Rue Sainte-Catherine, Montréal: photo prise par l'auteur, le 19 mai 2011, vers 21 heures.
L’idée d’une vaste rue piétonnière, en plein centre-ville de Montréal, et dans un des quartiers les plus fortement touristiques de la Ville, est excellente, un authentique petit bonheur de vivre en milieu urbain. De jour, en plein soleil, c’est souvent formidablement agréable. En fait, le centre-ville est gâté, l’été: sa rue principale est fermée à toute circulation automobile; les terrasses et les restos envahissent la rue, s’installent en plein air, profitent du soleil jusqu’au couchant; l’architecture de paysage essaie de faire croire à un possible été tropical de longue durée — souvenez-vous, on est allés jusqu’aux palmiers géants, il y a quelques années; et puis, à l’extrémité est du Village, le pont Jacques-Cartier, fantastique promenade quand on le traverse à pied, avec une vue, du haut du fleuve, imprenable sur Montréal; en plein milieu du fleuve, face au centre-ville, s’étire le parc des Îles, un des plus beaux parcs urbains au monde, conçu et entretenu par de véritables artistes de l’horticulture, visiblement passionnés par leur travail... Montréal, l’été, s’offre la grande vie.
En apparence, du moins.
Parce que la réalité, quand on fréquente le quartier, est souvent moins rose, surtout le soir. Premier exemple éminemment désagréable, les cyclistes, nombreux, qui s’obstinent à emprunter la rue sur leurs deux-roues, à grande vitesse, et à mettre en danger la sécurité des piétons, qui prennent naïvement leur temps, pensant que la rue est à eux, et qui ne se soucient ni de rétroviseurs, ni d’angles morts. À tort. On est habitués, à Montréal, à l’incroyable délinquance des cyclistes. On grince des dents, on n’y peut pas grand-chose. Sur la rue Ste-Catherine, ils se font, de temps à autre, interpeller par les flics. Rien de bien terrible, remarquez bien, juste des avertissements polis, et jamais, au grand jamais, de contravention. Les cyclistes sont l’avenir, comme chacun sait, un avenir sans papier, sans imputabilité, le triomphe de truands sanctifiés parce que verts. ! Merde !
Moins drôle, le pullulement, incontrôlé, des itinérants, et autres consommateurs effrénés, entre autres de petit change ( de menue monnaie ), et qui prennent possession, par essaims, de la rue, surtout dans sa partie ouest; ils ragent, agressent souvent les passants qui veulent seulement se promener, paisibles et doux ( des gays, quoi ! ), en toute sécurité, sans penser qu’ils doivent assumer et financer tout le poids — lourd — des problèmes sociaux de Montréal, et risquer la confrontation permanente avec ce qui surgit, brusquement, de la pauvreté des jeunes, et du délaissement des malades mentaux laissés à eux-mêmes. Le spectacle, sur la rue Ste-Catherine, de cette misère, est parfois insupportable, parfois carrément grossier, quand il prend envie à un type, l’exemple est courant, de se soulager dans la devanture d’un magasin... J’étais seul, tout d’abord, ce soir, à me balader sur la rue, qui vient tout juste d’être réservée aux seuls piétons. Je me suis fait agresser, une première fois, après que j’aie répondu avec le sourire: «désolé», à une demande insistante d’une contribution charitable dite volontaire — le gars fonçait vers moi, m’intimidait, me laissait peu de choix, du genre « tu me donnes, ou je te fends la face ». Je fais remarquer, ici, que je suis costaud. À dix pieds de moi, trois policiers jasaient: ils n’ont rien «vu», évidemment, rien dit, rien fait. J’ai croisé plus tard des amis. On a continué la promenade à trois. Et à nouveau, un jeune homme agressif, en plein délire, manifestement dangereux, s’en est pris à quelques demoiselles qui cherchaient simplement à traverser la rue, à quelques pieds de nous. Petite terreur urbaine, typique d’une grosse ville, qu’il faille semble-t-il accepter, tolérer. Tant pis s’il y a violence. Tant pis du reste s’il y a délinquance: la rue appartient aux sans-abris, et aux cyclistes, bref aux sans-papiers. Ils ont la cote. Et les gays, c’est bien connu, doivent tout tolérer en échange de la bienveillance qu’on leur concède, du bout des lèvres, et du moment qu’ils rapportent.
Ce qui nous amène là, tout droit, à la troisième raison, à mon humble avis la plus importante, qui fait de la rue Ste-Catherine, piétonnière, un lieu souvent désolant à fréquenter: de toute évidence, personne, mais vraiment personne, ne se soucie d’esthétique urbaine, soutenue, disons, par quelques standards de bon goût imposés ( oui, oui, imposés ) aux marchands de bière et de bouffe rapide qui occupent l’essentiel de l’espace commercial de la rue. Jamais Paris, ou Boston, ne laisseraient prospérer de la laideur à ce point cheap, faite vite, dans la seule et unique perspective du gain rapide et vite empoché. La fierté a une ville ? Pas dans le Village, en tout cas. C’est franchement n’importe quoi, n’importe où, dans n’importe quel « style », avec un seul et unique trait commun à tous ces mercantiles: du bon marché, s’il vous plait, et tant pis pour les âmes sensibles qui aiment le beau ! Les touristes, de toute façon, c’est bien connu, ne viennent à Montréal que pour baiser, attirés par le trash sexy de la Ville. Mado l’a bien compris, de belle lurette, et son affaire est prospère.
Dommage. Le Village, le centre-ville, ont des atouts remarquables. Le Pont, le Quartier des spectacles, les Feux d’artifice, le Vieux-Montréal et le fleuve, le parc des Îles. Mais il n’y a de tolérance que pour la violence à peine contenue, la délinquance constante des cyclistes en transit qui se fichent éperdument de la qualité de vie de ce qui n’est pas leur Plateau, la minceur des investissements privés, qui pourtant profitent, des mois durant, et à peu de frais, d’une des plus célèbres artères de Montréal, artère qui, je le rappelle, est un patrimoine collectif, un bien commun. Mme Harel, M. Bergeron, il est temps que vous y voyiez. On ne peut pas, toujours, comme le dit souvent un de mes copains, présumer que gays, itinérants, prostitués, toxicomanes, malades mentaux, que tout ça, évidemment, va normalement ensemble, et qu’on s’en balance que le mariage ne soit pas toujours heureux. Parce qu’à tout prendre, tel que ça se trouve et se voit en ce moment, ça ressemble souvent bien davantage à un zoo pour touristes curieux de barbarie urbaine, que d’une expérience de réappropriation de la ville par ses citoyens.