Vingt-cinq secondes de la manif, immortalisées par le blogueur !
J’ai participé, cet après-midi, à la manifestation nationale des étudiants et des étudiantes du Québec, en lutte contre l’augmentation des droits de scolarité universitaires. Responsabilité de prof que d’être là. Devoir social de s’y retrouver, en masse. Nous étions plus de 200,000 personnes, essentiellement des étudiants, plusieurs enseignants, quelques parents, une poussette ou deux ; un flot humain joyeux, pacifique, convaincu, surtout décidé à opposer une résistance, juste je crois, étonnamment acharnée, à ce qui pourrait, sérieusement, limiter le droit social incessible qu’est l’accessibilité aux études avancées pour tous. C’est un droit social, qui ne s’achève pas à la fin du niveau secondaire de formation. C’est un droit.
À l’époque de la Révolution tranquille, on visait à garantir ce droit par la gratuité complète du système scolaire. Nous n’y sommes jamais parvenus, mais nous avons quand même construit un système suffisamment démocratique, de par sa régionalisation, et son financement public, pour accomplir une formidable récupération. En 1960, les Québécois francophones étaient incroyablement sous-scolarisés, plus en retard d’instruction commune que les Noirs états-uniens, qui subissaient à l’époque une ségrégation scolaire institutionnelle ! C’est dire ce que les Québécois francophones ont longtemps subi comme entraves, jusqu’à la Grande Noirceur; c’est dire les forces qui leur refusaient le droit à l’instruction. Papineau savait bien, j’imagine, que l’écrasement des patriotes, en 1837, tenait en partie des écoles ( publiques, laïques, ) que l’Assemblée avait instituées. Mercier se doutait bien qu’on le détestait, en certains milieux, parce qu’il avait voulu créer des écoles du soir, pour les ouvriers canadiens-français, analphabètes, de ce fait aliénés.
Après six ans de Révolution tranquille, en 1966, et ce trois ans seulement après la création d’un ministère de l’Éducation, la cohorte d’élèves qui s’inscrivait à l’école primaire allait être la première à se scolariser davantage que la moyenne canadienne. Autrement dit, si nous avons réussi quelque chose, depuis le dernier demi-siècle, qui dure, et peut-être transforme le Québec en profondeur, c’est bien la réforme scolaire. C’est, avec les grands instruments économiques d’État, le moyen déterminant de notre épanouissement collectif, et de notre liberté, nécessaire, assumée.
Remarquez bien, c’est sans illusion que j’écris ces quelques lignes. Je sais bien que le système, très bon, a quelques ratés – au sens très exact du terme. Je sais que les programmes ont été écorchés, souvent ratatinés, capitalisme oblige. Je sais bien que, même dans les collèges publics, la réussite scolaire des étudiants tient beaucoup, déjà, avant même tout renchérissement des coûts de la scolarisation, au milieu privilégié – à la classe sociale — auquel les parents, la famille, la maison appartiennent, et au fric qui leur assure de bien meilleures chances que pour la multitude des autres. Je sais que plusieurs des nôtres, désormais capables de penser, de créer, de gérer, ont pris le virage de la réussite strictement personnelle. Je sais aussi que, depuis 50 ans, notre peuple s’est souvent recoquillé, qu’il a hésité, a voté à droite, a voté Non, s’est cru incapable malgré ses tout nouveaux diplômes, s’est laissé facilement culpabiliser, perdant parfois tout sens critique, la compétence première qu’on acquiert pourtant avec toute bonne éducation. Je sais bien que les Québécois ont parfois honte d’être instruits. On ne se débarrasse pas si facilement de vieux préjugés, surtout de ceux qu’on entretient sur soi-même. L’historien que je suis sait bien que de tout ce qui prend énormément de temps à changer, le mental collectif est ce qui est le plus rebelle, le plus buté. Mais depuis un demi-siècle, nous nous sommes quand même développés, enrichis, rendus suffisamment connaisseurs pour prendre, largement, le contrôle du Québec, tel qu’il est présentement – pas nécessairement tel qu’il pourrait être. L’éducation publique, à faibles coûts, a permis une mobilité sociale qui a fracturé l’étanchéité des classes sociales, et des groupes linguistiques. Nous n’avons pas encore osé jeter par terre ce scandale social permanent qu’est l’éducation privée, pour les fils et filles de quelques familles qui tiennent là, mordicus, aux subventions publiques payées par ce bon peuple avec lequel il est hors de question de se métisser. Je suis surpris que le mouvement étudiant ne s’en prenne pas à cet anachronisme, illustration même de ce que veut dire une éducation qui coûte cher, rogne la démocratie et le droit à une éducation d’égale qualité pour tous.
Pour être clair, j’étais à la manifestation, non pas pour le gel des droits de scolarité, mais plutôt pour leur modulation, et mieux encore, pour la gratuité complète de tout le réseau d’éducation, pour un projet de démocratie sociale qui s’assure, en éducation comme en santé, d’un accès large et équitable, pour tous, à la richesse collective. Monsieur Parizeau disait, en 1977, que « les voies de l’indépendance passent par des finances publiques saines » ; saines et justes, faut-il ajouter. Une fiscalité impartiale permet, certainement, un financement collectif entier du système national d’éducation. J’imagine que M. Parizeau pourrait être d’accord avec ceci : les chemins de l’indépendance passent par des finances justes, et une éducation gratuite, généralisée, jusqu’au plus haut niveau de formation.
Pour tout dire, enfin j’espérais revoir, dans le courant de la manifestation, d’anciens étudiants, d’anciens collègues enseignants. Pas évident de reconnaître qui que ce soit dans un torrent humain. Je n’ai rencontré personne de connu ! De ça j’étais franchement désolé : j’en aurais bien serré une couple dans mes bras !
L'été en mars: les conditions idéales pour une manif réussie !
Il semble que les chevaux impressionnent les casseurs... Heureusement, pas un seul incident, pas une seule arrestation: la manif du 22 mars 2012 restera comme un modèle !
4 commentaires:
Moi qui suis un habitué des manifs de l'éducation, je peux dire que d'un continent à l'autre, ça se ressemble drôlement. Peut-être plus de bruit chez nous, avec des camions sonorisés qui diffusent de la musique en même temps que les slogans.
Par contre la police montée fait très exotique pour un Français. Nous on a des CRS avec des mines pas tibulaires, mais presque, comme disait je ne sais plus qui.
Ce n'était pas, pour moi non plus - et tu peux le deviner ! - ma première manif de l'éducation !
Celle d'hier, à Montréal, restera dans le souvenir collectif, par son énorme succès de foule. Les étudiants ont la cote, en ce moment, auprès de l'opinion publique.
La police montée, oui, fait très exotique ! On est en Amérique, ici :-)))
Superbe Article.
Et nous qui sommes assomés par les journaux gartuits en entrant à chaque matin dans le métro!
Devriez soumette vos textes...
Merci.
Hé bien moi, je suis assommé ( et ravi ! ) par votre commentaire. Merci, merci beaucoup.
Souhaitons bonne chance aux étudiants dans leur combat.
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