Photo prise par l'auteur du blogue, lors de la parade de la Fierté, le 18 août 2013
Le journaliste Luc Boulanger a publié, le 19 août, dans La Presse, un texte impitoyable sur la pauvreté sociale et culturelle du Village «gay» de Montréal... au point de mettre en doute sa pertinence. Impitoyable, mais certainement (largement) vrai. J'ai envie (c'est prétentieux !) de commenter cet article, modestement. Je donnerai, plus bas, des liens utiles, pour les lecteurs qui voudraient se faire une meilleure idée de la question.
La rue Ste-Catherine, du moins le tronçon qui traverse le Village, est agréable, mais laide. Il n'y a de toute évidence pas de plan d’urbanisme, dans cette ville, en tout cas pas pour le quartier, anciennement populaire, où s'est concentrée l'activité commerciale gaie. Pas de règles architecturales non plus, il s'y construit n'importe quoi, n'importe comment. (Ça n'a pas toujours été le cas, il y a encore de beaux bâtiments, aux murs couverts de cette pierre de façade typique de Montréal. Mais ces bâtiments ont pris de l'âge. Beaucoup. Ils sont désormais affreusement déguisés, et isolés.)
La rue Ste-Catherine est agréable, mais parfois dangereuse — et que faire, que faire de la misère sociale qui y parade, elle, tous les jours de l’été (et de l'année), sans Mado pour donner le change et maquiller l'affaire, l'affaire terrible que cette pauvreté qui persiste; quelle politique sociale juste et équitable peut-on adopter face à une délinquance, à une itinérance humainement insupportable ?
La rue Ste-Catherine, raison d'être du Village, est un espace de commerces d’alcool et de restauration rapide, c’est un fait. C’est tout près, aux alentours, que l'on peut bien manger — tout près, mais pas sur Ste-Catherine.
Par ailleurs, si le Village est un lieu de tolérance des diversités sexuelles, il n’est cependant pas un endroit majoritairement gay. J’habite le Village, et mes voisins sont, en grand nombre, hétéros: jeunes couples, étudiants, familles immigrantes avec enfants... Je me rappelle encore cette étude d’un géographe de l’UQUAM qui avait démontré que davantage de gays habitent le Plateau plutôt que le Village. C'est à sa réputation, qui lui a donné son essence et sa «fonction», que le Village doit d'être tolérant, et non de par l'orientation sexuelle des gens qui l'habitent. Le Village est principalement straight. Ça peut étonner d'en prendre conscience. Questionner le Village, quant à sa sexualité présupposée, est en fait un faux problème.
Reste que, pour l’habiter, le Village est agréable, à condition d’être assez loin, l’été, de la rue Ste-Catherine. Laid, mais agréable: tout est à proximité, la Grande Bibliothèque, le centre-ville, le Vieux-Montréal, les grandes salles de cinéma et de spectacle; on traverse le parc Lafontaine, et on gagne le (très chic) Plateau. Laid, mais agréable: on y vit dans une ouverture d’esprit, dans une acceptation quotidienne très réelle, et ce n’est pas mauvais d’être parfois partie de la norme, même si ce n'est là qu'une illusion de quartier. Laid, mais désormais tranquille, parce que la fermeture de la rue Ste-Catherine, l’été, a été une mesure d’apaisement de la circulation automobile incroyablement efficace, de quoi faire rêver l’actuel maire du Plateau.
Ultimo, c’est certainement vrai que les artistes majeurs ignorent la spécificité du Village. Il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais «d’art gay», heureusement d'ailleurs. Mais il y a une culture populaire gaie. Elle reste obstinément festive, nocturne, cachée, privée, un peu honteuse d’elle-même, d’où le si courant: «Moi, je n’habiterais jamais dans le ghetto gay» — non, tu ne l’habiterais jamais, abruti, mais tu y passes tes nuits à te défoncer, pour aller ensuite vomir dans le Plateau ou dans le Mile-End ! Je n’aime pas beaucoup cette culture populaire gaie, béatement heureuse de tout ignorer du reste du monde et de ses problèmes, de ne valoriser que sa marginalité, et de n’apprécier que ce qui est si impérieusement jeune et superficiel. Mais cette communauté existe; elle a un lieu de vie transitoire qui lui est propre, la plupart du temps sécuritaire, ce qui n'est pas rien. Les gens du quartier l'accueillent sans faire de problèmes, cette communauté, depuis qu'elle ne prend plus ses rues transversales pour une immense maison de passe à ciel ouvert. On a appris, tous, à vivre ensemble.
La solution, s'il y a désuétude (au vrai délabrement), n’est certainement pas, pour les hommes et les femmes gays, de sortir du Village (comme le suggère Boulanger, et, comme l’a fait la bourgeoisie afro-américaine, qui a quitté les ghettos noirs, pour vivre parmi les blancs de banlieue qui votent républicain, et de fait, détail inquiétant, il y a des hommes et des femmes gays qui militent à droite, désormais...), mais de l’investir: le Village pourrait être beau; le village pourrait être un lieu de création; le Village pourrait être aménagé; le Village pourrait être soucieux de ses parias; le Village pourrait être avenant autrement que pour entasser ses visiteurs d'un soir dans un étal à viande (je veux dire un bar !); mais pour cela, il faudrait planifier, régler, et espérer autre chose que la seule arrivée de touristes américains, et européens, qui viennent ici, deux ou trois jours par année, pour faire la fête sexuelle, et s’en aller par la suite comme si de rien n’était, sauf propager la bonne nouvelle de cette seule réalité nocturne qui compte— les gars sont beaux à Montréal. Oui, bon, mais après ?
Liens:
L'article de Luc Boulanger: http://www.lapresse.ca/arts/201308/17/01-4680853-a-t-on-encore-besoin-dun-village-gai.php
La réplique de Denis Brossard: http://www.fugues.com/main.cfm?l=fr&p=100_article&article_ID=25061
La page Facebook de personnes qui se sont impliquées dans l'amélioration des aménagements du quartier, et de sa qualité de vie: À l'ombre du pont Jacques-Cartier - https://www.facebook.com/groups/445510368898267/