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lundi 5 septembre 2016

De l'impossibilité d'être marxiste






« L’identification du communisme avec la révolution s’est installée dans les esprits plus tard, [après la Commune de Paris, de 1871], lorsque les disciples de Marx vont s’emparer des outils théoriques qu’il a forgés, pour croire et faire croire à la mission salvatrice de son utopie. La substitution entre révolution et communisme s’est faite car l’une et l’autre sont avant tout des concepts. La quête de la révolution au XIXe, devenue la quête du communisme au XXe, n’a rien à voir avec une quelconque aspiration des peuples, travaillés par des forces irrésistibles, qui voudraient changer de type de régime. Elle exprime plutôt le désir d’une élite intellectuelle d’œuvrer au renversement radical de l’ordre existant. Lénine, qui s’empare du pouvoir en Russie en octobre 1917, est un avatar de ce volontarisme. » - Thierry Wolton, Une histoire mondiale du communisme: Une main de fer, publié chez Grasset, en 2015.

Le désir d’une élite intellectuelle…

On pourrait dire la même chose, faire la même analyse de plusieurs théoriciens actuels de la « révolution » et du socialisme soi-disant nouvelle manière. Il a beau y avoir eu rupture, au moins apparente, avec le marxisme-léninisme, et son horrible rejeton (pourtant très ressemblant), le stalinisme, l’idéalisme révolutionnaire reste l’affaire d’une élite intellectuelle qui rêve de pouvoir pour elle-même. Robespierre, déjà, n’aimait la « vertu » et la « terreur » que si lui seul, pour l’essentiel, les imposait. Or, Robespierre, c’est le « modèle ». Il est bon de s'en souvenir.

Je ne suis pas marxiste, je ne l’ai jamais été, parce que le marxisme se transforme lui-même en religion quand il dit croire en une finalité de l’Histoire. Le communisme porte en lui-même une mystique religieuse de la Révolution, et donc un concept utopiste de paradis, même s’il est maquillé en prétention matérialiste de « communisme intégral » et d’« homme pleinement responsable ». Je ne suis pas non plus marxiste parce que j’ai toujours détesté les élites, les hiérarchies, les cercles universitaires, les guides, les puissants et les dominants de toutes sortes, à vrai dire toutes celles et tous ceux qui se sont voulus ou qui s’imaginent toujours en mission totalitaire, disposant de l’unique vérité.

J’adhère donc tout à fait à l’hypothèse centrale de l’œuvre de  Thierry Wolton. Je ne suis, je ne peux être d’aucune religion, d’aucun système. Je crois beaucoup trop à la liberté chaotique, et à l’anarchie du développement historique, pour présumer d’une quelconque illusion systémique. Je ne crois pas que l’Histoire ait un sens, et que cette direction soit l’affaire d’une élite qui s’arroge le droit de penser pour le peuple. Cette prétention est tout aussi méprisable à droite qu’à gauche. Au reste, cette élite a de longtemps constaté (hélas) l’ineptie du potentiel révolutionnaire populaire, sur lequel Marx s’est lourdement trompé. 

C’est la raison pour laquelle je ne compte qu’en l’humanisme, un humanisme progressiste qui, de toute urgence, doit toujours parer aux dangers — idéologiques —  les plus criants.




lundi 13 juin 2016

L’intensification de la haine: d’Anita Bryant à Omar Mateen




En Floride, dans les années 70, et l’affaire s’est prolongée jusque dans les années 80, voire même 90, la religion entretenait déjà la haine et l’intolérance à l’encontre des hommes et des femmes — des êtres humains — homosexuelLEs. La tourmente trouvait son origine à Orlando. Déjà. Cette ville n’est pas que l’illusion chimérique de Disney, loin de là.

C’était une chanteuse qui radicalisait le débat, au nom des valeurs chrétiennes: elle s’appelait Anita Bryant. Elle entretenait et diffusait les pires préjugés, et rencontrait un écho immensément favorable dans la population, bien sûr, parce qu’il était courant, à l’époque, d’exprimer sans gêne aucune, la haine viscérale et le dégoût extrême qu’inspiraient à d’innombrables individus, qui se drapait dans une morale sexuelle irréprochable, les hommes et les femmes gays, leur amour et leur sexualité immondes.

Personne, sauf de rares exceptions, ne s’en scandalisait. Il y avait, à Québec, d’où je viens, et même dans mon cercle d’amis le plus proche, des gars et des filles qui s’amusaient à former leur caractère (et leur identité) à coups d’intimidation, de violence et de mépris. Les prêtres du Petit Séminaire, où j’étudiais, n’y voyaient jamais rien à redire. C’était dans le goût d’Anita Bryant. Cette dame, cette bonne chrétienne, a contribué à polluer mon adolescence, ma toute première jeunesse — jusqu’à ce que j’envoie tout promener, que je m’éloigne, que je m’accorde la liberté d’être ce que je suis, que j’apprenne qu’il y a cette chose merveilleuse qu’est l’humanisme, cette chose fondamentale qu’est la science, cette chose incontournable qui s’appelle l’histoire.

L’homophobe imprégné de convictions religieuses absolument réactionnaires, qui a commis un crime sans nom, aujourd’hui, en Floride, me rappelle l’époque d’Anita Bryant. Elle a aujourd’hui 76 ans. J’imagine qu’elle voit en Omar Mateen, bien que de religion différente, son héritier spirituel. Tous deux s’inspirent du même délire religieux — et on parle bien de délire, en effet, quand on croit qu’il y a un dieu qui surveille nos faits et gestes, qui fronce des sourcils et punit quand il le faut, qui exige des sacrifices humains, qui dicte la bonne conduite à suivre, et, surtout, qui se substitue au savoir, à l’humanisme, et à l’histoire. 

Mateen était, parait-il, scandalisé par la « vision » de deux hommes manifestement amoureux, inquiet de ce que le spectacle navrant de cet amour exprimé en pleine rue, à Miami, pourrait avoir sur l’esprit de son jeune fils. Dommage que personne n’ait fait lire au tueur potentiel, au ravageur, à l’assassin, l’admirable lettre que Michael, personnage central des Chroniques de San Francisco, avait écrite à sa mère, en 1977. Maupin, l’auteur, l’a insérée dans le tome 2 des Chroniques, et il semble qu’il l’ait écrite, en fait, pour signifier à ses propres parents sa réalité, telle qu’elle était, telle qu’elle ne pouvait être autrement. (Son père aurait parfaitement compris la manœuvre, et aurait en conséquence rejeté son fils. Et peut-être, allez savoir, a-t-il souhaité pour lui les flammes de l’enfer — qui existent, comme de juste. En douter, cela ne nous dispense pas du respect que l’on doit à celles et ceux qui y croient, même quand ils hurlent leur rage et qu’ils frappent à l’aveugle…)

Voici quelques extraits de cette lettre remarquable. Elle est encore, presque mot pour mot, terriblement d’actualité, en cette journée de deuil effroyable. Elle reste, dans l’histoire de la libération homosexuelle, une pièce d’anthologie.

« Chère Maman,

…Je suppose que je ne vous aurais pas écrit si vous ne m’aviez pas parlé de votre participation à la campagne « protégeons nos enfants ». C’est cela, plus que toute autre chose, qui m’a fait prendre conscience que je devais vous dire la vérité : que votre propre fils est homosexuel et que je n’ai jamais eu besoin d’être protégé de quoi que ce soit, hormis de la cruelle et ignorante piété de gens comme Anita.

…J’aurais aimé [quand j’étais enfant] que quelqu’un de plus âgé et de plus avisé que les gens d’Orlando me prenne à part et me dise : « Il n’y a rien de mal à ce que tu es, petit. Tu pourras devenir docteur ou professeur, exactement comme n’importe qui d’autre. Tu n’es ni fou, ni malade, ni dangereux. Tu peux réussir, trouver le bonheur et la paix avec des amis —toutes sortes d’amis — qui se ficheront éperdument de savoir avec qui tu couches. Et surtout, tu peux aimer et être aimé, sans devoir te haïr pour autant. »

…Je sais que je ne peux pas vous dire ce que c’est d’être gay. Mais je peux vous dire ce que, pour moi, ce n’est pas de l’être. C’est ne pas se cacher derrière des mots, maman. Des mots comme famille, convenances ou chrétienté. …Être gay m’a enseigné la tolérance, la compassion et l’humilité. Cela m’a montré les possibilités illimitées de l’existence. Cela m’a fait connaître des gens dont la passion, la gentillesse et la sensibilité ont été pour moi une constante source d’énergie.

Cela m’a fait entrer dans la grande famille de l’Humanité, maman. Et cela me plaît. J’y suis bien.»…





mercredi 16 octobre 2013

MARIE-ANTOINETTE, OU QUAND ON PERD LA TÊTE...


Croquis de David, 1793



Il y a 220 ans, aujourd’hui même, Marie-Antoinette, ci-devant reine de France, veuve Capet depuis l’exécution de Louis XVI, son époux, avec qui elle était mariée selon le rite catholique le plus strict, se dirigeait (un peu forcée) vers l’échafaud, pour apprécier à sa juste mesure l’efficacité du grand «rasoir national»... Le peintre Louis David s’était placé sur son chemin, et s’était rendu ensuite (en courant ?) Place de la Révolution (devenue depuis Place de la Concorde) pour voir, de ses yeux vus, la lame trancher le cou royal. (Comme tout mécréant, David était de ceux qui ne croyaient que ce qu’ils touchaient, ou presque...) D’où, les deux dessins qu’il a rapidement tracés, hyper célèbres, mais qui, selon certains, ne sont pas vraiment de beaux dessins...

La reine était devenue presque aveugle: elle n’y voyait plus rien, ce qui explique, peut-être, qu’elle écrasa le pied du bourreau, par inadvertance, et qu’elle s’en excusa, pleine de politesse et de sainte componction. Elle avait 38 ans. Elle en avait l’air du double, tant elle avait vieilli prématurément, mais on lui interdisait de porter quelque maquillage dissimulant ou crème qui masque... Elle n’avait plus le cheveu blond, mais blanc, et ne pouvait plus se faire coiffer à sa guise, chaque matin, comme toute femme libre de son corps pourrait le faire, une misère - bien que le matin de son exécution, on lui ait fait une petite coupe rafraichissante, que sa servante, tant bien que mal, avait cachée d’un simple bonnet sans ostentation... Les dessins de David sont là-dessus sans pitié. Ce sont les seules «photographies» de l’événement dont nous disposons. On peut leur supposer la bonne foi...

Durant son procès, la reine avait été odieusement calomniée, citée hors contexte, traînée dans la fange et dans la boue, accusée (sans preuve aucune) de félonie péquiste, toutes choses qui, de nos jours, seraient absolument impensables - particulièrement de journalistes intègres et chevronnés, s’exprimant sur les réseaux sociaux (le peuple hurlant et braillant des insultes, c’était, en ces temps de barbarie vulgaire, évidemment autre chose...) On avait privé la reine, dans son cachot sombre et froid, de tout signe religieux ostentatoire: l’époque était à l’incroyance militante, et l’esprit fort que je suis (athée, en plus) est embarrassé d’avoir à révéler pareille confiscation ignominieuse, avec ce qui n’était, après tout, que manière de bouts de tissus insignifiants, de morceaux de bois, rien de bien dangereux, qui auraient pu consoler le coeur de la malheureuse... Le fait est que la reine, rendue à sa dernière heure, refusa net de se confesser, malgré le prêtre qui la suppliait de le faire, encore dans la charrette brinquebalante qui la menait à sa triste fin: « allons, madame, lui disait-il, le siècle qui vient sera religieux ou ne sera pas, les croyants espèrent de vous, faites le pari de Dieu, sauvons la France et le monde du péril de la laïcité civique. » La reine, privée trop longtemps de signes ostentatoires, en avait perdu la tête, avant même que de la perdre plus concrètement encore, tout au fond d’un panier outrageusement laïque et républicain...

Marie-Antoinette a été sacrifiée. Elle eut, sur le fait, un petit sourire de béatitude, le dessin de David témoigne clairement de la chose. Jamais preuve de la réalité du Paradis n’a été aussi éclatante, du moins c’est ce que prétendent, encore de nos jours, les zélotes du Sabre et de la Croix, des Soucoupes volantes et des Textiles en tout genre... La reine n’est jamais «revenue», pas d’apparition ni rien, et n’a pu témoigner du Ciel, comme certains d’entre nous pourraient, encore de nos jours, l’espérer contre toute science et tout bon sens. Restent Lourdes et Sainte-Anne, dans l’attente...

Paix à la reine. Il y a 220 ans.


PS Si ce récit offre quelque ressemblance avec ce qui se passe au Québec, ce ne serait là que le fruit d’un hasard inspiré. N’y voyez (probablement) rien d’autre que la main de Dieu.






vendredi 4 octobre 2013

LES AVEUGLES GUIDENT LES AVEUGLES


Bruegel l'Ancien. La parabole des Aveugles. 1568.



Quand l’Univers sera vieux, dans 50 milliards d’années, la distance séparant les amas, les nébuleuses, les galaxies et les objets sera si grande que le noir séparant les points lumineux effacera toute lumière. Les étoiles seront aveugles les unes aux autres parce que le noir aura tout noirci. Nous serons bien avancés. L’expansion de l’Univers connu est l’annonce d’une immense solitude, d’un isolement glacial dans le milieu de rien. Or, voilà la finalité du monde : l’érosion, l’épuisement, l’aplatissement. Car il est clair que l’Univers manufacture du rien à la vitesse de la lumière, il fabrique du vide à la mesure d’une énergie qu’il disperse à l’infini. Nous sommes un mince filet entre deux néants : le temps passé qui s’accumule, et le futur qui est si creux que nous ne parviendrons jamais à le meubler... Le néant est si plat que la lumière y meurt d’ennui. 


- Serge Bouchard, C’était au temps des mammouths laineux.






dimanche 8 septembre 2013

ET POURTANT ELLE TOURNE: une réponse aux «cent intellectuels contre l'exclusion»




Cent intellectuels, journalistes, écrivains, économistes, professeurs, (même de cégep !), ont publié une lettre ouverte annonçant et dénonçant, tout en même temps, la perfidie du projet gouvernemental de charte dite des «valeurs» — en fait, pour ce qu’on en sait, un projet de loi garantissant la neutralité religieuse de l’État, de ses lois et de ses services, espaçant une administration publique sans religion d’un citoyen, qui lui, peut bien croire à ce qu’il veut, dans les lieux qu’il choisit, librement.

Cent intellectuels qui dénoncent, ça impressionne, et c’est le but recherché, bien sûr, une « impression ». En fait, le texte des Cent, c’est l’expression même d’une neutralité planifiée.

Je ne suis pas un intellectuel. Je ne suis qu’un simple (et ancien) professeur d’histoire – de cégep, c’est dire à quel point je suis anémique, côté doctrine ! Je ne suis pas connu, je n’ai pas de plan de carrière, je n’appartiens à aucun réseau ; je n’ai pas d’intention politique partisane en écrivant ce texte. Je ne suis qu’un citoyen, unique et solitaire, que le système supplie pourtant de voter, ce qui implique que j’aie une pensée qui se tienne, et que j’aie en horreur qu’on tente de me manipuler la cervelle. (C’est paradoxalement une des raisons pour lesquelles je ne vote plus, mais c’est là une autre histoire.)

Disons l’évidence tout de suite : cette « charte », étant donné l’Assemblée nationale du Québec telle qu’elle est composée en ce moment, n’a aucune espèce de possibilité d’être adoptée. Et je doute fort que le gouvernement engage sa responsabilité ministérielle sur ce projet de loi, et qu’il risque des élections là-dessus. C’est donc de principes et de convictions dont on discute. Et il y a, dans la lettre ouverte des Cent, des éléments de croyance avec lesquels je suis d’accord, sans «croire». Commençons donc par les compliments.

Bien évidemment que je les rejoins quand les Cent reprochent l’obstination que le gouvernement du Québec met à figer, pour l’éternité, le crucifix, le plus important des objets du culte chrétien, au-dessus du «trône» du Président de l’Assemblée nationale, en considération du patrimoine national à préserver. Cet entêtement est d’autant plus ridicule que c’est Duplessis qui l’y a placé là, et que plus personne n’y croit, tel quel, à ce sacrifice divin, pas plus qu’il nous viendrait à l’idée de croire aux charmantes procédures de meurtres sacrificiels qu’on a pratiqués, de-ci de-là, ailleurs sur cette planète. Comment penser que la première ministre Marois, la même qui veut l’indépendance, qui sait la forte turbulence que cette révolution provoquera si elle advient, mais qui la veut quand même et qui en assume le risque calculé, comment penser que la même Mme Marois puisse redouter les sursauts de l’opinion, et reculer devant la turbulence passagère (appréhendée) que provoquerait le décrochage d'un crucifix dans l’espace politique ? Qui donc s’est soucié, sérieusement, il y a 50 ans, du leader créditiste Camil Samson qui déplorait qu’on sorte le crucifix des écoles ? Si, avec raison, on ne s’illusionne jamais du silence apparent d’un signe, on ferait erreur de considérer le crucifix que pour un simple objet, sans autre signification qu’une nostalgie culturelle. Il faudrait que cette charte, qu’écrit le gouvernement, soit l’Édit de Nantes, et non sa révocation.

Ailleurs dans leur lettre, les Cent disent croire au « principe de neutralité religieuse [qui vient] protéger la liberté de conscience et de pensée ». On salue, ici, une sélection de mots prudemment choisis, et d’ailleurs parfaitement justes. Mais la modernité fait depuis au moins trois siècles la différence essentielle et radicale entre la liberté de pensée et de conscience, et la complaisance pour les « superstitions ». C’est ce qui a permis à la pensée scientifique de prendre son envol. C’est ce qui a permis aux institutions politiques d’évoluer, jusqu’à renverser la monarchie de droit divin, et à inventer une loi qui soit autre chose qu’une révélation. C’est ce qui a donné une crédibilité au « droit naturel », à ces « vérités qui sont [si] évidentes par elles-mêmes » qu’on ne s’éternise pas à les expliquer. Ce n’est pas rien, comme acquis. Et ce n’est surtout pas, surtout pas religieux.

Moi, l’humble citoyen que je suis, avant que d’expliquer en quoi je me sépare de la lettre ouverte des Cent, j’affirme croire à l’audace des petits espaces de liberté dans le monde, comme la France l’a été, un temps, au temps de la Révolution. Et je crois que les petites nations peuvent être le cadre d’expériences de neutralité étatique, légale et juridique bien réelles, qui marquent profondément de leur empreinte le « concert des nations », nations qui n’ont de cesse de s’écouter les unes les autres, quoi qu’il en semble, parfois.

Mais, venons-en au fond des choses, et à ce qui fait que si j’étais quelqu’un qui compte, je n’aurais pas signé cette lettre ouverte à tous.

À les lire attentivement, et à les en croire, les Cent se seraient opposés, autrefois, aux principes mêmes de la Révolution française, parce qu’ils y auraient vu de l’occidentalocentrisme, et qu’ils auraient regardé la déchristianisation comme une menace aux droits universels de l’homme quant à l'exercice des religions. En fait, tout leur raisonnement part de cette apriorité, s’appuie sur cette conviction de base, qu’il y a la possibilité de Dieu. Or s’il y a Dieu, il y a une vérité révélée, et fatalement, une Loi au-dessus de toutes les lois humaines. Ça ne peut pas être autrement. Accepter Dieu, c’est reconnaître sa « suprématie », comme le dit expressément la Constitution canadienne, en parfaite logique, d’ailleurs.  Les Cent célèbrent donc le fait même d’une société «pluri-religieuse», enrichies de « traditions » religieuses « venues d’ailleurs », qui cohabitent « dans le respect de la spiritualité et de la liberté de conscience de chacun » : tout est là, en effet, dans cette alliance surprenante (quand même), mais nouvelle et éternelle entre la faucille et le goupillon. Déjà, bon dieu, qu’on n’est même pas débarrassés, complètement, des trônes et des évêques, et de cette illusion criminelle qu’il y a une vie après la mort, avec une morale conditionnelle et effroyablement répressive pour y accéder, voilà que se profile l’alliance entre la prière et l’action révolutionnaire !

Et l’ennemi, quel est-il ? C’est cette « communion nationale défensive et hargneuse », ce « fantasme [laïc, neutre,] d’une définition non conflictuelle de la collectivité québécoise » qui se trouve pourtant « des proies faciles » avec ce « projet répressif et diviseur ». Diviseur ! On croirait lire Trudeau, le Trudeau du début des années 60, lorsqu’il était encore du NPD (et que le NPD était encore le NPD.)  Et on note, bien sûr, la contradiction, immatérielle, entre la négation consternante des conflits, mais l’avivement tout aussi pénible de conflits, tout cela du fait d’un seul et même gouvernement, dissimulateur, qui se lève tôt le matin pour y arriver. Au demeurant, de quels « conflits » parle-t-on au juste ? Et de quelle « négation » ? De la lutte des classes ? Elle a toujours été, elle sera toujours, elle est depuis longtemps noble et souvent admirable, et ce n’est pas une loi sur la laïcité qui va la nier. Mais en quoi, je me le demande, en quoi la promotion insidieuse de la croyance en Dieu, en quoi ce fantasme spirituel auquel souscrivent les Cent, est-il préférable pour assurer à la fois la paix sociale et la juste révolution des opprimés ? Quelle religion, au Québec, fait-elle sienne, en ce moment même, des principes de la théologie de la libération ?

Quand les Cent écrivent, sans sourciller, que « le PQ [pour le gouvernement] se donne des airs de souveraineté en se trouvant des proies faciles », il profère une accusation grave, démagogique, et dangereuse, parce que les signataires savent parfaitement bien que c’est faux, et qu’aux extrêmes, il peut s’en trouver pour conférer une valeur mystique à l’argument. La lettre ouverte des Cent nourrit un incroyable (incroyable, c’est le mot!) fantasme inspiré, qui promeut la justice révolutionnaire par le biais d’un dieu et de ses disciples. Jamais je n’ai eu sous les yeux un texte qui prend aussi rigoureusement au pied de la lettre le remplacement purement cosmétique du marxisme par la religion, quelle qu’elle soit. C’est du délire. C’est de l’intimidation. C’est du mensonge éhonté.

Quelles preuves les Cent détiennent-ils quand ils écrivent, indifférents à l’énormité de l’imputation, que « l’exclusion des signes évocateurs des croyances est la porte ouverte à l’exclusion des êtres eux-mêmes » ? Et si, tout au contraire, et parce que dieu n’existe pas, c’était l’exclusion de signes et de symboles qui ne signifient rien, qui ne représentent rien, qui facilitait l’inclusion, l’égalité, la justice, le juste partage et l’affection ? Et si c’était l’exclusion de signes et de symboles dangereux parce que porteurs de morales d’autant plus répressives qu’on les croit dictées par dieu, qui pouvait, enfin, apaiser la haine contre les femmes, les gays, les incroyants, les anarchistes, les libertaires, les scientifiques ? Elle tourne, la terre, vous savez, et pourtant elle tourne ! De sorte que c’est d’un charlatanisme incroyable, quand la lettre ouverte des Cent s’achève sur ces mots, à faire pleurer de bêtise: « Les femmes, qui sont déjà plus souvent qu’autrement [sic] défavorisées par les rapports de pouvoir et de production dans lesquelles elles s’insèrent, seront d’ailleurs les principales victimes de ces mesures législatives. » Ça n’existe plus, « les femmes », pas plus que dieu n’existe ; il y a maintenant des femmes de pouvoir ; elles n’ont rien révolutionné du tout ; elles participent à la reproduction des classes sociales, comme les hommes, elles s’enrichissent, elles bouffent de ce qu’elles prennent aux autres, et elles savent utiliser une matraque. Il y a des femmes, c’est vrai, peu scolarisées, et refoulées, toujours et encore, vers des emplois traditionnellement réservés aux femmes. Qu’est-ce qui prouve, mais qu’est-ce donc qui prouve, hors de tout doute, que la disparition de signes religieux des lieux de l’administration publique va chasser certaines femmes de minorités religieuses d’emplois traditionnellement réservées aux femmes ? Croire cela, c’est croire en un argument démagogique, particulièrement fallacieux.

Les Cent redoutent que «cette laïcité [d’État] consiste (…) à forcer un processus de sécularisation», que « cette réactivation programmée des passions tristes et mesquines [ne soit] pas à la hauteur des valeurs largement partagées ici comme ailleurs » : un programme, bien sûr, un programme forcé, un complot, tiens, déjà qu’il a fallu du temps pour se défaire de l’autre complot, avec lequel certains leaders de notre gauche bien d’ici ont longtemps flirté ! Décidément, Malraux avait raison : le XXIe siècle allait être religieux, et croire aux forces occultes !


Cette lettre des Cent attise, excuse, et pardonne à priori, par ses préjugés, ses lieux communs, ses raccourcis idéologiques commodes, la haine des uns contre les autres, pour mieux lutter contre un nationalisme québécois depuis belle lurette associé au mal en soi, au repli sur soi, au racisme et à l’exclusion. En fait, cette lettre attise la haine des autres pour les «Québécois», ramenés qu’aux seuls francophones de souche, elle divise parce qu’elle isole des autres la population d’accueil, elle libère contre cette population une parole violente et méprisante, et se propose comme moderne, alors qu’elle refuse la modernité culturelle qui n’a plus de religion. Cette lettre refuse la modernité de ce que sont les Québécois, et leur ouverture aux autres, pour les maintenir dans le mépris qui, depuis 1760, n’a jamais manqué de relais.

En 1977, au moment où l’Assemblée nationale adoptait la Charte de la langue française, un député libéral s’exclamait, scandalisé, éperdu: « c’est la Conquête que vous niez avec cette loi ! » À lire la lettre des Cent, on croirait les entendre crier: « mais c’est la grandeur de dieu et de ses commandements que vous niez avec cette loi ! » 

PS (en guise de conclusion)
Ça n’existe pas, dieu, ça n’existe pas les commandements de dieu, ça n’existe pas les interdits de dieu, ça n’existe pas les froncements de regard de dieu, ça n’existe pas les exigences de dieu, ça n’existe pas les punitions de dieu, ça n’existe pas les prescriptions de dieu, ça n’existe pas, rien de ça, pour une raison bien simple, ça n’existe pas, dieu. Peut-être qu’on pourrait se rappeler cette vérité de base, de temps à autre, et contempler les photos fabuleuses, mais parfaitement athées, de Hubble, et s’étonner de cette photo extraordinaire de l’univers, 300,000 ans après le Big Bang... Non ? Peut-être qu’on pourrait lutter contre l’exclusion et le racisme par l’incroyance et l’athéisme, non ? Peut-être que l’humanisme athée a encore un sens, non ?

Quand on connaîtra la charte, il se peut que je m’y oppose (sans que ça n’aille aucune importance, d’ailleurs) si la neutralité est trop timide, trop hésitante, trop peureuse devant dieu. J’espère que le gouvernement ira jusqu’au bout, sans entendre les Tartuffes de gauche, qui, l’œil au ciel, en extase humanitaire, prônent le maintien de toutes les superstitions.

PS2
Je refuse, et je refuserai toujours d’être récupéré par la droite haineuse et sectaire. Mais j’admire, et j’admirerai toujours, les personnes qui, par foi, font le bon, le juste et le bien.

Note : La lettre ouverte des Cent se trouve ici : http://fr.scribd.com/doc/166137142/nos-valeurs-excluent-l-exclusion-05-09-pdf


PS3 (en date du 10 septembre 2013)

Je ne vais pas reprendre tout ce que j’ai développé comme argumentaire dans ce long article de blogue. 

Mais ce soir, alors que le projet de Charte des «valeurs» a été présenté aujourd’hui, le 10 septembre, par le gouvernement du Québec à l’ensemble de la population, j’ai envie d’écrire, pour m’en attrister, que, nous, les athées, n’avons guère de place dans ce projet de Charte, que j’aurais espéré très progressiste dans son refus, radical et essentiel, toutes religions confondues, du fait religieux lui-même et de son «ostentation».

La Charte, pour le simple citoyen que je suis, est trop modérée. Quand le ministre Drainville dit que l’héritage patrimonial ne se réduit quand même pas à une page blanche, et qu’il y a des éléments de catholicisme ultramontain (par exemple, le crucifix à l’Assemblée nationale), qui doivent être préservés, je me sépare de cette politique frileuse. Ce que j’aurais espéré, personnellement, c’est précisément une page blanche, c’est précisément une «tabula rasa», quelque chose comme une petite révolution de la modernité. C’en est presque une... mais c’est raté. Quand le philosophe Charles Taylor dit que, puisque les croyances religieuses, pour certains, sont redevenues bien réelles, on ne peut comparer le fait présent des signes religieux, porteurs de messages, au fait passé des religieuses catholiques qui se sont précisément débarrassées, en masse, de cesdits signes religieux, je me sépare radicalement de ce genre de propos déistes, qui me font redouter le pire.

Et voilà qu’on tombe dans un débat délirant et sans fin, avec des contresens essentiels, du genre « Moi je suis croyant, mais c’est sans importance », alors que ça ne peut être que fondamental, ou du genre « L’État doit être laïque, mais il faut que ça s’en tienne qu’à une déclaration de principes », alors que ce qui fait l’État, ce ne sont que les personnes qui l’incarnent.

L’hésitation, la confusion (les clauses dérogatoires pour cinq ans, par exemple, qui sont prévues dans la loi, pour un très grand nombre d’institutions publiques) ne font que laisser la porte ouverte à tous ceux qui voudront envahir l’espace public, et agiter parmi les pires des pires épouvantails. Ce soir, le Dr Laurin me manque.

Et pendant tout le temps que durera le débat, on va devoir digérer, à nouveau, comme en 1976, en 1977, en 1980, en 1995, un déluge torrentiel d’injures extrémistes, associées à l’âme, presque à la «race» canadienne-française elle-même. C’est déjà commencé: «PQ taps into dark part of Quebec psyche ». (Montreal Gazette.)

Y’a pas à dire, la Charte constitutionnelle de 1982, cadeau post-référendaire de M. Pierre-Eliott Trudeau, aura marqué au fer rouge, et bloqué pour longtemps cette société. 

PS4 (En date du 14 septembre 2013)


Des intellectuels, et autres penseurs ont enfin rédigé et signé un texte commun qui prend fait et cause pour la laïcité d’État. Je donne avec plaisir le lien ici, tout en signalant que je me sépare de ce texte qui considère l’athéisme comme un phénomène d’essence religieuse, alors que, pour moi, l’athéisme n’est que l’évidence (et le progrès) à l’ère moderne. Je me suis assez expliqué pour ne pas reprendre toute mon argumentation, encore une fois ! Voici le lien vers ce texte important:









dimanche 3 février 2013

POURQUOI JE NE SUIS PAS MARXISTE: UN PETIT ESSAI





Deux cartes postales étonnantes, fascinantes, puisqu'elles montrent des bâtiments, superbes, et qui n'existent évidemment plus: les pavillons allemand et soviétique, construits pour l'Exposition universelle de Paris de 1937. Les deux pavillons se faisaient face, se regardaient avec hostilité, peut-être parce qu'ils se miraient l'un l'autre d'une manière un peu trop significative... Le pavillon allemand était une création d'Albert Speer. Le soviétique, de Boris Iofane. 

On a l'habitude, depuis l'effondrement de l'URSS, et surtout depuis la reconnaissance de la barbarie concentrationnaire soviétique, de renvoyer dos à dos les deux totalitarismes, le nazisme et le communisme. J'ai toujours eu des doutes «philosophiques» (ou théoriques) sur cette question. Faut-il, comme Robespierre, considérer la «terreur» comme acceptable, voire même nécessaire, si elle est guidée par la «vertu» - entendons, l'incorruptibilité des gens de pouvoir et leur dévouement, inflexible, pour l'égalité sociale ? Autrement dit, le goulag soviétique vaut-il moralement mieux que le camp de concentration hitlérien ? 

Il me semble encore que l'expérience nazie a été et reste l'horreur absolue, et presque le mal en soi, si l'on pouvait, en Histoire, se permettre d'énoncer ce type de jugement moral. C'est tout de même ce que pensait, du nazisme, le président Roosevelt, qui refusera sans cesse, et radicalement, de considérer l'avantage obscène qu'il aurait pu tirer d'une alliance circonstancielle avec l'Allemagne hitlérienne contre l'URSS. Ni Churchill ni de Gaulle n'ont raisonné différemment. Durant la Seconde Guerre mondiale, Staline s'est constamment méfié de ses alliés capitalistes, à tort. Il faut dire qu'il les a aussi trompés, joyeusement, cyniquement, sur ce qu'il faisait expérimenter, au loin, au froid, à ses opposants, souvent parfaitement imaginés. En fait, le projet révolutionnaire soviétique avait la cote, à l'époque, c'est pour le moins: depuis 1929, il était devenu difficile de défendre la liberté absolue du capital (et la «liberté du pauvre»), quand, à Washington même, le président Hoover faisait tirer sur d'anciens combattants de la Grande Guerre, installés en ville dans des campements de fortune, et qui réclamaient l'aide urgente du gouvernement fédéral: l'armée américaine avait fait feu sur ces indignés, en 1932. Roosevelt savait, se souvenait, tout comme il connaissait la virulence avec laquelle la grande bourgeoisie pouvait résister aux réformes sociales qu'il projetait pour «civiliser» le capitalisme. Au milieu des années 40, la critique des idéaux sociaux portés par le communisme était en conséquence plutôt molle. Ses méthodes de gouvernement, facilement excusées.

L'élite nazie était parfaitement au fait de ce que la défaite signifierait pour elle, et de ce qu'elle aurait à expliquer, du crime de guerre et du crime contre l'humanité qu'elle avait perpétrés et motivés.  Mais les goulags ? Mais les déportations de populations civiles ? Mais la construction du socialisme, financé par l'exploitation de masse des paysans, jusqu'à provoquer, à force de prélèvements, des famines atroces ? Robespierre aurait-il vu là des pratiques acceptables, («vertueuses»), contre les profiteurs d'un système capitaliste incontestablement violent, contre les corrupteurs d'une cause, le socialisme, à même d'excuser tous les sacrifices ? Je doute que les dirigeants soviétiques aient jamais imaginé pouvoir être traînés devant un tribunal international, malgré ce qu'a révélé le célèbre rapport du Premier secrétaire Khrouchtchev, au XXe Congrès du parti communiste, en 1956. Le rapport dénonçait les «crimes de Staline», et de lui seul, sans jamais mettre en cause l'idéologie marxiste elle-même. Rosa Luxembourg ne l'avait pas fait davantage, quand elle avait vertement critiqué, en 1918, le stratagème discutable, lourd de conséquences, avec lequel Lénine s'était emparé du pouvoir en Russie. C'était le coup d'État d'octobre 1917 qui était coupable, mais certainement pas le mobile social qui le justifiait. C'était, en toute logique, Staline seul qui allait par la suite être l'unique coupable de dérives déplorables... Il s'en trouve pour le croire encore. Pourquoi ? Comment expliquer ?

Je ne suis pas marxiste; je ne l'ai jamais été. Je ne peux pas croire en quelque finalité que ce soit, et pour moi, une finalité matérialiste reste une mystique, en tant que telle dangereuse, comme le sont toutes les religions. Le communisme intégral, l'homme pleinement responsable, c'est de l'opium particulièrement épuré. Mais parce qu'il se soucie de l'immense majorité des êtres humains et des plus exploités parmi eux, de leurs besoins indispensables, de leur épanouissement, et de leur bonheur, le marxisme, comme toute autre religion, a cette noblesse spirituelle (d'autres diront: morale) qui gênera, toujours, la critique impitoyable de l'expérience communiste, et empêchera l'amalgame avec le double terrible à qui il a montré la méthode, bien simple, pour gouverner avec une effroyable efficacité.




Paris, Trocadéro: les deux pavillons, face à face. Source: Google Images









vendredi 4 février 2011

LE RIRE, C'EST LA SANTÉ !







... La santé, certainement; mais aussi le bonheur, et la liberté. On ne rira jamais assez de ceux qui veulent écraser les tourments qui leur sont propres, culpabiliser ceux et celles qui les incarnent, les exclure, les brimer, voire même les pousser au suicide. Et tout ça, au nom d'un dieu qui n'existe pas autrement que dans leurs têtes, aussi bien dire de leur folie. Dieu et l'enfer, c'est Hitler et ses camps de la mort, c'est Staline et ses goulags - encore que dans ce dernier cas, le feu était plutôt frisquet !