Il n'est pas le seul à le penser. La guerre éclate en 1939. La France s'écroule et s'humilie. Une partie importante de la droite fascisante saute sur l'occasion de la défaite, rencontre Hitler, le célèbre, prévient même ses exigences. La collaboration durera jusqu'en 1944.

Voilà tout ce qui s'annonce, et se comprend après coup, dans cette terrible affiche de l'Action française de 1937. L'aveuglement coûtera 50 millions de morts au monde, et à la France, quatre années d'une terrible Occupation. Elle en garde encore des séquelles. Et à tout prendre, la droite française de l'époque n'a que peu payé de ses errements.

Pourquoi je raconte tout ça ? En fait, pour faire la promo, parfaitement gratuite, d'un site historique superbe, précis, rigoureusement documenté, qui se se regarde et se lit comme un roman feuilleton passionnant: 1789-1945, l'Histoire par l'image. C'est là que j'ai trouvé l'affiche de 1937. J'ai passé des heures sur le site. Il y a encore à visiter. C'est du beau travail, un bel exemple de ce que le réseau Internet peut faire pour agrémenter la diffusion du savoir, sans renoncer à la science.

Jetez y un oeil, vous ne regretterez pas. C'est de l'histoire telle qu'elle se fait maintenant, globale, populaire, sans sacrifier aux idoles.