jeudi 23 juin 2016

À PROPOS DES ASSASSINATS DE MASSE: LES RELIGIONS CONQUÉRANTES


Source de l'image: http://schaeferswaggityspanish.blogspot.ca/2015_09_01_archive.html



Il arrive qu’une religion soit conquérante. Elle se jette alors, les yeux au Ciel, éperdue d’amour — d’amour, comme de juste, on ne le répétera jamais assez… – dans l’aventure d’une « conquista », d’autant plus agressive, qu’elle s’est préalablement nourrie d’une chasse aux infidèles qui a triomphé…

Au XVIe siècle, l’Église catholique espagnole n’a pas échappé à la tentation. C’était d’abord du coup pour coup, contre ces musulmans, ces Maures qui avaient eu la fâcheuse idée d’envahir et d’occuper la péninsule ibérique pendant huit siècles. Dehors les mécréants ! Et tant qu’à faire, dehors les Juifs, aussi ! Et qu’on inquisitionne sans relâche, qu’on purifie le pays souillé par la présence impie ! Ce qui implique de tuer. De fait, on torturera, on tuera beaucoup.

1492 est là-dessus un tournant capital dans l’histoire de l’agressivité catholique. C’est cette année-là qu’Isabelle et Ferdinand chassent les derniers musulmans d’Espagne. C’est encore cette année-là qu’ils chassent aussi les Juifs. Le pape est aux anges ! Or le pape, en 1492, c’est Alexandre VI, le Borgia, c’est tout dire. Dès 1493, il sera aux petits soins avec sa fratrie (enfin, presque) espagnole. Affable comme tout, disponible pour tout, il ouvrira grand, très grand les portes de la conquête de l’Amérique aux hordes espagnoles, véritables escadrons de la mort première manière.

L’Église sait parfaitement bien, pourtant, qu’elle sert des intérêts qui ne sont pas les siens. Elle n’est dupe de rien, et devine les intentions réelles de Christophe Colomb, qui écrivait, dès 1492: « Avec seulement cinquante hommes, nous pourrions (…) soumettre tous [les Indiens] et leur faire faire tout ce que nous voulons. » Mais comme il n’y a qu’une seule vraie religion, pourquoi ne pas profiter de l’occasion ? Pourquoi se priver quand la fiesta promet d’être généreuse avec tous ces fils de la très sainte Église qui se lanceront dans l’aventure ? L’or, en espèces sonnantes, ça vaut bien une promesse de tombola sexuelle au paradis, non ?

Alors, elle y va, l’Église, bien évidemment. Elle débarque en Amérique. Elle suit les barbares conquistadores, justifie leurs pires atrocités. Et puis, triste, quand même, pour la forme, elle raconte qu’elle doit bénir, parfois, des assassinats de masse nécessaires au maintien des bonnes mœurs chrétiennes. Ainsi, en 1513, Balboa, en butte aux Indiens Quarequas, qui lui bloquaient le passage au lieu de le couvrir d’or — l’affaire se passe dans le Panama actuel, — « découvrit que le village de Quarequa était en proie au vice le plus immonde. Le frère du roi [indien] et un certain nombre d’autres courtisans étaient habillés en femme, et au dire des voisins, [ils] partageaient la même passion. Vasco [Balboa] ordonna que quarante d’entre eux fussent réduits en morceaux par des chiens. Comme les Espagnols utilisaient communément leurs chiens pour combattre ces gens nus, les bêtes se jetèrent sur eux comme s’ils eussent été des sangliers ou des daims. »

Des chiens. Faute de fusil d’assaut semi-automatique SIG Sauer MCX., et par défaut d’édifices en hauteur, rares dans le coin à l’époque. Une quarantaine. Peut-être quarante-neuf, qui sait. Une effroyable homophobie, commise par des gens qui avaient prêté serment d’allégeance — et qui avaient la foi, comme de juste. Une justification à foncer, plus et plus encore: quelle importance, après tout, quand l’ennemi est à ce point encombrant, et parfaitement immonde ?

Balboa put passer, l’âme en paix, véritable soldat chrétien, « calme et réfléchi ».

Le crime de Balboa, c’est tout comme le crime de Marteen, « calme et réfléchi ». 

L’Église, à l’époque, finit par s’interroger. C’était à Valladolid, en 1550-1551. L’Église apprit peu, et très très lentement, de ses erreurs. Il lui arrive d’errer encore. Qu’en sera-t-il, maintenant, d’une autre grande religion monothéiste, dont on espère qu’elle distingue sa foi d’intérêts autrement plus terre à terre, la mise en esclavage de populations entières, la frénésie du pillage et du brigandage, la main basse faite sur du pétrole revendu en contrebande, le délire mystique qui justifie de détruire des monuments archéologiques exceptionnels ou de les vendre en contrebande, tout comme les Espagnols l’avaient fait naguère avec les pyramides, les œuvres d’art indiennes et les innombrables manuscrits qui disparaissaient dans leurs gigantesques autodafés…

2014 est là-dessus un tournant capital dans l’histoire de l’agressivité islamiste: c’est l’année de fondation de l’EI.

Le village de Quarequas, le bar The Pulse, même réalité, même combat, par delà les siècles qui les séparent. Face à l’horreur, c’est l’humanisme qui s’éveille à nouveau. C’est l’humanité qui, prenant conscience du crime homophobe, ne s’en porterait que mieux en le maudissant.

Je rêve.





mercredi 22 juin 2016

À propos de «Y a-t-il un grand architecte dans l'Univers», de M. Stephen Hawking




(Note:
Le texte qui suit est le statut Facebook le plus long que j’ai jamais publié ! J’en fais avec plaisir un article de ce blogue. Si cela peut intéresser quelques lecteurs…)

Un statut Facebook long, bizarre, étonnant (et sans intention perverse aucune…) :

À propos de Y a-t-il un grand architecte dans l’univers, de Stephen William Hawking: extraits (choisis).

Hawking fait, dans ce livre passionnant, non seulement l’histoire de la physique depuis 3000 ans, mais la démonstration, du moins le prétend-il, de l’inutilité d’un Dieu créateur de toutes choses, inutilité démontrée par la science contemporaine. C’est essentiellement dans sa dimension très actuelle de « dessein intelligent » que Hawking tente — de façon assez convaincante pour le profane en physique que je suis — de prouver que le réel s’est créé de lui-même, qu’il pourrait s’engendrer encore, qu’il crée certainement toujours, et que les seules lois qui valent sont les lois de la physique, parce qu’elles sont « les seules possibles ». Dieu ne joue pas aux dés.

Sa preuve, Hawking la présente, du reste, avec beaucoup d’humour. 

Et il décoche, ici et là, quelques flèches à l’encontre de celles et de ceux qui feignent encore de croire en la magie des signes religieux ostentatoires, et donc dans l’interventionnisme divin — pour tout dire, dans les miracles.

Bref, un livre de santé — qui ne plaira pas dans certains milieux…, mais qu’il faut lire — encore que la synthèse que je présente ici peut vous en dispenser ! (Ce qui serait dommage.)

J’ai lu l’essai de M. Hawking en format EPUB. Il m’était donc impossible de renvoyer les extraits à des pages précises.

PS Évitez de me dire, s’il vous plaît, qu’il s’agit ici d’une variation de l’impérialisme civilisationnel occidental, qui ne convient pas à toutes les aires culturelles… 

__________

« C’est ainsi [durant l’Antiquité gréco-romaine] qu’a débuté le long cheminement qui allait voir les dieux et leur règne progressivement supplantés par un univers gouverné par des lois, un univers dont la création suivait un schéma que l’on pourrait un jour comprendre. »

« [Nous ] devons (…) nous pencher sur un principe fondamental de la physique contemporaine : la théorie quantique et plus particulièrement l’approche dite des histoires alternatives. Cette formulation nous dit que l’Univers ne suit pas une existence ou une histoire unique, mais que toutes les versions possibles de l’Univers coexistent simultanément au sein de ce que l’on appelle une superposition quantique. (…) En d’autres termes, la nature ne dicte pas l’issue d’un processus ou d’une expérience, même dans la plus simple des situations, mais elle autorise un certain nombre de choix possibles, chacun ayant une probabilité de se produire. (…) L’Univers, en physique quantique, n’a pas un passé ou une histoire unique. »

« … [Le] vide total n’existe pas…[L’]espace n’est (…) jamais vide. Il peut être dans un état d’énergie minimale, ce que nous appelons le vide, mais cet état est sujet à des fluctuations quantiques ou fluctuations du vide – des apparitions et disparitions incessantes de particules et de champs. »

« Il se peut que l’espoir constant des physiciens d’une théorie unique de la nature soit vain, qu’il n’existe aucune formulation unique et que, pour décrire l’Univers, nous devions employer différentes théories dans différentes situations. Chaque théorie aurait ainsi sa propre version de la réalité ce qui est (…) acceptable tant que les prédictions des théories concordent lorsque leurs domaines de validité se recouvrent…»

« Il y a de cela plusieurs siècles, Newton a démontré que des équations mathématiques pouvaient donner une description spectaculairement précise des interactions entre les corps, à la fois sur Terre et dans les cieux. Les scientifiques ont cru un temps qu’on pourrait révéler le futur de l’Univers entier si l’on disposait à la fois de la bonne théorie et d’une capacité de calcul suffisante. Puis sont venus l’incertitude quantique, l’espace courbe, les quarks, les cordes, les dimensions supplémentaires et le résultat de cet effort colossal, ce sont 10100 univers, chacun doté de ses lois propres, et dont un seul correspond à l’univers que nous connaissons. Il est possible qu’il faille aujourd’hui abandonner l’espoir originel des physiciens de produire une théorie unique capable d’expliquer les lois apparentes de notre Univers comme conséquence unique de quelques hypothèses simples. »

Le Big Bang ? « C’est un peu comme si une pièce d’un centimètre de diamètre s’était soudainement dilatée pour atteindre une taille supérieure à dix millions de fois celle de la Voie lactée. »

« En fait, il existe une multitude d’univers auxquels correspondent une multitude de jeux de lois physiques différents. (…) Des fluctuations quantiques conduisent à la création d’univers minuscules à partir de rien. Un petit nombre d’entre eux atteignent une taille critique puis se dilatent de façon inflationniste, formant alors galaxies, étoiles et, en définitive, des êtres semblables à nous. (…) Nous sommes ainsi le produit des fluctuations quantiques produites au sein de l’Univers primordial. »

« Il y a de cela plusieurs siècles, on croyait la Terre unique et située au centre de l’Univers. On sait aujourd’hui qu’il existe des centaines de milliards d’étoiles dans notre galaxie dont une grande partie est dotée d’un système planétaire, et qu’il existe par ailleurs des centaines de milliards de galaxies. Les résultats que nous avons présentés (…) nous indiquent que notre Univers n’est également qu’un parmi tant d’autres, et que ses lois apparentes ne sont pas déterminées de façon unique. Voilà qui doit être bien décevant pour ceux qui espéraient qu’une théorie ultime, une théorie du Tout, allait prédire la nature de la physique que nous connaissons »

« Parce qu’une loi comme la gravitation existe, l’Univers peut se créer et se créera spontanément à partir de rien… »

« Changez même de façon minime ces lois qui régissent notre Univers et les conditions de notre existence disparaissent ! (…) L’émergence de structures complexes permettant l’éclosion d’observateurs intelligents apparaît donc comme un processus très fragile. Les lois de la nature forment un système ajusté de façon extrêmement fine et il est très difficile d’altérer la moindre loi physique sans détruire du coup toute possibilité de développement de la vie dans ses formes connues. »

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Pour faire bref, il n’y a pas de théorie unique de l’univers. Nous sommes le produit de fluctuations quantiques.  Voilà qui doit être bien décevant pour ceux qui espéraient une théorie ultime — comme celle du grand architecte, par exemple. En fait, il est très difficile d’altérer la moindre loi physique sans détruire du coup toute possibilité de développement de la vie dans ses formes connues.











lundi 13 juin 2016

L’intensification de la haine: d’Anita Bryant à Omar Mateen




En Floride, dans les années 70, et l’affaire s’est prolongée jusque dans les années 80, voire même 90, la religion entretenait déjà la haine et l’intolérance à l’encontre des hommes et des femmes — des êtres humains — homosexuelLEs. La tourmente trouvait son origine à Orlando. Déjà. Cette ville n’est pas que l’illusion chimérique de Disney, loin de là.

C’était une chanteuse qui radicalisait le débat, au nom des valeurs chrétiennes: elle s’appelait Anita Bryant. Elle entretenait et diffusait les pires préjugés, et rencontrait un écho immensément favorable dans la population, bien sûr, parce qu’il était courant, à l’époque, d’exprimer sans gêne aucune, la haine viscérale et le dégoût extrême qu’inspiraient à d’innombrables individus, qui se drapait dans une morale sexuelle irréprochable, les hommes et les femmes gays, leur amour et leur sexualité immondes.

Personne, sauf de rares exceptions, ne s’en scandalisait. Il y avait, à Québec, d’où je viens, et même dans mon cercle d’amis le plus proche, des gars et des filles qui s’amusaient à former leur caractère (et leur identité) à coups d’intimidation, de violence et de mépris. Les prêtres du Petit Séminaire, où j’étudiais, n’y voyaient jamais rien à redire. C’était dans le goût d’Anita Bryant. Cette dame, cette bonne chrétienne, a contribué à polluer mon adolescence, ma toute première jeunesse — jusqu’à ce que j’envoie tout promener, que je m’éloigne, que je m’accorde la liberté d’être ce que je suis, que j’apprenne qu’il y a cette chose merveilleuse qu’est l’humanisme, cette chose fondamentale qu’est la science, cette chose incontournable qui s’appelle l’histoire.

L’homophobe imprégné de convictions religieuses absolument réactionnaires, qui a commis un crime sans nom, aujourd’hui, en Floride, me rappelle l’époque d’Anita Bryant. Elle a aujourd’hui 76 ans. J’imagine qu’elle voit en Omar Mateen, bien que de religion différente, son héritier spirituel. Tous deux s’inspirent du même délire religieux — et on parle bien de délire, en effet, quand on croit qu’il y a un dieu qui surveille nos faits et gestes, qui fronce des sourcils et punit quand il le faut, qui exige des sacrifices humains, qui dicte la bonne conduite à suivre, et, surtout, qui se substitue au savoir, à l’humanisme, et à l’histoire. 

Mateen était, parait-il, scandalisé par la « vision » de deux hommes manifestement amoureux, inquiet de ce que le spectacle navrant de cet amour exprimé en pleine rue, à Miami, pourrait avoir sur l’esprit de son jeune fils. Dommage que personne n’ait fait lire au tueur potentiel, au ravageur, à l’assassin, l’admirable lettre que Michael, personnage central des Chroniques de San Francisco, avait écrite à sa mère, en 1977. Maupin, l’auteur, l’a insérée dans le tome 2 des Chroniques, et il semble qu’il l’ait écrite, en fait, pour signifier à ses propres parents sa réalité, telle qu’elle était, telle qu’elle ne pouvait être autrement. (Son père aurait parfaitement compris la manœuvre, et aurait en conséquence rejeté son fils. Et peut-être, allez savoir, a-t-il souhaité pour lui les flammes de l’enfer — qui existent, comme de juste. En douter, cela ne nous dispense pas du respect que l’on doit à celles et ceux qui y croient, même quand ils hurlent leur rage et qu’ils frappent à l’aveugle…)

Voici quelques extraits de cette lettre remarquable. Elle est encore, presque mot pour mot, terriblement d’actualité, en cette journée de deuil effroyable. Elle reste, dans l’histoire de la libération homosexuelle, une pièce d’anthologie.

« Chère Maman,

…Je suppose que je ne vous aurais pas écrit si vous ne m’aviez pas parlé de votre participation à la campagne « protégeons nos enfants ». C’est cela, plus que toute autre chose, qui m’a fait prendre conscience que je devais vous dire la vérité : que votre propre fils est homosexuel et que je n’ai jamais eu besoin d’être protégé de quoi que ce soit, hormis de la cruelle et ignorante piété de gens comme Anita.

…J’aurais aimé [quand j’étais enfant] que quelqu’un de plus âgé et de plus avisé que les gens d’Orlando me prenne à part et me dise : « Il n’y a rien de mal à ce que tu es, petit. Tu pourras devenir docteur ou professeur, exactement comme n’importe qui d’autre. Tu n’es ni fou, ni malade, ni dangereux. Tu peux réussir, trouver le bonheur et la paix avec des amis —toutes sortes d’amis — qui se ficheront éperdument de savoir avec qui tu couches. Et surtout, tu peux aimer et être aimé, sans devoir te haïr pour autant. »

…Je sais que je ne peux pas vous dire ce que c’est d’être gay. Mais je peux vous dire ce que, pour moi, ce n’est pas de l’être. C’est ne pas se cacher derrière des mots, maman. Des mots comme famille, convenances ou chrétienté. …Être gay m’a enseigné la tolérance, la compassion et l’humilité. Cela m’a montré les possibilités illimitées de l’existence. Cela m’a fait connaître des gens dont la passion, la gentillesse et la sensibilité ont été pour moi une constante source d’énergie.

Cela m’a fait entrer dans la grande famille de l’Humanité, maman. Et cela me plaît. J’y suis bien.»…