Décembre 1961, il y a (presque) 53 ans. Pierre Bourgault s’adresse aux tout premiers indépendantistes, réunis à la salle de la Fraternité des policiers de Montréal. Le Québec est alors plongé dans la Révolution tranquille, que Bourgault ne renie pas, loin de là. Mais c’est à une tout autre révolution, essentielle, fondamentale, faisant (douce) violence à l’aliénation collective canadienne-française, qu’il fait appel, et à laquelle il rattache le mouvement indépendantiste québécois naissant. Peut-être est-ce mon âge qui fait ma conviction; peut-être aussi ma formation et ma sensibilité d’historien, et peut-être est-ce encore l’origine sociale modeste qui est la mienne: reste que je crois toujours vrai le contenu de ce discours, toujours exacte l’analyse qu’il propose, toujours nécessaire en lui-même le projet que Bourgault soumet au peuple du Québec pour sa libération.
… « Mais malgré tout, et que cela plaise ou non, nous sommes la Révolution. Expliquons-nous bien vite avant que quelques-uns se mettent à crier qu’on veut les assassiner. (…) ll est indéniable que l’indépendance apportera un changement assez brusque dans la politique et le gouvernement du Canada, comme dans ceux du Québec. (…) Mais il y a le petit mot « violent ».
La plupart d’entre nous, et c’est normal, réagira devant ce mot en jetant les hauts cris, en jurant qu’il y a assez de guerres dans le monde sans en faire une ici, en s’imaginant des tableaux pleins d’horreurs et de détresse, en exhortant les séparatistes à rester calmes, et en voyant déjà les armées s’affronter. Beaucoup d’entre vous savez comme moi qu’il n’est d’ailleurs pas nécessaire de prononcer ces mots pour que tout de suite on imagine le pire. Aux yeux de certains, nous sommes méchants, sanguinaires et barbares, et c’est l’arme au poing que nous voulons atteindre notre but.
Rassurez-vous, nous n’avons pas de ces intentions. Notre action n’en est pas moins violente et le deviendra sans doute encore plus. Il existe à côté de la violence purement physique que nous réprouvons fortement, une violence faite à l’esprit, à l’intelligence des hommes. C’est cette violence que nous pratiquons pour arriver à changer la politique et le gouvernement de notre pays. C’est l’esprit que nous attaquons, et c’est avec les mots et la raison que nous nous battons. Et notre raisonnement est violent parce qu’il s’attaque à détruire des préjugés, des complexes de l’intelligence qui, trop souvent, chez beaucoup de personnes, leur cachent la réalité des circonstances et du contexte dans lesquels elles vivent. (…)
C’est dans ce sens que nous pouvons dire que nous sommes la Révolution.
Révolution pacifique, mais Révolution quand même. Révolution dans la raison et les sentiments, Révolution dans les habitudes, dans les structures, dans les cadres. Passage brusque et violent de la honte à la dignité. Passage brusque et violent de la médiocrité à la fierté. Passage brusque et violent de la servitude à la liberté. C’est ça la Révolution. »
Source: Paul Terrien, Les grands discours de l’histoire du Québec, pp. 310-312