À la fin des délibérations, au procès de l'été 1921, qui allait le conduire, sept longues années plus tard, à la chaise électrique, Nicola Sacco, piqué au vif par des procédures qui manipulaient scandaleusement les faits et les personnes, et avant tout les témoins de la défense, italiens et anarchistes, pauvres gens s'exprimant difficilement, terrorisés par la répression qui s'abattait de toute manière contre eux, (arrestations de masse, déportations...), Nicola Sacco, exaspéré, par ailleurs, des procédures d'un juge, d'un procureur public, d'une preuve qui l'accusaient sans le dire explicitement d'avoir des opinions socialement dangereuses et parfaitement insupportables pour les Blancs bien nés, Nicola Sacco explosa à la toute fin des procédures, et devant un tribunal ahuri, un jury consterné, il prononça les paroles qui attestaient au vrai de l'inculpation, il extériorisa cette haine viscérale qu'il avait contre le «système» qui utilisait les hommes pour les tuer, indifféremment au travail ou à la guerre:
« On fait la guerre pour les affaires, pour qu’on gagne des millions de dollars. Quel droit avons-nous de nous tuer les uns les autres ? J’ai travaillé pour un Irlandais, j’ai travaillé pour un Allemand, j’ai travaillé avec des Français et avec des gens de beaucoup d’autres peuples. J’aime ces gens-là comme j’aime ma femme et ceux de ma famille. Pourquoi est-ce que j’irais tuer ces hommes ? Qu’est-ce qu’ils m’ont fait ?… Je voudrais qu’on détruise tous ces canons. Voilà pourquoi je lutte avec les gouvernements socialistes, et pourquoi, dans mon idée, j’aime les socialistes. Et c’est pourquoi j’aime les gens qui veulent de l’instruction, et qu’on vive aussi bien qu’on peut. C’est tout. » Il aurait pu ajouter, et certainement le pensait-il: voilà de quoi vous m'accusez, très réellement, voilà de quoi je suis coupable, et de ça j'en fais l'aveu, publiquement, ici, devant vous tous, gens fortunés, gens de bien.
Nicola Sacco n'a jamais, jamais dit qu'il était innocent des actes criminels dont on l'accusait. Et il y a maintenant, à la vue de preuves nouvelles, d'expertises mieux faites et plus fiables que ce que l'on présentait au jury en 1921, des doutes, des soupçons fondés, qui expliquent, peut-être, le silence de Sacco, jusqu'à l'instant même qui a précédé son exécution. Bartolomeo Vanzetti, dont l'innocence ne faisait aucun doute, et que Sacco savait très certainement, n'allait jamais, à aucun moment, chercher à séparer son sort de celui de son compagnon.
De sorte que Sacco et Vanzetti ne sont peut-être pas que les victimes d'un capitalisme raciste et assassin, comme on l'a cru si longtemps. Ils sont peut-être, plutôt, des martyrs, deux travailleurs immigrants qui se sont sacrifiés volontairement pour une cause, l'anarchie, le socialisme, la liberté, et comme le disait Sacco, «l'amour, [l'amour très réel,] des gens» auxquels tous deux croyaient plus que tout. Cet effacement, s'il s'avère un jour, a davantage de sens, et même d'héroïsme, que le crime que l'on a prêté qu'au seul «système» contre des «innocents».
Source de la citation: Alain Decaux, C'était le XXe siècle, tome 1.
3 commentaires:
Merci Richard
j'ignorais le fond de cette triste histoire.
Ça fait toujours mal d'apprendre que nos systèmes de justice sont parfois utilisés pour faire taire ceux qui dérangent ou pour faire des exemples.
Ainsi rappeler au bon peuple qu'il est en liberté, mais en liberté surveillée.
Bon vendredi Richard
Merci, Jocelyne !
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