dimanche 11 août 2013

LA DÉMOCRATIE ASSASSINE




... En 2011, «Hillary Clinton est venue au Caire en disant, il faut des élections. (...) Mais la démocratie ce ne sont pas juste des élections. Il faut d’abord changer le système, pour qu’il soit plus honnête, plus juste, égalitaire, humain, pour qu’il apporte une vraie paix, une vraie démocratie. Mais c’est précisément ce qu’ils [les Américains, les possédants] ne voulaient pas. Nous dans les rues, nous étions unis, 20 millions unis contre Moubarak et son système, c’est pour ça qu’on a réussi à le renverser. Alors ils nous ont divisés au moyen des élections. À la minute où ont démarré les élections en Égypte, les gens ont commencé à se diviser, ils ont été mis en compétition. (...) Tout cela a permis de faire avorter la révolution. (...) Nous voulions nous organiser, car la révolution n’est pas très créative, elle est surtout spontanée... » - Nawal El Saadawi (Source: La religion est une idéologie politique, http://monde-arabe.arte.tv/nawal-el-saadawi/ )

Hillary Clinton, se rendant en Égypte en 2011, connaissait-elle l'analyse parfaitement limpide que James Madison avait faite, en 1787, dans les Federalist Papers, de la démocratie ? Madison était de ceux qui avaient redouté que la révolution américaine ne remette en question l'ordre social. (Il y avait, par exemple, ces masses paysannes sans terre, inquiétantes, qui rêvaient d'un grand partage, équitable, des grands domaines «loyalistes» abandonnés de gré ou de force...) Madison avait expliqué à ses contemporains hésitants, et en mettant, pour qu'ils comprennent bien, les points sur les i, que le principe de la majorité démocratique avait cette utilité formidable de contourner, et de masquer, «l’inégale répartition des richesses» et donc «des intérêts particuliers», au profit d’une majorité artificielle et temporaire, avec, si possible, une bonne dose de fanatisme partisan. Au regard de Madison, il n’y avait en conséquence rien à craindre du suffrage universel, pourvu qu'il fragmente les intérêts collectifs, qu'il pulvérise toute conscience de classe, qu'il vide de son sens les concepts mêmes de peuple, de nation et de république. (Source: Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, pp. 115-118)

J'imagine que Mme Clinton, se rendant en Égypte, connaissait la pensée de Madison.

Et nous, il nous faudrait savoir si Lafontaine, Cartier et compagnie la connaissaient aussi, quand il a leur fallu s'assurer, après 1837, que jamais, jamais plus la démocratie n'allait générer, ici, au Québec, une aberration semblable à la vaste coalition électorale et populaire qu'avait été le mouvement patriote au premier 19e siècle. En tout cas ont-ils pratiqué (dès 1848,) la formule gagnante, parce que sinon, comment comprendre l'enracinement partisan, souvent fanatique, des rouges et des bleus, des oranges et des verts, et cet invraisemblable éparpillement indépendantiste qui vide de son sens les concepts mêmes de peuple, de nation, et de libération ? 

Nawal El Saadawi aujourd'hui, James Madison hier, ont bien raison tous les deux: c'est la démocratie elle-même qui peut tuer la démocratie.



 

4 commentaires:

Jocelyne Richard a dit…

Bien d'accord la démocratie masque les inégalités,mais quelle autre régime peut assuré un partage égal de la richesse?
Le communisme qui créé deux classes une pauvre et celle près du pouvoir qui profite de toutes les largesses?

Le problème n'est peut-être pas la tant la démocratie que la recherche du pouvoir peut importe le régime.

Richard Patry a dit…

Comme ça l'est, en ce moment, je suis d'accord avec toi, et c'est une des raisons majeures pour laquelle je ne vote pas.
Mais la démocratie peut aussi dégager un irréversible mouvement de changement. C'est ce qui s'est passé, je crois, (et toute proportion gardée), en 1976. Je voterai à nouveau si des conditions comme celle-là se reproduisent. En attendant, je déteste le fanatisme des partisans de QS, mais aussi de ON et souvent du PQ. Je parle bien des partisans, qui font du processus électoral un vrai cirque. J'imagine que c'est la même chose en Égypte. C'est certainement la même chose aux États-Unis.
En attendant, ce sont les vrais puissants, qui se moquent bien de la démocratie, qui rigolent.

Jocelyne Richard a dit…

Tout à fait la démocratie peut beaucoup. J'aimerais revoir quelque chose comme 1976. Nous l'avons presque vu avec la grève étudiante l'an dernier.

Dommage avec l'arrivé du PQ au pouvoir les gens ont cru que tout était réglé.

Je suis séparatiste. J'ai toujours voté pour le PQ mais jamais de façon aveugle.

Présentement je n'apprécie pas beaucoup leur façon de gouverner.

Alors je ne sais pas ce que je ferai à la prochaine élection.

Et les tous puissants n'ont qu'une seule démocratie celle qui rempli leurs poches ici comme ailleurs et ils se déculpabilisent devant les médias en donnant généreusement dans les fondations.

Voilà le bon peuple mange à nouveau dans leurs mains.


Richard Patry a dit…

Bien d'accord avec toi. (Encore que, contrairement à bien des gens, - et peut-être parce que j'ai l'esprit de contradiction ! - je trouve que le gouvernement actuel, à tout prendre, et compte tenu de la faible marge de manoeuvre qui est la sienne, est finalement pas si mal. Mais ce n'est évidemment pas à un «pas si mal» auquel je rêve)