Il écrit
superbement bien. Marc-André Cyr (que je ne connais pas du tout) est un
écrivain. Blogueur, journaliste, écrivain. Il ne résiste donc pas, comme tout
écrivain, à l’envie de tordre (de gauchir)
la réalité (et l’analyse) pour rechercher l’effet littéraire. C’est réussi,
c’est incontestable, mais c’est un danger. C’est un piège, par exemple, qui
guette les historiens qui sont aussi, parfois, de grands écrivains, et qui
peuvent avoir l’attrait de la formule,
du raccourci peu exigeant, mais qui enflamme le lecteur qui croit tout, parce
que c’est de la science. Lucien
Febvre, que j’admire tant, luttait mal contre la tentation de faire des
phrases. Il est évidemment passionnant à lire. Henri Guillemin est le plus
parfait exemple d’une écriture passionnée, qui s’embarrasse peu des faits
têtus, contrariants, quitte, même, à les triturer, à les maquiller habilement,
pour les faire mentir avec aplomb, avec talent. Sous la plume de M. Guillemin,
tout devient théâtre — amour, haine, comédie, caricature, et ça fait de
l’effet, littéraire, bien entendu.
Marc-André Cyr
est passionnant à lire. Ses principes, sa morale, c’est de la polémologie
sociale bouleversante, quasi shakespearienne.
J’aime lire
Marc-André Cyr, mais je vais quand même voter pour le Parti québécois, le lundi
7 avril qui vient, et je voterai OUI à un possible référendum sur la
souveraineté du Québec. Et pourtant, je suis largement d’accord avec Cyr, et je
connais, douloureusement, ce qui le fait rager. Il décrit passionnément une
réalité parfaitement insupportable, celle de la pauvreté qui indiffère, celle
de ce peuple, pourtant pays réel, de
plus en plus «rachitique» à force
d’exploitation néolibérale. C’est précisément sur cette base, essentielle, que
lui croit que Québec-Province ou Québec-Pays ne changeraient
théoriquement rien à rien, rien à l’exploitation, rien à cette étrangeté
scandaleuse qui fait tolérer non pas tant la pauvreté, que l’occurrence même
des pauvres. Mais voilà, Fernand Ouellet, l’historien de l’économie québécoise,
fédéraliste, ami et inspirateur de Trudeau, et très à droite, serait lui aussi (et c'est gênant !) d’accord avec Cyr: la Conquête, a-t-il écrit dans une thèse restée fameuse, et
qui a fait des petits, n’a rien changé pour le Canayen, rien sauf la langue de la bourgeoisie qui l’a désormais
exploité, lui et du reste l’Indien qui l’accompagnait dans l’Ouest, quand ils
partaient, tous deux, chercher ce qui, à l’époque, faisait la fortune de ceux
qui l’avaient déjà.
Je suis largement d’accord avec Cyr,
sauf sur la Conquête, justement. Je me sépare de Ouellet. Je crois à l’asservissement national des Canayens, et des Indiens, que le nouveau
pouvoir anglais confondait sans souci, et non sans raison. Je crois que la
prolétarisation des Canayens est très
marquée, à long terme, par le fait même de la Conquête et de l’asservissement
national. Je crois que la pauvreté systémique (en fait, le mal développement)
des Québécois, et leur aliénation (sans que ce mot ne soit en rien, ici,
péjoratif, bien au contraire) sont le produit même de cette Conquête. Et je
crois, enfin, que la libération nationale des Québécois, tout comme celle des
Indiens d’Amérique, est absolument nécessaire pour rouvrir l’avenir. Le séparatisme québécois, c’est le potentiel
permanent de rupture de cette société. Voilà précisément pourquoi
l’indépendance est si difficile à se gagner, quand il s’agit de renverser
l’abdication de soi-même, alors que la liberté ne devrait que se prendre, sans
jamais en demander la permission; voilà pourquoi l’indépendance est souhaitable
en elle-même, quand il s’agit de décolonisation, d’éducation à la liberté et à
la justice sociale. Voilà pourquoi l’indépendance n’est pas qu’État-nation,
mais bien libération d’une classe-nation
– j’entends déjà le tollé des spécialistes qui ont toujours protesté de
l’existence d’une bourgeoisie franco-québécoise, la meilleure preuve, et
accablante, à leurs yeux, de la vanité du projet souverainiste et de ce peuple faussement
exploité dans un rapport qui serait, à tort, colonial. Voilà pourquoi la gauche,
et singulièrement Québec Solidaire, (avec ses valses hésitation sur
l’indépendance, tergiversations qui sont à ras de terre, éminemment
électoralistes), a tort de bouffer du PQ, de s’associer au mépris raciste que
Fernand Ouellet and Co retournent contre nous-mêmes, et de mépriser la
bourgeoisie nationale: elle peut être utile, même contre elle-même. Je ne suis
pas marxiste, mais je suis sûr que Marx ne me contredirait pas là-dessus. Et
certainement pas Maurice Séguin non plus.
P.S. L’article puissant, percutant de
Marc-André Cyr, auquel je faire référence dans ce billet, peut se lire
ici : http://voir.ca/marc-andre-cyr/2014/03/19/les-bouffons-dun-temps-nouveau/
5 commentaires:
Ce serait du masochisme que de continuer à lire ce blogueur-journaliste-écrivain. Il aligne bien les mots, en effet ; il manipule bien certains concepts et compose à l'aide de citations la sinistre mosaïque qu'il a imaginée.
Mais s'il n'écrivait pas dans ce non-pays de libertés, il serait arrêté immédiatement et zigouillé sur le champ pour incitation au suicide collectif.
Que de gaspillage de matière grise !
Les Solidaires proposent le même « idéal » que ce blogueur-journaliste écrivain, mais leur désir d'absolu et leur candeur, décrochés de toute réalité, attirent malgré tout un peu de sympathie, même si nous savons très bien ce qu'ils refusent de voir : ils nous conduisent au même suicide collectif.
Difficile d'ajouter quelque chose de pertinent à un commentaire aussi bien formulé !
Dis donc, Alcib, tu n'as jamais songé à venir «me» rejoindre sur Facebook ? Il y a là plusieurs personnes, sans compter les principaux médias, très intéressantes, et il me semble que tu pourrais ajouter au débet... Non ?
débat*
Cher Richard, je veux bien te rejoindre, mais... sur Facebook ? Je ne suis pas abonné et, bien que de nombreux amis le soient, je n'ai pas encore vu l'utilité de m'inscrire.
J'aurais pu être tenté de voir ce que je pourrais y faire, mais comme il faut s'inscrire pour voir...
Et, très honnêtement, je n'aime pas du tout ce milliardaire en espadrilles ; quand il m'arrive de penser à lui, je ne vois qu'une figure ruisselante de grasse transpiration. Et je pense alors au portrait de Dorian Gray. Sa malhonnêteté suinte...
Cher Alcib,
C’est ça, justement, de ne pas résister à faire une phrase, à créer un effet littéraire. Ton portrait de Marc Zuckerberg est saisissant, et souriant, tout en même temps... ;-)
À bientôt, autrement !
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