lundi 4 décembre 2017

LE DÉCLIN IRRÉVERSIBLE DU PARTI QUÉBÉCOIS





Le Parti québécois se meurt, le Parti québécois est mort.

Les sondages ne trompent plus personne ; ils confirment des tendances lourdes, constantes, irréversibles, plus irréversibles encore que ne l’était l’irréversible indépendance dont parlait M. Lévesque, à New York, en janvier 1977. Le fait est que, sauf les sursauts de 1994 (44,8 %) et de 2008 (35,2 %), l’électorat du Parti québécois s’érode irrémédiablement depuis 1981. 

Il s’érode parce que nos concitoyens n’ont de cesse de se détacher, malgré le cas d’exception de 1995, de l’option souverainiste. Ils délaissent « l’option » parce que la défaite référendaire de 1980 a radicalement cassé le puissant courant, généré par la Révolution tranquille, et qui voulait que la modernisation rapide et profonde de la société québécoise aboutisse nécessairement à la pleine souveraineté de son État. M. René Lévesque lui-même, après avoir été le plus important leader indépendantiste de l’histoire moderne du Québec, a parfaitement incarné cette cassure après 1981, imprimant à son gouvernement un virage à droite, antisyndical, souvent hargneux, particulièrement à l’encontre des employés de l’État, de celles et de ceux qui servaient avec enthousiasme les politiques publiques du Québec — et qui votaient pour le Parti québécois. 

Plus personne, maintenant, ne s’inquiète de l’État du Québec, sauf pour accuser ses politiques déjà rétrogrades de ne pas être suffisamment réactionnaires – ou de les fantasmer, ces politiques d’État, à gauche toute, rêve d’un grand soir de libération qui ne serait qu’essentiellement économique et sociale, mais que très modestement « nationale », timidement, baissant les yeux, embarrassé par ce mot même de « nation ».  C’est partie belle pour M. Trudeau deuxième génération, créé et statufié par la Charte constitutionnelle de 1982. C’est tout autant partie belle pour M. Legault, qui peut rêver désormais d’un gouvernement qui soit franchement, irréductiblement, le gouvernement de la droite anti-Révolution tranquille, dont certains ont rêvé depuis si longtemps, créditistes naguère, adéquistes ensuite, et maintenant caquistes. Ceux-là se disent l’avenir, gonflés à bloc, le vent dans les voiles, idéalisant travail, famille, et la patrie de l’ancien temps. Il y aura du défi à relever pour Québec solidaire à s’accaparer le vote caquiste, autrement plus coriace que ne le fut et ne l’est l’électorat du Parti québécois.

Le vote péquiste s’érode parce que le mouvement indépendantiste a rompu, toujours plus profondément, avec la conviction que l’indépendance était nécessaire à la libération nationale du peuple canadien-français, « classe-nation », formée de « colonisés dont les trois repas par jour dépendent trop souvent de l’initiative et du bon vouloir de patrons étrangers. » (René Lévesque, Option Québec, pp. 23-24) Camille Laurin disait, lui, de ce peuple dominé, exploité, appauvri, qu’il « devait souffrir beaucoup et depuis longtemps pour que l’évocation de sa liberté lui arrache une telle clameur. » (Camille Laurin, Ma traversée du Québec, 1970, p. 96) Or la clameur ne se fait plus guère entendre, peut-être parce que le Québec français s’est tout simplement embourgeoisé, succès suicidaire d’un objectif sociopolitique majeur des gouvernements péquistes. C’est à cette bourgeoisie francophone que s’en prend, désormais, Québec solidaire. Mais dans l’opération, c’est la libération nationale elle-même qui est sacrifiée, abandonnée. Classe et nation sont devenues des notions antithétiques. Voilà pourquoi Québec solidaire ne fera jamais l’indépendance, du moins pas celle qui a soulevé l’espoir de masses canadiennes-françaises il y a, déjà, bien longtemps.

Le vote péquiste s’érode encore parce que, parti de gouvernement, le Parti québécois s’est fait des adversaires, bien évidemment, qui le grugent désormais sur sa droite (la CAQ) et sur sa gauche (QS). Entamé au cœur, quant à sa raison d’être principale, discrédité — démonisé — pour son nationalisme sans enracinement économique et social (sans colère, sans révolte, sans cette rage « nationale » qui habitait si puissamment M. Lévesque), éclaté au bénéfice d’adversaires qui ne demandent pas mieux que de se nourrir de ses dépouilles électorales, le Parti québécois ne peut que décliner, et il décline, en effet, n’en finissant plus de dépérir, triste « champ de ruines », alors qu’y militent encore tant de gens talentueux.

Et pourtant, nous sommes toujours, comme peuple, et tout comme les peuples indiens, profondément aliénés. Maurice Séguin disait que nous étions certes une colonie, mais la colonie la mieux entretenue au monde, avec sa pléthore de petits potentats grassement nourris au provincialisme satisfait, et parfaitement bilingues, comme de juste. C’est notre malheur, comme c’est celui des nations autochtones, avec lesquelles nous partageons, depuis la Grande Paix de Montréal, si étroitement la même histoire et le même destin.






dimanche 19 novembre 2017

Lecture: L'ordre du jour, d'Éric Vuillard




J’ai lu, presque tout d’une traite, le roman (récit, écrit-il) d’Éric Vuillard, L’ordre du jour, qui lui a valu le prix Goncourt 2017. Roman d’à peine 150 pages — mais quelles pages ! Difficile, pour dire le vrai, de retenir quelque extrait percutant, tant tout ce texte, remarquable, fabuleux travail d’historien, est d’une écriture parfaite, imaginative, ciselée, sobre et somptueuse à la fois. C’est de cette écriture magnifique qu’on reste, humble lecteur, d’abord soufflé. 

Mais ce travail, qui renverse l’Histoire et la fait revivre, petit pas par petit pas, soumise à l’observation d’un microscope, drôle, rageuse et révoltée, a singulièrement interpellé le professeur d’Histoire que je suis. « Et l’Histoire est là, » écrit Vuillard, « déesse raisonnable, statue figée au milieu de la place des Fêtes, avec pour tribut, une fois l’an, des gerbes séchées de pivoines, et, en guise de pourboire, chaque jour, du pain pour les oiseaux. » La déesse s’incarne, sous la plume de Vuillard, la statue vibre, l’Histoire est : c’est probablement l’éloge le plus fort que je puisse faire de cet ouvrage. J’imagine que les membres du jury du Goncourt, devant un tel livre, ont tous été épatés, et souvent, sur le cul.

Vuillard raconte la montée du nazisme, œuvre d’un cartel d’hommes d’affaires qui se sont compromis, jusqu’à l’immonde, avec Adolf Hitler. Eux s’en sont tirés, bien sûr, de la guerre et des procès qui ont suivi. « Ne croyons pas que tout cela appartienne à un lointain passé. Ce ne sont pas des monstres antédiluviens, créatures piteusement disparues dans les années cinquante, sous la misère peinte par Rossellini, emportées dans les ruines de Berlin. Ces noms existent encore. Leurs fortunes sont immenses. Leurs sociétés ont parfois fusionné et forment des conglomérats tout-puissants. » Ils se perpétuent, désormais honorables Allemands, grandes familles européennes, décorées, remerciées, célébrées. « Si l’on soulève les haillons hideux de l’Histoire, on trouve cela : la hiérarchie contre l’égalité et l’ordre contre la liberté. » On trouve le fric assassin.

Si le nazisme s’est nourri de « mots si pauvres qu’on voit le jour au travers », ce n’est pas — je me répète — le cas du roman de Vuillard, dont l’écriture ne se relâche jamais. Une œuvre d’art, parfaite, en contre-jour de ce que l’humanité a vécu de plus glauque, le nazisme, la guerre, l’univers concentrationnaire, l’esclavage, le racisme le plus abject, qui a vu, « parmi la foule hurlante, les Juifs accroupis, à quatre pattes, forcés de nettoyer les trottoirs sous le regard amusé des passants. »






mercredi 22 mars 2017

L'IMPOSSIBLE CONVERGENCE INDÉPENDANTISTE





En 1980, l’Union soviétique (qui survivait encore) avait prescrit aux travailleurs québécois de voter Non lors du référendum québécois sur la souveraineté-association. La chose peut sembler surprenante, puisque le grand capital soutenait, avec une belle unanimité, le maintien de l’unité canadienne: elle ne l’est pourtant pas. Il est vrai que l’URSS, qui redoutait l’explosion, protégeait par là sa propre intégrité territoriale, multinationale, essentielle à l’illusion d’un « internationalisme prolétarien » en phase de matérialisation. Mais fondamentalement, cette recommandation de voter Non avait des bases idéologiques autrement plus importantes, qui dataient des principaux théoriciens que furent Marx et Lénine eux-mêmes. 

Aux yeux du marxisme, quelque compromis, de quelque nature qu’il soit, avec le réformisme est pire que tout. Le réformisme dupe les exploités, en leur faisant croire qu’il y a moyen d’améliorer leur sort autrement que par la révolution. Le pire ennemi de tout travailleur, au premier chef de tout travailleur qui a développé une conscience de classe aiguë, est le réformisme. Un travailleur qui vote pour le Parti québécois, parti qui souhaite « civiliser le capitalisme », et qui veut aliéner ce travailleur par l’exaltation de son nationalisme indépendantiste, se trahit lui-même et trahit l’internationalisme prolétarien. Il n’y a donc aucun compromis possible avec un parti politique réformiste. Il faut lui refuser tout appui, pas même tactique, de court terme. Le réformisme est, en situation de crise, le support essentiel au capitalisme en phase de développement et de consolidation. Le réformisme ne propose qu’une modification des moyens d’exploitation que possède la classe dirigeante, qui concentre de plus en plus toute la richesse disponible. Déjà, au moment de la Révolution russe, les bolcheviques avaient refusé tout appui aux réformistes sociaux-démocrates et aux socialistes qui avaient pris le pouvoir en mars 1917. C’était là du marxisme pur et dur. En novembre 1917, les réformistes avaient de fait été éliminés, lors de ce qu’on appellera la Révolution d’octobre.

Le Parti québécois doit se rendre à l’évidence que jamais, jamais les élites politiques de Québec Solidaire ne se compromettront dans un programme réformiste avec lui. Jamais. QS a encore en mémoire, j’imagine, l’irréversible déclin du parti communiste français qui s’était compromis avec le parti socialiste du président Mitterrand entre 1981 et 1984. L’affaire lui avait valu d’être bouffé tout rond, et de disparaître. QS ne se laissera jamais bouffer, alors que c’est lui qui est en appétit. Et QS continuera d’attaquer prioritairement le Parti québécois, parce qu’à ses yeux, même réformiste, le PQ reste l’allié essentiel du système, celui du dernier recours quand le capitalisme est en crise et qu’il cherche à sauver sa peau.   






jeudi 16 mars 2017

Lecture : Malek Chebel, Dictionnaire amoureux de l’islam, Plon, 2004, 720 p.





Note : Toutes les citations, dans le texte qui suit, proviennent du Dictionnaire amoureux de l’islam.

Je connaissais mal l’islam — que je ne connais toujours que modestement, du reste. Les quelques notions que j’avais dataient de mes études universitaires en histoire. Par l’intermédiaire de l’histoire médiévale, on abordait un peu en classe l’expansion de l’islam et l’important bagage scientifique et culturel que l’Occident chrétien lui devait. C’est la raison pour laquelle je tenais tant, en 2015, durant un voyage en Espagne, à me rendre en Andalousie, et spécifiquement à Cordoue, d’où a rayonné la pensée d’Averroès, philosophe musulman qui a si fortement contribué « à sauver de l’oubli l’héritage grec, en particulier l’œuvre d’Aristote. » Sur place, j’avais été ébloui par la grande mosquée de Cordoue, la deuxième du monde arabo-musulman quant à l’envergure, tout juste après celle de La Mecque.

Je connaissais donc mal l’Islam. Je savais à peu près ce que Lamartine en disait, essentiellement « un Livre, dont chaque lettre est devenue une loi, une nationalité spirituelle qui englobe des peuples de toutes les langues et de toutes les races, et [qui] a imprimé, pour caractère indélébile de cette nationalité musulmane, la haine des faux dieux et la passion du Dieu un et immatériel. » Et voilà que me tombe sous la main, récemment, un très beau bouquin, le Dictionnaire amoureux de l’islam, écrit par un éminent spécialiste de l’histoire et de l’anthropologie musulmanes, Malek Chebel. Chebel est partisan d’un islam des Lumières qui fut et qui doit être, un islam libéral et lumineux présent tout au long de l’histoire de la civilisation arabo-musulmane, mais plus que jamais nécessaire aujourd’hui, époque qui « dit jusqu’où peut aller l’asservissement d’une personne au nom de l’idéologie religieuse, l’islam paraissant, de ce point de vue, encore plus répressif, car il double l’absence de liberté individuelle dans les régimes autocratiques où il est en vigueur. »  

C’est avec passion que j’ai lu ce Dictionnaire. J’y ai retrouvé les apports de l’islam à la civilisation, par exemple « de nombreuses découvertes (...) spectaculaires et décisives dans des domaines comme l’alchimie, la parfumerie, l’agronomie, la pharmacologie, l’hydraulique, la médecine, l’art de la table, la parfumerie, et même le vin »; dans le domaine des arts appliqués, tels « mosaïque, verrerie, céramique, cuir, métaux, textiles, papier »; sur le plan économique, « les chèques, la douane, le bazar, les tarifs, le magasin, et même la notion de risque »; la contribution de l’islam au domaine abstrait est tout aussi considérable : « Que ce soit la logique, la grammaire, les mathématiques ou encore la philosophie et la fiction littéraire, on ne compte plus les travaux inspirés des innovations arabes y compris jusque dans le domaine culinaire. » Chebel précise même que « la calligraphie, la mosaïque et l’architecture sont élevées au rang d’art sacré en islam » : ce sont là des expressions artistiques essentiellement religieuses, servant à la « vénération de l’Unique ». J’y ai retrouvé, enfin, le rappel d’œuvres littéraires qui ont marqué toute l’histoire socioculturelle du monde, telles Les mille et une nuits, qui donnent « une représentation assez précise de l’état du monde d’alors, même si elle reste littéraire et allusive » : ainsi les Nuits parlent, parmi mille sujets et contes fantastiques, de médecine, d’herboristerie, d’hippiatrie, de toxicologie, de biologie, de géométrie, d’astronomie, de navigation maritime, d’hydraulique, de génie civil, d’architecture, de linguistique et d’ethnographie...

Le Coran est, bien sûr, au cœur du Dictionnaire de l’islam. Chebel écrit que depuis le Prophète, et jusqu’à nos jours, « on peut dire que le Coran gouverne la vie du musulman de bout en bout », d’autant plus que cette vie est rythmée par son calendrier propre, lunaire. Le Coran « est la norme juridique, un codex moral, une constitution sociale et politique, une encyclopédie, une grammaire ». C’est dire qu’il y a peu de tolérance possible pour l’hérésie, qui « commence avec la libre pensée » parce qu’elle remet en question « la divinité du Coran. » En conséquence, « rien n’est plus difficile que de parler laïcité avec les musulmans. Celle-ci est perçue comme un agnosticisme, un athéisme et parfois même comme une nouvelle hérésie », perfidement produite, dans l’ombre, « par l’Église d’une part et la Synagogue d’autre part. » Il faut là-dessus préciser « que l’islam n’a aucune tradition de sécularisation ». D’où cette question fondamentale, et éminemment contemporaine : « L’islam peut-il se réformer ? » Du reste, que faut-il réformer, « l’islam ou les musulmans ? » Face à cette question complexe, existentielle, même, « l’islam, écrit encore Chebel, a mal à sa politique ». 

D’autant que l’islam a ses points noirs, « ses démons intérieurs », souvent associés, par erreur, « à la moralisation de la nouvelle société musulmane ».  Ainsi en est-il de la liberté d’expression, qui reste très limitée. En est-il encore de la condition de vie faite à la femme, qui continue « d’observer une étiquette d’apparat, » sans que « des débats proprement féministes ne suscitent en elle de révolte ». La chose est d’autant plus déroutante que se pratiquent toujours « les mutilations sexuelles que l’islam ne parvient pas à éradiquer. » L’homophobie est un autre de ces points noirs, « une homophobie radicale, difficile à réduire et dont le caractère irraisonné semble assumé, par cette société tout entière, comme une donnée intrinsèque. » Et surtout, bien sûr, cette terrible impasse qu’est la politisation de la religion, « menée à la fois par des potentats laïcs et par des imams peu scrupuleux [qui] a fait de la douce Asie musulmane le lieu de toutes les luttes tribales, la terre du rapt d’étrangers et du troc de marchandises illicites. » La religion est à ce point au cœur de l’acte de terreur que « des jeunes kamikazes (...) se protègent le sexe, au cas où il en resterait quelque chose après l’explosion » et que le paradis, tel qu’il est fantasmé, puisse tenir toutes ses promesses... 

Si on discute tant de l’islam, de nos jours, c’est qu’il advient « hors les murs » traditionnels, en Europe surtout, mais en Amérique aussi, et que cela « suscite des questions nouvelles qui interpellent les musulmans » dont « dépendra une partie de [leur] intégration (...) dans les pays non islamiques ». Or, « on ne comprendra rien, ou peu s’en faut, à la complexité des rapports entre le monde chrétien et le monde de l’islam sans avoir en tête l’histoire des huit croisades qui se déroula sur deux siècles, de 1095 jusqu’à 1291 [et qui] n’en finit pas de se rappeler » au souvenir de l’islam. Il y a là un potentiel de haine considérable, une envie renouvelée de « guerre sainte ». Certains musulmans, et à l’évidence Malek Chebel lui-même, à l’encontre de l’islamisme radical, « encouragent une lecture symbolique de la guerre sainte comme dépassement de soi, convaincus du fait que plusieurs siècles de non-guerre ont permis à l’islam d’atteindre une splendeur qu’aucune guerre ne lui apportera jamais. Ceux-là s’inscrivent dans un mouvement universel de maîtrise de soi, prônant des comportements de sagesse et de paix intérieure. » 

Reste le racisme, violent, haineux, cultivé de longue date, telles ces phrases de Kafka, de 1912, difficiles à expliquer venant d’un tel écrivain : « Il faut que les Arabes nous laissent en paix ; nous voulons un air respirable ; un horizon nettoyé d’eux ; plus de cris de veaux que l’Arabe égorge ; que tous les animaux puissent crever en paix ! » C’est ce racisme hostile aux Arabes, aux Iraniens, aux Turcs, qui entrave le mouvement universel d’ouverture à l’autre et de modernité laïque, et fige de plus en plus de jeunes musulmans dans le radicalisme islamiste, perçu comme le seul moyen efficace de lutte contre l’impérialisme et le mépris.






vendredi 10 mars 2017

GABRIEL NADEAU-DUBOIS POLITICIEN




On ne sait plus pourquoi. 

On ne sait plus pour quelle raison projeter la souveraineté du Québec. Faire l’indépendance est devenue, avec le temps, une proposition thaumaturge, qui garantit que celui (ou celle) qui en fait la promotion peut se dire docteur ès gauche, praticien qui peut tout guérir des maux sociaux avalisés par les autres, celles et ceux qui se partagent, avec une parfaite immoralité (dit-il, depuis 30 ans), l’assiette au beurre du petit pouvoir provincial. C’était manifeste dans la déclaration de candidature de Gabriel Nadeau-Dubois, ce jeudi 9 mars, engagement loin, archi loin de ce qui pouvait, par exemple, motiver MM Lévesque ou Parizeau. 

Être de gauche, nous a déclaré GND, « c’est s’opposer à la stigmatisation de la religion » ; être de gauche, « c’est être du côté des gens ordinaires, des mal pris, des oubliés. » Être indépendantiste, c’est « pour que le Québec puisse devenir un lieu où tout le monde vit bien »; c’est pour « revoir nos accords commerciaux et sortir du pétrole ». 

Je veux bien de tout ça — encore que je reste attaché à la laïcité de l’État, qui ne devrait stigmatiser rien ni personne, sauf l’obscurantisme et les idéaux déshumanisants, véritable opium du peuple.

Je veux bien de tout ça, mais pourquoi ce programme ambitieux, emballant, devrait-il nécessiter l’indépendance du Québec ? En quoi le RestOfCanada est-il à ce point borné qu’il lui soit impossible de partager les idéaux économiques et sociaux des progressistes québécois ? En quoi le système fédéral, dans sa structure même, et tout en considérant qu’il est l’État fort, empêche-t-il qu’on puisse s’assurer de la paix religieuse, se préoccuper des gens ordinaires et des mal pris, revoir nos (mauvais) accords commerciaux et désavouer notre économie trop polluante ?

On sent bien, à simplement poser ces questions, que le projet indépendantiste se situe ailleurs que dans ces objectifs que s’est fixés GND, aussi nobles soient-ils.

Pourquoi, alors, faire la souveraineté ? Là-dessus, sur cette problématique essentielle, cruciale, qui transcende la gauche contemporaine, je suis de ceux qui, comme Pierre Vadeboncoeur, parlent certes pour l’instant de « résistance », mais qui parlent aussi, avec l’indépendance, de pouvoirs à venir, « et c’est ici que l’histoire du Québec s’inverse complètement. » (1) C’est ce formidable retournement historique, c’est ce renversement, cette révolution, qui sont impensables sans l’indépendance. Et c’est précisément cette inversion de l’histoire du Québec qui, personnellement, me fonde à rester indépendantiste.

(1) Pierre Vadeboncoeur, La dernière heure et la première, 1970, p. 74.







mardi 7 février 2017

LECTURE: LA RÉVOLUTION, PAR FRANÇOIS FURET




Quand j’étais étudiant, François Furet (1927-1997) était un des historiens français les plus brillants, les plus innovateurs de sa génération. Il bousculait tant et si bien les idées reçues, en particulier sur la Révolution française dont il critiquait l’interprétation marxiste classique, qu’il s’était fait d’irréductibles ennemis, surtout dans l’entourage d’Albert Soboul, qu’on tenait jusqu’alors pour l’Autorité suprême, quelque chose comme le pontife de la théologie révolutionnaire. J’étais passionné par Furet, par la richesse de ses problématiques, par la liberté avec laquelle il remettait en question les dogmes intangibles de ce qu’on était tenu de comprendre, à tout jamais, de la Révolution et de sa portée universelle. 

J’étais, et je suis resté un grand fervent de Furet. Et pourtant, je n’avais jamais lu la synthèse essentielle de tous ses travaux, sa vaste histoire de la Révolution française, intitulée La Révolution, publiée en deux tomes, couvrant une large période allant de 1770 à 1880, et parue en 1988. C’est maintenant fait.

Quel livre ! Dire d’abord que l’immense savoir de Furet se rend dans une langue magnifique. Ce livre est en soi un beau livre, qui donne du plaisir à lire, un livre d’écrivain. 

C’est par ailleurs un ouvrage de science : pas de récits anecdotiques ni de détails piquants, que de l’analyse, mais jamais, jamais rebutante, bien au contraire. Furet, en particulier dans le tome premier, ressuscite la Révolution, sa complexité, son essence — l’égalité, comme rejet violent de l’aristocratie, et puis, peu à peu, l’égalité comme critique de l’accaparement bourgeois, — et la multiplicité des questions fondamentales qu’elle soulève : « les jeunes contre les vieux, les ouvriers contre les bourgeois, les hommes de la lutte des classes contre ceux de la démocratie, les républicains d’insurrection et les républicains du suffrage universel »… Contradictions déchirantes du processus révolutionnaire, qui ont conduit à la Grande Terreur, aux règlements de compte violents, à Napoléon, et aux récidives, incessantes durant le 19e siècle français, de la mécanique révolutionnaire, jusqu’à sa stabilisation en république bourgeoise, vers 1880… Nous sommes bel et bien, du moins dans la zone atlantique de l’histoire contemporaine, les héritiers de la Révolution française et de son questionnement, bien qu’en ce moment, malgré le printemps étudiant 2012, une certaine forme de démocratie consensuelle, très antirévolutionnaire, obsédée par le problème religieux, semble l’emporter, du moins au Québec.

S’il arrivait que je donne l’envie de lire Furet, délectez-vous du premier tome, le plus instructif quant à la première Révolution française, la grande, celle qui inspirera toutes les autres qui suivront : les portraits que dresse Furet de Sieyès, de Mirabeau, de Robespierre et de Bonaparte (le futur Napoléon) valent à eux seuls la lecture de l’ouvrage. Une immense culture, une méthode rigoureuse, un esprit libre refusant les carcans idéologiques ou téléologiques : surprenante démarche pour cet ancien communiste qui a rédigé son ouvrage décisif au moment où l’URSS s’effondrait, et il n’y a peut-être là pas de hasard.