Du livre que mon ami et collègue Jean-Charles Panneton a publié en 2012, biographie politique de l’ancien ministre libéral Pierre Laporte, la première chose qui étonne, chez cet historien encore jeune, c’est pourquoi, mais pourquoi donc avoir choisi comme objet d’études Pierre Laporte ? Qui s’en rapporte encore maintenant à une quelconque doctrine de Pierre Laporte, à une vision qu’il aurait eue du Québec contemporain, et de son avenir ? À tout prendre, n’eût été sa mort tragique, Laporte ne serait vraisemblablement reconnu que pour sa carrière de journaliste de combat, et son opposition systématique au premier ministre Duplessis, au Duplessis catholique d’imitation, au Duplessis socialement rétrograde des années 1950.
Mais hélas pour Pierre Laporte, politicien de carrière et de talent, remarquable parlementaire, et qui adorait ce métier, c’est la Crise d’octobre 1970, et c’est son assassinat par le Front de libération du Québec qui l’auront rendu célèbre à jamais.
Et ce sont effectivement les pages du dernier chapitre du bouquin, très fouillé, de Panneton, portant sur la mort tragique de Laporte, qui sont les plus émouvantes. Le style de Panneton devient sobre, les phrases courtes, masquant à peine l’émotion de l’auteur. Le drame du meurtre politique, presque sacrificiel, est avivé par quelques documents restés célèbres, les lettres du ministre envoyées à Robert Bourassa, qui aurait pu le sauver, et à sa femme, isolée dans un hôtel chic de Montréal, les témoignages post-mortem des proches de Laporte, qui n’ont peut-être jamais pardonné l’abandon auquel a été contraint leur père au nom de la raison d’État... Ce dernier chapitre de Jean-Charles Panneton règle leur compte, une fois pour toutes, on l’espère, aux théories conspirationnistes qui survivent encore et encore, au grand découragement d’anciens felquistes eux-mêmes, «qui étaient là», protestent-ils, et qui désespèrent qu’on invente n’importe quoi à leur propos, à leur exacte participation aux faits, à leur responsabilité première dans ces événements terribles. Panneton fait la part belle aux enquêtes publiques qui ont aussi vidé de tout contenu un tant soit peu crédible les théories présumant d’un complot d’État dans l’affaire d’Octobre 1970.
Quant au corps du livre, à la biographie de Pierre Laporte, que je connaissais peu, j’ai adoré le lire. Le problème n’est ni dans la documentation, abondante, rigoureusement traitée, ni dans la reconstitution d’une vie que Panneton a effectuée avec talent. Il est dans la médiocrité intellectuelle d’un personnage qui a grondé, tonné, s'est souvent passionné, puis qui s’est rangé, s’est contredit, et qui n’a eu de fait ni système ni conviction stable; c'était ou bien Laporte le «nationaliste», voire même le «néonationaliste», dit Panneton, qui a flirté avec le projet constitutionnel d’un statut d’État particulier pour le Québec, ou bien le Laporte qui a pourfendu les choix politiques souverainistes de son «ami» René Lévesque.
Passé en politique active, Laporte est devenu un partisan, souvent au gré du vent et des humeurs des électeurs, en tant que tel un homme rusé, et rien de bien plus que ça. Sans sa mort tragique, que Panneton raconte clairement, brièvement, sans voyeurisme ni sans fausse pudeur, Pierre Laporte serait oublié aujourd’hui, sauf de quelques spécialistes, comme sont oubliés Bona Arsenault ou Claude Wagner, vedettes politiques de l’époque, aux côtés de Pierre Laporte.
Jean-Charles Panneton a fait du beau et du bon travail, qui m’épate. Son livre devient un indispensable pour qui veut mieux connaître la grande noirceur duplessiste, et la Révolution tranquille qui a suivi. C’est Laporte lui-même, l’homme politique, qui est, à mon humble avis, pâle et décevant.