Cyberpresse, 16 août 2012.
Cyberpresse, 21 heures : 43 % des personnes qui
se sont exprimées, par le biais d'une question sondage frisant le racisme, et réveillant
les pires préjugés qui soient, se sont dites d’accord avec les propos du maire
de Saguenay, Jean Tremblay. Je suis stupéfait, honteux : 7402 de mes compatriotes
pensent que les personnes nées hors Québec, mais devenues citoyennes de ce
pays, amoureuses de ce pays, tout aussi bien et tout autant que tous les autres
citoyens du Québec, au restant parfaitement intégrées, au point d’adhérer au
parti politique qui prône l’indépendance nationale, le français comme langue
commune et la laïcité pleine et entière de l’État, que cesdites personnes n’ont pas le droit d’exprimer une opinion quant
à un projet de société qui n’est pas traditionnel, et qu’elles devraient
s’exclure d’elles-mêmes du débat public.
7402 de mes compatriotes pensent, comme le maire
Tremblay, que, «nous les mous, les
Canadiens français, on va se faire dicter comment se comporter, comment
respecter notre culture par une personne qui arrive d'Algérie… On n'est même
pas capable de prononcer son nom… Je n'aime pas que ces gens-là (les
immigrants) arrivent ici puis établissent leurs règles… Ils vont faire
disparaître la religion et notre culture de partout.» Le maire a
déliré ; il a pris la défense du catholicisme par un appel à peine déguisé
à la haine et à l’exclusion, et c’est ce qui reste, dans l’espace public, l’exclusion,
la haine, sans ouverture à l’autre et à l’échange de vues. N’importe quel
peuple sur Terre, et le nôtre aussi, bien entendu, peut s’expliquer avec ses
nouveaux arrivants, insister sur les valeurs fondamentales qui sont les
siennes. C’est ce que propose de faire la Charte de la laïcité. Mais rendons-nous
bien compte que nombre des 7402 électeurs québécois qui, aujourd’hui, ce soir, appuient
les inepties du maire Tremblay ne veulent pas promouvoir des principes
essentiels; ils dénoncent qu’une candidate issue de l’immigration ait des
principes essentiels, ils martèlent un racisme enfin libéré, un rejet de
l’immigration en tant que telle, contents de pouvoir enfin soulager la peur de
l’autre qui peut tous nous habiter, et qui fait d’affreux ravages quand on n’y
prend pas garde. Ce qu’a dit le maire, c’est petit, c’est médiocre, c’est en
fait scandaleux. Quant au sondage de la Cyberpresse, il n’a bien sûr rien de
scientifique. Mais j'aimerais quand même, ce soir, habiter Trois-Rivières, et
pouvoir contribuer, par mon vote, à donner à la candidate péquiste d’origine
algérienne une victoire telle que les connards sectaires, crédules,
intolérants, s’écrasent à tout jamais. Je rêve, mais j'espère quand même.
Ce n’est pas d’hier que dès qu'on «touche» au
crucifix, au Québec, on mobilise une droite réactionnaire qui, souvent, ne
pratique plus aucune religion, mais qui, hurlant et criant au sacrilège, préserve
l’orthodoxie sociale et trouve par là un
moyen parfaitement cynique de canaliser les sentiments populaciers les plus
immondes, à ras de terre. C'est la même droite qui applaudissait Camil Samson, lui
qui déplorait qu'on sorte le crucifix des écoles. C'est la même droite qui a
manifesté contre les Fées ont soif,
devant le TNM, en 1979, et qui s'est prolongée dans le mouvement des Yvettes, lors du référendum de 1980. C’est
le même conservatisme social, braqué depuis longtemps contre la révolution
sexuelle et la révolution féministe, qui persuadait la même droite de refuser
(criminellement) les pubs de santé publique exhortant de toute urgence à
utiliser des condoms lors de rapports sexuels, à l'époque où Mme Thérèse Lavoie-Roux,
ancienne commissaire d’école catholique, était ministre de la Santé. Ce sont
les tenants de la même droite qui animent les radios poubelle, qui cultivent le
maire et les gens qui pensent comme lui.
Il y a aussi, dans cette affaire du crucifix, et
c’est ce qui gêne le plus, de la xénophobie, et du racisme, qui s'enracinent
parfois dans la simple ignorance des autres (c'est très certainement le cas du
maire Tremblay, qui, ne sachant prononcer le nom de Mme Benhabib, avoue du même
coup qu'il ne l'a jamais lue). Voilà que ce soir, un ministre libéral du coin,
je veux dire du Saguenay, soutient le maire, applaudit, c’est lui qui le dit, à
des positions courageuses. Il y a certainement (à n'en pas douter) de la partisanerie politique dans les réponses
au sondage de la Cyberpresse, qui saute sur l'occasion pour déstabiliser le
Parti québécois et promouvoir d'autres partis semblant mieux «sauver» le Québec
traditionnel contre les «immigrés». L'ADQ avait joué cette carte, à fond, aux
élections partielles et générales de 2008. On peut imaginer que bien des
personnes qui ont cliqué leur accord
avec le maire Tremblay ont fait le geste pour nuire au Parti québécois, tout
simplement - mais sans conscience.
S’il n’y avait pas, en triste supplément, les
défenseurs du patrimoine pour tout confondre, pour amalgamer la laïcité de
l'État avec la destruction des églises ! Faut le faire ! J'ai des amis,
intelligents, athées, qui sont favorables au maintien du crucifix à l'Assemblée
nationale, que pour cette raison, le patrimoine – raison à mon avis aberrante,
puisqu'un crucifix, ça se déplace, ça se range, ça se conserve dans un musée.
Quand, en 1977, le gouvernement péquiste de René Lévesque a décidé d'abolir la
prière à l'Assemblée nationale, ça a crié, du côté des banquettes libérales, et
c'était, à les entendre, un vrai scandale, l’œuvre d’un mécréant; plus
personne, depuis, ne conteste le « moment
de recueillement », parfaitement neutre. J'en ai assez, vraiment assez, de
ces histoires à n'en plus finir pour ce qui n'existe même pas, ni comme un
vieux Monsieur à barbe, ni comme une Chose flottant dans les Cieux, ni comme
une Entité créatrice, qui nous surveillerait du Très-Haut, qui dicterait ses
désirs et ses ordres, qui froncerait du sourcil quand les Benhabib de ce monde
osent parler de laïcité, un Dieu qui prônerait une morale écrasante, sexuelle,
vestimentaire, une parade graduée comme une échelle, allant du meilleur
jusqu'au pire, avec l'enfer au bout du compte, divinement calculé.
Contre l'offensive catholique intégriste de Mgr Ouellet, sur laquelle s'aligne
le maire Tremblay, il y a la science, la NASA, la modernité, l'évidence. On
s'en sortira, de cette hypocrisie, quand les athées, les non-pratiquants,
cesseront de faire baptiser leurs enfants, et de magnifier leurs morts à
l'église. On s'en sortira quand les athées, et les non-croyants cesseront de se
demander, torturés et parfaitement ridicules, si on doit, après les écoles,
sortir le crucifix de l'Assemblée nationale. Qu'on le sorte, bon dieu, et qu'on
le mette au musée du Québec, souvenir malheureux de la Grande Noirceur qui se
prolonge, encore, jusqu'à maintenant, dans la Grande Imbécillité.
Du bien, dans toute cette sale affaire ? Oui. Un pas
de plus vers la laïcité complète de l'État, à l'encontre de ce
que prescrit pourtant, terriblement arriérée, la constitution canadienne, qui
reconnaît, sans blague aucune, la « suprématie de Dieu ». Et, peut-être, une
sensibilité nouvelle, de nos compatriotes des communautés culturelles, vers le
Parti québécois, qui n'a jamais été, tant s'en faut, leur persécuteur ou leur ennemi.
2 commentaires:
M. Patry, j'admire votre prose, à la fois élégante et crûment directe. Votre diatribe contre le maire Tremblay et tous ceux qui l'appuient est pleinement justifiée. Et j'ajoute que bien des catholiques sincères sont tout aussi athées que vous en ce qui a trait aux images d'Épinal de Dieu que vous décrivez dans votre commentaire. Comme historien, vous n'ignorez pas qu'il y a toute une différence entre le pouvoir romain et le message livré par Jésus de Nazareth. Que la laïcité (tant souhaitée et en grande partie réalisée) de notre société trouve paradoxalement sa source dans ce message. N'est-ce pas Gandhi qui considérait que le christianisme est une grande spiritualité, mais malheureusement, il y a les chrétiens...
Je vais aller tout de suite à l'essentiel: je suis d'accord avec l'entièreté de votre propos, y compris le message évangélique (... ce qui appartient à César...), y compris le propos de Gandhi.
Hélas, un milliard de fois hélas, les croyants, de quelque religion qu'ils soient, attribuent vraiment à une entité qui nous serait extérieure et qui n'existe évidemment pas, des désirs, des ordres, des intentions, des châtiments, (etc.!), qui engendrent discriminations, haines, culpabilité, répressions. Là-dessus, j'en veux beaucoup à la gauche québécoise de se compromettre avec des absurdités morales, à fond religieux, au nom de ce qui n'existe pas. Il me semble qu'une société pluraliste devrait commencer par là: se reconstituer autour du pari de la non-existence de Dieu. À chacun, ensuite, de faire son cheminement spirituel comme il l'entend, sans jamais le mêler au droit public.
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