Vers 23 h, en
regardant la soirée électorale québécoise à la télé, chez un ami, je me disais que Mme Pauline
Marois avait gagné le titre (et la fonction) de première ministre du Québec de
haute lutte, certes, mais pourtant de justesse, presque en accroc à un processus
électoral qui pourrait être exemplaire. Ça ne me donnait pas du tout le goût de
célébrer. Le résultat des élections était drôlement serré, complexe : le
gouvernement que Mme Marois allait désormais diriger n’aurait qu’un bien faible
mandat de gouverner, encore moins de libérer
quoi que ce soit. Mais elle, quand elle s'est présentée à la foule de ses
partisans, elle était sereine, souriante, visiblement consciente de la lourde responsabilité
d’État qui était désormais la sienne; elle a livré un discours tout en douceur,
tentant de calmer une foule malgré tout déçue, et un peu amère. Quel souverainiste
ne l’aurait pas été, même de la belle victoire de Françoise David, vécue ce
mardi soir, plus que jamais, comme une douloureuse déchirure ? Je la trouvais
belle, Mme Marois, digne, apaisante, et courageuse, d’exprimer encore et
malgré tout ses espoirs et ses convictions. Elle a rappelé l’ouverture
nécessaire sur le monde. Elle a tendu la main aux peuples indiens, leur a
offert le dialogue, l’égalité entre nations. Elle a assuré, à nos compatriotes anglophones
(«entendez-moi bien», a-t-elle
insisté) que jamais aucun de leurs droits, inaliénables, ne serait restreint.
Et puis, là, immédiatement,
le drame, terrible, en direct, à la télé. Une tentative d’assassinat, sur la
personne de la première ministre élue, visant peut-être aussi plusieurs autres militants
indépendantistes. Deux personnes sont
gravement blessées, une en est morte. Morte. Ce drame, c’est l’acte d’un probable
dément, isolé, qui s’est investi lui-même d’une mission, qui s’est autoproclamé
le vengeur d’une communauté qui se dit, depuis trente ans, depuis quarante ans,
persécutée dans sa richesse, bafouée dans ses droits. « Les Anglais se réveillent ! », clamait le forcené, pour qu’on
l’entende, de loin, et qu’on sache, tous, que son crime avait un sens. Le choc a
été considérable. L’animateur télé, bouleversé, ne regardait plus que dans le
vide, tout en essayant de comprendre l’impossible et l’impensable. Mme Pauline
Marois, première ministre élue du Québec, venait d’échapper de peu à un
attentat motivé par la haine. Au Québec.
Dans un pays où l’immense majorité de la population, depuis toujours, est
pacifique jusqu’à l’aliénation.
Et puis, là, tout de suite
après l’horreur, c'est l’étonnement, c'est la stupéfaction : Mme Marois est
restée présente parmi les siens, n’a rien perdu de son assurance, ni même de sa
bonhommie. Elle a tenu à rassurer la foule, à compléter la fête de la victoire,
si faible et presque pauvre. Ce qu’elle savait à ce moment-là, de la tragédie,
qui n’avait que quelques minutes, n’est pas ce qui est ici important : ce
qui l’est, en revanche, c’est qu’après avoir tenu un discours vibrant, chaleureux,
et rassembleur, elle soit revenue sur scène, affrontant un danger toujours
possible, et surmontant sa propre peur, sans que rien n’y paraisse. Magnifique.
Elle était tout à la fois superbe, féminine, décidée, leader vraiment
responsable, dans un moment où le Québec tout entier a ressenti le besoin
d’être rassuré. Jamais je n’ai cru les propos d’amour de Mme Marois aussi
sincères que ce soir, au cœur d’événements violents, qui la visaient elle, elle
et ses convictions. Mme Marois, ce soir, cette nuit, a gagné vraiment ses
élections. Elle s’est méritée la fonction de première ministre du Québec,
solide, béton, admirablement courageuse, dotée d’un jugement impeccable en
situation de crise. S’il fallait encore en convaincre nos compatriotes, je fais
le pari que c’est maintenant chose faite. Mme Marois a été tragiquement investie,
mais nous tous, attachés à la démocratie et au bon sens, nous l’adopterons et
la protégerons.
Il y a les excessifs (que
je connais, parfois) qui polluent les réseaux sociaux de leur mépris et de la virulence
de leurs propos (et qui le font encore cette nuit) ; il y a les enragés
complètement fanatisés, qui distillent leur haine viscérale d’un Québec
français qui s’affirme pourtant si difficilement, gêné parfois de sa timide
audace, et qui par de trop courts instants rêve d’un pays à lui, un
pays libre et indépendant, le meilleur professeur qui soit pour apprendre la
fierté d’être et la capacité de réussir. Ces imbéciles, excessifs, enragés, qui
sont toujours de trop, dans toute société, dans tous pays, portent leur part de
responsabilité dans l’événement tragique de ce soir. Le crime est l’action d’un
fou, c’est évident. Un désaxé, un pauvre type. Mais la folie ne se nourrit
jamais d’elle-même et d’elle seule : elle est sociale, elle est alimentée.
Ce soir, cette nuit, j’ai honte pour celles et ceux qui, par leur hargne, leur
mépris, leur racisme même, ont engraissé le délire paranoïaque d’un halluciné.
PS (2 octobre 2012)
Il y avait, ce soir, au Métropolis, un spectacle-bénéfice: les critiques parlent déjà d'un événement digne, grave, musicalement réussi. Bravo pour qui a songé à ce concert, bravo aux artistes qui ont participé à l'événement. Il y a eu un mort, le 4 septembre dernier. Il y a eu un blessé grave. Tant mieux qu'on ne les oublie pas, tant mieux qu'on aide les victimes initiales de cette tragédie. Mais je ne voudrais pas qu'on oublie, jamais, ou qu'on ignore, ou qu'on fasse silence sur le fait qu'il y avait une personne qui était spectaculairement visée, au soir du 4 septembre, qui survit, qui assume le poids tragique de cet événement. Je n'ai pas d'intention politique, en écrivant cela, si ce n'est que je ne souhaite pas que, pour des raisons qui seraient précisément politiques, on fasse comme si cette personne visée n'existait pas.
11 commentaires:
Merci pour ce très beau texte. Je viens de le transmettre à la secrétaire de madame Marois. Elle mérite tellement cet éloge !
Excellent texte M. Patry. Vous avez trouvé la formule qui résume cette soirée historique: "Mme Marois a été tragiquement investie." Et j'endosse votre interprétation du geste "fou", mais si porteur de la violence dont les radicaux anglos sont capables. Bouter le feu au Métropolis... pourquoi au Parlement? Tiens donc, ça s'est produit en 1849...
Je pense toujours, oui, que Mme Marois a été, la nuit dernière, tragiquement investie. Et si mon texte se rend jusqu'à elle, j'en serai immensément honoré. Merci mille fois.
Mme Marois est restée sur place courageusement, malgré le danger?!
Ou parce qu'on savait que le coup de "fausse bannière" qui s'est déroulé ne serait mené que par un homme seul?
Qui assurait la sécurité?
Ça sent l'arnaque à la JFK dont on sait que ça venait de l'intérieur.
Interpréter ce geste comme fou, isolé et sans lien obscur est dangereux et stupide au delà de toute description.
L'histoire se répète pour la simple raison que les gens jugent trop vite.
C'est triste, que de vous lire, Monsieur. J'aurais parié, après l'attentat du Métropolis et la tentative d'assassinat contre Mme Marois, que deux types de théorie allaient très vite surgir: l'une disant que c'était au fond la faute du PQ lui-même, de son intolérance, de son racisme et de son «nous», et l'autre, la vôtre, que le coup vient de l'intérieur du PQ lui-même, l'affaire étant comparable à l'assassinat de JFK. Vous appartenez à la seconde variante. Je ne peux même pas vous réconforter par le si classique et si stupide «Vous avez droit à votre opinion», parce qu'il ne m'a jamais semblé y avoir un droit à l'imbécillité.
Et vlan ! Dans les gencives!!!
L.
;-)
Tu as livré le fond de ma pensée et encore mieux.
Merci pour ce beau texte.
M@L
Merci pour ce beau commentaire ;-)
Un peu de poésie dans un monde de brutes...
http://www.youtube.com/watch?v=TZni3VJUdDY&feature=related
;)
Merci Eliot ;-) J'aime la chanson, surtout quand Nana Mouskouri se joint à l'interprétation...
À propos, je serai en Italie en octobre ! ( Venise, Florence, Rome... ) Je t'en reparlerai ;-)
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