Cyberpresse, extraits, lundi 20 juin 2011.
La Cour suprême des États-Unis a utilisé les mêmes arguments, à l’encontre de la plainte de milliers de femmes accusant l’entreprise multinationale Walmart de discrimination salariale, exactement la même logique juridique, appuyée par le même type d’arguments constitutionnels, que ceux qui l’avaient amenée, il y a 11 ans de cela, à accorder la Présidence à George W. Bush.
En décembre 2000, la Cour n’avait pas contesté, en soi, la victoire démocratique de Al Gore à la présidentielle; ce détail était secondaire; elle avait jugé que de recompter les votes dans les seuls districts où les résultats étaient contestés, dans le sud-est de la Floride, allait établir une inégalité de fait entre tous les électeurs américains, d’où qu’ils viennent, ce que la Cour jugeait contraire à la Constitution des États-Unis et au Bill of Rights. Ou bien, disait-elle, on recomptait tous les votes, de tous les électeurs, dans le pays tout entier, ou bien on n’en recomptait aucun. Au restant, précisait la Cour, c’est à l’État de Floride de juger de sa mécanique électorale.
On connait la suite des choses. On en subit encore les conséquences désastreuses: la concentration de la richesse n’a jamais été aussi scandaleuse, l’écart entre les riches et les pauvres s’est creusé, la classe moyenne s’est dangereusement effritée, la guerre ( et la haine ) est devenue un instrument privilégié de politique étrangère.
La Cour suprême des États-Unis en a-t-elle tiré quelque leçon, un ou deux pincements au coeur ? Pas du tout. Dans le jugement qu’elle a rendu public ce lundi 20 juin 2011, dans l’affaire Women vs Walmart ( j’invente !), la Cour reste fidèle à la logique néolibérale que les conservateurs américains attendent d’elle, pour y avoir nommé la plupart des juges qui s’y retrouvent. La Cour ne conteste pas la discrimination salariale; ce détail est secondaire; elle juge le recours collectif irrecevable, que parce que la discrimination ne peut pas avoir été exactement la même, partout, dans le pays tout entier ! Il n’y a pas de redressement de tort possible si le correctif établit l’inégalité entre les citoyennes. Tant pis s’il y a tort, mais l’égalité passe avant tout.
Voilà qui s’appelle gouverner. Ce qu’ils sont bien, quand même, ces juges, à protéger les puissants de ce monde contre la démagogie démocrate !
Il ne faut pas croire qu’au Canada, «notre» Cour suprême fasse preuve d’un peu plus de générosité sociale. Elle est aussi colonisée que le reste de la société canadienne, aussi aliénée au justificatif américain que ceux qui ont nommé les honorables juges actuellement assis sur le banc. Rappelons-nous le jugement Chaoulli (2005): la Cour suprême du Canada a complètement, et radicalement changé le sens du droit collectif garantissant l’égalité d’accès aux services sociaux, tel que prévu dans la loi, pour privilégier une interprétation parfaitement aberrante, en fait typiquement néolibérale: ainsi la Cour a-t-elle réussi à faire croire que ce droit, de justice sociale, appelé parfois droit de seconde génération, garantissait en fait le droit d’un citoyen, quel qu’il soit, et riche de préférence, à payer pour des services privés si l’État n’était pas assez rapide pour assurer un véritable droit d’accès, non plus pour tous, mais pour chacun des citoyens considéré isolément, et la nuance est capitale ! Comprenons bien, ici, et très exactement, ce que cela veut dire: cela signifie que le droit collectif destiné à protéger les plus démunis est devenu un droit collectif perverti, destiné à protéger le droit d’accès ( rapide ! ) des plus riches au système de santé, qui peut se privatiser pour y pourvoir ! Ce qu’on doit à M. Trudeau et consorts est incommensurable, et dit-on, fait le Canada. Il fait tout au moins des riches heureux, c’est toujours ça de pris.
Voilà ce qui s’appelle répondre aux vrais besoins: entendons les besoins des riches cousus d’or, toujours de plus en plus riches, ici comme aux États-Unis, et qui n’entendent plus partager avec les pauvres, toujours de plus en plus pauvres, l’égalité d’accès aux programmes collectifs, et gratuits, de santé.
Ce n’est pas de la démagogie que de dire que les plus hauts tribunaux, américain comme canadien, savent parfaitement bien servir de marionnette juridique aux puissants de ce monde, quand l’urgence de les soigner avec célérité devient d’une navrante gravité. Quant aux autres, la multitude, le petit peuple bêlant, hé bien, qu’ils attendent, et à la limite, qu’ils crèvent gratuitement. Ça ne sera jamais autant scandaleux que l’élection de Bush, ou le jugement Walmart, incroyable rappel d’une justice dont on ne croyait plus qu’elle pouvait, aussi aveuglément, servir sans état d’âme le capitalisme sauvage.
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