Camille Desmoulins, soulevant le peuple de Paris, juillet 1789
Peu d’événements sont aussi
historiquement significatifs que la prise de la Bastille, à Paris, le 14
juillet 1789. Camille Desmoulins, alerté, incandescent, qui est à l’origine
directe de l’événement, en restera à jamais célèbre. En 1789, il n’avait que 29
ans. Il mourra, guillotiné, à 34 ans. Entretemps, il n’aura de cesse de
rappeler l’événement, de s’honorer du succès impensable d’un soulèvement
populaire qu’il avait puissamment contribué à déchaîner. « À la lanterne », les ennemis du peuple ! Mais ce qui a rendu
la « journée » possible, bien davantage que le verbe brillant de Desmoulins, c’est
le refus des soldats, stationnés aux Invalides, de réprimer à coups de fusils
et de canons le peuple de Paris réclamant des armes, sûr que le Roi concentrait
des troupes, les dirigeait vers la capitale, allait réprimer dans le sang les
débuts encore fragiles de la Révolution. Une autre révolution, celle de février
1917, a réussi parce que l’armée a là aussi refusé d’obéir aux ordres, a même
fraternisé, massivement, avec le peuple de Saint-Pétersbourg, affamé, épuisé,
soulevé contre la tyrannie tsariste.
Je me rappelle encore de
manifestations où l’on criait, naïvement, en l’espérant sans vraiment y croire :
« Policiers, dans la rue ! »,
tant la défection massive des forces de l’ordre, et leur ralliement à la cause
de l’insurrection, sont restés dans la légende magnifiée des grandes
révolutions, devenus référence incontournable des insurrections victorieuses de
1789 ou de 1917.
Il s’en faut encore, et de
beaucoup, que les policiers de Montréal descendent dans la rue, autrement que
pour contrôler, réprimer, pourchasser des manifestants ! Et pourtant, la
situation actuelle, pour ce qui est de l’écart scandaleux des fortunes, comme
de la faillite des finances publiques, rappelle étrangement la situation
française de 1789. Même le « château » de Sagard, absurde caricature d’Ancien
Régime, est devenu, tout récemment, une sorte de nouveau « Versailles », lieu
de Cour d’une élite qui jouit des plaisirs et des privilèges de la classe
dominante. Les grandes fortunes états-uniennes se montrent, s’étalent au grand
public, n’ont jamais honte d’elles-mêmes, se jouent du système fiscal sans que
ça n’embête vraiment la foule des curieux admiratifs ; ici, l’argent se
dérobe aux regards critiques, ou moqueurs, l’argent corrompt au noir, et en
lieu sûr… Sagard se cache au fin fond d’une forêt immense, d’un parc sans fin. Se
cacher, c’est aussi maintenir dans l’ignorance, et dieu sait que cette
stratégie de l’obscurantisme a su, ici, tenir le joug depuis belle lurette... Les
Québécois, comme les Français, préfèrent l’égalité à la liberté, surtout quand
il s’agit d’une liberté qui prône les valeurs parfaitement immorales du
néolibéralisme. Mais l’égalité, au pays de l’école républicaine comme au
Québec, c’est d’abord dans l’accès à l’éducation laïque, gratuite et
universelle qu’elle trouve son principe essentiel.
On a longtemps dit, et cru
que la Révolution française avait peu marqué le Québec, nourri bien au
contraire de contre-révolution. À considérer les jours actuels, et ce qui
marque depuis toujours la culture populaire québécoise, à qui on reproche de « ne pas aimer les riches », on peut
douter de cette certitude, répétée mille fois, que le Québec ne doit rien à la
Révolution ; il faudrait refaire nos leçons d’Histoire ; il faudrait
se rappeler que nous descendons de Français qui déjà, avant même 1789, se
soulevaient contre les impôts, les privilèges, et le mépris des bien nés. « La liberté ne va pas sans la justice »,
disait Desmoulins. Cette assertion a traversé l’Atlantique ; elle est, je
crois, au cœur des convictions primordiales du peuple québécois.
Sagard
Source: http://socioeconomie.wordpress.com/2012/05/30/charest-et-sarkozy-desmarais-le-plus-riche-des-milliardaires-quebecois/
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