jeudi 28 mars 2013

JEAN L'HEUREUX (1837-1919), OU L'HOMME À L'ORIENTATION SEXUELLE INDIENNE

Jean L'Heureux, habillé en prêtre. Photo prise en 1871.




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Il est, peut-être, né en 1837, mais on n’en sait trop rien, en fait. Il a poursuivi des études certainement brillantes, mais sans connaître ni le lieu ni les personnes qui l’ont instruit. L’Histoire sait qu’il a été chassé du grand séminaire de Montréal (quand ?) « en raison de graves désordres », homosexuels, certainement, sodomites, tel qu’on le disait à l’époque, sans préciser l’identité, la fonction, ni l’âge, surtout, des autres protagonistes impliqués dans le scandale qu’on devine rapidement étouffé. Il n’est pas devenu prêtre ; mais il allait y jouer toute sa vie. Des années après cette première offense, on le congédiera, en 1891, de son poste de fonctionnaire, aux Affaires indiennes du Canada, pour cause « d’un comportement immoral le plus obscène qui soit ». Il avait alors la garde, chez lui, d’enfants indiens, qu’il éduquait, semble-t-il, avec une ferveur suspecte, comme de trop profitables petits catholiques… On ne sait trop si cette accusation, grave, terrible, était fondée. Peut-être quelques protestants zélés ont-ils utilisé contre Jean L’Heureux la réputation connue, et hautement sulfureuse qu’il avait depuis belle lurette…

Jean L’Heureux « ne devint [donc] jamais prêtre pour avoir été souvent pris en flagrant délit de sodomie. Cependant, notre saint homosexuel se rendit quand même parmi les Sioux du Montana et parmi les Pieds-Noirs du sud de l’Alberta. Il portait la soutane et se faisait passer pour un bon prêtre catholique auprès des Indiens. A beau mentir qui vient à cheval… Il était prêtre au jour le jour, installé à demeure par les Indiens et fort apprécié d’eux, si bien qu’il devint le meilleur interprète sioux et algonquien de l’Ouest canadien et américain. Durant les négociations politiques, Sioux et Pieds-Noirs exigeaient sa présence à chaque réunion officielle, au grand dam des autorités qui (...) se devaient de reconnaître l’importance du personnage. Jean L’Heureux apparaît sur quelques photographies anciennes et célèbres, du moins pour ceux qui s’intéressent à cette histoire. Cependant, les chroniques sont généralement silencieuses à son sujet parce que personne ne se vantait d’avoir fréquenté ce faux prêtre ouvertement homosexuel. Notre homme ne se cachait plus depuis que, à sa grande surprise, il avait constaté que ses orientations sexuelles étaient considérées comme normales parmi les Amérindiens. » — Serge Bouchard, C’était au temps des mammouths laineux, p.223
Ses orientations sexuelles ? Ses orientations sexuelles ?
Je ne connaissais rien de l’histoire de Jean L’Heureux, jusqu’à tant que je lise le beau livre de Serge Bouchard (qui ne lui consacre que le seul paragraphe cité plus haut). Je voulais fouiller davantage sur ce personnage, qui avait fui, loin, très loin, le Québec écrasé de conformisme de la fin du 19e siècle, pour vivre sa sexualité parmi des peuples qui ne le persécutaient plus, qui ne le discriminaient pas. Un héros possible, d’une autre époque, et concernant sa sexualité, d’une étonnante modernité.
C’est vrai que ce déserteur, devenu transfuge, avait un côté extraordinaire. Il devint polyglotte, participa, comme interprète, à la rédaction de traités entre les gouvernements canadien et américain et les Indiens des Plaines, rédigea des mémoires ethnographiques de grand talent, cartographia, produisit même un dictionnaire anglais-pied-noir. Il s’inquiéta de la disparition des troupeaux de bisons, abattus en masse, pour répondre à la demande mondiale de peaux, mais pour nourrir, aussi, les travailleurs embauchés pour la construction des chemins de fer. Rapidement, les Indiens, ses « frères », ont crevé de faim, des suites du massacre, et L’Heureux est intervenu, avec insistance, pour que le gouvernement les prenne en charge et les nourrisse.
Parce qu’à ce qu’il semble, il était bien, L’Heureux, avec le gouvernement. Il lui a fourni de précieuses informations, sur les terres et sur les peuples indiens qui les habitaient, et sur leurs dirigeants, surtout, avec qui l’État entendait négocier de mauvaise foi. Il avait le délire religieux, il était «Trois Personnes », ce qui faisait bien rigoler les Pieds-Noirs, à qui il essayait d’inculquer (en vain) cette absurdité théologique. Il a rencontré Louis Riel, en 1879, Riel qui a tenté de le rallier à une révolution possible, et à la création d’un pays indien, dans l’Ouest canadien. L’Heureux l’a dénoncé à qui de droit. Cela lui a valu un job, aux Affaires indiennes, et lui a commandé une loyauté indéfectible au bon bord, celui des canons. En 1885, L’Heureux a prêché la soumission, aux Indiens, tant qu’il a pu.
Je ne sais trop ce qu’il a pensé de la Loi sur les Indiens. J’imagine qu’il s’en est accommodé. En tout cas avait-il des orientations sexuelles persistantes, et possiblement redoutables, pour les enfants de peuples tragiquement mis sous tutelle. À l’époque, tout le monde s’est servi de L’Heureux et de ses talents, mais tout le monde, aussi, a souhaité s’éloigner de lui, le tenir au loin, l’isoler, l’oublier. Il aurait eu un « comportement immoral le plus obscène qui soit », travesti sous une perpétuelle soutane à laquelle il n’avait pas droit: qui sait, exactement, ce qu’il en a été, de cette accusation effroyable, ravivée, maintenant, par ce qui se révèle de notre histoire, criminelle, avec les peuples autochtones ?
Je pensais trouver un héros. J’ai, pour le moins, un doute critique sur le personnage. Et bien que l’Histoire n’ait pas à juger, je suis, en fait, déçu de lui.





jeudi 21 mars 2013

FRANÇOIS PERALDI, TOUJOURS EN MÉMOIRE


Il y a exactement 20 ans aujourd'hui décédait M. François Péraldi, psychanalyste, linguiste, auteur, traducteur. Un immense personnage, intellectuel majeur, professeur d'université très couru, homme de coeur et de gauche, hostile à toute forme d'autorité, d'influence, de vedettariat. Si j'ai eu un « maître à penser », ça a été lui. Et pourtant lui ne se voulait ni chef de file, ni gourou. Il avait en horreur, je crois, tout ce qui pouvait établir quelque forme de pouvoir ou de mouvance. Il enseignait, pour le savoir, et pour la liberté. Ce qui me reste de lui, sur le plan des idées, c'est son refus obstiné, qui est devenu le mien, de penser comme les autres, de dire comme les autres, de marcher au pas, en torrents. C'est cet aspect, pyramidal, des réseaux sociaux, que je déteste, ces réseaux verticaux qui prolongent la carrière des «engagés» de toutes sortes, qui ne lisent personne, mais qui veulent être lus. François Péraldi n'aurait jamais «tweeté».

Quelques années après sa mort, un de ses bouquins, Polysexualité, réédité en anglais, aux É.-U., était condamné sur le plancher même du Congrès, ce qui l'aurait beaucoup amusé, s'il l'avait su... 

Ce 21 mars, je me souviens, Dr Péraldi.

vendredi 8 mars 2013

LA DERNIÈRE DES RÉVOLUTIONS BOURGEOISES


Soujourner Truth (1797-1833): féministe et anti-esclavagiste américaine. À propos du courage exemplaire.





En classe, il m'est arrivé souvent de réfléchir avec les étudiantEs sur ce qui avait le plus profondément changé le monde, depuis la Première Guerre mondiale. L'énergie atomique ? L'explosion des communications rapides ? La sortie de l'Homme dans l'espace ? La révolution démographique ? La pensée scientifique, sans dieu, s'imposant comme le nouveau paradigme ? Et ce qui revenait toujours, inévitablement, dans la discussion, c'était l'irréversible marche vers l'égalité des sexes et des genres, une révolution plus importante encore que celle qui avait aboli, au siècle précédent, l'esclavage des populations d'origine africaine. 

Une révolution majeure, oui, pour ce qu'elle est: l'égalité entre les sexes, et le bannissement d'un rapport de force fondé sur la brutalité. Mais on peut déjà douter du changement dans la culture collective (et les structures permanentes) qu'elle a pu (ou pourra) provoquer. Les femmes de pouvoir sont parfaitement identiques, en droite ligne, avec les hommes de pouvoir. Elles deviennent patronnes, propriétaires, et participent pleinement au maintien des inégalités. Elles exploitent les travailleurs, les enfants. Elles franchissent les interdits, et celui même de l'inceste. Elles consentent aux contrôles, et à la répression. De sorte qu'on peut penser qu'il y a encore une autre révolution à faire, celle des femmes s'inscrivant dans la révolution précédente, dans la longue, très longue révolution bourgeoise, propulsée par les révolutions atlantiques. On y songera de plus en plus, j'imagine, quand on cessera de compter combien il y a de femmes à l'Assemblée nationale, et dans le gouvernement, et dans les conseils d'administration, et dans les clubs privés, et dans les quartiers chics des grandes villes. On y songera de plus en plus quand la pleine égalité des sexes sera devenue réalité, une réalité parfaitement intégrée aux réseaux de pouvoirs de plus en plus insupportables pour le plus grand nombre d'entre nous, hommes et femmes.

À cette autre révolution, je n'y crois pas, pas davantage que je ne crois en Dieu, ou en son Paradis. Viendra donc un jour où on féminisera même le mot « tyran ».




mercredi 6 mars 2013

HOMOPHOBIE À LA QUÉBÉCOISE


Cyberpresse, 6 mars 2013


Preuve que les réseaux sociaux peuvent sur tous sujets, et pas seulement sur celui-ci, être épouvantablement médiocres - à gauche comme à droite. Preuve que les hommes et femmes gais restent encore des minorités marginales, qu'on tolère à peine, et à la stricte condition qu'elles se masquent. Preuve que la violence est partout, au point d'alimenter un état d’esprit général, un fait d'opinion qui poussent au suicide de jeunes gens qui voudraient bien avoir, comme premier souci, leurs frais de scolarité. Preuve, finalement, que malgré les apparences, on ne vaut guère mieux que la France ou les États-Unis sur cette question, cruciale, essentielle, de l'ouverture aux autres, et de leur pleine acceptation. J'ai honte de mes compatriotes. Et j'aurais envie d'écrire: je ne veux plus rien savoir, rien, de ce qui fait prétendument la «vertu» des combats de rues des vrais hommes. Dégoût.