jeudi 8 septembre 2011

J'AI TUÉ MA MÈRE


Xavier Dolan, Anne Dorval: tous deux fabuleux...



Je n’écris rien depuis le 23 juillet, parce que je ne suis plus capable d’écrire. Je ne sens plus mes mots. Je ne les entends plus. Je ne vois plus de beauté à mes textes – quand je m’essaie, malgré tout, j’écris des croutes, ça, je le vois bien. Je n’y arrive plus. Je ne flaire plus mes phrases, qui normalement se créent d’elles-mêmes, se placent d’elles-mêmes dans un écrit, un écrit qui est toujours un travail, pas nécessairement un grand œuvre, bien sûr, mais un travail, un travail qui se fait dans le plaisir, parce que quoi qu’on prétende, on cherche toujours à écrire du beau. Mais voilà, depuis plus d’un mois, plus rien ne vient. Je suis en manque, je crois, en manque de mon précédent blogue [ Chroniques amnésiques, et autres mémoires vives ]. J’y ai tant dit de moi-même, avec tant de plaisir, de passion et d’impudeur, tant d’envie enragée de me démêler et de me libérer enfin, en pleurant parfois, en hurlant souvent, sans avoir jamais l’impression que ça s’épuisait, qu’il ne me restait plus rien ni à dire, ni à écrire. Ça aurait pu durer à n’en plus finir, cette écriture. Et pourtant.
Mais cette nuit, je fais un petit effort d’écriture, et j’irai jusqu’au bout. Un film, que je viens tout juste de regarder, m’oblige à essayer, à nouveau, de m’y remettre, en tâchant de faire assez beau pour qu’on ait envie de lire et d’y toucher, comme ça m’arrive parfois de le faire, quand je trouve qu’un paragraphe, dans un livre qui m’épate, est d’une beauté exceptionnelle, et que je fais glisser mes doigts sur l’infime texture des lignes. Aussi bien me lancer, cette nuit, porté par un grand film, un film superbe, une véritable histoire, une violente révolte, une résistance impossible sans une solide affirmation de soi exactement réfléchie et bien ciselée au préalable, une connaissance de soi vraie et assumée, sans honte, malgré les coups et les crachats ; je veux parler de J’ai tué ma mère, un film que Xavier Dolan a écrit, réalisé, financé et en plus, bon dieu, joué superbement. Son propre rôle ? Ça, je ne pourrais dire. Mais certainement notre rôle à tous, notre colère collective et nationale, oui, nationale, refoulée depuis si longtemps que René Lévesque, dans le temps, s’étonnait qu’elle puisse encore se contenir. Avec Dolan, elle explose, enfin, s’évade de tous ses carcans, se crie jusqu’à une mise à mort possible contre l’aliénation – la pauvreté, la misère, l’abandon, le mépris, — dont on reste stupéfait à quel point Dolan lui a donné toute sa profondeur. Je suis désolé de ne pas avoir vu ce film avant. J’ai manqué quelque chose qui est arrivé, et qui se produit rarement. J’ai ignoré une œuvre de dignité et de courage, malgré les bonnes critiques, pourtant, et les récompenses très applaudies du festival de Cannes. Les critiques, je me rappelle, pinçaient parfois les lèvres, faisaient la fine bouche : c’est bon, oui, faut admettre, mais… Mais ? Mais quoi, au juste ? Ce film est un chef-d'œuvre ! Un absolu chef-d'œuvre ! Un des grands, des très grands films d’ici, et autre chose, faut bien le dire, que le pessimisme adéquiste des derniers films d’Arcand, qui nous boucheraient encore l’avenir si on remplissait encore ses salles. Je ne connais pas les opinions politiques de Xavier Dolan ; peut-être que malgré lui, malgré ce qu’il a voulu faire de son film, il nous aurait fallu voir ce film avant le 2 mai dernier. Ça nous aurait peut-être aidés à nous retrouver nous-mêmes, à nous reconnaître, à nous aimer à nouveau, à éviter le pire — à parler, crier, et continuer à vivre dignement, malgré les scélérats. À voir Dolan, par terre, humilié, frappé à coups de pieds, replié sur lui-même, il y aurait eu de quoi réfléchir.
J’ai adoré le film de Xavier Dolan. Ce film m’a ébloui, épaté, et fait pleurer plus d’une fois. Et plus jamais, jamais je ne serai le même ; on sait cela quand on a vu, lu, entendu, regardé une œuvre d’art qui transcende la médiocrité et redonne du sens à la fierté et à la liberté  d’être pleinement soi-même.




5 commentaires:

RAnnieB a dit…

Quel bonheur que de revoir tes écrits.

Personnellement, je crois qu'autant que ton ancien blogue, ce qui te manque est la passion. La passion du sujet, que tu as, de toute évidence, retrouvée ici.

En espérant que la muse de l'inspiration vienne s'installer à tes côtés pour de longs moments.

Je voulais aller voir ce film lorsqu'il est sorti. Tu m'en redonnes l'envie.

Sur le sujet des films, en voici un que j'ai regardé hier. L'auteur Patrick Boivin, un jeune cinéaste québécois prometteur, a choisi de ne l'offrir que sur Youtube. Les acteurs y sont excellents.
On a vraiment de grands talents ici au Québec.
On peut voir le film ici : http://www.youtube.com/watch?v=yTfNtr-jyF4&feature=youtu.be

Richard Patry a dit…

Annie, je vais te confier un secret que tu ne répéteras pas ( pour pasticher de Gaulle, en 1967 ! ) : Annie, je t'aime :-)

Merci pour la référence au film sur YouTube. Je t'en reparle dès que je l'aurai vu.

Merci, mille fois, pour le gentil commentaire.

Lili a dit…

Ton texte est magnifique et très très «sympathique» à l'oeuvre de Xavier Dolan. Personnellement, j'ai vu ce film en salle, seule - j'y tenais - et j'étais restée clouée à mon fauteuil, tant il m'avait bouleversé. Je comprends donc ton cri du coeur pour ce film, il faudra que tu vois le suivant: Les amours imaginaires...

Je souhaite que Xavier Dolan lise ton texte, je crois bien qu'il en pleurerait de joie !!!

Bienvenue de nouveau chez toi !!

Richard Patry a dit…

Merci à toi aussi, un million de fois :-)

Je doute que Xavier Dolan tombe sur mon texte. Je n,en pense pas moins !

Tu m'as ( presque ! ) fait pleurer :-))))

Anonyme a dit…

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