jeudi 7 avril 2011

JOUVENCE





J’ai choisi cette photo parce qu’elle est d’un photographe connu, célèbre, même. Mais il y avait le choix, je vous jure. Quelques minutes de questionnement judicieux sur Internet, et des jeunes hommes nus vous sautent au visage,  jeunes hommes glabres, minces, érotiques, célébrant le mythe de la jeunesse éternelle, de la beauté standard, seule acceptable, seule montrable, seule suscitant l’identification, l’admiration, et bien sûr, la consommation.

Elle fera sursauter, peut-être. J’aurais publié une photo comparable, mais d’une jeune fille, qu’on ne sourcillerait même pas. L’habitude.

Et pourtant, ce type de photos devient tout aussi asservissant chez les jeunes hommes que les photos de jeunes filles prépubères, présentées, dans la pub racoleuse, comme ayant 30 ans, toutes leurs dents, et une irrésistible capacité de séduction accessible à toutes les femmes, pourvu, bien sûr, qu’elles achètent tel ou tel truc, avec la récompense promise une fois l’affaire dûment payée : le miroir qui te confirme que t’es la plus belle de toutes, et jeune en diable, et ultra mince, et pour toujours.

La dévastation de l’image à tout prix gagne maintenant les jeunes hommes. Ça prend même, parfois, une étiquette de marque certifiée : « métrosexuel », par exemple, ou Brad Pitt, ou plus simplement le mot « jeune », qui exclut à lui seul tout autre mot possible dans les processus de socialisation et de désirabilité. Il faut être beau, désormais, jeune et beau, c’est un impératif incontournable. Je l’ai trop souvent entendu, de la bouche, encore et encore, d’étudiants, pour ne pas avoir pris conscience du danger social évident. Les jeunes hommes ne sont pas seulement métrosexuels, ils sont, à leur tour, torturés sous les forceps de la beauté à tout prix, seule valeur sociale vraiment reconnue, qui justifie l’énormité que l’on consent aux coûts du système de santé, et de sa privatisation, si nécessaire, comme le sont déjà les cliniques dites « esthétiques »... On se console difficilement, de nos jours, d’être simplement intelligent, ou talentueux. Tout le plaisir est pour les blondes, les jeunes, les beaux, les dents immaculées. J’ai lu, un jour, qu’il n’était pas rare que des hommes se suicident pour éviter la calvitie. Qu’est-ce qu'il en sera, maintenant, qu’il ne faut plus ni que ça pousse sur le thorax, ni que ça grossisse sur l’abdomen ?

Le profit, c’est l’anorexie. C’est le lot des jeunes femmes, désormais des jeunes hommes, et même des hommes d’un âge certain, qui nient le vieillissement, et qui ne redoutent rien du ridicule à se fagoter comme s’ils avaient 18 ans, bagues aux doigts, t-shirts transparents, jeans Diesel… Ceux-là sont les pires : ce sont eux qui se teignent la barbe, les cheveux ( et qui regardent, navrés, mon - léger - excès de poids )… T’as donc rien compris de ce qu’est la vie ?

Sérieusement, l’avenir de la jeunesse masculine n’est pas rose, quoiqu’on puisse en penser, à regarder la pub qui s’adresse spécifiquement à elle… Un jour, l’Occident sera peuplé de jeunes vieillards qui chercheront désespérément, dans la multitude dite du troisième âge, les vrais jeunes, ou ceux qui auront su, avec le même talent que Cher, éviter le grand naufrage…


Post-Scriptum, en date du jeudi 15 septembre 2011:



On a publié ces jours-ci une nouvelle posthume de Nelly Arcan, un texte d'une trentaine de pages, et qui secoue fort le petit monde artistique, littéraire et journalistique québécois. Arcan raconte, si on s'en tient qu’à une lecture mondaine, rattachée qu’au premier degré de l’écrit, le désarroi extrême d'une jeune femme au vu de son corps, et à ce qu’elle croit être le su des autres le regardant, accusateurs et sarcastiques. Cette jeune femme, c’est Nelly Arcan elle-même. Son récit, qu’elle a voulu, semble-t-il, publier, est à peine une autofiction. Il tient plutôt de la note laissée par humanisme aux survivants, pour expliquer, quand même, une mort terriblement prématurée. Le corps de Nelly Arcan est magnifique, mais lui fait mal, l'écriture de la nouvelle est superbe, mais effroyablement désespérée. L’histoire s'intitule La honte, et quiconque aurait envie de la lire peut la trouver, facilement et gratuitement, sur Internet. 

Tous les commentateurs que j'ai pu lire, depuis deux jours, dénoncent les prescriptions morbides que la « société » impose au corps des femmes, et d’elles seules; ces messieurs/dames font de l'obligation de la jeunesse et de la beauté immortelles la première, sinon la seule responsable de la mort violente de l'écrivaine en révolte, jusqu’au délire. ( Elle s'est suicidée. ) J'ai lu le texte de Nelly Arcan. J'ai été à la fois séduit et bouleversé, ramené au paradoxe extrême dont souffrait visiblement l’auteure, étrangère à ce beau corps qu'elle a pourtant voulu, dont elle a dessiné la reconstruction, et qu’elle a certainement beaucoup contemplé. J'écrirai, ailleurs, le second degré, évident me semble-t-il, de cette nouvelle. Mais pour m'en tenir, ici, au sens premier du texte de Nelly Arcan, je ne peux que me répéter, et revenir avec plus d'insistance encore, sur l’intention première, quand même modeste, de ce post, Jouvence

Il n'est plus vrai que l'obligation de jeunesse et de beauté ne pèse que sur les jeunes femmes. Les jeunes hommes en pâtissent tout autant. L'Occident ne s'est jamais, de toute son histoire, autant contemplé dans un miroir, en fait un rétroviseur, que maintenant. Il rejette la maladie, le vieillissement, la bonne moyenne, la paix du corps le temps de sa vie. Le risque, le risque énorme, est qu'on retrouve, toujours de plus en plus, de ces obsédés du corps parfait, épatant, séducteur, excellent vendeur, qui seul peut oser se montrer, et s’admirer par la suite à la télé ou sur grand écran.  Passé 30 ans, t'es à risque de rejet. Passé 40, t'es foutu. Il arrivera qu'on ne veuille plus voir nos vieux ; savoir leur existence suscitera de l'angoisse ; on les parquera tant et si bien qu'on ne pourra plus voir du tout ce qui guette tous les vivants, le monstre autiste et inentamable ( Arcan ) de l'âge, des rides, du ventre, de la calvitie,  de tout ce qui tremble et qui tombe, qui traverse la vie et ruine la beauté, pire destin que la mort elle-même. À ne plus voir ni les vieux, ni les morts ( et tant qu’à faire, ni les laids, ni les difformes, ni les obèses, ni les cagneux, ) peut-être, en effet, éviterons-nous quelques suicides tragiques, de jeunes hommes tout autant que de jeunes femmes, beaux pourtant, épilés, tatoués, athlétiques, mais complètement paniqués à l'idée, insupportable, d'être un jour des hommes vieux et moches, des femmes avachies et barbouillées. Il n'y en a que pour les jeunes, que pour les beaux. L'Occident se fracasse le visage dans son miroir, il se dévisage, mais il y aura toujours des entreprises qui se proposeront, bistouri en mains, pour tout refaire, en mieux, et maintenir, un temps, l'illusion de la toute-puissance éternelle.

Et le pire, c’est qu’on n’y peut rien.



 


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