lundi 20 août 2012

GAY PRIDE À MONTRÉAL




C'était, à Montréal, le week-end de la Fierté — ailleurs appelée Gay Pride. Beaucoup de participants pour la journée communautaire de samedi, de partout, de toutes tendances. Le défilé du dimanche était emblématique de ce qu'il est partout au monde (où on le tolère), coloré, extravagant, politisé pour la cause, donnant beaucoup dans l'autodérision — ce que j'adore. Un public bon enfant, drôle, toujours souriant. Très chaleureux avec Québec solidaire tout comme avec le Parti québécois. De longs, de gros applaudissements pour l'importante délégation d'étudiants portant le carré rouge, et qui s'est mêlée, à ma grande surprise, à la parade. Une foule de spectateurs immense, telle que je n'en avais pas vues ces dernières années, plébiscitant toutes les variétés de l'espèce humaine, le temps d'une trêve de quelques heures. Une foule feignant d'oublier à quel point la fête est commercialisée, récupérée, rattrapée par le néolibéralisme qui a voulu de l'argent rose, et qui, tout bien réfléchi, nous veut  bien dans son armée: sur les lignes de front, les saunas sont plutôt rares...  Le week-end de la Fierté reste un beau moment, nécessaire à un apprentissage de la tolérance, qui n'est pas encore fini: la résistance est redoutable, dès qu'il s'agit de sexualité, et plus encore d'identité sexuelle. Il faut veiller, et ce sera là peut-être notre dernier combat, à ne pas devenir un instrument manipulé, crédule jusqu'à la bêtise, et  totalement inconscient, de l'impérialisme américain, et de celui, ethno-culturel, de l'Occident. 






jeudi 16 août 2012

LA GRANDE IMBÉCILLITÉ


Cyberpresse, 16 août 2012. 



Cyberpresse, 21 heures : 43 % des personnes qui se sont exprimées, par le biais d'une question sondage frisant le racisme, et réveillant les pires préjugés qui soient, se sont dites d’accord avec les propos du maire de Saguenay, Jean Tremblay. Je suis stupéfait, honteux : 7402 de mes compatriotes pensent que les personnes nées hors Québec, mais devenues citoyennes de ce pays, amoureuses de ce pays, tout aussi bien et tout autant que tous les autres citoyens du Québec, au restant parfaitement intégrées, au point d’adhérer au parti politique qui prône l’indépendance nationale, le français comme langue commune et la laïcité pleine et entière de l’État, que cesdites personnes n’ont pas le droit d’exprimer une opinion quant à un projet de société qui n’est pas traditionnel, et qu’elles devraient s’exclure d’elles-mêmes du débat public.

7402 de mes compatriotes pensent, comme le maire Tremblay, que, «nous les mous, les Canadiens français, on va se faire dicter comment se comporter, comment respecter notre culture par une personne qui arrive d'Algérie… On n'est même pas capable de prononcer son nom… Je n'aime pas que ces gens-là (les immigrants) arrivent ici puis établissent leurs règles… Ils vont faire disparaître la religion et notre culture de partout.» Le maire a déliré ; il a pris la défense du catholicisme par un appel à peine déguisé à la haine et à l’exclusion, et c’est ce qui reste, dans l’espace public, l’exclusion, la haine, sans ouverture à l’autre et à l’échange de vues. N’importe quel peuple sur Terre, et le nôtre aussi, bien entendu, peut s’expliquer avec ses nouveaux arrivants, insister sur les valeurs fondamentales qui sont les siennes. C’est ce que propose de faire la Charte de la laïcité. Mais rendons-nous bien compte que nombre des 7402 électeurs québécois qui, aujourd’hui, ce soir, appuient les inepties du maire Tremblay ne veulent pas promouvoir des principes essentiels; ils dénoncent qu’une candidate issue de l’immigration ait des principes essentiels, ils martèlent un racisme enfin libéré, un rejet de l’immigration en tant que telle, contents de pouvoir enfin soulager la peur de l’autre qui peut tous nous habiter, et qui fait d’affreux ravages quand on n’y prend pas garde. Ce qu’a dit le maire, c’est petit, c’est médiocre, c’est en fait scandaleux. Quant au sondage de la Cyberpresse, il n’a bien sûr rien de scientifique. Mais j'aimerais quand même, ce soir, habiter Trois-Rivières, et pouvoir contribuer, par mon vote, à donner à la candidate péquiste d’origine algérienne une victoire telle que les connards sectaires, crédules, intolérants, s’écrasent à tout jamais. Je rêve, mais j'espère quand même.

Ce n’est pas d’hier que dès qu'on «touche» au crucifix, au Québec, on mobilise une droite réactionnaire qui, souvent, ne pratique plus aucune religion, mais qui, hurlant et criant au sacrilège, préserve l’orthodoxie sociale et  trouve par là un moyen parfaitement cynique de canaliser les sentiments populaciers les plus immondes, à ras de terre. C'est la même droite qui applaudissait Camil Samson, lui qui déplorait qu'on sorte le crucifix des écoles. C'est la même droite qui a manifesté contre les Fées ont soif, devant le TNM, en 1979, et qui s'est prolongée dans le mouvement des Yvettes, lors du référendum de 1980. C’est le même conservatisme social, braqué depuis longtemps contre la révolution sexuelle et la révolution féministe, qui persuadait la même droite de refuser (criminellement) les pubs de santé publique exhortant de toute urgence à utiliser des condoms lors de rapports sexuels, à l'époque où Mme Thérèse Lavoie-Roux, ancienne commissaire d’école catholique, était ministre de la Santé. Ce sont les tenants de la même droite qui animent les radios poubelle, qui cultivent le maire et les gens qui pensent comme lui.

Il y a aussi, dans cette affaire du crucifix, et c’est ce qui gêne le plus, de la xénophobie, et du racisme, qui s'enracinent parfois dans la simple ignorance des autres (c'est très certainement le cas du maire Tremblay, qui, ne sachant prononcer le nom de Mme Benhabib, avoue du même coup qu'il ne l'a jamais lue). Voilà que ce soir, un ministre libéral du coin, je veux dire du Saguenay, soutient le maire, applaudit, c’est lui qui le dit, à des positions courageuses. Il y a certainement (à n'en pas douter) de la partisanerie politique dans les réponses au sondage de la Cyberpresse, qui saute sur l'occasion pour déstabiliser le Parti québécois et promouvoir d'autres partis semblant mieux «sauver» le Québec traditionnel contre les «immigrés». L'ADQ avait joué cette carte, à fond, aux élections partielles et générales de 2008. On peut imaginer que bien des personnes qui ont cliqué leur accord avec le maire Tremblay ont fait le geste pour nuire au Parti québécois, tout simplement - mais sans conscience.

S’il n’y avait pas, en triste supplément, les défenseurs du patrimoine pour tout confondre, pour amalgamer la laïcité de l'État avec la destruction des églises ! Faut le faire ! J'ai des amis, intelligents, athées, qui sont favorables au maintien du crucifix à l'Assemblée nationale, que pour cette raison, le patrimoine – raison à mon avis aberrante, puisqu'un crucifix, ça se déplace, ça se range, ça se conserve dans un musée. Quand, en 1977, le gouvernement péquiste de René Lévesque a décidé d'abolir la prière à l'Assemblée nationale, ça a crié, du côté des banquettes libérales, et c'était, à les entendre, un vrai scandale, l’œuvre d’un mécréant; plus personne, depuis, ne conteste le « moment de recueillement », parfaitement neutre. J'en ai assez, vraiment assez, de ces histoires à n'en plus finir pour ce qui n'existe même pas, ni comme un vieux Monsieur à barbe, ni comme une Chose flottant dans les Cieux, ni comme une Entité créatrice, qui nous surveillerait du Très-Haut, qui dicterait ses désirs et ses ordres, qui froncerait du sourcil quand les Benhabib de ce monde osent parler de laïcité, un Dieu qui prônerait une morale écrasante, sexuelle, vestimentaire, une parade graduée comme une échelle, allant du meilleur jusqu'au pire, avec l'enfer au bout du compte, divinement calculé. Contre l'offensive catholique intégriste de Mgr Ouellet, sur laquelle s'aligne le maire Tremblay, il y a la science, la NASA, la modernité, l'évidence. On s'en sortira, de cette hypocrisie, quand les athées, les non-pratiquants, cesseront de faire baptiser leurs enfants, et de magnifier leurs morts à l'église. On s'en sortira quand les athées, et les non-croyants cesseront de se demander, torturés et parfaitement ridicules, si on doit, après les écoles, sortir le crucifix de l'Assemblée nationale. Qu'on le sorte, bon dieu, et qu'on le mette au musée du Québec, souvenir malheureux de la Grande Noirceur qui se prolonge, encore, jusqu'à maintenant, dans la Grande Imbécillité.

Du bien, dans toute cette sale affaire ? Oui. Un pas de plus vers la laïcité complète de l'État, à l'encontre de ce que prescrit pourtant, terriblement arriérée, la constitution canadienne, qui reconnaît, sans blague aucune, la « suprématie de Dieu ». Et, peut-être, une sensibilité nouvelle, de nos compatriotes des communautés culturelles, vers le Parti québécois, qui n'a jamais été, tant s'en faut, leur persécuteur ou leur ennemi.






vendredi 3 août 2012

NE PAS VOTER DU TOUT


20 mai 1980: c'en était fait.



Le 2 mai 2011, les électeurs québécois ont rejeté une équipe parlementaire qui n'avait pas démérité, et qui avait au cœur même de son existence de faciliter, un jour, l'accès du Québec à son indépendance, quand en viendrait le temps - comme le temps de la République était finalement arrivé pour les Irlandais, divisés, hésitants à n’en plus finir, longtemps dominés, aliénés, et presque assimilés. Désirant clairement le choix qu'il faisait, le peuple québécois a dans les faits rejeté son indépendance, et a mis fin, définitivement, au rêve difficile et douloureux, souvent refoulé, de son émancipation collective, de sa maturité enfin assumée, avec risques et périls, avec gauche et droite, avec connaissance et présence dans le monde, comme pour tout autre peuple libre de son destin.

Claude Ryan avait dit un jour la nécessité historique, inévitable, qu'une des deux options, fédéraliste ou souverainiste, disparaisse complètement. Au lendemain du 2 mai, c’était chose faite, désormais. Le Bloc québécois anéanti, le choc a été énorme. La tourmente a failli emporter le Parti québécois, hébété, déchiré entre ceux qui ont voulu sauver l'option à tout prix, et ceux qui ont voulu coûte que coûte sauver le parti de gouvernement, qui a rendu de grands services, ceux mêmes qui croyaient, encore, que le pouvoir provincial exercé par des souverainistes augmentait la confiance en nous des Québécois. Des souverainistes, proches d'Option Québec, publié en 1968, ont critiqué l'origine même de l'impasse, voire de l'impuissance nationale, dans cette démarche référendaire destinée à toujours échouer, victime de modifications démographiques de plus en plus rapides, ce pendant que le vote des jeunes désertait la cause, s'abstenait de plus en plus massivement. Des souverainistes restés attachés au parti, fidèles à l'idée lévesquiste qu'un bon gouvernement, nationaliste, social-démocrate, pouvait préparer l’indépendance par la gouvernance souverainiste, en attendant un possible référendum gagnant, sont restés fidèles à l'idée d'une élection provinciale victorieuse, malgré l'effroyable déroute du Bloc québécois au 2 mai 2011. Et pourtant l'option est bien morte, aussi irréversiblement que M. Lévesque l'avait cru « irréversible », dans son fameux discours, excellent, essentiel, inutile, et qu’il a regretté, tenu à l’Economic Club de New York, en janvier 1977. L’option est morte depuis longtemps. Elle survivait comme un fantasme masquant l’humiliation à renoncer; le 2 mai, elle a été une fois pour toutes liquidée, enterrée.

J’en ai mal au cœur, encore, parce que j’ai toujours cru l’indépendance du Québec impérative, urgente et nécessaire. Fragmenté, centré sur la langue, le drapeau, les grands mythes historiques, les statues de présumés grands personnages de notre histoire, le nationalisme québécois me touche peu, m’embarrasse souvent, comme me désarçonnait déjà la gêne de M. Lévesque de faire adopter la Loi 101. Nos compatriotes anglo-québécois ne s’embarrassent pourtant pas d’être unanimes, à peu d’électeurs près, quand il s’agit de rejeter le Québec pays, le Québec français, le Québec national ; ils n’ont aucune réserve à s’appuyer sur les instruments législatifs, et constitutionnels, qu’ils se sont donnés, depuis 1867, plus encore depuis 1982, pour assurer l’épanouissement de leur collectivité. Ils exigent qu’on leur parle dans leur langue. Ils exigent qu’on leur donne leurs villes, leurs institutions scolaires, la libre disposition de leurs revenus communautaires, le libre usage de la Charte fédérale des droits et libertés. Ils exigent une identité séparée, et menacent même, si jamais l’indépendance devait se réaliser, de partitionner le Québec, comme l’Irlande a dû se laisser déchirer, un séparatisme payé très cher. Ils sont sans gêne et conscients, ce qui nous manque, à nous francophones, souverainement. J’ai cru à la nécessité, oui, de l’indépendance du Québec, comme à un acte de libération essentielle, qui donnerait, par exemple, aux étudiants la capacité de surmonter l’envie du décrochage scolaire, ce désir qu’ils ont, puissant, aujourd’hui irrationnel, de la fuite dans un misérabilisme toujours vivace parce qu’il a un sens, parce qu’il masque une autre liberté, désirée, passionnante, celle du pauvre, du squatter, de l’errant, du modeste, qui se croit libre parce qu’il a l’espace pour lui, et peu de besoins à combler. Tout cela n’est pas du gauchisme, pas même un penchant pour l’anarchisme, c’est de la dérobade. C’est notre communautarisme à nous, une aliénation terrible, une peur tenace que ça change, et que la liberté dont parlait M. Lévesque, mieux encore M. Parizeau, ne soit plus la liberté de faire ce que l’on veut, sans qu’on nous bâdre avec le souci des autres, avec l’effort, avec la culture, avec la connaissance, avec le changement. Un livre magnifique, paru il y a quelques années, Québec, quatre siècles d’une capitale, l’œuvre entre autres de l’historien Gilles Gallichan, faisait en réalité l’histoire d’une capitale en perte de continuité, constamment ravagée et refaite, sans souvenirs persistants, le lieu d’une singerie caricaturale du pouvoir des Anglais d’Angleterre, arrivés ici à force d’armées conquérantes, capitale incurablement provinciale qui se donne, sans rire du tout, un titre, un trône, des costumes brillants, des habitudes bien élevées, une sagesse de colonisés parfaitement affligeante… Qu’importe aux Québécois cette parade ridicule, pourvu qu’on les laisse en paix. Le vernis du colonisé est solide et brillant ; mais sous la couche épaisse et résistante de la petite bourgeoisie, il y a un peuple qui a tout encaissé, mépris, exploitation, tromperie, et qui ne sent de survie que dans sa liberté d’être, immédiate, protégée par l’ignorance des défis inévitables, soulagée par le rire gras, rêvant qu’un jour il y aura pour lui aussi commerces prospères et beaux quartiers. Le pays, dans ce contexte, est pour le moins lointain, et nébuleux…

L’indépendance n’est pas une fin en soi ; mais elle est, j’y ai cru, un bien en soi. Je trouve ça triste, et désolant, qu’on y ait renoncé, mais c’est un fait. Le déni là-dessus est tellement puissant que lorsque je suppose la fin du rêve, preuves à l’appui, j’en perds des amis. Et pourtant, j’en ai assez de m’illusionner. Ça m’épate de voir Léo Bureau-Blouin s’engager, et Jean-François Lisée, et Maka Kotto, et Jean-Martin Aussant, lui autrement, d’un sans-gêne à priori emballant, et même Françoise David, sans qu’elle semble vraiment y croire, au pays, comme d’une nécessité absolue, de toute première importance. Je les admire, je le jure, et combien d’autres. Mais je refuse qu’ils m’emportent désormais dans la calamité, et la consternation, à répétition. Comment raconterons-nous donc notre histoire nationale, dans cinquante ans, dans cent ans, déjà que ce n’est pas simple d’expliquer à des étudiants à qui il faut faire aimer l’Histoire, imaginez, que nous provenons d’une colonisation ratée, d’une conquête, d’une révolte échouée en plein hiver, d’un asservissement, et d’un long, d’un très long mépris.

Je ne voterai donc plus, plus jamais, à l’exception d’une élection référendaire, ou d’un référendum sur la souveraineté ; alors, là, oui, j’irai voter. Mais il n’y aura ni de ce jour improbable, ni d’une victoire impossible, et je ne voterai donc plus. La polarisation nouvelle entre la droite et la gauche montre bien que l’autre projet a été trop long à se réaliser, qu’il ne se réalisera jamais : l’illusion du pays s'incarne en ce moment avant l’indépendance réelle, et c’est de projet de société dont on parle désormais. Ce nouveau clivage est la plus belle preuve que la question de la souveraineté est tranchée. M. Legault, tout comme Mme David, qui tous deux en ont gros contre le Parti québécois, sont les naufrageurs ultimes de la souveraineté, au bénéfice d’une gauche ou d’une droite provinciale, de parenté évidente avec des partis fédéraux, le NPD ou le parti conservateur. Au reste, Québec Solidaire se dit souverainiste parce que l'écrasante majorité des personnes de gauche le sont. Cela changerait ( et cela changera, ) que QS changera d'option constitutionnelle, je parie fort là-dessus. 

Ce printemps, le mouvement étudiant a été remarquable, l’argumentaire, impeccable. La Révolution tranquille n’a pas été complètement inutile ! Mais le mouvement étudiant n’était pas toute la jeunesse, et certainement pas les décrocheurs, ni ceux, excusez l’expression, qui s’en crissent ; il n’incarnait pas non plus le peuple québécois dans toute l’épaisseur de son existence historique, bien loin de là. Il aurait pu cependant nous faire croire que la société québécoise avait réellement changé, et qu’elle avait désormais de nouveaux idéaux démocratiques. À ceux et celles qui pourraient l’espérer, allez lire ce qui s’écrit dans les médias sociaux, allez  suivre sur Twitter la campagne électorale en cours : rien n’a changé, la partisanerie reste aveugle, agressive, et de mauvaise foi ; la gauche pratique la vieille politique du discrédit des personnes comme une pro de droite radoteuse et sénile. Voter, dit-on souvent, est un devoir ; il m’arrive de penser, c’en est même une conviction profonde, qu’il faudrait un code de déontologie de l’électeur, une éthique de l’électeur, une exigence démocratique de l’électeur, avant de pouvoir même voter. Pour devenir citoyens, on vérifie que le candidat a quelques connaissances de base sur le pays qui l’accueille. Ça me fait fantasmer, pour tout dire, qu’on exige la même chose de chaque électeur, avant même de réformer les mœurs électorales, ou le système lui-même. La démocratie ne s’en porterait que mieux. En attendant, c’est le suffrage universel lui-même qui me laisse froid.

À défaut d’indépendance, peut-être faut-il, comme on dit, commencer par le commencement, et nous mériter notre propre démocratie. Une véritable démocratie, qui sorte du parlement, même réformé, et qui s’impose dans tous les lieux de travail, où l’autoritarisme reste encore la norme, telle qu’elle l’était au 19e siècle, exception faite des balbutiements du syndicalisme  – de toute façon écrasé dans le sang. C’est fou ce qu’un cadre peut se croire seigneur féodal, au milieu de ses vassaux, ce qu’un patron d’entreprise peut se croire monarque absolu, gérant selon son bon plaisir. Mais pour ce faire, éliminons le système actuel, la corruption actuelle, la mesquinerie actuelle, en refusant d’aller voter, en masse. Il faudrait être en si grand nombre que le poids écrasant des abstentionnistes discrédite le système lui-même, et ses électeurs fanatiques, gavés d’images, heureux d’être si grossièrement désinformés. Et peut-être, peut-être arriverons-nous à passer d’une liberté à l’autre, de l’inconscience indocile et sarcastique à la liberté publique, collective et juste, parce que corrigeant ce que l’Histoire aura fait de nous.

J’aime les Québécois. J’aime le Québec. Mais le 4 septembre prochain, je n’irai pas voter.