dimanche 3 février 2013

POURQUOI JE NE SUIS PAS MARXISTE: UN PETIT ESSAI





Deux cartes postales étonnantes, fascinantes, puisqu'elles montrent des bâtiments, superbes, et qui n'existent évidemment plus: les pavillons allemand et soviétique, construits pour l'Exposition universelle de Paris de 1937. Les deux pavillons se faisaient face, se regardaient avec hostilité, peut-être parce qu'ils se miraient l'un l'autre d'une manière un peu trop significative... Le pavillon allemand était une création d'Albert Speer. Le soviétique, de Boris Iofane. 

On a l'habitude, depuis l'effondrement de l'URSS, et surtout depuis la reconnaissance de la barbarie concentrationnaire soviétique, de renvoyer dos à dos les deux totalitarismes, le nazisme et le communisme. J'ai toujours eu des doutes «philosophiques» (ou théoriques) sur cette question. Faut-il, comme Robespierre, considérer la «terreur» comme acceptable, voire même nécessaire, si elle est guidée par la «vertu» - entendons, l'incorruptibilité des gens de pouvoir et leur dévouement, inflexible, pour l'égalité sociale ? Autrement dit, le goulag soviétique vaut-il moralement mieux que le camp de concentration hitlérien ? 

Il me semble encore que l'expérience nazie a été et reste l'horreur absolue, et presque le mal en soi, si l'on pouvait, en Histoire, se permettre d'énoncer ce type de jugement moral. C'est tout de même ce que pensait, du nazisme, le président Roosevelt, qui refusera sans cesse, et radicalement, de considérer l'avantage obscène qu'il aurait pu tirer d'une alliance circonstancielle avec l'Allemagne hitlérienne contre l'URSS. Ni Churchill ni de Gaulle n'ont raisonné différemment. Durant la Seconde Guerre mondiale, Staline s'est constamment méfié de ses alliés capitalistes, à tort. Il faut dire qu'il les a aussi trompés, joyeusement, cyniquement, sur ce qu'il faisait expérimenter, au loin, au froid, à ses opposants, souvent parfaitement imaginés. En fait, le projet révolutionnaire soviétique avait la cote, à l'époque, c'est pour le moins: depuis 1929, il était devenu difficile de défendre la liberté absolue du capital (et la «liberté du pauvre»), quand, à Washington même, le président Hoover faisait tirer sur d'anciens combattants de la Grande Guerre, installés en ville dans des campements de fortune, et qui réclamaient l'aide urgente du gouvernement fédéral: l'armée américaine avait fait feu sur ces indignés, en 1932. Roosevelt savait, se souvenait, tout comme il connaissait la virulence avec laquelle la grande bourgeoisie pouvait résister aux réformes sociales qu'il projetait pour «civiliser» le capitalisme. Au milieu des années 40, la critique des idéaux sociaux portés par le communisme était en conséquence plutôt molle. Ses méthodes de gouvernement, facilement excusées.

L'élite nazie était parfaitement au fait de ce que la défaite signifierait pour elle, et de ce qu'elle aurait à expliquer, du crime de guerre et du crime contre l'humanité qu'elle avait perpétrés et motivés.  Mais les goulags ? Mais les déportations de populations civiles ? Mais la construction du socialisme, financé par l'exploitation de masse des paysans, jusqu'à provoquer, à force de prélèvements, des famines atroces ? Robespierre aurait-il vu là des pratiques acceptables, («vertueuses»), contre les profiteurs d'un système capitaliste incontestablement violent, contre les corrupteurs d'une cause, le socialisme, à même d'excuser tous les sacrifices ? Je doute que les dirigeants soviétiques aient jamais imaginé pouvoir être traînés devant un tribunal international, malgré ce qu'a révélé le célèbre rapport du Premier secrétaire Khrouchtchev, au XXe Congrès du parti communiste, en 1956. Le rapport dénonçait les «crimes de Staline», et de lui seul, sans jamais mettre en cause l'idéologie marxiste elle-même. Rosa Luxembourg ne l'avait pas fait davantage, quand elle avait vertement critiqué, en 1918, le stratagème discutable, lourd de conséquences, avec lequel Lénine s'était emparé du pouvoir en Russie. C'était le coup d'État d'octobre 1917 qui était coupable, mais certainement pas le mobile social qui le justifiait. C'était, en toute logique, Staline seul qui allait par la suite être l'unique coupable de dérives déplorables... Il s'en trouve pour le croire encore. Pourquoi ? Comment expliquer ?

Je ne suis pas marxiste; je ne l'ai jamais été. Je ne peux pas croire en quelque finalité que ce soit, et pour moi, une finalité matérialiste reste une mystique, en tant que telle dangereuse, comme le sont toutes les religions. Le communisme intégral, l'homme pleinement responsable, c'est de l'opium particulièrement épuré. Mais parce qu'il se soucie de l'immense majorité des êtres humains et des plus exploités parmi eux, de leurs besoins indispensables, de leur épanouissement, et de leur bonheur, le marxisme, comme toute autre religion, a cette noblesse spirituelle (d'autres diront: morale) qui gênera, toujours, la critique impitoyable de l'expérience communiste, et empêchera l'amalgame avec le double terrible à qui il a montré la méthode, bien simple, pour gouverner avec une effroyable efficacité.




Paris, Trocadéro: les deux pavillons, face à face. Source: Google Images









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