Jean L'Heureux, habillé en prêtre. Photo prise en 1871. |
Il est, peut-être, né en
1837, mais on n’en sait trop rien, en fait. Il a poursuivi des études
certainement brillantes, mais sans connaître ni le lieu ni les personnes qui
l’ont instruit. L’Histoire sait qu’il a été chassé du grand séminaire de
Montréal (quand ?) « en raison de graves désordres », homosexuels,
certainement, sodomites, tel qu’on le
disait à l’époque, sans préciser l’identité, la fonction, ni l’âge, surtout,
des autres protagonistes impliqués dans le scandale qu’on devine rapidement
étouffé. Il n’est pas devenu prêtre ; mais il allait y jouer toute sa vie.
Des années après cette première offense, on le congédiera, en 1891, de son
poste de fonctionnaire, aux Affaires indiennes du Canada, pour cause « d’un
comportement immoral le plus obscène qui soit ». Il avait alors la garde, chez
lui, d’enfants indiens, qu’il éduquait, semble-t-il, avec une ferveur suspecte,
comme de trop profitables petits catholiques… On ne sait trop si cette accusation,
grave, terrible, était fondée. Peut-être quelques protestants zélés ont-ils
utilisé contre Jean L’Heureux la réputation connue, et hautement sulfureuse
qu’il avait depuis belle lurette…
Jean L’Heureux « ne devint [donc] jamais prêtre pour avoir été souvent pris en flagrant délit de sodomie. Cependant, notre saint homosexuel se rendit quand même parmi les Sioux du Montana et parmi les Pieds-Noirs du sud de l’Alberta. Il portait la soutane et se faisait passer pour un bon prêtre catholique auprès des Indiens. A beau mentir qui vient à cheval… Il était prêtre au jour le jour, installé à demeure par les Indiens et fort apprécié d’eux, si bien qu’il devint le meilleur interprète sioux et algonquien de l’Ouest canadien et américain. Durant les négociations politiques, Sioux et Pieds-Noirs exigeaient sa présence à chaque réunion officielle, au grand dam des autorités qui (...) se devaient de reconnaître l’importance du personnage. Jean L’Heureux apparaît sur quelques photographies anciennes et célèbres, du moins pour ceux qui s’intéressent à cette histoire. Cependant, les chroniques sont généralement silencieuses à son sujet parce que personne ne se vantait d’avoir fréquenté ce faux prêtre ouvertement homosexuel. Notre homme ne se cachait plus depuis que, à sa grande surprise, il avait constaté que ses orientations sexuelles étaient considérées comme normales parmi les Amérindiens. » — Serge Bouchard, C’était au temps des mammouths laineux, p.223
Jean L’Heureux « ne devint [donc] jamais prêtre pour avoir été souvent pris en flagrant délit de sodomie. Cependant, notre saint homosexuel se rendit quand même parmi les Sioux du Montana et parmi les Pieds-Noirs du sud de l’Alberta. Il portait la soutane et se faisait passer pour un bon prêtre catholique auprès des Indiens. A beau mentir qui vient à cheval… Il était prêtre au jour le jour, installé à demeure par les Indiens et fort apprécié d’eux, si bien qu’il devint le meilleur interprète sioux et algonquien de l’Ouest canadien et américain. Durant les négociations politiques, Sioux et Pieds-Noirs exigeaient sa présence à chaque réunion officielle, au grand dam des autorités qui (...) se devaient de reconnaître l’importance du personnage. Jean L’Heureux apparaît sur quelques photographies anciennes et célèbres, du moins pour ceux qui s’intéressent à cette histoire. Cependant, les chroniques sont généralement silencieuses à son sujet parce que personne ne se vantait d’avoir fréquenté ce faux prêtre ouvertement homosexuel. Notre homme ne se cachait plus depuis que, à sa grande surprise, il avait constaté que ses orientations sexuelles étaient considérées comme normales parmi les Amérindiens. » — Serge Bouchard, C’était au temps des mammouths laineux, p.223
Ses orientations
sexuelles ? Ses orientations
sexuelles ?
Je ne connaissais rien
de l’histoire de Jean L’Heureux, jusqu’à tant que je lise le beau livre de
Serge Bouchard (qui ne lui consacre que le seul paragraphe cité plus haut). Je voulais fouiller davantage sur ce personnage, qui avait fui,
loin, très loin, le Québec écrasé de conformisme de la fin du 19e siècle, pour
vivre sa sexualité parmi des peuples qui ne le persécutaient plus, qui ne le
discriminaient pas. Un héros possible, d’une autre époque, et concernant sa
sexualité, d’une étonnante modernité.
C’est vrai que ce déserteur,
devenu transfuge, avait un côté extraordinaire. Il devint polyglotte,
participa, comme interprète, à la rédaction de traités entre les gouvernements
canadien et américain et les Indiens des Plaines, rédigea des mémoires
ethnographiques de grand talent, cartographia, produisit même un dictionnaire anglais-pied-noir.
Il s’inquiéta de la disparition des troupeaux de bisons, abattus en masse, pour
répondre à la demande mondiale de peaux, mais pour nourrir, aussi, les
travailleurs embauchés pour la construction des chemins de fer. Rapidement, les
Indiens, ses « frères », ont crevé de faim, des suites du massacre, et
L’Heureux est intervenu, avec insistance, pour que le gouvernement les prenne
en charge et les nourrisse.
Parce qu’à ce qu’il semble,
il était bien, L’Heureux, avec le gouvernement. Il lui a fourni de précieuses
informations, sur les terres et sur les peuples indiens qui les habitaient, et
sur leurs dirigeants, surtout, avec qui l’État entendait négocier de mauvaise
foi. Il avait le délire religieux, il était «Trois Personnes », ce qui faisait
bien rigoler les Pieds-Noirs, à qui il essayait d’inculquer (en vain) cette
absurdité théologique. Il a rencontré Louis Riel, en 1879, Riel qui a tenté de
le rallier à une révolution possible, et à la création d’un pays indien, dans
l’Ouest canadien. L’Heureux l’a dénoncé à qui de droit. Cela lui a valu un job,
aux Affaires indiennes, et lui a commandé une loyauté indéfectible au bon bord, celui des
canons. En 1885, L’Heureux a prêché la soumission, aux Indiens, tant qu’il a
pu.
Je ne sais trop ce qu’il
a pensé de la Loi sur les Indiens. J’imagine qu’il s’en est accommodé. En tout
cas avait-il des orientations sexuelles
persistantes, et possiblement redoutables, pour les enfants de peuples
tragiquement mis sous tutelle. À l’époque, tout le monde s’est servi de
L’Heureux et de ses talents, mais tout le monde, aussi, a souhaité s’éloigner
de lui, le tenir au loin, l’isoler, l’oublier. Il aurait eu un « comportement
immoral le plus obscène qui soit », travesti sous une perpétuelle soutane à
laquelle il n’avait pas droit: qui sait, exactement, ce qu’il en a été, de
cette accusation effroyable, ravivée, maintenant, par ce qui se révèle de notre
histoire, criminelle, avec les peuples autochtones ?
Je pensais trouver un héros. J’ai, pour le moins, un doute critique sur le personnage. Et bien que l’Histoire n’ait pas à juger, je suis, en fait, déçu de lui.
Je pensais trouver un héros. J’ai, pour le moins, un doute critique sur le personnage. Et bien que l’Histoire n’ait pas à juger, je suis, en fait, déçu de lui.