MM. Paul Desmarais (Power Corp.), M. Louis Laberge (Fédération des travailleurs du Québec) et M. René Lévesque, premier ministre du Québec.
Comme d’habitude, quand elle parle du Parti québécois et de René Lévesque, Mme Françoise David, députée de Gouin, co-porte-parole de Québec Solidaire, dit n’importe quoi, avec une malhonnêteté (et un aplomb) probablement délibérée.
Mme David prétend donc que M. Lévesque se serait scandalisé d’une candidature aussi attentatoire au «progrès» que celle de M. Pierre-Karl Péladeau; enrôlant pareil personnage, roi du capitalisme sauvage et du lock-out, Mme Pauline Marois, première ministre et actuelle présidente du Parti québécois, trahirait l’héritage du grand homme, héraut réinventé par la gauche et remodelé au goût du jour, une gauche qui se prétend, du fait de Mme David, être la seule bénéficiaire de l’héritage inoubliable, éternel, laissé par M. Lévesque. Tout cela, sans même baisser les yeux. Sans même montrer un peu de gêne, quand même, devant une manœuvre partisane aussi grossière.
Le fait est que M. Lévesque aurait donné n’importe quoi, sa chemise et des promesses d’emploi, pour avoir une candidature patronale de prestige dans ses rangs — ça n’arrivera qu’une fois, au Parti québécois, avec M. Richard le Hir, que M. Jacques Parizeau recrute en 1994. Le fait est que M. Lévesque s’est toujours montré froid, critique et distancié face à l’étiquette sociale-démocrate qu’on accolait au Parti québécois, durant les années 1970, les années de la forte croissance du parti. Le fait est que M. Lévesque s’est reconnu des affinités constantes avec l’aile droite de son parti, avec M. Pierre-Marc Johnson notamment (un avocat-médecin, pensez donc: ça l’épatait !), M. Johnson qui voulait, dès le premier mandat du gouvernement Lévesque, limiter considérablement la portée de la formule Rand (l’obligation faite à tous les travailleurs syndiqués de cotiser à leurs syndicats, mesure nécessaire de paix et de justice sociale, inévitable, mais dont MM. Lévesque et Johnson se seraient bien passés, n’eut été des protestations de «gauche» qui se sont immédiatement fait entendre), M. Johnson qui souhaitait, durant le second mandat du même gouvernement, établir un ticket modérateur dans le système de santé, et même privatiser la Société des Alcools.
Le fait est que le gouvernement de M. Lévesque a été au moins aussi rigide (et pénible) que M. Péladeau en matière de relations de travail, coupant de 20%, pendant trois mois, les salaires des employés de l’État, bloquant, plus grave encore, pendant une année entière, la progression prévue dans les échelles salariales conventionnées (réduction qui, du coup, allaient se répercuter jusqu’à nos jours), généralisant les mises à pied et les mises en disponibilité, adoptant l’atroce loi 111 qui forçait, sous la menace de représailles salariales et judiciaires, le retour au travail de tous les grévistes du secteur public. M. Lévesque leur faisait avaler du coup et de force une politique qui se comparait précisément à celle que Reagan menait au même moment aux États-Unis, avec les contrôleurs aériens, par exemple. S’en trouvent-ils pour s’en souvenir ? MM. Lévesque et Reagan avaient pourtant, et de toute évidence, lu les mêmes ouvrages d’économie politique. (MM. Trudeau et Mulroney les liront aussi, bien entendu. Avec sa Charte des droits constitutionnalisée, M. Trudeau deviendra même le champion toute catégorie de ce qu'on allait appeler le néolibéralisme, c'est à dire le chacun pour soi.)
Mme David sait tout cela, et s’y est très certainement opposée, à l’époque: c’était en 1982-1983. Ça me tue quand elle (ou M. Couillard, chef du Parti libéral) cite René Lévesque pour l’opposer au Parti québécois de Mme Marois. Elle sait parfaitement bien qu’elle commet là un mensonge indécent, éhonté. Elle sait parfaitement bien que Mme Marois réussit là où M. Lévesque a échoué. (Ça se poursuivra peut-être, du reste, dans le projet même de l’indépendance du Québec: Mme Marois est étonnamment solide, résiliente, déterminée.)
Je connais les méthodes de gestion de M. Péladeau. Je connais tout autant les méthodes de gestion qu’on pratique dans le secteur public, qui leur ressemblent comme deux gouttes d’eau, ou deux abcès purulents, c’est comme on voudra. Là où j’ai longtemps travaillé, l’employeur refuse depuis des années, presque 10 ans maintenant, d’appliquer deux jugements de Cour portant sur un conflit de travail et ordonnant le versement de salaires que cet employeur doit toujours, la Cour lui intimant pourtant de respecter le droit de grève, et de payer les salaires injustement refusés quand le travail a dû être repris gracieusement… (Cette affaire est majeure, soit dit en passant, pour l’avenir même des relations de travail dans le secteur public.) M. Péladeau n’est pas l’unique patron à fantasmer sur ses droits de gérance, même appliqués de façon sauvage. Ça fantasme aussi, et d’exacte manière, dans les bureaux huppés de l’État québécois, et même quand les patrons sont des patronnes. C’est idéologique; c’est là les conséquences des privatisations presque massives, tout juste initiées sous M. Lévesque, poursuivies avec célérité sous M. Bourassa (pensez donc: le Manoir Richelieu, vendu un dollar, un dollar à Malenfant, qui en a cassé, lui aussi, du syndicat, la CSN est là pour en témoigner avec, toujours, le vibrato nerveux dans la voix…); c’est là la conséquence de la «réingénierie» de l’État, patente chère à M. Charest; c’est là surtout la conséquence d’un État post-Révolution tranquille, qui a réappris, avec enthousiasme, et peu de morale, à être patron, tapis sous les pieds, le mépris aux lèvres, pincées.
Quand sera faite cette petite révolution qu’est la transformation de l’État en une institution publique qui soit effectivement neutre, laïque et sans religion aucune, j’espère beaucoup qu’un jour, avant ou après l’indépendance du Québec, viendra la révolution démocratique participative que prône l’ASSÉ, à laquelle je crois profondément: et on pourrait commencer là aussi, pour l’appliquer, par transformer les pratiques démocratiques de l’État québécois dans ses relations de travail. À l’époque du gouvernement de M. Lévesque, un pareil projet, j’en suis sûr, aurait enthousiasmé un ministre de «gauche» comme M. Camille Laurin. Nous sommes loin, très loin de ça présentement. La gestion publique est néolibérale: les petits patrons du secteur public s’en réjouissent fort, d’ailleurs, et n’ont là-dessus aucun problème de conscience. J’imagine que Mme Hélène David, la sœur de l’autre, pourrait sur ça nous en raconter longtemps: on comprend qu'elle ait abouti au Parti libéral.
Je ne sais trop comment les ministres progressistes du gouvernement Marois se ressentiront à côtoyer quelqu’un d’aussi patronal, et propriétaire, que M. Péladeau. Reste que M. Péladeau se rallie à un gouvernement qui a aussi un projet souverainiste, qu’il peut fortement contribuer au succès éventuel de sa réalisation. Il y avait des purs et durs, dans les colonies anglaises révoltées, en 1776: certains élus du nord-est, radicalement antiesclavagistes, ont pourtant accueilli avec joie le ralliement de George Washington à la cause indépendantiste, parce qu’il amenait avec lui les colonies du Sud, récalcitrantes, craignant pour leurs «avoirs» humains. Une indépendance est, de par sa nature même, «nationale»: elle ne peut être autre chose qu’une coalition, vaste, hétéroclite. Le pays à construire se fait après coup: en 1787, les Américains ont choisi de le faire plutôt à droite. À nous, quand le moment viendra, d’y voir de près, de faire les choix sociaux qui nous conviennent, et qui seront de nos «valeurs». En attendant, c’est M. Péladeau qui est utile, à n’en pas douter.
Quand Mme Lise Payette s’est ralliée au Parti québécois, elle raconte avoir dit à M. Lévesque qu’elle entrait au PQ par la porte de gauche: M. Lévesque, en riant, lui aurait répondu que le parti en avait trois, des portes, à gauche, au centre et à droite, et qu’elle avait donc le choix ! Mme Marois pratique exactement la même politique; elle est en droite ligne la continuatrice de M. Lévesque, bien davantage que ne le sera jamais l’indépendantiste sans conviction et sans âme qu’est Mme David.
(En espérant, tout de même, puisqu’elle était déjà ministre en 1982-1983, et qu’elle n’a pas démissionné durant la crise ni celle du «beau risque» qui a suivi de peu, que Mme Marois se souviendra, pour ne pas les répéter, des erreurs affreusement antisyndicales et antisociales que M. Lévesque a fait commettre à son gouvernement en cette terrible année 1983.)
Mme Françoise David dit donc, et elle le sait, n’importe quoi de M. Lévesque. Ce qu’elle oublie de cet immense personnage, de ce «personnage historique», comme le disait déjà Pierre Bourgault au début des années 1970, c’est que M. Lévesque était de ceux, nombreux, qui souhaitaient la formation d’une bourgeoisie nationale, et de créer les instruments publics pour y arriver; c'est qu’il ne supportait pas la tutelle depuis longtemps imposée au Québec, et qu’il en souffrait jusqu’au tréfonds de lui-même; c’est qu’il dénonçait ces «tuteurs traditionnels de notre peuple» qui le jugeaient incapable, sauf à servir, mimes, bouffons, aliénés, surexploités; humilié, souffrant du mépris rhodésien des dominants, souvent possédants, il arrivait à M. Lévesque de crier haut et fort: «Québec français !»; M. Lévesque n’avait pas de religion, et s’en moquait bien, lui qui comprenait tout aussi bien la nécessité de la liberté politique que d’un anticonformisme rayonnant, dans lequel les nôtres se reconnaissaient si bien. Mais de cette manière d’envisager les choses et la vie, Mme David y aurait vu, elle, à l’époque du gouvernement de M. Lévesque, et encore maintenant, du racisme, de l’intolérance, de l’atteinte aux droits fondamentaux, de l’immoralité.