vendredi 6 mai 2011

AUTODESTRUCTION


Achille soignant Patrocle pendant la guerre de Troie: coupe à figures rouges sur fond noir, vers 500 avant JC.

Étonnante, déconcertante, cette manie, fréquente par les temps qui courent, de procéder allègrement à un cérémonial d’autodestruction collective sensationnel et flamboyant. Déjà qu’il y a les baleines qui s’échouent, parfois, en masse, spectaculaires cadavres cachant tout d’un drame dont on méconnait, peut-être, le sens sacrificiel ; ou ces sectateurs  dont la transe, jouissive parce que criminelle, est poussée jusqu’à l’ultime plaisir de vivre la pulsion de mort


Plus j’y pense, et plus je me dis que c’est que ce qui frappe de plus en plus le peuple québécois, dont on a évoqué souvent le masochisme viscéral. Nous souffrons. Et nous n’y prenons garde. Nous rageons. Et nous nous échouons avec volupté, comme des rorquals hallucinés, sans que personne ne comprenne les cadavres que l’on laisse ici et là le long du fleuve  – politiques, par exemple, mais parfois aussi économiques, pédagogiques, artistiques. Des autoroutes qui s’appellent Jean-Lesage, Félix-Leclerc… M. Lévesque pouvait si bien le faire, lui, souffrir, rager, s’autodétruire, tout en même temps : un modèle illustre. Notre peuple aime le risque du suicide, c’est la seule liberté qui lui reste. Mais avant de mourir, il goûte cette indépendance du nain devenu fou, qui bousille les règles du jeu, donne des petits coups de pieds dans les tibias du gens du monde, et envoie tout promener, à l’hilarité générale, et au bon plaisir du Roi…

Il n’y a pas que les peuples blessés qui se dopent de comportements erratiques et d’humoristes morbides. Les institutions, même les plus vénérables, ont elles aussi l’envie de mort, quand toute chance de durer dans l’éternité semble à jamais perdue. Sans humour aucun, sinon pathologique, le bruit court que le cardinal Ouellet serait papable ! Le cardinal Ouellet, bon dieu, vous imaginez ? Un Marc II ( il n’y a eu qu’un seul pape Marc, un an de règne, au IVème siècle, mais il a laissé le souvenir d’une petite bandelette en laine de mouton, ornement papal qui se porte encore, avec des jolies petites croix noires tissées dessus, un délice de la mode antique, ) un Marc II, dis-je, prototype même du « Avancez en arrière, s’il vous plaît, avancez en arrière ! » Un Marc II qui concrétisera cette prophétie, restée fameuse, de Malraux: « Le XXIème siècle sera religieux, ou il ne sera pas ». Avec un pape pareil, il y a de bonnes chances, oui, une fois l’éclat de rire enfantin passé, et le petit torse bombé du nain fou braque dégonflé, que le XXIème siècle ne se rende pas jusqu’au bout !


Je ne sais pourquoi cette pulsion de mort, en ce début du XXIème siècle, est partout. Peut-être qu’à se faire dire que la planète se meurt inexorablement et que l’Homme en est l’unique coupable ; que tous les cataclysmes qui lui tombent dessus sont de sa faute, de son unique responsabilité ; que les combats pour l’égalité et la justice sont criminels dans leur essence même et qu’ils mènent tout droit aux pires intolérances ; que les rêves de liberté sont coupables du fait même de déplaire aux Pères-Tout-Puissants tout en privant les autres de leur liberté de téter aux amuse-gueules de leurs choix ; peut-être, en effet, ne reste-il que le plaisir, exaltant, d’anticiper sa propre mort.

Je ne sais trop. Mozart, mourant, a composé son propre Requiem.

Reste que pour mon peuple, blessé, et ridiculisé ces jours-ci, je souhaite qu’un héros vienne au plus vite prendre soin de lui, lui redonner goût à la vie, à l’estime de soi, à l’espoir, et à l’envie de durer.

Quant à l’Église, peut-être finira-t-elle, tout comme l’Islam, du reste, par rencontrer le monde moderne, et qu’elle prendra conscience, à l’exemple de Galilée, que la Terre, pourtant, malgré le sexe, malgré l’égalité des sexes et des genres, que cette bonne vieille Terre tourne toujours, et qu’elle prend plaisir à le faire.

Cyberpresse, 5 mai 2011. 




6 commentaires:

Unknown a dit…

Et pourtant (comme le dit la chanson...), et malgré tout et le reste, le soleil reste bon à sentir chaud sur la peau, et l'air frais du matin à respirer à plein poumon... Bref, vivre.

Chroniqueur a dit…

Oui, en effet ! ( Et notons au passage que cette chose rare qu'on appelle le soleil est au rendez-vous aujourd'hui ! )

Merci de ton commentaire. Porte-toi bien :-)

Alcib a dit…

En tout premier lieu, la première image m'a saisi, provoquant une forte émotion. Cette image d'Achille et Patrocle est pour moi tellement associée à Alexander ! Avec Alexandre et Héphaistion, Achille et Patrocle étaient pour nous des modèles...

Je partage ton point de vue sur le masochisme des Québécois qui sont sortis des églises mais qui n'ont pas sorti d'eux l'enseignement de l'Église qu'il faut souffrir pour mériter son Ciel...

Quelqu'un a dû te dire déjà que tu écrivais merveilleusement bien :)

Chroniqueur a dit…

Ton compliment me fait d’autant plus rougir que j’ai écrit ce texte presque malgré moi ! Que je te raconte: je ne voulais écrire que quelques lignes sarcastiques sur Mgr Ouellet, et puis... le texte s’est écrit tout seul. Achille et Patrocle se sont imposés d’eux-mêmes. La thématique de la pulsion de mort aussi... Bref, quand j’ai terminé l’écriture de ce billet, il était devenu tout autre chose que mon but premier ! Mais il a été ce qu’il devait être: une catharsis.

Merci, Alcib, de ton amitié, et de tes commentaires, qui me font toujours plaisir à lire. Tu as toute mon affection.

Alcib a dit…

Il et bon de rougir un peu, surtout au printemps.

Il arrive que l'on ait une idée à exprimer et qu'en cours de route l'inspiration s'en mêle. Lorsque le résultat est mieux à l'arrivée que ce que l'on avait pensé, c'est sans doute que la créativité a bien joué son rôle.

Merci de ton amitié. On te l'a déjà dit, je me souviens : tu es quelqu'un de bien.

Chroniqueur a dit…

Lire ça tôt, un samedi matin, commence bien la journée, commence bien le week-end ! Merci, Alcib :-)