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Il arrive qu’une religion soit conquérante. Elle se jette alors, les yeux au Ciel, éperdue d’amour — d’amour, comme de juste, on ne le répétera jamais assez… – dans l’aventure d’une « conquista », d’autant plus agressive, qu’elle s’est préalablement nourrie d’une chasse aux infidèles qui a triomphé…
Au XVIe siècle, l’Église catholique espagnole n’a pas échappé à la tentation. C’était d’abord du coup pour coup, contre ces musulmans, ces Maures qui avaient eu la fâcheuse idée d’envahir et d’occuper la péninsule ibérique pendant huit siècles. Dehors les mécréants ! Et tant qu’à faire, dehors les Juifs, aussi ! Et qu’on inquisitionne sans relâche, qu’on purifie le pays souillé par la présence impie ! Ce qui implique de tuer. De fait, on torturera, on tuera beaucoup.
1492 est là-dessus un tournant capital dans l’histoire de l’agressivité catholique. C’est cette année-là qu’Isabelle et Ferdinand chassent les derniers musulmans d’Espagne. C’est encore cette année-là qu’ils chassent aussi les Juifs. Le pape est aux anges ! Or le pape, en 1492, c’est Alexandre VI, le Borgia, c’est tout dire. Dès 1493, il sera aux petits soins avec sa fratrie (enfin, presque) espagnole. Affable comme tout, disponible pour tout, il ouvrira grand, très grand les portes de la conquête de l’Amérique aux hordes espagnoles, véritables escadrons de la mort première manière.
L’Église sait parfaitement bien, pourtant, qu’elle sert des intérêts qui ne sont pas les siens. Elle n’est dupe de rien, et devine les intentions réelles de Christophe Colomb, qui écrivait, dès 1492: « Avec seulement cinquante hommes, nous pourrions (…) soumettre tous [les Indiens] et leur faire faire tout ce que nous voulons. » Mais comme il n’y a qu’une seule vraie religion, pourquoi ne pas profiter de l’occasion ? Pourquoi se priver quand la fiesta promet d’être généreuse avec tous ces fils de la très sainte Église qui se lanceront dans l’aventure ? L’or, en espèces sonnantes, ça vaut bien une promesse de tombola sexuelle au paradis, non ?
Alors, elle y va, l’Église, bien évidemment. Elle débarque en Amérique. Elle suit les barbares conquistadores, justifie leurs pires atrocités. Et puis, triste, quand même, pour la forme, elle raconte qu’elle doit bénir, parfois, des assassinats de masse nécessaires au maintien des bonnes mœurs chrétiennes. Ainsi, en 1513, Balboa, en butte aux Indiens Quarequas, qui lui bloquaient le passage au lieu de le couvrir d’or — l’affaire se passe dans le Panama actuel, — « découvrit que le village de Quarequa était en proie au vice le plus immonde. Le frère du roi [indien] et un certain nombre d’autres courtisans étaient habillés en femme, et au dire des voisins, [ils] partageaient la même passion. Vasco [Balboa] ordonna que quarante d’entre eux fussent réduits en morceaux par des chiens. Comme les Espagnols utilisaient communément leurs chiens pour combattre ces gens nus, les bêtes se jetèrent sur eux comme s’ils eussent été des sangliers ou des daims. »
Des chiens. Faute de fusil d’assaut semi-automatique SIG Sauer MCX., et par défaut d’édifices en hauteur, rares dans le coin à l’époque. Une quarantaine. Peut-être quarante-neuf, qui sait. Une effroyable homophobie, commise par des gens qui avaient prêté serment d’allégeance — et qui avaient la foi, comme de juste. Une justification à foncer, plus et plus encore: quelle importance, après tout, quand l’ennemi est à ce point encombrant, et parfaitement immonde ?
Balboa put passer, l’âme en paix, véritable soldat chrétien, « calme et réfléchi ».
Le crime de Balboa, c’est tout comme le crime de Marteen, « calme et réfléchi ».
L’Église, à l’époque, finit par s’interroger. C’était à Valladolid, en 1550-1551. L’Église apprit peu, et très très lentement, de ses erreurs. Il lui arrive d’errer encore. Qu’en sera-t-il, maintenant, d’une autre grande religion monothéiste, dont on espère qu’elle distingue sa foi d’intérêts autrement plus terre à terre, la mise en esclavage de populations entières, la frénésie du pillage et du brigandage, la main basse faite sur du pétrole revendu en contrebande, le délire mystique qui justifie de détruire des monuments archéologiques exceptionnels ou de les vendre en contrebande, tout comme les Espagnols l’avaient fait naguère avec les pyramides, les œuvres d’art indiennes et les innombrables manuscrits qui disparaissaient dans leurs gigantesques autodafés…
2014 est là-dessus un tournant capital dans l’histoire de l’agressivité islamiste: c’est l’année de fondation de l’EI.
Le village de Quarequas, le bar The Pulse, même réalité, même combat, par delà les siècles qui les séparent. Face à l’horreur, c’est l’humanisme qui s’éveille à nouveau. C’est l’humanité qui, prenant conscience du crime homophobe, ne s’en porterait que mieux en le maudissant.
Je rêve.
2 commentaires:
Triste mais tellement prévisible. L'humanité n'évolue que sur des millénaires, des dizaines de millénaires. Face à des circonstances semblables, l'homme agira de la même façon que lors des siècles précédents.
On m'a baptisé, je suis donc catholique, je ne me sens pas concerné pour autant par ce que l'Église peut avoir fait ou fera.
À quoi devrait-on s'attendre? Comment peut-on juger les actions passées? Nous avons tendance à croire que la situation actuelle est le résultat d'une certaine évolution. Laissez-moi rire.
Grand-Langue
Beaucoup de choses à répondre: vous ouvrez beaucoup de portes dans un texte pourtant très court.
J’ai été moi aussi baptisé. Et moi non plus, je ne me sens pas coupable du passé catholique.
J’ai écrit un texte d’histoire engagée. Ce n’est donc pas à proprement parler un texte d’historien, mais un texte passionné. Là-dessus, votre commentaire est tout à fait juste.
Tout à fait exact, aussi, que les choses (le « mental collectif », comme le dit un grand, un très grand historien) évoluent lentement.
Critiquer les religions, ce n’est pas, ce n’est jamais critiquer le message essentiel. Le message de Jésus de Nazareth, à mon humble avis, n’a rien à voir avec l’histoire de l’Église.
Mon billet en était un de colère contre le refus de l’Islam de se questionner, du moins en ce moment. Mais viendra un jour, je n’en doute pas, où l’Islam connaîtra son Valladolid.
C’est trop bref, mais bon...
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