Source: http://www.septentrion.qc.ca/banque-images/fiche-image.asp?id=4720
Il y a exactement 249 ans aujourd’hui, 10 février ( sans rire, il faudra voir si Québec, ou Paris, ou Londres, ou les trois conjointement, souligneront le 250e anniversaire de l’événement l’an prochain, mais on peut raisonnablement en douter… ), les diplomates de France et de la Grande-Bretagne signaient le traité de Paris, la pire des défaites militaires de la France ( exception faite, peut-être, de la campagne de Russie, en 1812, où Napoléon perdit, dans le froid polaire hâtif de cette année-là, plus de 500,000 hommes. )
La France se retirait irréversiblement de l’Amérique continentale. La perte était colossale, tellement vaste qu’elle en était immesurable, sauf regard atterré sur une carte d’époque, à l’échelle exacte. L’enjeu de la guerre avait été crucial, la possession même de l’Amérique du Nord, celle qui comptait vraiment à l’époque, la partie centrale du continent, à l’est du Mississippi. Bougainville, présent à la bataille de Québec de l’été 1759, le comprenait parfaitement bien, comme le comprenait tout aussi bien l’Angleterre, qui avait saisi, depuis longtemps, l’ampleur et l’importance d’une victoire totale en Amérique du Nord. En 1763, à la signature du traité de Paris, l’Angleterre parvenait à une culmination de puissance qu’elle allait conserver jusqu’à la Première Guerre mondiale.
C’était la désolation, en Canada, et dans les populations indiennes de l’ancienne Nouvelle-France. « Les Anglais sont nos maîtres », désormais ; l’expression de l’évêque catholique de Québec, déjà aliéné par les nouveaux caciques locaux, est restée longtemps fameuse. Les Anglais étaient désormais nos maîtres… ; terrifiés, les Canadiens ( français ) s’inquiétèrent, au jour le jour, de ce qu’ils allaient devenir. Ils se soumirent, bien sûr, parce que la Proclamation royale qui suivit, à l’automne 1763, première véritable constitution de l’histoire du Québec ( octroyée, comme elles le seront toutes, par la suite, jusqu’au dernier produit anglais, le Canada Bill de 1982, ) ignorait leur langue nationale, leur droit civil, leur régime de propriété. C’était la grande peur, ( et la grande dérobade des Canadiens, le premier repli, celui-là de droit civil ), restée longtemps dans les mémoires, jusqu’au vers emblématique du Ô Canada de Routhier, qui la rappelait encore en 1880 : « … protégera nos foyers et nos droits ». Dans l’Ouest, précisément dans la région encore sauvage des Grands Lacs, où les Canadiens et les Français avaient leurs réseaux d’affaires, depuis longtemps, le grand chef Pontiac, qui lui aussi, comprit parfaitement bien le sens exact du traité de Paris, souleva les populations indiennes contre le nouvel occupant, qui régla le problème, l’affaire est célèbre, à coup de fusils et de couvertures contaminées : c’était là la manière Amherst de régler un imprévu très inquiétant, si par malheur les Français avaient voulu profiter de l’occasion et s’étaient à nouveau montrés dans la vallée du Saint-Laurent. Attente inutile : Pontiac resta seul à résister ; c’en était fait, de la Grande Paix de Montréal, signée entre les Français et les Indiens en 1703, et qui les reconnaissait comme « peuples » ayant droit à leurs « terres » ancestrales. Cette paix était un fait unique dans l’histoire coloniale des Amériques. Canadiens comme Indiens, du reste souvent confondus par le conquérant, perdaient gros avec le traité de Paris : les premiers devinrent un peuple conquis, les seconds des peuples soumis, et bientôt mis sous tutelle. Cynisme ultime de cette histoire, l’alliance intime entre les Canadiens ( français ) et les Indiens, faite d’authentiques connaissances culturelles, partagées, métissées, fut à jamais brisée ; et les deux alliés de naguère devinrent d’abord des inconnus, puis d’irréductibles adversaires. La division fut tout aussi triste qu’inutile, sauf de renforcer, bien sûr, le système en place, au profit de ceux qui l’avaient voulu tel qu’il était. On allait voir, longtemps, les Canadiens ( français ) et les Indiens, conquis, soumis, apprendre à quémander, à supplier, à bomber le torse dans des crâneries nationalistes piteusement chimériques.
La France avait donc disparu d’Amérique. Elle participa, c’est vrai, au succès des Américains révoltés contre la Grande-Bretagne, mais lors du second traité de Paris, en 1783, la France, pourtant victorieuse, ne réclama rien, absolument rien, du côté de la vallée du Saint-Laurent. C’est quand la chose fut connue que la désillusion des Canadiens ( français ) fut la plus douloureuse, la plus amère, jamais oubliée. Les Anglais allaient rester nos maîtres, pour longtemps. L’histoire du Québec naissait vraiment de cette date terrible, 1763, confirmée en 1783. Guy Frégault, en conclusion de la Guerre de la Conquête, écrivait là-dessus en 1955: « Si (…) l’histoire est une hypothèse permettant d’expliquer les situations actuelles par celles qui les ont précédées, un examen attentif de la façon systématique et décisive dont le peuple canadien fut brisé doit nous mettre à même de voir sous son vrai jour la crise, d’ailleurs évidente, de la société canadienne-française et de constater qu’il (… ) s’agit (… ) d’une crise de structure démolie et à jamais convenablement relevée ». Encore en 2012, l’analyse de Frégault reste pour l’essentiel incontestable. Elle l’est plus encore, plus tragiquement encore, pour les peuples indiens d’Amérique, aliénés, davantage entretenus que les Québécois eux-mêmes, les anciens Canadiens, eux qui ont eu la chance, en 1867, de conserver un tronçon d’État sur un territoire à peu près national.
Reste donc à voir si, l’année prochaine, on aura le bon goût d’organiser quelque grandiose soirée, sur les Plaines, à Québec, pour commémorer l’immortel événement du 10 février 1763. Il y a déjà eu John, Paul, Céline, Ginette ; il y aura bientôt Madonna. L’an prochain, je verrais bien Madame Windsor, flanquée de l’ineffable et coûteuse Lise Thibault, souligner comme il se doit un si grand, et si bienheureux événement, dont on n’aura pas la grossièreté de l’appeler publiquement comme il se doit, la Conquête.