... Mahou-Lissa, double entité masculine et féminine, est le dieu créateur, le dieu des dieux ...
Source: http://amikpon.net/togou19.htm
Tout récemment, je mangeais avec une copine qui a milité pour le Parti québécois, dès que Mme Pauline Marois en est devenue cheffe. Elle n’avait jusqu’alors jamais été membre de quelque parti politique que ce soit. Elle s’est ralliée au Parti québécois par conviction indépendantiste et surtout, je crois, par engagement féministe.
Elle m’a raconté qu’elle a lu, lors d’une réunion d’un exécutif régional du PQ où elle militait, la conclusion d’un de mes textes de blogue, favorable à cette Charte de la laïcité, que le gouvernement de Mme Marois proposait à législation à l’automne 2013. C’était un texte passionné, où j’expliquais que mon appui à la Charte procédait de mon athéisme, aussi de mon agnosticisme (un peu freudien) qui exclut de fait toute compromission de l’État, de ses lois et de ses services, avec une supposée morale divine et ses commandements, comme fatalement supérieure à quelque norme humaniste que ce soit, peu importe la religion monothéiste qui les dicte.
Ma copine m’a dit: «J’ai lu ton texte. Il y a eu un lourd, long silence. Et j’ai compris qu’on n’en était pas encore rendu là: la neutralité religieuse de l’État, peut-être, mais l’irréligion, radicale ? Certainement pas reçue par l’ensemble de nos compatriotes citoyens, et pas même chez les militants les plus actifs du Parti québécois.»
J’étais sidéré d’entendre l’anecdote, éclairé aussi. Nous n’en étions pas encore là, à rompre avec Dieu. Ce n’était pas ce que, comme peuple, pris dans sa majorité tout au moins, nous comprenions de la Charte. C’est vrai qu’il s’en trouvait, beaucoup, pour considérer certains signes religieux ostentatoires comme moins tolérables que d’autres. Et il s’en trouvait, plus encore, pour refuser quelque religion que ce soit, qui puisse remettre en cause, et menacer, l’égalité juridique durement acquise entre les hommes et les femmes. Mais comprendre la Charte de la laïcité comme un pas irréversible vers la mort de Dieu, évidente créature historique, et comme un renforcement singulier de l’humanisme, exigeant de nous tous plus de justice intentionnelle que jamais, il y avait à douter que nous en soyons réellement rendus là. «Il y a eu un lourd, long silence.»
Ce n'était pas tant le modèle pluraliste, canadien ou québécois qui résistait, que cette révolution fondamentale d'admettre, une fois, enfin, que les religions sont toutes des produits de l’histoire; d’admettre qu'il n'y a pas de Dieu, pas même nommé Chose, tel que l'Homme l'a projeté et auquel il obéit. Et qu’on a dû constater qu’une partie importante de nos compatriotes considérait comme inimaginable de considérer que les droits à l'égalité des sexes et à l’égalité des religions, y compris dans leurs exigences, puissent être enfreints, pour en soumettre, par exemple, l’un, immatériel, à l’autre, de principe humaniste. C'était déjà le but des accommodements raisonnables, destinés à assurer l'égalité entre le droit aux convictions et pratiques religieuses, avec tous les autres droits fondamentaux. Ce que proposait le gouvernement de Mme Marois était une rupture fondamentale, d’essence républicaine, une et indivisible, de langue et de valeurs communes; un contrat social plutôt que moral, consensus athée, sans symboles ostentatoires du tout.
Or la monarchie avait déjà fixé ses règles: sur la prière avant la tenue de conseils municipaux, sur le port du kirpan à l’école, du niqab devant les tribunaux… La Commission Bouchard-Taylor prétendait même ne maquiller que la monarchie (l‘Autorité contraignante), et qu’elle seule, d’athéisme, et par conséquent d’absences de symboles religieux: au peuple, et au peuple seul, désormais, l’existence «par la grâce de Dieu», et le droit de croire à n’importe quoi.
Le Parti québécois était-il conscient de l’ampleur de la «révolution» qu’il proposait ? Je ne sais pas. N’empêche. Nous avons choisi, à droite comme à gauche, le pari de Dieu et de ses contraintes: et cette terrible défaite de la Charte, et celle du gouvernement de Mme Marois, le 7 avril dernier, repoussent à un très lointain avenir tout essai d’organiser une société sagement humaniste, plus juste et socialement meilleure. La religion est là pour rester.
Nous en serons donc, encore, et pour longtemps, à la religion qui incarne et soutient l’ordre social, et l’inégalité fondamentale qui le caractérise. Nous en serons encore à considérer les êtres d’exception comme des personnes à morale essentiellement spirituelle, des sortes d’élus de Dieu, peu importe la religion du Dieu qui les présente comme «saints». Nous en serons encore à considérer le travailleur athée, luttant pour la justice au nom de sa seule et unique vie, trop courte, et terminale, comme un être isolé, socialement dangereux, un peu cinglé. Nous serons toujours largement instruits, comme les illettrés du Moyen Âge, par les monuments religieux et patrimoniaux qui donnent formes, convictions et civilisation aux territoires où ces monuments sont édifiés, et où ils se répartissent, d’autant plus solides qu’ils sont souvent couverts de pierres de taille gravées de «messages». Nous n’avancerons vers l’athéisme qu’à petits pas, et que pour les Autorités contraignantes, qui savent bien, elles, de quoi il en retourne, de Dieu, et qui n’en ont guère besoin pour disposer à leur guise de leur puissance de contrainte. Il y a quelque chose d’incroyablement déroutant à ce que la violence des notables, des exploiteurs, des contrôlants, prétende se draper, elle et elle seule, dans un athéisme qui refoule le bon peuple vers la crédulité, plus aliénante que jamais, plus néolibérale que jamais.
Mais c’est comme ça; et c’est comme ça pour durer encore longtemps.
P.-S.
Ce texte est d’abord, pour l’essentiel, paru sur Facebook, en cercle fermé. Il était hors de question que je le publie, sur ce blogue, sans l’accord de l’amie qui m’avait raconté l’anecdote centrale de ce texte. Je publie ici, avec son accord, non seulement l’article, revu, paru sur Facebook, mais la superbe réponse qu’elle m’a faite.
Apostille de la copine
Mon ami Richard me fait l’honneur de citer un brin de notre conversation dans ce texte … permettez que je mette mon grain de sel.
Le texte dont j’ai lu quelques passages à mon exécutif régional du PQ est celui que Richard a publié le 8 septembre 2013 sous le titre ET POURTANT ELLE TOURNE … Il y prenait effectivement position en faveur de la Charte en invoquant son athéisme, mais aussi en situant l’enjeu dans un contexte républicain. Il écrivait :
À les lire attentivement, et à les en croire, les Cent se seraient opposés, autrefois, aux principes mêmes de la Révolution française, parce qu’ils […] auraient regardé la déchristianisation comme une menace aux droits universels de l’homme quant à l'exercice des religions. En fait, tout leur raisonnement part de cette apriorité, s’appuie sur cette conviction de base, qu’il y a la possibilité de Dieu. Or s’il y a Dieu, il y a une vérité révélée, et fatalement, une Loi au-dessus de toutes les lois humaines. Ça ne peut pas être autrement. Accepter Dieu, c’est reconnaître sa « suprématie », comme le dit expressément la Constitution canadienne, en parfaite logique, d’ailleurs.
C’est ça d’abord qui m’avait frappée. Car à mon avis, c’était ça, l’enjeu véritable … et Richard était le seul … LE SEUL … à en traiter.
J’avais dit aux gens de mon exécutif : Je vous propose le texte d’un blogueur qui situe très bien l’enjeu qui nous occupe en rappelant que la laïcité est la caractéristique d’un État républicain. Le Québec aspire à être une république. C’est ce qui nous distingue du Canada anglais, surtout dans sa mouture actuelle, qui cherche à préserver une structure coloniale, de type monarchiste, qui pose Dieu au point d’origine de sa hiérarchie …
J’avais développé un peu, lu quelques passages du texte de Richard et puis, arrivée à la fin, j’avais lu haut et fort la déclaration percutante par laquelle il concluait :
Ça n’existe pas, dieu, ça n’existe pas les commandements de dieu, ça n’existe pas les interdits de dieu, ça n’existe pas les froncements de regard de dieu, ça n’existe pas les exigences de dieu, ça n’existe pas les punitions de dieu, ça n’existe pas les prescriptions de dieu, ça n’existe pas, rien de ça, pour une raison bien simple, ça n’existe pas, dieu …
Arrêtons-nous un moment ici pour admirer cette phrase! C’est écrit comme une réplique de théâtre. Il y a une progression, une montée d’intensité, une scansion, un rythme … et puis à la fin, vlan! ça tape dans le mille!
Je l’ai dit comme on dit une réplique de théâtre et je peux en attester : c’est un texte fort, jouissif, cathartique. Et qui a eu de l’effet. Quand je me suis tue, il y a eu pendant quelques instants, un silence de mort et – je vous jure – le pivot du monde a tremblé!
Parce que dire, comme ça, que dieu n’existe pas, c'est beaucoup plus que d’affirmer son athéisme … c’est tenir un propos absolument révolutionnaire. Dieu, c’est la figure du père par excellence. C’est l’ancrage, la clé de voûte du patriarcat, cette construction de l’esprit qui a cours depuis quelques millénaires et en fonction de laquelle on interprète la réalité qui nous entoure. Dire que dieu n’existe pas, c’est enlever la clé de voûte et prendre le risque que tout s’écroule comme un château de cartes. Il faut être très, très fort pour s’approcher du gouffre à ce point-là sans trembler. C'est à cette révolution-là que nous ne sommes pas prêts : ni le PQ, ni les Québécois ni le reste du monde d’ailleurs, d’où les mouvements régressifs auxquels nous assistons actuellement. Pour qu’elle ait lieu, cette révolution, il va d’abord falloir qu’on se mette à la tâche de repenser le monde, de proposer une autre construction de l’esprit, une autre interprétation de la réalité qui nous entoure. C’est une tâche colossale, mais passionnante et qui vaut bien la peine qu’on s’y consacre.
Un dernier mot … Je pense que mon ami Richard n’est pas conscient de sa force. C’est un homme qui s’est fait lui-même, hors des prescriptions du patriarcat … sa force n’est pas machiste, mais elle est bien réelle. Il se tient au bord du gouffre, sans trembler … c’est beau à voir et c'est inspirant.
4 commentaires:
Deux merveilleux textes d'une très grande profondeur. Chapeau à toi Richard et à ton amie.
J'ai souvent été émue par tes textes cette fois je suis renversée. Quelle symbiose !
Symbiose ? Tu ne peux pas savoir, Jocelyne, à quel point (et pour reprendre une expression de mon amie elle-même), tu mets dans le mille.
Merci, beaucoup, pour ce commentaire chaleureux.
Ton dernier texte est remarquable et celui de ton amie du PQ lui donne encore plus de relief. On imagine la scène qu'elle raconte, effectivement comme une scène au théâtre. Je crois qu'en négligeant de situer la question de la charte dans sa perspective historique, c'est-à-dire qu'en oubliant de parler de la laïcité, de l'anticléricalisme comme un pas en direction de l'affranchissement collectif, tout en respectant les convictions individuelles de chacun, le gouvernement a lancé une bonne chose, mais mal ficelée. Le (ci-devant) ministre Drainville aurait pu, à mon avis, citer à l'Assemblée nationale, comme ailleurs sur toutes les tribunes, des textes de Papineau, de Guillaume Barthe, de Louis-Antoine Dessaulles, d'Arthur Buies, de Jean-Charles Harvey, même de T.-D. Bouchard et d'autres encore pour situer le débat dans une continuité historique et non simplement comme un brandon de chicanes et de divisions entre les Québécois, comme le répétaient les gens de l'opposition libérale et caquiste. Je pense qu'il faudrait plus d'historiens progressistes dans les cabinets politiques pour conseiller les ministres.
Il faudra reprendre un jour ces débats de fond quand on aura fini de discuter pour savoir combien a trop dépensé Lise Thibault, représentante de Sa Majesté Élizabeth II - Dei Gratia Regina - comme il est bien écrit sur toutes nos pièces de monnaie. Moi je trouve que Lise Thibault a très bien lu le mode d'emploi de la fonction et qu'elle s'est dit: « profitons-en ! ».
En France, à la veille de la Révolution, toute l'institution monarchique n'a-t-elle pas été ébranlée à cause d'une histoire de collier royal payé trop cher à des escrocs ? Ici, après un ou deux éditoriaux, ce sera le silence radio du bon peuple contribuable, un silence qui se mêlera très bien à celui de l'exécutif du PQ.
À +
G.
Je connais suffisamment mon amie pour être sûr qu’elle a lu mon texte comme une tirade de théâtre saisissante. Ce qui a dû contribuer au silence assourdissant qui s’en est suivi !
Je pense par ailleurs que tu as raison, entièrement, quand tu suggères que le débat sur la Charte aurait dû se faire dans une perspective plus longue, et plus profonde de l’histoire intellectuelle du Québec.
Il aurait pu même rappeler que le peuple d’ici est loin, loin d’avoir été toujours religieux, mais que le catholicisme a su vite justifier 1760, et plus encore consolider les formes nouvelles du Pouvoir qui ont suivi 1837.
Merci, G. !
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