mardi 20 août 2013

DE LA PERTINENCE D'UN QUARTIER URBAIN DIT «GAY»



Photo prise par l'auteur du blogue, lors de la parade de la Fierté, le 18 août 2013


Le journaliste Luc Boulanger a publié, le 19 août, dans La Presse, un texte impitoyable sur la pauvreté sociale et culturelle du Village «gay» de Montréal... au point de mettre en doute sa pertinence. Impitoyable, mais certainement (largement) vrai. J'ai envie (c'est prétentieux !) de commenter cet article, modestement. Je donnerai, plus bas, des liens utiles, pour les lecteurs qui voudraient se faire une meilleure idée de la question.

La rue Ste-Catherine, du moins le tronçon qui traverse le Village, est agréable, mais laide. Il n'y a de toute évidence pas de plan d’urbanisme, dans cette ville, en tout cas pas pour le quartier, anciennement populaire, où s'est concentrée l'activité commerciale gaie. Pas de règles architecturales non plus, il s'y construit n'importe quoi, n'importe comment. (Ça n'a pas toujours été le cas, il y a encore de beaux bâtiments, aux murs couverts de cette pierre de façade typique de Montréal. Mais ces bâtiments ont pris de l'âge. Beaucoup. Ils sont désormais affreusement déguisés, et isolés.)

La rue Ste-Catherine est agréable, mais parfois dangereuse — et que faire, que faire de la misère sociale qui y parade, elle, tous les jours de l’été (et de l'année), sans Mado pour donner le change et maquiller l'affaire, l'affaire terrible que cette pauvreté qui persiste; quelle politique sociale juste et équitable peut-on adopter face à une délinquance, à une itinérance humainement insupportable ? 

La rue Ste-Catherine, raison d'être du Village, est un espace de commerces d’alcool et de restauration rapide, c’est un fait. C’est tout près, aux alentours, que l'on peut bien manger — tout près, mais pas sur Ste-Catherine.

Par ailleurs, si le Village est un lieu de tolérance des diversités sexuelles, il n’est cependant pas un endroit majoritairement gay. J’habite le Village, et mes voisins sont, en grand nombre, hétéros: jeunes couples, étudiants, familles immigrantes avec enfants... Je me rappelle encore cette étude d’un géographe de l’UQUAM qui avait démontré que davantage de gays habitent le Plateau plutôt que le Village. C'est à sa réputation, qui lui a donné son essence et sa «fonction», que le Village doit d'être tolérant, et non de par l'orientation sexuelle des gens qui l'habitent. Le Village est principalement straight. Ça peut étonner d'en prendre conscience. Questionner le Village, quant à sa sexualité présupposée, est en fait un faux problème.

Reste que, pour l’habiter, le Village est agréable, à condition d’être assez loin, l’été, de la rue Ste-Catherine. Laid, mais agréable: tout est à proximité, la Grande Bibliothèque, le centre-ville, le Vieux-Montréal, les grandes salles de cinéma et de spectacle; on traverse le parc Lafontaine, et on gagne le (très chic) Plateau. Laid, mais agréable: on y vit dans une ouverture d’esprit, dans une acceptation quotidienne très réelle, et ce n’est pas mauvais d’être parfois partie de la norme, même si ce n'est là qu'une illusion de quartier. Laid, mais désormais tranquille, parce que la fermeture de la rue Ste-Catherine, l’été, a été une mesure d’apaisement de la circulation automobile incroyablement efficace, de quoi faire rêver l’actuel maire du Plateau.

Ultimo, c’est certainement vrai que les artistes majeurs ignorent la spécificité du Village. Il n’y a jamais eu, et il n’y aura jamais «d’art gay», heureusement d'ailleurs. Mais il y a une culture populaire gaie. Elle reste obstinément festive, nocturne, cachée, privée, un peu honteuse d’elle-même, d’où le si courant: «Moi, je n’habiterais jamais dans le ghetto gay» — non, tu ne l’habiterais jamais, abruti, mais tu y passes tes nuits à te défoncer, pour aller ensuite vomir dans le Plateau ou dans le Mile-End ! Je n’aime pas beaucoup cette culture populaire gaie, béatement heureuse de tout ignorer du reste du monde et de ses problèmes, de ne valoriser que sa marginalité, et de n’apprécier que ce qui est si impérieusement jeune et superficiel. Mais cette communauté existe; elle a un lieu de vie transitoire qui lui est propre, la plupart du temps sécuritaire, ce qui n'est pas rien. Les gens du quartier l'accueillent sans faire de problèmes, cette communauté, depuis qu'elle ne prend plus ses rues transversales pour une immense maison de passe à ciel ouvert. On a appris, tous, à vivre ensemble.

La solution, s'il y a désuétude (au vrai délabrement), n’est certainement pas, pour les hommes et les femmes gays, de sortir du Village (comme le suggère Boulanger, et, comme l’a fait la bourgeoisie afro-américaine, qui a quitté les ghettos noirs, pour vivre parmi les blancs de banlieue qui votent républicain, et de fait, détail inquiétant, il y a des hommes et des femmes gays qui militent à droite, désormais...), mais de l’investir: le Village pourrait être beau; le village pourrait être un lieu de création; le Village pourrait être aménagé; le Village pourrait être soucieux de ses parias; le Village pourrait être avenant autrement que pour entasser ses visiteurs d'un soir dans un étal à viande (je veux dire un bar !); mais pour cela, il faudrait planifier, régler, et espérer autre chose que la seule arrivée de touristes américains, et européens, qui viennent ici, deux ou trois jours par année, pour faire la fête sexuelle, et s’en aller par la suite comme si de rien n’était, sauf propager la bonne nouvelle de cette seule réalité nocturne qui compte— les gars sont beaux à Montréal. Oui, bon, mais après ?

Liens:



La page Facebook de personnes qui se sont impliquées dans l'amélioration des aménagements du quartier, et de sa qualité de vie: À l'ombre du pont Jacques-Cartier - https://www.facebook.com/groups/445510368898267/





mardi 13 août 2013

VIGILE POUR LES DROITS, LA JUSTICE ET LA LIBERTÉ (À MONTRÉAL)


Juste avant, et pendant la manifestation



C'était une magnifique soirée, ce soir, au centre-ville de Montréal. Nous étions plusieurs amis, gays, hétéros, (bi?), à s'être retrouvés pour aller dénoncer en choeur la loi russe qui permet la discrimination et libère la haine fascisante, comme on a pu le voir sur d'atroces vidéos qui circulent sur le web, en ce moment. Nous étions de bonne humeur. Parfois gamins. Parfois émus. Et surtout, surtout, toujours solidaires, de tous ceux qui subissent la discrimination, le rejet, l'isolement, la violence, la torture et la mort, de par le monde, et de par leur différence. Une belle soirée, vraiment. À souhaiter que la Russie entende.






dimanche 11 août 2013

LA DÉMOCRATIE ASSASSINE




... En 2011, «Hillary Clinton est venue au Caire en disant, il faut des élections. (...) Mais la démocratie ce ne sont pas juste des élections. Il faut d’abord changer le système, pour qu’il soit plus honnête, plus juste, égalitaire, humain, pour qu’il apporte une vraie paix, une vraie démocratie. Mais c’est précisément ce qu’ils [les Américains, les possédants] ne voulaient pas. Nous dans les rues, nous étions unis, 20 millions unis contre Moubarak et son système, c’est pour ça qu’on a réussi à le renverser. Alors ils nous ont divisés au moyen des élections. À la minute où ont démarré les élections en Égypte, les gens ont commencé à se diviser, ils ont été mis en compétition. (...) Tout cela a permis de faire avorter la révolution. (...) Nous voulions nous organiser, car la révolution n’est pas très créative, elle est surtout spontanée... » - Nawal El Saadawi (Source: La religion est une idéologie politique, http://monde-arabe.arte.tv/nawal-el-saadawi/ )

Hillary Clinton, se rendant en Égypte en 2011, connaissait-elle l'analyse parfaitement limpide que James Madison avait faite, en 1787, dans les Federalist Papers, de la démocratie ? Madison était de ceux qui avaient redouté que la révolution américaine ne remette en question l'ordre social. (Il y avait, par exemple, ces masses paysannes sans terre, inquiétantes, qui rêvaient d'un grand partage, équitable, des grands domaines «loyalistes» abandonnés de gré ou de force...) Madison avait expliqué à ses contemporains hésitants, et en mettant, pour qu'ils comprennent bien, les points sur les i, que le principe de la majorité démocratique avait cette utilité formidable de contourner, et de masquer, «l’inégale répartition des richesses» et donc «des intérêts particuliers», au profit d’une majorité artificielle et temporaire, avec, si possible, une bonne dose de fanatisme partisan. Au regard de Madison, il n’y avait en conséquence rien à craindre du suffrage universel, pourvu qu'il fragmente les intérêts collectifs, qu'il pulvérise toute conscience de classe, qu'il vide de son sens les concepts mêmes de peuple, de nation et de république. (Source: Howard Zinn, Une histoire populaire des États-Unis, pp. 115-118)

J'imagine que Mme Clinton, se rendant en Égypte, connaissait la pensée de Madison.

Et nous, il nous faudrait savoir si Lafontaine, Cartier et compagnie la connaissaient aussi, quand il a leur fallu s'assurer, après 1837, que jamais, jamais plus la démocratie n'allait générer, ici, au Québec, une aberration semblable à la vaste coalition électorale et populaire qu'avait été le mouvement patriote au premier 19e siècle. En tout cas ont-ils pratiqué (dès 1848,) la formule gagnante, parce que sinon, comment comprendre l'enracinement partisan, souvent fanatique, des rouges et des bleus, des oranges et des verts, et cet invraisemblable éparpillement indépendantiste qui vide de son sens les concepts mêmes de peuple, de nation, et de libération ? 

Nawal El Saadawi aujourd'hui, James Madison hier, ont bien raison tous les deux: c'est la démocratie elle-même qui peut tuer la démocratie.



 

samedi 10 août 2013

OLIVE OATMAN, OU LE TOURMENT INDIEN (1837-1903)


Photos de 1856, l'originale et sa version moderne, coloriée.



Olive Oatman, en 1856, à 19 ans, telle qu’elle était au moment de sa «libération», par l’armée américaine, des Indiens Mohave d'Arizona, avec qui elle a vécu quatre ans. Elle était tatouée au menton, comme l'étaient plusieurs des femmes de la tribu, marque probable d'adoption. Son histoire, célèbre de son temps, est extraordinaire, troublante, truffée de contradictions; elle ferait le bonheur de Serge Bouchard, qui la connait sûrement, et en a peut-être déjà parlé. Au fond, c’est un destin tragique que cette vie, typique du déchirement culturel que vivait l’Amérique de la «frontière» au 19e siècle, aux États-Unis comme au «Canada», en face à face crucial avec le pays indien, et l’originalité attrayante de son système culturel, et social. L’adoption de la Loi sur les Indiens a été, comme chacun sait, la solution finale à ce qui n’avait jamais cessé de faire peur — le «communisme primitif», l'inconscience du fait même de la propriété privée, le nomadisme, l’animisme, la «folie» des formes rituelles. Olive Oatman a sûrement été violemment affolée par cette politique d’anéantissement culturel des peuples indiens. Peut-être faut-il voir là l’explication essentielle du choc post-traumatique qui a gâché le reste de sa vie, vers 1880, alors que bien mariée, elle atteignait tout juste la quarantaine. En Amérique, elle n'était pas seule à souffrir de tourments identitaires.







vendredi 9 août 2013

Saisissement: WIFREDO LAM


Le photo montage est de moi.


Je découvre ce soir, cette nuit, Wifredo Lam, que je ne connaissais pas. (Ignorance...) Je suis fasciné. Le «peintre national cubain», aurait dit de lui Fidel Castro. Mais Lam, me semble-t-il, est un «pur» produit de métissage, ethnique, culturel, américain, européen, africain, cubiste, surréaliste, primitif, et presque naïf, devenu riche, célèbre, fréquenté par l'élite des beaux-arts, persécuté par le nazisme, resté solidaire des peuples du tiers-monde. Un magnifique artiste. Je l'écris avec grande humilité.





Jungle (1943): la plus fameuse, peut-être, des oeuvres de Lam.



vendredi 2 août 2013

LA RUSSIE EST UNE « GRANDE DÉMOCRATIE »














(Toutes les images animées, je les ai trouvées rapidement sur Tumblr, sans que je ne puisse plus nettement identifier et créditer leurs auteurs. Il me semble que ces images pourraient désensibiliser le président russe de son aversion, et le sensibiliser à une réalité de l'espèce humaine qui n'est, après tout, qu'une des multiples composantes de l'amour.)


Merci, M. Poutine. Vous avez (enfin) compris ce qu'était le droit d'asile. Vous avez, très certainement, sauvé (un temps, une année,) la vie d'Edward Snowden - gravement menacé par son gouvernement, déchaîné contre lui, bouc émissaire parfait pour camoufler ce qui peut l'être encore de l'énorme scandale qui secoue les services de sécurité des États-Unis d'Amérique; vous l'avez sauvé, surtout, de la dangerosité des prisons de son pays: peu de pardon pour un «traitre», même héraut de la liberté et du droit, dans l'univers carcéral qui pardonne le meurtre, mais certainement pas le défaut de patriotisme. Voilà un geste, Monsieur le Président, qui prouvera que votre pays est bel et bien la «grande démocratie» qu'on a récemment opposée à la France «socialiste », qui spolie les riches. Ce n'est pas à vous, Monsieur le Président, qu'on pourrait faire ce reproche.

Reste encore à trouver les expressions de gratitude, les preuves d'amour (mêmes) que l'on puisse vous adresser, Monsieur le Président. Peut-il, dans une grande démocratie, y en avoir qui soient mauvaises, et encore impossibles à exprimer, sous peine d'être accusé de propagande perverse devant mineur ? Y a-t-il, dans une grande démocratie, des relations amoureuses qui peuvent, encore de nos jours, conduire à la prison (dont vous avez préservé M. Snowden) ? Même moi, M. le Président, un étranger, je suis passible de cent mille roubles d'amende et de 15 jours de prison à simplement vous écrire ce billet reconnaissant ! J'hésite désormais à me rendre en touriste chez vous, M. Poutine - bien que, dans une grande démocratie, on imagine mal un service de sécurité qui puisse retracer mon modeste blogue et prendre bonne note de son contenu, pour ensuite m'en faire de glaçants reproches, au frais, derrière les barreaux, réduits à un morceau de pain et un grand verre d'eau...

Le pape, Monsieur le Président, qui n'est pas précisément, vous en conviendrez, un démocrate exemplaire, se défend pourtant bien de «juger» les personnes homosexuelles, et reconnait sans peine la compassion qu'elles peuvent tout aussi bien ressentir que vous (pour la sûreté des exilés en détresse) ou que M. Snowden (pour le respect du droit et de la justice): M. Poutine, je vous dirai même que rarement, nous, les gays, manquons à nos devoirs de patriote. Pensez, dans l'histoire même de votre pays, à Tchaikovsky, pensez à l'Ouverture de 1812: ça ne manque ni de panache ni de canons... J'imagine que vous ne voudriez plus, maintenant, faire empoisonner ce compositeur de génie parce qu'il avait des «moeurs sexuelles non traditionnelles»... Monsieur le Président, nous ne corrompons personne. Nous aimons la paix. Nous aimons les grandes démocraties. Nous aimons l'amour. C'est ce que je vous offre, Monsieur le Président, avec l'espoir de quelque rapide éclaircie réellement démocratique dans les lois de votre grand pays, la grande Russie.